Cette propension qu'ont les gens (en général) à ne pas voir les problèmes collectifs et à ne s'intéresser qu'à leurs questions individuelles ne remonte certainement pas à l'horrible attentat du 911. Après tout, quand JFK s'est fait assassiner, c'était en 1963. Qui a bronché véritablement? Mais à ce jeu de la chronologie historique, il serait réducteur de s'arrêter à des dates récentes. Sans doute faudrait-il considérer qu'un (assez long) processus s'est enclenché depuis le cheminement de l'immanentisme originel.
Le théoricien originel de l'ontologie immanentiste, ce Spinoza qui passe pour l'un des inspirateurs de la démocratie libérale, théorise en premier lieu sur la complétude. Non seulement Spinoza prétend avoir trouvé la complétude, ce qui constitue une notable avancée depuis les recherches des nihilistes antiques, mais pour parvenir à son dessein, il localise la complétude dans le désir, soit dans la forme individuelle qui nie le plus le sens du collectif et qui promeut implicitement l'individualisme.
Dans tout processus, il convient de considérer la particularité du changement : la gradation (selon la loi de néguentropie ou anti-entropie qui rappelle que si certaines lois physiques peuvent se prévaloir dans leur finitude de l'entropie, la texture du réel, de manière générale, est anti-entropique). Cette gradation au sein de l'immanentisme, on l'observe avec la dévalorisation très nette des idéaux immanentistes. Au dix-huitième siècle, on parle encore de liberté. Et maintenant?
Si l'idéologie est déjà dévalorisation de l'idée, l'idéologie libérale parle encore de libre-échange. La surenchère se déroule à l'intérieur du libéralisme triomphateur (historique), tant et si bien que l'ultra-libéralisme naît du libéralisme, comme une forme de radicalisation particulièrement agressive. C'est ici que l'on démasque l'imposture de ces manipulateurs (et de leurs suiveurs surtout imbéciles) qui se réclament de la liberté ultra-libérale et qui accusent les critiques d'être contre la liberté (en sus de la variante néoconservatrice à l'encontre de ceux qui seraient contre la démocratie à partir du moment où ils s'opposent à l'impérialisme de facture occidentaliste).
Cette gradation aboutit à l'une des antiennes de la contemporanéité : l'aboutissement du refus du complotisme. On connaît le ton effarouché que prennent conservateurs et progressistes de l'immanentisme terminal au moment où ils entendent la rengaine complotiste selon laquelle des complots existent - et même que des complots au sommet des institutions et des États peuvent advenir. Le pire arrive quand on développe ce premier sacrilège complotiste, en rappelant qu'historiquement plus les époques vivent des situations de crise (soit de perturbations dans le changement), plus les complots institutionnels sont nombreux.
Cette fois, l'interlocuteur anticomplotiste vire au blême et vous déclare sur un ton sentencieux : "Désolé, mais je ne suis pas complotiste" (ou une variante du même tonneau). Ce refus du complotisme est conséquent dans la mentalité d'aujourd'hui en Occident (étant entendu que l'Occident domine et que c'est cette mentalité qui a imprégné l'humanité avec la globalisation des échanges). Cet anticomplotisme primaire (paresseux) découle de la complétude du désir de nature spinoziste.
Elle implique la reconnaissance que le complot ne peut se faire sans l'existence d'un groupe qui nie l'individualisme; et que le complot est extérieur à l'univers du désir individualiste. L'anticomplotisme est un postulat conséquent dans la mentalité de l'immanentisme terminal : pourquoi s'occuper de ce qui ne nous concerne pas et qui ne nous concernant pas n'existe (pratiquement) pas? Après tout la complétude du désir implique que la reconnaissance ne s'attache qu'aux attitudes du désir.
L'idée est que le désir est le fondement du réel et le seul intérêt qui vaille pour l'homme. Dans cette mentalité, dans laquelle on loue comme par hasard des formes de sociétés proches du libéralisme démocratique, la politique connaît une profonde remise en question (une mutation) puisqu'elle devient inutile ou secondaire par rapport au désir. Le désir individualiste ne saurait se sentir concerné par l'objectif politique.
