jeudi 30 septembre 2010

De pire Empire


Partons du plus trivial, du plus anecdotique. A l'occasion de la grande réunion annuelle de l'IISS, qui se déroule à Genève du 10 au 12 septembre 2010, Kissinger prononce un discours à visée stratégique internationale, pour ne pas dire mondialiste, en particulier consacré aux problèmes en Afghanistan.
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La venue de Kissinger provoque un tollé chez de nombreuses associations de défense des libertés qui s'émeuvent qu'un tel meurtrier de masse puisse ne pas être inquiété par la justice internationale. En particulier, de nombreux manifestants sont d'origine chilienne, puisque Kissinger est largement impliqué dans le coup d'Etat du 11 septembre 1973, qui renversa Allende et mit au pouvoir le général Pinochet.
Au passage, c'est toujours la même arnaque médiatique, fondée sur le bouc émissaire et l'amalgame. On focalise son attention sur Kissinger comme si c'était le cerveau de l'affaire sans se rendre compte qu'il ne fut au mieux que le valet d'intérêts bien plus haut placés que lui, qui sont industriels, financiers - et certainement pas d'identité fondamentale américaine. Ainsi ne parle-t-on jamais (ou si peu) de l'implication bien supérieure de Shultz, le secrétaire au Trésor sous Nixon, qui à la même période fut au centre de la dématérialisation du dollar, jusqu'alors indexé au cours de l'or.
Bien entendu, le coup d'Etat chilien était mené par les idéologues inspirant l'Ecole de Chicago, à tel point que la politique de Pinochet se borna à appliquer les consignes radicales des Chicago boys : de l'ultralibéralisme débridé et le soutien des milieux financiers trop heureux d'imposer un capitalisme d'Etat sans démocratie (en France, l'ultraconservateur Revel a défendu le régime chilien des critiques au nom du libéralisme et de l'anticommunisme).
Ajoutons qu'il serait réducteur d'imputer le coup d'Etat à une marionnette supérieure comme Shultz et que ce complot, comme tous les complots, émane de factions oligarchiques dont le propre est de ne pas encourager au sens positif l'identité claire de quelques individus. La naïveté des manifestants se focalise et s'égare contre le monstre Kissinger, qui est à n'en pas douter un pervers politique, mais qui n'est certainement pas le cerveau international du coup d'Etat chilien. Pas plus qu'il n'est le cerveau de cet autre 11 septembre qui progressant cette fois dans l'infamie et l'importance stratégique a attaqué des intérêts américains vitaux (le coeur du pouvoir symbolique mondialisé) après avoir détruit la démocratie chilienne.
Pourtant, de nombreux éléments factuels autoriseraient des manifestants à demander des comptes à Kissinger concernant le 911. L'éphémère président de la commission parlementaire sur le 911 n'est pas étranger à ce sale coup, pas davantage d'ailleurs que son compère supérieur Shultz, que l'on ne nomme jamais, qui ne trempe jamais directement dans les affaires politicardes, mais qui à cette époque était le mentor et l'inspirateur de l'administration W.
Les manifestants protestent vigoureusement contre les crimes de monsieur Kissinger? Ils s'époumonent, ils vibrionnent, ils s'indignent - et du coup ils passent à côté de l'essentiel : pourtant cet essentiel se tient à leurs cotés. Pourquoi Kissinger est-il venu à Genève? Pour prononcer un discours. Le vieux monsieur a presque 90 ans. Au nom de qui? Officiellement, il intervient lors de la prestigieuse conférence annuelle de l'IISS, un think tank britannique. Voilà l'essentiel?
L'essentiel n'est pas Kissinger en tant que stratège fondamental, plus ou moins parrain de stratégies mondialistes véreuses. L'essentiel est de savoir pour le compte de qui Kissinger agit. Kissinger n'agit pas au nom des stratèges de l'IISS, pas plus qu'en 1982 il n'agissait pour les yeux doux des stratèges du RIIA, devant lesquels il prononça un discours d'allégeance sévère à l'Empire britannique. Kissinger est le valet des intérêts oligarchiques financiers de l'Empire britannique. Kissinger travaille pour le compte de ces intérêts stratégiques.
