mercredi 15 septembre 2010

Le Bilderbeurk

Catherine Lieutenant du blog Les Grosses Orchades, les amples thalamèges me demande de donner mon avis sur les écrits dont Fidel Castro nous gratifie depuis son retour de maladie. A vrai dire, je n'accorde à Castro qu'un intérêt limité, non que je verse dans la haine anticommuniste de certains ultra-libéraux discrédités (comme en France le regrettable Revel), mais que je ne voie pas comment un affidé du communisme puisse échapper à la faillite des systèmes communistes (qui s'est ordonnée autour de la symbolique chute du Mur de Berlin, en 1989).
Je travaillerai sur les notes de Castro du 17 août 2010; telles que Catherine Lieutenant me les envoie. Comme je viens de perdre mon texte bien avancé en ayant mal sauvegardé les données, je vais faire plus court. Castro est un néo-communiste qui nous montre qu'il est moins pressé de sortir des vérités à l'article de la mort qu'il se trouve engoncé dans une manière de penser qui l'empêche de comprendre le monde. Est-ce bien ce dirigeant qui a pendant un demi-siècle tenu la dragée haute aux ennemis du monde capitaliste?
Le mérite de Castro pourrait sembler d'importance. Il est faible : Castro reconnaît l'importance du rôle des services britanniques (secrets et autres) dans les complots et les manipulations capitalistes, atlantistes et mondialistes. D'ordinaire, on se contente d'incriminer les services américains, voire israéliens. Castro ne se contente pas de verser dans l'antiaméricanisme primaire. En pédagogue averti, il expose que la contre-culture n'est pas née de génération spontanée ou hasardeuse, mais découle de programmes issus des cerveaux de certains savants du Tavistock Institute ou de certains pontes de l'Empire britannique comme la famille Huxley,
Par contre il n'évite pas un autre simplisme : le complotisme. Tout expliquer par le complotisme revient ici à accorder une importance grandiloquente au Groupe Bilderberg. D'où le doute : il est incroyable qu'un dirigeant aussi exposé que Castro valide une version aussi primaire des faits. L'interprétation complotiste est certes bien moins paresseuse que l'interprétation anticomplotiste consistant à évacuer l'existence des complots pour accepter benoîtement l'ordre dans lequel on vit, en particulier l'infâme droit du plus fort. Mais le complotisme consiste à proposer une cause simple et fausse expliquant des phénomènes occultes et occultés.
Il convient de rappeler que même si Castro n'explique pas tout par le Bilderberg, il en explique toujours trop. Comme si le Bilderberg (ou quelques autres instances) pouvait réellement décider de manière occulte et efficace de ce qui ne fonctionne pas de manière visible et explicite - d'un gouvernement mondial entre États. Ce que Castro laisse entendre, c'est que le pouvoir des États-Unis serait gérer par des instances oligarchiques qui utiliseraient les complots pour gouverner de manière occulte. Il est important d'insister sur le fait que le caractère occulte du pouvoir se conjugue ici à son (autre) caractère efficace.
En réalité, il n'en est rien. Plus le pouvoir est caché, moins il est fort. Il se pourrait au contraire que la visibilité du pouvoir classique ne soit pas une donnée secondaire, mais qu'elle soit capitale : la solidité et l'efficacité du pouvoir dépendent au premier chef de sa visibilité. Se cacher, c'est amoindrir le pouvoir, le flétrir et le diminuer. Le recours au complot peut se révéler avantageux à court terme; jamais à plus longue échéance.
D'un point de vue factuel, il coule de source qu'aucun gouvernement mondial secret n'existe et qu'en conséquence le Bilderberg n'est qu'une prestigieuse réunion oligarchique parmi tant d'autres. On ne parvient jamais à réaliser de manière cachée ce qu'on rate à effectuer de façon visible. Ce pour une raison précise : le pouvoir caché est inférieur au pouvoir visible en ce que le seul pouvoir qui parvient à réunir les instances du pouvoir dans les mains de quelques individus (voire d'un seul homme fort) est d'obédience visible. Plus le pouvoir est contraint de recourir à l'occulte, plus il se dissémine et s'étiole.
Du coup, les complots sont le signe d'un pouvoir faible qui va de pair avec un pouvoir caché (occulte). Le pouvoir fiable est visible, le pouvoir faible caché. Il est vrai que Castro descend d'un héritage marxiste, selon lequel si le gouvernement doit tendre vers la perfection et le visible, il se meut dans un espace fixe. D'ailleurs, demandez à un marxien de vous définir la différence entre libéralisme et capitalisme, il peinera ou en fera des synonymes accommodants. C'est parce qu'aussi scandaleux que ce fait puisse se révéler, le marxisme résulte d'une réfutation des conséquences libérales reprenant les causes libérales.