Raison pour laquelle l'immanentisme terminal conçoit d'autant plus d'aversion contre l'idée de complot (la reconnaissance de l'existence des complots) que cette reconnaissance est un aveu. Aveu qu'il se trompe du tout au tout dans sa conception de la politique (et de la dépolitisation). Aveu qu'il n'est pas en mesure d'affronter le réel, singulièrement quand ce réel pose problème des suites de ses erreurs. L'immanentiste terminal n'est pas capable d'affronter la crise systémique dont le problème surajouté consiste à englober l'ensemble du réel selon le désir.
Comment réagir de toute façon à ce qui nous dépasse (face auquel on ne peut rien)? Le déni de l'immanentiste s'explique par son impuissance, comme si la crise confinait au sublime version Lucrèce. On ne peut rien faire = on ne s'y intéresse pas. La plupart croient que si c'est hors de portée, cela n'existe pas (ou si peu). Les plus lucides à l'intérieur de cette mentalité fausse préfèrent ne pas s'intéresser à ce qui existe certes, mais au-delà de leur champ d'action (d'individus désirants et individualistes).
On retrouve cette mentalité explicitée chez le plus emblématique des immanentistes terminaux, le sophiste version contemporaine Clément Rosset. Alors que ses fréquentations littéraires se réclament d'autant plus faussement du nihilisme qu'elles sont de facto pessimistes et narcissiques (version déceptive et prévisible), Rosset est le plus caractéristique des nihilistes actuels au sens où il produit une version radicale du spinozisme tout en se réclamant d'autres fins que le nihilisme (tout authentique nihiliste dénie son nihilisme).
D'ordinaire, dans nos sociétés qui se flattent de progressisme pour se rassurer sur l'état de l'immanentisme (tant qu'il y a du progrès, il y a de l'espoir), on considère que la dépolitisation est l'apanage de certains progressistes radicaux, comme les libertaires ou les gauchistes. Mais c'est bien du côté des conservateurs impénitents comme Rosset (à la suite de ses maîtres Schopenhauer et Nietzsche) que l'on trouve l'option la plus conséquente de la dépolitisation.
Cette hypocrisie est de mauvaise augure : quand les contraires d'un système politique se rejoignent, c'est que ledit système est sur le point d'éclater. Tout aussi bien cette hypocrisie est-elle explicable dès les fondements : car la liberté selon Spinoza équivaut à la loi du plus fort (qu'il rebaptise du doux nom de puissance). Spinoza est un conservateur en puissance, qui n'est progressiste que dans la mesure où l'on considère que l'avancée du libéralisme constitue un progrès. A son époque où le libéralisme monte mais n'est pas au pouvoir, Spinoza est un progressiste; à notre époque où le libéralisme classique mute outrageusement en une forme radicale, l'ultra-libéralisme (ou néolibéralisme), les disciples de Spinoza appartiennent le plus souvent aux formes progressistes d'ultra-libéralisme.
La duperie n'a fait que s'amplifier au fil de la désagrégation de l'immanentisme, mais elle existait dès les limbes de l'immanentisme. Dès Spinoza, on subvertit le progrès pour le conformer au conservatisme, c'est-à-dire qu'on déguise le droit du plus fort sous une parure (très fabienne) de liberté. En termes ontologiques, cette méprise se nomme puissance, soit l'association de la liberté (subvertie) et de la nécessité. Toute philosophie qui penche du côté de la nécessité est nécessairement d'obédience conservatrice, ce qui en dit long sur la duperie des maîtres du postmodernisme, qui de Deleuze à Derrida se réclamèrent d'autant plus de la gauche non marxiste (voyez la subversion à l'œuvre) qu'ils furent les plus fidèles introducteurs du conservatisme qu'ils prétendaient combattre.