Notre cerveau diplomatique (assez médiocre) commença sa carrière publique en se trouvant lancé par les intérêts britanniques sur le sol américain. Il était la propriété politique du RIIA et ne cessa jamais d'intervenir non en Américain ou en sioniste, mais en serviteur zélé de l'Empire britannique. Ses nombreux crimes et ses malversations innombrables le contraignent à continuer ses allégeances de plus en plus ridicules à son âge.
Si le RIIA est un organe de pensée et de stratégie important dans le fonctionnement de l'Empire britannique, l'IISS a un rôle moins prédominant, mais de premier plan. Il est chargé de conseiller les offensives stratégiques de type militaire menées par les atlantistes, et son rôle devint grotesque en particulier depuis la seconde guerre d'Irak de 2003. On se souvient que les mensonges propagés par Blair et repris par W. et son administration sont démasqués et ridiculisés, mais ce qu'on oublie, c'est que les experts de l'IISS ont sonné la charge en accréditant ces rumeurs mensongères.
Depuis lors, comme s'ils subissaient le contrecoup d'une malédiction, nos charmants stratèges ne cessent de se discréditer en mensonges et calomnies du même acabit sous couvert d'expertise savante et profonde. C'est qu'ils sont des propagandistes au service de l'Empire britannique, pas des chercheurs indépendants et lucides. Leur rôle consiste à propager la stratégie de domination monétaire de l'Empire financier dépolitisé qui passe par certaines guerres et certaines colonisations.
La violence territoriale est au service de la domination financière. Dans ce processus, le politique est au service de l'économique - et c'est la raison principale pour laquelle nous sommes en crise, une crise certes économique, mais qui est en fait beaucoup plus importante - une crise culturelle et religieuse, impliquant la remise en question de nos principaux paradigmes.
A l'occasion de la conférence de l'IISS et du discours impérissable de l'inoxydable Kissinger (à moins que ce ne soit l'inverse), bref récapitulatif non exhaustif des récentes positions de l'IISS, un tableau hallucinant quoique réaliste qui indique qui sont les stratèges ventriloques de l'IISS :
- le 9 septembre 2002, un rapport de l'IISS prône la guerre en Irak pour empêcher que le régime de Saddam Hussein n'utilise ses armes de destruction massive. Rappelons que l'IISS agit pour le compte d'intérêts britanniques centré politiquement autour de la cellule Rockingham et qu'il n'est nul besoin en la matière d'incriminer le commandement du Pentagone américain ou d'éléments israéliens. Dans cette affaire, ces éléments sont subordonnés, pas dirigeants.
- En mai 2004, un rapport de l'IISS préconise d'envoyer 500 000 hommes supplémentaires en Irak (en plus des 145 000 de l'époque), notamment pour lutter contre la menace exponentielle d'al Quaeda, dont le nombre de combattants s'élèverait à 18 000 hommes.
- Selon le Réseau Voltaire, "dans sa parution du 7 septembre 2005, le Financial Times, quotidien britannique de référence en analyse financière et économique, reprend à son compte les nouvelles allégations de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), think tank londonien, qui prétend que l’Iran serait capable de produire des bombes atomiques d’ici cinq ans".
- Selon le Réseau Voltaire, le 14 septembre 2005, "les experts «indépendants» de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres ont publié un rapport péremptoire pour certifier l’imminence du danger iranien, comme ils servirent d’experts à charge pour attester de l’existence des armes de destruction massive irakiennes."
- Selon le rapport Military Balance de 2008, l'IISS note l'augmentation dramatique du danger terroriste en Afghanistan et en Irak et prend acte de la suspension (provisoire) du programme nucléaire iranien.
- Selon Eric Margolis dans un article du 14 septembre 2010, paru dans le Toronto Sun, un rapport d'août de l'IISS (auquel il a appartenu) affirme que la tactique déployée par la coalition occidentale est inopérante en Afghanistan. Contre la position des dirigeants occidentaux comme Obama ou Cameron, l'IISS préconise de retirer massivement les troupes occidentales et rappelle que la présence d'al Quaeda est mineure, pour ne pas dire insignifiante. Cependant, Margolis, qui s'envoie des fleurs indirectement, persiste à estimer que "l'International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, est une autorité au plan mondial concernant les questions militaires. Il rassemble l’élite des experts de la défense, des anciens hauts fonctionnaires et des officiers supérieurs, venus des quatre coins du monde, des États-Unis et de la Grande-Bretagne à la Chine, la Russie et l’Inde."