Si le libéralisme est faux, le communisme qui se présente comme une amélioration idéologico-politique du capitalisme ne peut qu'être plus faux encore, bien qu'il contienne comme élément de profondeur un souci réel de justice (sous le terme récurrent d'égalité). L'erreur fondamentale de Castro se situe à cet endroit décisif : le concept de fixité lié à l'idée de finitude. Marx entérine ces postulats, ce qui fait que son système est forcément faux.
Mais le complotisme d'un Castro fait de même. Ce n'est que dans un univers fixe que l'on peut développer ce type de pensée. Non pas qu'il faille verser dans le simplisme arbitraire des conservateurs paresseux qui classent dans la rubrique accommodante des complotistes tous ceux qui osent évoquer des complots d'États. Sans doute un Castro entend-il dénoncer la montée des complots durant ce début de millénaire (chrétien); sans doute notre néo-communiste n'entend-il pas réduire l'ensemble des sphères du pouvoir à quelques groupes occultes dont le Bilderberg.
Il n'empêche qu'il verse dans les travers consistant à cautionner l'idée d'un pouvoir occulte qui serait la réplique du pouvoir visible, avec autant d'efficacité et plus encore de diabolisme. Au contraire si l'on considère que le pouvoir qui se cache perd en efficacité et en pérennité, on aboutit à l'idée d'un éclatement et d'un affaiblissement du pouvoir de type caché. Le moins qu'on puisse constater est que Castro n'aboutit pas à ce genre de révélations et qu'il se contente au surplus de reprendre les théories et enquêtes réalisées par d'autres que lui.
Comme si un Estulin par exemple en savait plus que notre Castro sur ce genre de sujets! J'aimerais quant à moi non pas louer à la manière de Castro l'ouvrage d'Estulin, mais au contraire en discerner les limites. Car ce n'est pas la même chose d'observer factuellement qu'une centaine de hauts responsables de la politique, de l'industrie, de la finance et d'autres secteurs se retrouve quelques jours par an - et d'en inférer des théories complotistes (explication des événements négatifs du monde par des complots).
Ce dont on a besoin c'est d'une théorie qui prenne en compte les complots sans sombrer dans le complotisme, soit sans réduire le réel au désir, dans une fixité dont l'immanentisme n'est que la réduplication moderne. Ce qu'il faut interroger, c'est l'origine de cette faiblesse du pouvoir et ne surtout pas en rester à des révélations réchauffées et pis encore finalistes comme le fait Castro d'une manière si réductrice (caricaturale) que j'espère qu'il n'est pas vraiment l'instigateur ni l'auteur.
Le pouvoir est fort quand il parvient à faire le lien entre son apparence (extériorité) et son intériorité. Le pouvoir qui ne demeurerait seulement que dans l'apparence pure serait comme l'ontologie de la seule apparence (soit de la sophistique sophistiquée) : une supercherie assortie d'un mensonge. Elle conduit bien entendu à de l'oligarchie, soit la loi du plus fort appliquée comme finalité au réel.
Qu'est-ce que l'apparence pure? C'est la réintroduction par déni du néant nihiliste, soit l'absence de lien entre l'extérieur et l'intérieur. Le fait de cacher implique cette rupture antagoniste entre l'apparence et le néant. C'est dire que l'acte de cacher n'est pas de l'intériorité, mais de l'antagonisme. C'est dans un schéma de type nihiliste que l'occulte se produit. La tradition du caché, de l'occulte ou du secret consiste à séparer de manière irréconciliable et appauvrissante le réel réduit au sensible ou à l'apparence.
L'acte d'agir de manière cachée consiste moins à découvrir de l'intériorité face à l'apparence que de scinder à l'intérieur de l'apparence une forme cachée et artificielle qui réduit encore davantage la forme finie de l'apparence et la contraint non seulement à s'appauvrir en se coupant de l'absolu (l'infini) par sa soumission à cet espace de domination secrète; mais encore à s'appauvrir par le fait de se réduire dans ce lien débilitant entre les dominés (espace majoritaire fini) et les dominateurs (espace minoritaire fini).
Raison pour laquelle le recours aux complots signale la crise : il signifie l'appauvrissement symptomatique de la réduction. La raison de cette crise est que ce mécanisme de complot ou de crise ne crée rien du tout et du coup tend vers l'appauvrissement qualitatif. L'explication par le complotisme ne tient pas la route parce qu'elle accrédite l'appauvrissement et propose une mauvaise explication par le plus évident en période de crise : les complots.
Du coup, le fait de se réfugier dans le secret de type complotiste consiste moins à opposer l'intériorité contre l'extériorité - que de créer une intériorité factice à l'intérieur (c'est le cas de le dire) de l'extériorité. C'est d'ailleurs l'intention de ce secret que de créer de l'intériorité dans l'apparence artificiellement subdivisée. On comprend que le pouvoir ne puisse pas être caché. Car le caché est l'antagoniste qui affaiblit, quand le visible est l'unificateur qui renforce (par la croissance).