Mais ne sont-ce pas les mêmes qui nous firent déjà le coup avec leur Nietzsche de gauche, étant entendu qu'un lecteur un tant soit peu lucide (non assujetti aux canons de l'académisme ambiant) indique que Nietzsche (c'est son droit) est politiquement un conservateur de choc, dans la ligné croissante de son maître Schopenhauer? Toujours est-il qu'une fois cernées les raisons pour lesquelles les conservateurs dans l'immanentisme se présentent de plus en plus comme des progressistes, on comprend pourquoi les plus conséquents apôtres de la dépolitisation se situent chez les conservateurs dépolitisés.
Cette expression est des plus comiques puisqu'elle signale une forme approchante de l'oxymore : comment peut-on être politisé et dépolitisé - en même temps? Peut-être serait-il plus judicieux d'appeler les dépolitisés des dépolitisés secondairement et accidentellement conservateurs, car telle est leur conséquence : d'avoir compris que leur pensée ontologique oscillait vers le conservatisme net tout en ajoutant à cette remarque lucide que de toute manière l'engagement politique est une fumisterie. Qu'en conséquence seule la dépolitisation est conséquente.
Si l'on estime au premier abord que nos dénieurs nihilistes tombent le masque, on se rend vite compte qu'ils ne tombent le masque que dans la mesure où ils gardent le véritable sceau de leur déni flagrant. Car c'est se mouvoir dans le déni que de prôner la dépolitisation pour mieux prêcher le conservatisme politique de nature secondaire. Quant à Rosset, c'est un spinoziste fervent, qui va au bout de la logique de Spinoza : non pas un Spinoza de gauche comme il y aurait un Nietzsche de gauche (pour Schopenhauer, les plus brillants subvertisseurs n'ont même pas essayé), mais un Spinoza qui inspire tout le courant immanentiste (qui en se radicalisant au fil de son processus devient de plus en plus visiblement conservateur dur sur le plan politique).
Il est préférable d'écouter Rosset que les postmodernes de gauche pour comprendre directement le mécanisme de la dépolitisation, même si la dépolitisation concerne plus ceux qui se réclament du progressisme que du conservatisme. Rosset ne parle (quasiment) pas de politique, sous prétexte que l'engagement politique serait une fumisterie. Pour comprendre cette position extrême, et qui va beaucoup plus loin que la propre position de Spinoza très engagé politiquement, il faut comprendre que le processus qui commence avec Spinoza se finit à peu près avec Rosset l'immanentiste terminal.
Un Spinoza promeut l'engagement politique progressiste qui contredit le pouvoir en place. Spinoza est favorable à la démocratie libérale et laïque - contre la monarchie religieuse (catholique en France). Spinoza sait de quoi il retourne en matière de persécutions religieuses : non seulement il vient d'une famille de marranes, mais il a été exclu de sa communauté et il se meut dans un pays qui est ravagé par les conflits religieux et qui ne cesse de promouvoir des hérésies chrétiennes de catégorie protestante (comme les arminiens) particulièrement favorables à l'impérialisme.
Rosset propose une radicalisation du point de vue de Spinoza au sens où l'immanentisme a largement échoué et tente tant bien que mal de justifier sa position. Spinoza intervient alors que l'immanentisme balbutiant possède encore la prétention d'amorcer une évolution ontologique qui débouche sur le versant politique de la révolution. Tandis que Rosset vit à l'époque terminale de l'immanentisme. De ce point de vue, Rosset prône la dépolitisation (l'engagement est une fumisterie) car la mutation politique de l'immanentisme n'a pas fonctionné.
Ne reste plus qu'à se focaliser sur la mutation ontologique (la complétude du désir) à laquelle Rosset attribue grand cas au point de lui avoir consacré un opuscule récent (La Nuit de mai). La réduction initiale opérée par l'immanentisme (le réel = le désir) s'est encore accrue au point cette fois de dissocier le politique de l'ontologique. Dans le schéma classique, l'ontologie englobe le politique. Dans l'immanentisme terminal, le politique n'existe plus car il ne concerne plus le désir. Il ne concernait le désir qu'à époque où l'on croyait encore que le désir complet (révolutionnaire) pouvait changer la politique en règne de la complétude sociale.
