samedi 4 septembre 2010

Le filosophe sans karité

Puisque c'est la mode des blogs, il semblerait que certains immanentistes se soient empressés de suivre cette innovation, faisant montre encore une fois de leur ingéniosité spécieuse. Ces immanentistes de facture terminale si particuliers sont nommés par leur ami Rosset "pessimistes chics". Rosset s'en démarquera en faisant concilier tragique et joie. Las! La grande différence entre les pessimistes chics et les tragiques chocs comme Rosset, c'est que les uns cachent leur nihilisme de facture immanentiste terminale quand les autres le professent de manière explicite.
Un nihiliste ne peut pas ne pas avancer masqué. Devise cardinale de Nietzsche. Rosset avance masqué c'est-à-dire qu'il subvertit la joie pour envelopper son immanentisme terminal camouflé en tragique plus ou moins assumé. Mais les Schiffter (ou son compère diariste Jaccard) ont pour particularité de s'avancer en pessimistes et en nihilistes. J'en veux pour preuve (entre autres perles) le billet que Schiffter consacre à son ancêtre Lucius Verus.
http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/07/lucius-verus-ou-le-desesoir-de-lempire.html
Schiffter admire l'impérialisme, les élites, la débauche, les parties fines et la culture? Il est sans doute du même tonneau que son complice Jaccard l'admirateur transi de Matzneff, mais la filiation entre Schiffter et Verus est limpide. Qu'est-ce qu'un prétendant nihiliste qui s'explicite tel? Un profiteur - et c'est de la sorte qu'il convient de voir Schiffter, pas autrement (notamment en styliste désespéré, tant il est certain que les catégories moqueuses du blabla et du chichi s'appliquent en premier lieu à l'endroit de leur auteur). Tout nihiliste authentique (a fortiori depuis Spinoza) a besoin d'adhérer à une valeur fondamentale fausse pour cautionner son penchant pour le néant (la destruction). Quant au nihiliste déclaré, nul besoin pour lui de se cacher. Il lui suffit de cautionner son inclination pour la domination. Le nihiliste véritable est un inconséquent qui se cache derrière une certaine conséquence.
Le faux nihiliste revendiqué avec d'autant plus de flamme ne pense qu'à son petit plaisir personnel et immédiat; du coup, il fait mine de parvenir à la conséquence en acceptant le summum de l'inconséquence : l'apologie inconditionnelle de la domination - pourvu qu'elle l'avantage. Le profiteur profite de la domination. D'où cette attirance pour le moins malsaine et inexplicable d'un Schiffter pour son Verus : au fond les deux jouissent de dominer.
Le reste leur importe d'autant moins qu'ils ont compris depuis belle lurette qu'ils n'étaient pas destinés à passer à la postérité - littéraire ou politique. Verus court les plaisirs parce qu'il a compris qu'il ne serait jamais un homme d'État. Il est amusant qu'à notre époque d'effondrement généralisé des valeurs occidentales, du modèle de l'Occident, on ressorte du chapeau de l'historiographie romaine la figure décatie et désenchantée de Lucius Verus.
Quand Schiffter nous apprend que Verus avait pour référence le juriste syrien Lucien de Samosate, un sophiste mineur, se rend-il compte qu'il nous renvoie une cartographie précise de sa situation? Schiffter est cet avatar de sophiste mineur qui par désespoir de cause révère les mineurs plus Houellebecq en prime. Dans toute période troublée comme la nôtre, les sophistes surviennent pour distiller leur poison en guise de remède.
La plupart des sophistes actuels se baptisent du doux nom d'experts. Ils prétendent proposer des solutions pour se sortir du guêpier croissant dans lequel nous nous trouvons. Leur caractéristique commune est de se tromper en croyant vraiment que leurs poisons sont des remèdes. Quelques-uns sont des sophistes moins masqués (démasqués?) qui dressent l'apologie du sophisme à la manière de Schiffter.
