vendredi 17 septembre 2010

L'hôte tonne



"Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie

Ce calice mêlé de nectar et de fiel !

Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?"

Alphonse de Lamartine, L'automne.

Un peu de sérieux dans ce monde loufoque signifie un peu d'humour dans ce monde pesant. L'esprit de plomb s'attache aux semelles (détrempées) de ceux qui professent avec le plus de rejet toute notion de morale - par-delà bien et mal selon la formule du prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré Nietzsche. J'en veux pour preuve cette intervention du sophiste Schiffter, qui se proclame d'autant plus (et avec emphase) essayiste le moins lu de France qu'il jouit d'une exposition des plus conséquentes (du moins dans les rédactions des médias).
http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/09/avoir-un-bon-copain.html
Schiffter croit avoir de l'esprit en citant le joyeux Chamfort, qui déclare : "La plus perdue des journées est celle où l'on n'a pas ri." Alors Schiffter rit, mais sa joie est une joie toute finie, qui lui fait perdre de vue que la joie véritable tend vers l'infini. Schiffter serait au fond pesant derrière son vernis d'humour désespéré? J'en veux pour preuve cette note qu'il croit témoigner avec humour concernant la collaboration littéraire entre Houellebecq et BHL. Schiffter professe de critiquer BHL et d'admirer Houellebecq, qui se présente comme un schopenhauerien inconditionnel.
Mais observons le sophisme que produit Schiffter - et la raison pour laquelle dans le système culturel si vicié que nous endurons un Schiffter peut être aussi apprécié malgré ses rodomontades : on pourrait estimer que Schifffter va casser BHL dont il est certain qu'il est un propagandiste se servant de la littérature comme d'une devanture. Mais Schiffter qui commence de la sorte préfère nous pondre un effet de surprise inattendu en citant Tocqueville cassant Lamartine. Houellebecq est comparé à Tocqueville, alors que BHL imiterait Lamartine.
Ce faisant, le sophiste pessimiste Schiffter entend nous convaincre que les choses ne changent fondamentalement pas. Cette croyance va de pair avec l'autre grande idée de tout immanentiste, en particulier s'il est radicalement pessimiste : que les choses coexistent avec le néant. Du coup si les choses ne changent pas et que le néant existe en tant que néant (ce qui n'existe pas), alors tout ce qui existe a le mérite insigne d'exister. Pour le dire d'un mot, Schiffter appartient à cette cohorte d'immanentistes terminaux qui accordent de l'importance qu'à l'apparence.
Du coup, la réconciliation de type immanentiste n'est pas loin car si des existants ne sont pas d'accord, il n'empêche qu'ils présentent comme principal mérite (ontologique) d'exister. Les sophistes de l'immanentisme terminal détestent le romantisme à qui ils reprochent son idéal impossible résumé par la formule de Baudelaire (souvent citée par Rosset) : anywhere out of the world. Donnez-moi un autre monde - ou je succombe. Au contraire les immanentistes tiennent que le seul monde qui existe se situe ici et maintenant - et qu'il se suffit à lui-même.
Dans cette analogie, où l'on voit vraiment que comparaison n'est pas raison, Lamartine se trouve rapproché de manière scandaleuse de BHL, quand le romancier Houellebecq est comparé au sociologue Tocqueville. Cherchez l'intrus. N'en déplaise à Rosset (et à son disciple Schiffter), Lamartine reste un grand poète du dix-neuvième siècle, ô combien plus important qu'un BHL, qui, outre qu'il n'est pas du tout poète, subvertit médiocrement la littérature pour des besoins de pure propagande. Ce n'est quand même pas parce que BHL est normalien de la rue d'Ulm et agrégé de philosophie qu'on le pare de mérites qu'à l'évidence il ne possède pas.
C'est le principal reproche qu'on adressera à Schiffter : réhabiliter sournoisement BHL en faisant mine de le descendre - et c'est sans doute pour cette raison que Schiffter bénéficie d'un tel éclairage médiatique en faisant mine de sabrer les célébrités intellectuelles et en se présentant toute impudence bue comme l'essayiste le moins lu de France. Schiffter réhabilite ceux qu'il entend descendre par le seul fait que leur exposition les rend apparents et visibles. D'où la fausseté du raisonnement de Schiffter et le fait que son humour contient les ferments les plus marqués de l'esprit de plomb.
L'erreur ontologique principale de Schiffter tient à la réconciliation des contraires et au fait que quel que soit l'avis (tranché) qu'il observe, il se trompe : non, le plus immédiat n'est pas le seul existant; non BHL n'est pas un Lamartine bis; non surtout le néant n'existe pas. C'est à ces conditions que l'on comprend que la vérité dont se targue Schiffter (la désillusion pessimiste étant sa méthode) est portée par l'erreur la plus importante et que l'avis de Schiffter à propos de BHL est faux de part en part : BHL est un écrivain français qui est très important selon les critères de l'immédiat et de l'apparence, mais qui est appelé sans l'ombre d'un doute à disparaître totalement dès qu'il aura fini d'intervenir médiatiquement et surtout dès qu'il sera mort.
A l'opposé, Lamartine est un poète français sans doute narcissique et trop facile, mais dont l'importance historique est incontestable. Peut-être est-il un mineur parmi les majeurs, mais enfin, c'est un mineur important. Il est disproportionné de comparer BHL et Lamartine. Pis, la sensibilité dont Schiffter se prévaut et qui le rendrait méfiant à l'égard de la philosophie universitaire (même posture que Schopenhauer) le conduit à réhabiliter insidieusement un propagandiste et à amalgamer un penseur (Tocqueville) avec un romancier (Houellebecq).

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