Mais l'échec de cette conception ramène le désir à la question exclusive et fondamentale de l'ontologie. Ontologie qui est à entendre comme la réduction de la question (ouverte) du réel à ce qui relève seulement du désir - le réel se réduisant au désir et le restant étant peu ou prou inopérant, indéchiffrable, de l'ordre du néant. Le complotiste est celui qui fait encore dans la politique, a fortiori avec la détestable manie de verser dans la contestation - stérile et superfétatoire.
Le théoricien originel de l'ontologie immanentiste, ce Spinoza qui passe pour l'un des inspirateurs de la démocratie libérale, théorise en premier lieu sur la complétude. Non seulement Spinoza prétend avoir trouvé la complétude, ce qui constitue une notable avancée depuis les recherches des nihilistes antiques, mais pour parvenir à son dessein, il localise la complétude dans le désir, soit dans la forme individuelle qui nie le plus le sens du collectif et qui promeut implicitement l'individualisme.
Dans tout processus, il convient de considérer la particularité du changement : la gradation (selon la loi de néguentropie ou anti-entropie qui rappelle que si certaines lois physiques peuvent se prévaloir dans leur finitude de l'entropie, la texture du réel, de manière générale, est anti-entropique). Cette gradation au sein de l'immanentisme, on l'observe avec la dévalorisation très nette des idéaux immanentistes. Au dix-huitième siècle, on parle encore de liberté. Et maintenant?
Si l'idéologie est déjà dévalorisation de l'idée, l'idéologie libérale parle encore de libre-échange. La surenchère se déroule à l'intérieur du libéralisme triomphateur (historique), tant et si bien que l'ultra-libéralisme naît du libéralisme, comme une forme de radicalisation particulièrement agressive. C'est ici que l'on démasque l'imposture de ces manipulateurs (et de leurs suiveurs surtout imbéciles) qui se réclament de la liberté ultra-libérale et qui accusent les critiques d'être contre la liberté (en sus de la variante néoconservatrice à l'encontre de ceux qui seraient contre la démocratie à partir du moment où ils s'opposent à l'impérialisme de facture occidentaliste).
Cette gradation aboutit à l'une des antiennes de la contemporanéité : l'aboutissement du refus du complotisme. On connaît le ton effarouché que prennent conservateurs et progressistes de l'immanentisme terminal au moment où ils entendent la rengaine complotiste selon laquelle des complots existent - et même que des complots au sommet des institutions et des États peuvent advenir. Le pire arrive quand on développe ce premier sacrilège complotiste, en rappelant qu'historiquement plus les époques vivent des situations de crise (soit de perturbations dans le changement), plus les complots institutionnels sont nombreux.
Cette fois, l'interlocuteur anticomplotiste vire au blême et vous déclare sur un ton sentencieux : "Désolé, mais je ne suis pas complotiste" (ou une variante du même tonneau). Ce refus du complotisme est conséquent dans la mentalité d'aujourd'hui en Occident (étant entendu que l'Occident domine et que c'est cette mentalité qui a imprégné l'humanité avec la globalisation des échanges). Cet anticomplotisme primaire (paresseux) découle de la complétude du désir de nature spinoziste.
Elle implique la reconnaissance que le complot ne peut se faire sans l'existence d'un groupe qui nie l'individualisme; et que le complot est extérieur à l'univers du désir individualiste. L'anticomplotisme est un postulat conséquent dans la mentalité de l'immanentisme terminal : pourquoi s'occuper de ce qui ne nous concerne pas et qui ne nous concernant pas n'existe (pratiquement) pas? Après tout la complétude du désir implique que la reconnaissance ne s'attache qu'aux attitudes du désir.
L'idée est que le désir est le fondement du réel et le seul intérêt qui vaille pour l'homme. Dans cette mentalité, dans laquelle on loue comme par hasard des formes de sociétés proches du libéralisme démocratique, la politique connaît une profonde remise en question (une mutation) puisqu'elle devient inutile ou secondaire par rapport au désir. Le désir individualiste ne saurait se sentir concerné par l'objectif politique.