Schiffter se veut proche de Rosset à ceci près qu'il est un pessimiste quand Rosset serait un tragique. Rosset est un immanentiste véritable (masqué), quand Schiffter par son pessimisme déclaré est un profiteur et un poseur. L'élégance chère à Schiffter se révèle moins le fait de bien lire (toujours chez le sophiste ce goût maladif pour l'érudition comme parade de savoir) que le fait de poser à bien lire. Rosset se trompe en croyant vraiment dire la vérité ontologique; quand Schiffter ne sait que trop qu'il se trompe et s'en accommode.
Le tragique est sincère; quand le pessimiste croit s'en sortir en sachant qu'il ment, qu'il dupe et qu'il feint. Pauvre Schiffter, qui s'autoproclame avec emphase et arrogance essayiste le moins lu de France alors qu'il en est l'un des penseurs les plus médiatiques! Un taiseux qui passe dans les émissions de philo chic et frimeuse d'Enthoven Jr. sur France Culture ou qui côtoie l'éditeur PUF Jaccard, dont chacun connaît la personnalité généreuse et profonde.
C'est une drôle d'époque que la nôtre, une époque où les sophistes sont de sortie et où il est accablant de supporter pareille crasse travestie en strass. Heureusement que la crise signifie aussi le changement et l'accroissement, sans quoi il y aurait vraiment de quoi finir pessimiste! C'est d'ailleurs l'erreur grossière des immanentistes que de croire que les choses n'évoluent pas. Thème central de Rosset, pour qui le réel est répétitif à force de tautologie, cette rengaine du plus sinistre aloi prend chez un Schiffter un ton plus malhonnête avec la proposition du pessimisme en tant qu'explication.
Heureusement que la plupart des gens même par temps de crise ne prônent pas les partouzes et autres gaietés morbides sans quoi nous serions bons pour la disparition instantanée! Le système pessimiste ne fonctionne de manière adéquate que dans un cadre où une oligarchie asservit une majorité divisée. Schiffter escompte appartenir à l'élite intellectuelle de l'oligarchie, à ceux qui pourront au sein des intellos (penseurs, rhéteurs...) duper leur monde en feintant la philosophie alors qu'ils sont tout simplement des hédonistes cupides et corrompus.
Vivre dans l'idée que l'on tchatche et que l'on trompe : paradis d'un Schiffter, idéal de ce genre de sophiste qui professant de reconnaître sa médiocrité vit dans la tromperie et le mensonge. Mais que dit notre sophiste découvert (et fier de l'être) dans son éloge des sophistes? Avant d'examiner cette pirouette ontologicomique, il convient de constater que l'analyse du discours d'un Schiffter autoproclamé arbitre des élégances nous délivre ce qu'est la parade (pas seulement amoureuse) : faire parade (semblant) consiste à tromper, mentir et profiter.
Si l'on se moque si souvent des frimeurs et de tous ceux qui vivent dans l'apparence, c'est qu'ils font parade. Précisément : qu'ils mentent en ne donnant à voir que la réduction ontologique à l'immédiat. Comme il est impossible de s'en tenir à une définition cohérente du réel en tant qu'immédiat, les sophistes ont deux choix :
1) soit dénier leur incohérence en la revendiquant sous un principe cohérent de façade (comme la joie chez Rosset);
2) soit assumer leur incohérence en faisant montre de pessimisme et en frimant.
Dans cette considération se voulant une nouvelle fois critique et subversive
http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/05/de-la-grandiloquence-en-democratie.html
Schiffter prétend réhabiliter les sophistes antiques contre Platon, prenant à la lettre le grand renversement de toutes les valeurs appelé de ses vœux par l'imberbe Nietzsche. L'argument de Schiffter est simple : loin d'être des tchatcheurs ("illusionnistes du langage"), les sophistes enseignaient au contraire l'art de la critique (contre les beaux discours, notamment ceux des politiques). Attendez, comme dirait l'impatient. Si les sophistes sont des espèces d'analystes du langage avant Wittgenstein (plutôt que Derrida), c'est qu'ils doivent utiliser comme critère de sélection un principe de vérité (quel que soit ce principe).