Il y a un emboîtement du politique dans le religieux (qui en philosophie passe par l'ontologique). La conception du pouvoir qui unifie et renforce implique la réunification de l'apparence avec le réel. C'est l'idée selon laquelle le réel ne saurait en aucun cas se limiter à l'apparence et qu'au contraire cette apparence ne donne du réel qu'une image finie et fixe. On comprend pourquoi un communiste initial peut évoluer en complotiste : au départ, on essaye d'améliorer le système fixe; mais c'est en vain; tout ce qui est fixe est condamné à dégénérer sous l'emprise notamment de complots sordides et sacrificiels.
C'est alors qu'impressionné par l'importance des complots et leur rôle significatif, l'observateur perd sa lucidité et sombre dans l'interprétation complotiste. La finitude du réel recoupe l'apparence, ce que les sophistes ou Nietzsche savaient fort bien. A l'opposé, le schéma politique du transcendantalisme consiste à réintégrer l'apparence dans l'orbite du réel en prolongeant l'extériorité pour la faire tendre vers la plénitude. D'où le mouvement de croissance qui s'en est suivi inéluctablement et qui est le propre de la nature humaine.
A l'intention des sourds d'obédience écologiste : il n'est pas possible de décroître ou même de stagner. Le propre de l'homme est de croître dans un réel en perpétuelle dynamique (changement). Que décroître, c'est mourir. Bel aveu de la part de la décroissance! Quant au développement durable, son label fort engageant ne peut survenir qu'avec l'appoint du progrès scientifique et technologique, certainement pas en versant dans l'obscurantisme des modernes moulins à vent que figurent les éoliennes (un spectacle spectral dont les hommes riront dès le siècle prochain).
Mais cette croissance de type transcendantaliste n'est pas indéfinie. Elle s'arrête aux portes de la terre. D'où les tiraillements actuels avec les idéologies stabilisatrices comme le mondialisme (et sa cousine la décroissance dont personne ne note la parenté pourtant frappante). La conception transcendantaliste en politique butte sur la même limite qu'en ontologie (forme philosophique du religieux).
La représentation du fini prétend trouver l'infini en prolongeant l'infini - de l'être vers l'Être. Ce prolongement est aussi englobement au sens où l'Être englobe l'être sensible (les étants dirait Heidegger). En ontologie, le transcendantalisme se trouve incapable de reconnaître l'existence du néant et oscille entre deux tensions extrêmes : soit le déni complet (avec l'Être); soit le nihilisme qui reconnaît sur le mode du déni le néant et qui lui accorde une définition aberrante : le néant qui existe n'existe pas.
Dans le domaine politique, la limite butte sur l'espace. La limite de la technique du prolongement vient de ce que le sensible (de type platonicien en Occident) est perçu comme essentiellement constitué d'être. Du coup, cet être, même imparfait, même fini, même morcelé et divisible, représente au final le substrat essentialisé de ce qui est le réel. Le réel devient à la fois l'extension du sensible et s'arrête avec les bornes humaines de l'expérience sensible.
Mais ces bornes sont circonscrites au globe terrestre et nous sommes en train d'en subir les conséquences : l'effondrement du religieux de type transcendantaliste s'explique parce que le sens a disparu dans tous les sens du terme. Sens physique avec la globalisation terrestre; sens métaphysique avec la mort de Dieu (ou de l'Être) annoncée avec perte et fracas par celui qui n'est pas un simple moraliste de la tradition française, mais le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré - Nietzsche.
Il importe à l'homme de renouveler et de refonder le sens. Pas seulement d'un point de vue philosophique, mais d'un point de vue religieux. Je sais bien que cette évocation du religieux ne peut que faire horreur à ceux qui de nos jours estime que le religieux est dépassé et que le nouveau consiste précisément à fonder des formes non religieuses. C'est sans compter sur le fait qu'il n'est pas de culture sans culte - pas de culture sans religieux.
Soit l'homme refonde le religieux, soit il disparaît, embourbé dans son mythe destructeur du mondialisme exacerbé. Le religieux est le seul moyen pour l'homme de trouver un sens, dans un sens métaphysique qui passe aussi par un sens littéral - purement physique. Pas d'avenir ni de pérennité sans religieux - aussi attristante soit cette remarque pour des contempteurs qui oublient que les inconvénients du religieux sont peu en comparaison de ses mérites.
Refonder le transcendantalisme, c'est accepter le néant en lui donnant une inflexion religieuse (ou sa sous-forme ontologique). Pas de néant nihiliste, mais contre le nihilisme le néant néanthéiste. L'acception du néant est le seul moyen d'aller dans l'espace soit de conquérir au sens métaphysique et physique ce corps étranger et étrange qu'est l'espace, qui nous échappe et qui dans l'idéologie mondialiste actuelle (une conséquence de l'ultra-libéralisme dominant) est même perçu comme une perte d'argent - la valeur cardinale. Nous sommes bien loin de la salsa Castro et du complotisme de facture nostalgique.

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