Raison pour laquelle l'immanentisme terminal conçoit d'autant plus d'aversion contre l'idée de complot (la reconnaissance de l'existence des complots) que cette reconnaissance est un aveu. Aveu qu'il se trompe du tout au tout dans sa conception de la politique (et de la dépolitisation). Aveu qu'il n'est pas en mesure d'affronter le réel, singulièrement quand ce réel pose problème des suites de ses erreurs. L'immanentiste terminal n'est pas capable d'affronter la crise systémique dont le problème surajouté consiste à englober l'ensemble du réel selon le désir.
Comment réagir de toute façon à ce qui nous dépasse (face auquel on ne peut rien)? Le déni de l'immanentiste s'explique par son impuissance, comme si la crise confinait au sublime version Lucrèce. On ne peut rien faire = on ne s'y intéresse pas. La plupart croient que si c'est hors de portée, cela n'existe pas (ou si peu). Les plus lucides à l'intérieur de cette mentalité fausse préfèrent ne pas s'intéresser à ce qui existe certes, mais au-delà de leur champ d'action (d'individus désirants et individualistes).
On retrouve cette mentalité explicitée chez le plus emblématique des immanentistes terminaux, le sophiste version contemporaine Clément Rosset. Alors que ses fréquentations littéraires se réclament d'autant plus faussement du nihilisme qu'elles sont de facto pessimistes et narcissiques (version déceptive et prévisible), Rosset est le plus caractéristique des nihilistes actuels au sens où il produit une version radicale du spinozisme tout en se réclamant d'autres fins que le nihilisme (tout authentique nihiliste dénie son nihilisme).
D'ordinaire, dans nos sociétés qui se flattent de progressisme pour se rassurer sur l'état de l'immanentisme (tant qu'il y a du progrès, il y a de l'espoir), on considère que la dépolitisation est l'apanage de certains progressistes radicaux, comme les libertaires ou les gauchistes. Mais c'est bien du côté des conservateurs impénitents comme Rosset (à la suite de ses maîtres Schopenhauer et Nietzsche) que l'on trouve l'option la plus conséquente de la dépolitisation.
Cette hypocrisie est de mauvaise augure : quand les contraires d'un système politique se rejoignent, c'est que ledit système est sur le point d'éclater. Tout aussi bien cette hypocrisie est-elle explicable dès les fondements : car la liberté selon Spinoza équivaut à la loi du plus fort (qu'il rebaptise du doux nom de puissance). Spinoza est un conservateur en puissance, qui n'est progressiste que dans la mesure où l'on considère que l'avancée du libéralisme constitue un progrès. A son époque où le libéralisme monte mais n'est pas au pouvoir, Spinoza est un progressiste; à notre époque où le libéralisme classique mute outrageusement en une forme radicale, l'ultra-libéralisme (ou néolibéralisme), les disciples de Spinoza appartiennent le plus souvent aux formes progressistes d'ultra-libéralisme.
La duperie n'a fait que s'amplifier au fil de la désagrégation de l'immanentisme, mais elle existait dès les limbes de l'immanentisme. Dès Spinoza, on subvertit le progrès pour le conformer au conservatisme, c'est-à-dire qu'on déguise le droit du plus fort sous une parure (très fabienne) de liberté. En termes ontologiques, cette méprise se nomme puissance, soit l'association de la liberté (subvertie) et de la nécessité. Toute philosophie qui penche du côté de la nécessité est nécessairement d'obédience conservatrice, ce qui en dit long sur la duperie des maîtres du postmodernisme, qui de Deleuze à Derrida se réclamèrent d'autant plus de la gauche non marxiste (voyez la subversion à l'œuvre) qu'ils furent les plus fidèles introducteurs du conservatisme qu'ils prétendaient combattre.