Si l'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, c'est ici que l'on attrape l'incohérence pessimiste d'un Schiffter : car il y a contradiction manifeste entre le refus de la vérité professé par les plus illustres sophistes et ce rétablissement in fine et implicite de la vérité. Faudrait savoir! Qui croire? Protagoras ou Schiffter? Mais cette défense incohérente de Schiffter s'appuie peut-être sur la réfutation du principe de non contradiction entrepris par le sophiste Rosset lui-même à la suite d'une citation de Leopardi (un pessimiste notoire).
Dans la conception de Rosset (la suite de Nietzsche), ce n'est pas que la vérité n'existe pas. C'est qu'elle est inférieure au principe fondamental (et supérieur) du néant en tant que néant. Dans ce cas, le principe de vérité que Schiffter rétablit pour défendre les sophistes est inférieur, ce qu'il se garde bien de rappeler. Dans son billet, Schiffter défend le principe d'un inégalitarisme forcené rehaussé d'un élitisme virulent. Dans une ontologie nihiliste, l'inégalitarisme se comprend : ce qui est est rien à côté du rien.
Ce qui est est fini, au sens où l'infini est le néant. La vérité sera toujours finie, du côté de l'être, quand l'infini désignera toujours le néant. Le néant est supérieur à la vérité comme l'infini est supérieur au fini. L'incohérence tient au principe du néant nihiliste qui affirme avec cohérence que la vérité est inférieure au néant. Le pessimisme de Schiffter le pousse à s'arrêter à la leçon des sophistes quand le sophiste véritable est celui qui essaye justement de dépasser cette leçon pessimiste.
Depuis Aristote, les sophistes avancent masqués et l'on a vu ce qu'il en coûtait à des Gorgias & Cie. d'avancer franchement leur nihilisme incohérent. Soit l'immanentiste avance masqué en mettant en avant la primauté du désir, soit le nihiliste de tradition aristotélicienne tente le compromis entre la tradition sophistique et la tradition classique incarnée par un Platon. Mais s'en tenir au discours des sophistes en matière de politique, c'est ne garder du nihilisme que sa fine pointe avancée (et éthérée).
C'est ce que fait Schiffter et c'est en quoi son discours apparaît comme intenable et du coup pessimiste : car pour croire que le pire est ce qui advient, encore faut-il s'en tenir à une représentation du réel qui ne retient de ce qui est réel que l'apparence (pour reprendre un vocable nietzschéen) et qui ignore ou dénie le restant. Les sophistes selon Schiffter sont ceux qui croient que la vérité est négative, soit qu'elle mène au pire. Ce faisant, la conception des sophistes selon Schiffter mène à une curieuse déformation à l'intérieur de l'immanentisme terminal tel qu'il est dispensé par Rosset.
Si Schiffter est un admirateur fervent de la sophistique de Rosset, il est pessimiste quand son maître est tragique, ce qui veut dire : il ne conserve du réel que le pire, soit l'immédiat. Schiffter est un radical du radicalisme, soit un radical parmi les sophistes. Les sophistes professent que le néant domine le réel? Schiffter ne retient de cette admirable (et originelle) leçon que l'existence d'un réel sans néant. Du coup ce réel sophiste dépourvu de son néant n'est qu'une radicalisation pour le moins incomplète du programme sophistique.
Un tel programme ne peut mener qu'au pessimisme le plus désabusé et savant puisque le réel envisagé conserve les caractéristiques (encore accrues) de domination et d'incomplétude. Mais là où l'incomplétude du réel selon Rosset engendre implicitement la restauration du néant nihiliste, cette question pourtant primordiale passe chez un Schiffter à la trappe. Du coup, même à l'intérieur du champ des sophistes, Schiffter est un sophiste d'un genre fort particulier.
Sa sophistique pessimiste le rapprocherait d'un Schopenhauer, qui plus est un des maîtres de Rosset, si le trait caractéristique de Schopenhauer tenait moins au pessimisme qu'à l'absurde. Le pessimisme de Schopenhauer s'accommode d'une vision ou la volonté aveugle entraîne une souffrance pourtant inaliénable. C'est-à-dire que le réel de Schopenhauer s'en tient à une ligne (de conduite) où le pire demeure quelque chose. Vision où l'on souffre d'être, mais où l'on est toujours quelque chose. Alors que la posture du pire chez Schiffter se montre encore plus radicale que la posture pourtant désespérée de Schopenhauer : dans le système de Schiffter, c'est vraiment : "après moi le déluge", au sens où le pire surviendra sous la forme de l'anéantissement ou sous une forme d'empirement.