- Selon Europe 1, Kissinger le 10 septembre 2010, lors de la conférence de l'IISS intitulée huitième "Global Strategic Review", prône le désengagement des forces armées occidentales, en particulier des Américains, et leur remplacement par une coalition de troupes formées par des pays voisins. Morceaux choisis : "Une solution à long terme doit impliquer une combinaison, un consortium de pays qui doit définir, (...) et garantir la définition du statut de l'Afghanistan."
On ne va pas continuer à tourner autour du pot cent sept ans. Kissinger est un pion. L'IISS est un réservoir à pions, sur le principe des think tanks anglo-saxons. Kissinger illustre depuis quarante ans le néo-colonialisme britannique qui s'est attaqué aux Etat-Unis, qui en tant qu'Etat-nation, s'ils ne sont certainement pas des blanches colombes, ont vaincu lors de la guerre de Sécession l'Empire britannique et se font vaincre à petit feu depuis lors sur le principe de l'envahissement insidieux par métastases : on gangrène le système politique mine de rien, en le subvertissant financièrement.
On ne voit pas le monstre venir, mais il s'est glissé tel un cheval de Troie. Le 911 traduit à cet égard le rappel que le monstre s'est développé et qu'il s'apprête tel un alien cinématographique à dévorer son hôte inconscient et insouciant (du coup). Kissinger à l'IISS, c'est la preuve pour qui veut comprendre que le principe de l'Empire britannique décolonisé possède une existence plus qu'indubitable.
Nos financiers ne sont qu'un des piliers d'un système qui ne procède pas de manière pyramidale et concertée, sans quoi le complotisme au sens précis du terme (sans amalgame des médias officiels) serait une vision correcte, alors qu'il est une aberration monumentale. Le fonctionnement de l'Empire britannique n'est pas concerté. C'est une mentalité dans laquelle la plupart des intervenants occupent un rôle subalterne et parcellaire. Ils accomplissent leur besogne sans mesurer l'ensemble des enjeux auquel ils participent de manière partielle, voire indirecte.
Dans ce schéma où la volonté de joue pas le premier rôle, personne n'a une vision totale de l'échiquier. Bien entendu, ceux qui dominent savent plus de choses que les autres, mais leurs intérêts tournent autour de la satisfaction de leur pouvoir. Ce pouvoir est bien particulier : il est conditionné à l'argent - au monétarisme. Ce pouvoir est différant au sens où il n'est pas le pouvoir classique, qui consiste à dominer les choses de manière majoritaire.
En l'occurrence, c'est un pouvoir affaibli dans lequel on n'a de pouvoir supérieur que dans la mesure où ce pouvoir est limité et aveugle. L'inférieur du supérieur. . Il y manque le beurre, soit : le lien entre le pouvoir temporel (politique) et le spirituel (la cité de Dieu telle qu'elle est théorisée notamment par Saint Augustin). Ainsi dominent nos oligarques de l'Empire britannique financier, qui s'occupent de spéculations financières et stratégiques. La stratégie est le synonyme de la tactique politique, à ceci près que le politique se trouve subordonné à l'économique.
Les financiers sont tellement obnubilés par leurs problèmes financiers qu'ils n'ont pas le temps personnel à consacrer à la stratégie. Ils délèguent à des spécialistes ou des experts, qui eux-mêmes réunissent des aréopages d'élus (dans tous les sens du terme) pour donner leur avis sur la question. Seule condition : ne pas être opposé à la persistance de l'Empire britannique. C'est dans cette mentalité qu'il faut concevoir des think tanks comme le RIIA ou, à un cran inférieur quoique influent, l'IISS : ce sont des réservoirs à idées, au sens où ces idées sont au service de la stratégie. Il n'est besoin que de piocher dans leur escarcelle pour dégotter des stratégies face aux problèmes posés.
Du coup, ce ne sont pas les financiers qui concoctent ces stratégies. Ils délèguent, leur maître-mot, et ils tentent de prendre le meilleur. La preuve que la méthode impériale en action est mauvaise, c'est qu'elle échoue. Elle manque de créativité et se borne à répéter servilement et mimétiquement. Les experts et les stratèges produisent des idées finies et fripées, au sens où l'idée transcendantaliste, telle que Platon l'a définie, devient une idée ratiocinée et figée au service des manoeuvres les plus basses.