Mais ne sont-ce pas les mêmes qui nous firent déjà le coup avec leur Nietzsche de gauche, étant entendu qu'un lecteur un tant soit peu lucide (non assujetti aux canons de l'académisme ambiant) indique que Nietzsche (c'est son droit) est politiquement un conservateur de choc, dans la ligné croissante de son maître Schopenhauer? Toujours est-il qu'une fois cernées les raisons pour lesquelles les conservateurs dans l'immanentisme se présentent de plus en plus comme des progressistes, on comprend pourquoi les plus conséquents apôtres de la dépolitisation se situent chez les conservateurs dépolitisés.
Cette expression est des plus comiques puisqu'elle signale une forme approchante de l'oxymore : comment peut-on être politisé et dépolitisé - en même temps? Peut-être serait-il plus judicieux d'appeler les dépolitisés des dépolitisés secondairement et accidentellement conservateurs, car telle est leur conséquence : d'avoir compris que leur pensée ontologique oscillait vers le conservatisme net tout en ajoutant à cette remarque lucide que de toute manière l'engagement politique est une fumisterie. Qu'en conséquence seule la dépolitisation est conséquente.
Si l'on estime au premier abord que nos dénieurs nihilistes tombent le masque, on se rend vite compte qu'ils ne tombent le masque que dans la mesure où ils gardent le véritable sceau de leur déni flagrant. Car c'est se mouvoir dans le déni que de prôner la dépolitisation pour mieux prêcher le conservatisme politique de nature secondaire. Quant à Rosset, c'est un spinoziste fervent, qui va au bout de la logique de Spinoza : non pas un Spinoza de gauche comme il y aurait un Nietzsche de gauche (pour Schopenhauer, les plus brillants subvertisseurs n'ont même pas essayé), mais un Spinoza qui inspire tout le courant immanentiste (qui en se radicalisant au fil de son processus devient de plus en plus visiblement conservateur dur sur le plan politique).
Il est préférable d'écouter Rosset que les postmodernes de gauche pour comprendre directement le mécanisme de la dépolitisation, même si la dépolitisation concerne plus ceux qui se réclament du progressisme que du conservatisme. Rosset ne parle (quasiment) pas de politique, sous prétexte que l'engagement politique serait une fumisterie. Pour comprendre cette position extrême, et qui va beaucoup plus loin que la propre position de Spinoza très engagé politiquement, il faut comprendre que le processus qui commence avec Spinoza se finit à peu près avec Rosset l'immanentiste terminal.
Un Spinoza promeut l'engagement politique progressiste qui contredit le pouvoir en place. Spinoza est favorable à la démocratie libérale et laïque - contre la monarchie religieuse (catholique en France). Spinoza sait de quoi il retourne en matière de persécutions religieuses : non seulement il vient d'une famille de marranes, mais il a été exclu de sa communauté et il se meut dans un pays qui est ravagé par les conflits religieux et qui ne cesse de promouvoir des hérésies chrétiennes de catégorie protestante (comme les arminiens) particulièrement favorables à l'impérialisme.
Rosset propose une radicalisation du point de vue de Spinoza au sens où l'immanentisme a largement échoué et tente tant bien que mal de justifier sa position. Spinoza intervient alors que l'immanentisme balbutiant possède encore la prétention d'amorcer une évolution ontologique qui débouche sur le versant politique de la révolution. Tandis que Rosset vit à l'époque terminale de l'immanentisme. De ce point de vue, Rosset prône la dépolitisation (l'engagement est une fumisterie) car la mutation politique de l'immanentisme n'a pas fonctionné.
Ne reste plus qu'à se focaliser sur la mutation ontologique (la complétude du désir) à laquelle Rosset attribue grand cas au point de lui avoir consacré un opuscule récent (La Nuit de mai). La réduction initiale opérée par l'immanentisme (le réel = le désir) s'est encore accrue au point cette fois de dissocier le politique de l'ontologique. Dans le schéma classique, l'ontologie englobe le politique. Dans l'immanentisme terminal, le politique n'existe plus car il ne concerne plus le désir. Il ne concernait le désir qu'à époque où l'on croyait encore que le désir complet (révolutionnaire) pouvait changer la politique en règne de la complétude sociale.
