jeudi 23 septembre 2010

La paix des méninges

La réconciliation des contraires signe la réussite d'un système. Tant qu'il reste de la contradiction, c'est le signe que le système de pensée achoppe ou défaille. Quand tout fonctionne, c'est la preuve : la représentation est enfin correcte. Comme nous avons toujours subi au fil des temps des systèmes de pensée déficients, certains observateurs ont émis l'hypothèse que le progrès n'existait pas en pensée. Et puis, l'immanentisme est arrivé.
Soudain, on a osé parler d'une révolution dans la pensée. Dès Spinoza, on prétend achever les problèmes ontologiques au sein de l'Ethique. Bien que la persistance des philosophes immanentistes, de plus en plus radicaux et sombres, comme un Schopenhauer, le maître de l'absurde, indique que Spinoza n'a certainement pas réussi à résoudre les problèmes de la pensée, c'st ce même Spinoza qui dès les limbes ne craint pas de proposer une définition de la substance : l'incréation.
D'où le miracle : l'immanentisme est parvenu à la réconciliation. A l'heure actuelle où l'immanentisme s'effondre, on se réclame d'autant plus de Spinoza que l'on cherche un certain sens dans un monde qui est censé l'avoir perdu - de manière différante. Il est vrai aussi qu'il est plus facile de répéter en se donnant l'illusion que l'on répète un maître qui a trouvé la voie pour parodier un expression asiatique - dans la mesure aussi où ledit maître en question prône l'incréation à la place de la création. Ce refus de la création au profit de l'incréation recoupe une profonde divergence de conception du réel sur laquelle je reviendrai.
Cette prétention à la réconciliation est-elle à l'examen une réussite ou cache-t-elle au contraire le pire des antagonismes? Avant de répondre à cette question, il faudrait peut-être songer à rapprocher l'immanentisme du taoïsme chinois. Non que je sois spécialiste de pensée chinoise, tant s'en faut, mais que je sois frappé par une analogie : l'immanentisme trouve sa complétude (sa réalisation) dans le désir. Le taoïsme explique que la connaissance est incertaine et inutile au-delà du désir.
Si le spinozisme (en tant qu'ontologie fondatrice et inspiratrice de l'immanentisme) assigne une place cardinale à la connaissance, cette connaissance valorisée se trouve dans le même temps réduite aux bornes et aux normes du désir soi-disant complet. Cette idée d'hyperréduction de nature ontologique n'indique pas seulement le dévoiement (pervers) de la connaissance. La réconciliation suit de même car l'immanentisme ne parvient à définir le réel qu'en le réduisant au désir.
C'est-à-dire que la providentielle réconciliation de type immanentiste n'advient qu'au prix de la pire des contorsions - je veux dire : de la pire des réductions. Car l'immanentisme ne parvient à définir le réel (et ce faisant à réconcilier les contraires) qu'au prix de la réduction du réel au sensible. C'est dire que non seulement l'immanentisme n'a pas résolu le problème initial (définir le réel au-delà du sensible), mais l'a aggravé irrémédiablement. Car en déniant le réel non sensible, l'immanentisme crée une définition du réel pour le moins simpliste (stéréotypée et figée) dont le moindre des inconvénients n'est pas de créer insidieusement, sans jamais l'admettre, l'existence d'un néant dénié et virulent.
En guise de quoi cette réconciliation a l'arrière-goût rance et empoisonné de la guerre. Un peu comme on décrète que la paix est revenue alors que la guerre bat son plein, cette manière de pensée de manière contradictoire et impossible se fonde sur le schéma typique de l'ontologie nihiliste : l'opposition entre le néant et le réel. Mais cette opposition se fonde sur le déni qui engendre la folie : ainsi du fait d'avancer que quelque chose existe qui n'existe pas - ou que ce qui n'existe pas existe inversement. Pour le dire abruptement : la paix des méninges cache la guerre du réel.

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