Peu importe au fond, car ce qui compte, c'est l'ici et le maintenant, soit la situation singulière de Schiffter. Certes, Schiffter se réclame du romain Verus, ce qui indique que le pire depuis Rome n'a pas provoqué d'anéantissement, mais dans le fond, Schiffter a évacué le problème d'un Schopenhauer (et de tous les pessimistes de près ou de loin). Schiffter a évacué le problème du réel pour s'en tenir à l'immédiateté. C'est l'inconséquence explicitée (ou démasquée) : le refus de considérer de manière cohérente un problème en n'examinant que la partie la plus immédiate du problème, soit les seules caractéristiques du sujet désirant singulier Schiffter.
Ne cherchons pas de tentative de conséquence masquant l'inconséquence comme c'est le cas chez Rosset. Schiffter fournit un pas supplémentaire dans l'inconséquence en l'assumant. Du coup il se montre inconséquent et cette parade n'est soutenable pour son principal intéressé que s'il se trouve lui-même avantagé dans le système. Seulement s'il domine il peut professer ce nihilisme primaire et pessimiste, dont la maxime privilégiée serait celle d'Hégésias : «Le bonheur est impossible car le corps et l’âme souffrent cent maladies et les coups du sort ruinent nos belles espérances.»
Hégésias serait selon maître Schiffter un cyrénaïque apologue du suicide. Dans le système sophistique selon lequel c'est le plus fort qui l'emporte, la vérité n'existe pas, on trouve des sophistes conséquents comme Rosset qui prônent un conservatisme éclairé : l'idée que la conservation est ontologique, soit que les choses ne changent guère (plutôt pas du tout). Dans ce conservatisme ontologique, l'aspect politique est secondaire et accidentel. Puis l'on a les sophistes progressistes qui estiment que l'on peut changer ce système de l'intérieur, ne le rendant plus performant, afin qu'il devienne enfin pérenne, caractéristique primordiale, et accessoirement, qu'il s'élargisse au plus grand nombre.
En France, l'exemple de ces sophistes progressistes nous est donné par un Jacques Attali. Un Schiffter apparaît comme un sophiste radical qui excéderait le conservatisme sophistique et qui ne tiendrait comme seule ligne de conduite qu'une maxime comme : "après moi le déluge." C'est assez cruel, assez sardonique et assez grotesque, comme ces répliques de tableau où Schiffter entend singer le peintre William Blake en faisant poser nue la figée Schifftérina (belle preuve néologiste de narcissisme débridé!).
Mais le plus savoureux survient quand Schiffter, en guise de bréviaire moral, nous indique à quoi correspond son goût si savamment et pesamment vanté : dis-moi qui sont tes amis et je te dirai qui tu es. Schiffter traîne avec l'éditeur nihiliste Jaccard, dont les deux passe-temps privilégiés consistent à sortir avec de jeunes Asiatiques ou à écrire des livres d'éditeur oisif et intempestif. Comme tous les faux (nihilistes), Jaccard se targue d'appartenir à l'école nihiliste et propose un aperçu hilarant de sa posture dans son blog et son site.
Jaccard m'évoque par son nom les jacasseries, au sens où l'on bavarde inutilement en singeant les cris d'un oiseau. Mais de sombrons pas dans la néo-physiognomonie nominale. Comme il serait superfétatoire d'abreuver de noms d'oiseaux outranciers de tels cocos (parfois proches des néo-conservateurs), il ne reste plus qu'à les intégrer comme des symptômes de notre époque dont la pensée ne vaut rien par elle-même, mais qui renseigne beaucoup sur la valeur de notre état culturel. Car si nos ultra-sophistes pessimistes se vivent comme des élites remarquables et dominantes, ils produisent surtout du blabla et du chichi. Tout ce qu'un Schiffter récuse, quoi.

1 commentaire:

Frédéric Schiffter a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.