Mais l'échec de cette conception ramène le désir à la question exclusive et fondamentale de l'ontologie. Ontologie qui est à entendre comme la réduction de la question (ouverte) du réel à ce qui relève seulement du désir - le réel se réduisant au désir et le restant étant peu ou prou inopérant, indéchiffrable, de l'ordre du néant. Le complotiste est celui qui fait encore dans la politique, a fortiori avec la détestable manie de verser dans la contestation - stérile et superfétatoire.
En bref, le complotiste est celui qui donne de l'immanentisme une image négative et péjorative - une sorte d'immanentisme pessimiste se voulant réaliste. Le complotiste rappelle certes que les complots existent, quitte à en faire l'explication fondamentale du réel (en tout cas de la marche humaine), mais cette apparence lucide cache qu'il adhère à l'immanentisme, en précisant que cet immanentisme fonctionne mal. Soit il considère que ce fonctionnement peut être amélioré, ce qui en fait un utopiste; soit il tient que les choses iront de pire en pire, ce qui en fait un pessimiste.
Le complotiste constitue la pire menace pour le tenant du désir et de l'individualisme car il lui signale immanquablement que l'immanentisme repose sur l'erreur : que les choses peuvent aller de mal en pis. Et, plus terrible encore : que les choses sont certaines d'aller de mal en pire, du moment qu'on y souscrit avec une approche immanentiste, soit en les tenant pour complètes. L'anticomplotiste est un immannetiste qui a réussi, soit un tenant du conservatisme social, qui le plus souvent se considère comme progressiste (au sens où l'immanentiste pourrait encore progresser de l'intérieur).
On prétend qu'on déteste avec acharnement son proche. Les plus tenaces et farouches haines découlent de la projection et de la parenté (ce qu'on retrouve avec les querelles de famille). L'anticomplotiste et le complotiste sont proches en ceci qu'ils relèvent tous deux du processus de l'immanentisme et qu'ils interviennent en fin de course, lors de l'immanentisme terminal. Sans doute l'immannetiste complotiste est-il plus lucide que l'immanentiste anticomplotiste, qui ne voit même pas l'énorme problème qui se prépare - comme un inconscient qui ne serait pas capable de se rendre compte qu'un orage menace malgré la noirceur des nuages qui s'amoncèlent.
Le succès du complotisme s'explique parce qu'on vit une période de crise dans laquelle les complots sont de plus en plus nombreux, à des niveaux de plus en plus élevés (exemple emblématique du 911); pas seulement : le succès du complotisme vient du fait que l'on vit dans une période de crise profonde de l'immanentisme (crise religieuse donc, au sens où le nihilisme est la religion du déni du religieux). Tandis que la plupart font preuve de déni avec leur anticomplotisme, les complotistes sont ces minoritaires qui se vivent comme des rebelles alors qu'ils souscrivent en tous points au dogme immanentiste majoritaire et dominant.
Ils sont la chapelle la plus avancée à l'intérieur de l'immanentisme à se rendre compte que l'immanentisme est en phase terminale. Derrière eux, on trouve les pessimistes, les indifférents, et encore après la clique des cyniques, des je-m'en-foutistes. Triste privilège, donc. Quant à la haine des anticomplotistes, si elles s'apparentent au déni, ce déni est bien plus profond qu'un déni contre un frère, fût-il lucide. C'est un déni qui affecte l'ensemble du courant auquel on appartient et qui est une menace incommensurable.
De ce point de vue, les anticomplotistes ont raison d'en vouloir tant aux complotistes : non seulement ils représentent une grande menace par les thèses qu'ils défendent, mais en plus ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Au sein de l'immanentisme terminal, les anticomplotistes sont des suicidaires quand les complotistes sont des sinistres. Aucun ne se rend compte qu'il véhicule la pensée dominante qui est aussi la pôle position - en fin de course.
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