Exemple avec un Kissinger qui se prend pour Metternich alors qu'il est une vieille monture exsangue dont l'action politique est déjà lamentable avant sa mort prochaine. D'ailleurs, les rapports récents de l'IISS s'adaptent tous à la crise qu'ils n'avaient pas annoncée et qu'ils subissent de plein fouet. Le désengagement qu'ils prônent fait suite à l'effondrement du système financier sous la coupe de l'Empire britannique. Si les derniers rapports contredisent notablement les précédents, ce n'est pas parce que les stratèges de ces milieux sont subitement devenus plus honnêtes et moins intéressés.
C'est tout simplement la preuve qu'ils s'adaptent à l'état actuel de l'Empire britannique. Mais c'est aussi la preuve que nos stratèges n'avaient pas prévu la crise telle qu'elle se produit, ou plutôt, qu'ils l'avaient prévue de manière inadéquate : je veux dire qu'ils savaient certes qu'il y aurait une crise, mais comme ils en avaient une vision déformée et inadéquate (en gros, ils pensaient qu'ils parviendraient à résoudre cette crise avec leurs idées stratégiques prévisibles et inadaptées), ils ont cru que la bonne stratégie consistait à légitimer les guerres pour contraindre l'opinion internationale (surtout occidentale) à rentrer dans le jeu du terrorisme.
Malheureusement, cette stratégie échoue parce que la crise est bien plus grave que prévue. C'est une crise de l'impérialisme que l'impérialisme ne peut résoudre à lui seul. Une crise si profonde qu'elle dépasse même l'aspect politique (l'impérialisme) et qu'en conséquence l'impérialisme ne peut affronter ce qui le dépasse sans qu'il en prenne la mesure. Et surtout, les financiers se rendent compte qu'ils agissent sans filet : s'ils tombent, ils sont morts. Du coup, ils sont contraints de changer leur fusil d'épaule et de prêcher pour une accalmie des guerres et une coopération accrue en lieu et place. Après avoir agi unilatéralement et brutalement, on s'avise que le droit des plus forts est une stupidité radicale à brève échéance?
On pourrait estimer que nos stratèges font preuve d'une naïveté incroyable et d'une médiocrité invraisemblable, mais c'est sans compter sur l'erreur centrale de l'impérialisme : le refus de la créativité. Assez rapidement, dans ce mimétisme moutonnier, on ne produit plus rien. On se contente de recopier, d'agencer, de bidouiller, de copier-coller en termes informatiques. Puis on s'étiole, on se sclérose et l'on disparaît. L'issue de cette impasse consiste simplement à plier bagage et à s'installer ailleurs, pourvu qu'il y ait de la place.
C'est ce que l'Empire vénitien a fait suite à son effondrement : il s'est délocalisé vers Londres, sans que ce transfert soit concerté longtemps à l'avance, répondant à l'impulsion du pur pragmatisme. L'Empire britannique est né en reprenant la succession des intérêts vénitiens. Maintenant que le monde s'est mondialisé sous la férule de l'Empire, ces intérêts monétaristes ne peuvent plus se délocaliser infiniment. Plus d'espace. No future. Pour de l'espace, voyez l'espace. Ils espèrent encore piller la zone transpacifique comme ils ont laminé la zone transatlantique, notamment avec leur idée folle de désindustrialisation, mais cette stratégie n'est plus possible dans les bornes terrestres conquises et connues.
Quand bien même parviendraient-ils à exaucer leurs rêves, quand bien même réussiraient-ils à déménager hors de la City et de ses dépendances britanniques, en Chine, au Brésil ou ailleurs, l'impérialisme terrestre est arrivé à terme (terne). L'Empire britannique agonise et râle, mais surtout la notion d'impérialisme ne peut plus se renouver dans les bornes actuelles, par manque d'espace.
C'est une constatation terrible, qui contraindra les stratèges à deux alternatives : soit aller dans l'espace, ce qui implique que l'impérialisme se calme le temps long de la conquête et mute en passant du statut d'impérialisme terrestre à celui d'impérailmse planétaire et spatial; soit prôner la décroissance, dont le résultat est plus rapide, mais qui à terme est promis à la caducité. Car avant que les gens décillés par ses résultats irrationnels et inopérants ne la rejettent tout à fait, la décroissance aura déjà été abandonnée par ses thuriféraires les plus inconditionnels, qui savent déjà qu'elle n'est valable que comme une illusion d'utopiste bobo, pas comme une expérience oligarchique ou littérale.

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