jeudi 30 septembre 2010

Le mirage alternationaliste

S'il vaut mieux être alternationaliste que nationaliste à la sauce Maurras, il vaut encore mieux ne pas être nationaliste du tout.

On sait que l'association Egalité et Réconciliation, qu'on pourrait à bon droit désigner sous le vocable anglophone de think tank, est proche du Front National. S'il est plusieurs formes de nationalismes, dont certaines se trouvent exclues du FN, le génie politicien du président-fondateur du FN Jean-Marie Le Pen (un vieux briscard des joutes politiciennes, bientôt remplacé vu son âge) fut de rassembler au sein du parti politique Front National des familles nationalistes qui s'entredéchiraient du fait de leurs différences - et nonobstant le fait que leurs différences, aussi notables soient-elles, étaient très inférieures à leur convergence.
On peut définir le FN comme un mouvement nationaliste de droite, c'est-à-dire d'obédience spécifiquement et majoritairement poujadiste : priorité donnée à la domination en place, haine des étrangers, voire racisme (ce n'est pas toujours le cas, heureusement). Le nationalisme de droite (conservateur) est une bonne définition pour désigner le FN. Le fondateur d'Egalité et Réconciliation, l'essayiste Soral, se veut certes nationaliste, mais d'un nationalisme oscillant entre droite et gauche (mélange de conservatisme et de progressisme). Ce nationalisme de gauche n'est pas sans rappeler par sa dénomination l'effrayant national-socialisme, dont on a vu les résultats. Est-ce pour cette raison historique que les nationalistes d'aujourd'hui cherchent à se démarquer de leurs aînés de l'entre-deux guerres et se dénomment du vocable assez peu nouveau et original d'alternationalistes?
Toujours est-il que de nombreux cadres d'Egalite et Réconciliation sont proches du FN et que quels que soient leurs mérites particulier (souvent indubitables), le nationalisme est toujours un courant extrémiste (violent) dans un contexte politique où l'Etat en Occident est formé suivant les règles de l'Etat-nation moderne défini par le traité de Westphalie de 1648. Dans cette configuration politique, le national-socialisme constitue une surenchère irresponsable vers la violence, comme si la violence et le chaos pouvaient constituer des remèdes à quelque mal que ce soit.
Nous vivons une situation politique assez proche de celle subie par la république de Weimar et nous avons vu récemment ce que le nationalisme apportait comme pseudo solution à des problèmes très réels : de la destruction, avec comme point d'orgue de cette stratégie l'idée folle (au sens rabelaisien) selon laquelle la guerre pouvait engendrer de la prospérité économique et sociale.
Mais qu'est-ce que l'alternationaliste des amis de Soral? Cette appellation correspond à une définition purement négative qui signifie qu'il n'existe aucune innovation (positive) au nationalisme de Maurras. Faudra-t-il rappeler que Soral est un lecteur de Maurras et qu'il s'est réclamé de son presque homonyme Georges Sorel, qui ne présente pas avec lui seulement des points communs en termes de réunion virulente de la droite et de la gauche de son temps?
Outre une propension remarquable à traiter d'imbéciles toutes les critiques qui oseraient s'abattre négativement sur la tête du pauvre et incompris nationalisme, notre auteur, un membre d'Egalité et Réconciliation, entreprend de définir ce qu'est l'alternationalisme et en quoi ce concept impérissable se démarque de son ancêtre le nationalisme, en particulier concernant les points négatifs et honnis (historiquement).
Rendons-nous pour commencer à l'adresse de cet article qui a le mérite d'être clair, court et éclairant :
http://www.egaliteetreconciliation.fr/De-l-alternationalisme-4265.html
Notre auteur-militant commence par définir ce qu'est le concept d'Etat-nation avec un certain embarras : outre qu'il ne distingue jamais entre un patriote attaché à son Etat-nation et un nationaliste revendiquant la supériorité de son Etat-nation, notre auteur oublie également de distinguer entre l'attitude légitime du nationaliste qui veut que son pays plus ou moins colonisé accède au statut d'Etat-nation moderne et celui qui considère que le meilleur moyen d'échapper à la mondialisation ultralibérale et dévastatrice est d'en revenir au nationalisme de son Etat-nation.
Ces oublis ne sont pas accidentels, mais illustre bien l'embarras de qui aimerait tant faire comprendre qu'on peut être nationaliste sans être xénophobe. Mais qui a donc dit le contraire? Le problème, c'est que s'il vaut mieux être alternationaliste que nationaliste à la sauce Maurras (pour la tendance synarchiste, consultez l'impayable de Maistre dont le descendant gère par hasard la fortune de Liliane B.), il vaut encore mieux ne pas être nationaliste du tout.
Le militantisme alternationaliste présente ceci d'aberrant que face à un problème, on propose pire encore. Remarquez, c'était déjà le cas des fascisme européens qui confrontés à des problèmes financiers internationaux proposaient des recettes pire encore que les maux. Dans un monde actuel mondialisé (ou globalisé), la solution nationaliste y compris sous une mouturealter revient à choisir l'alternative réactionnaire par excellence : revenir en arrière (dans le passé).
Mais c'est oublier que le processus d'unification et d'accroissement de l'homme est historiquement continu et que le temps actuel de ladite mondialisation n'est qu'une étape qui n'a rien de définitif (sauf dans le cerveau détraqué des apologètes de l'ultralibéralisme comme Fukuyama et sa fin de l'histoire, ou, plus pernicieux encore, Huntington et son choc des civilisations). Vouloir revenir en arrière pour résoudre le problème actuel, c'est non seulement tenir le momentané pour le définitif, mais encore ajouter à cette première confusion une seconde erreur : l'impossible comme solution nihiliste.
Autant dire que la solution alternationaliste est tout aussi illusoire que la solution altermondialiste, qui présente d'ailleurs le même préfixe éloquent. Alter renvoie en effet à l'autre, mais à l'autre bien particulier - qui est irréalisable. J'ai crainte que l'alternationalisme soit une catégorie politique aussi utopique (sans lieu réel) que son grand cousin étymologique l'altermondialisme. Les altermondialistes présentaient la particularité de revendiquer un autre monde à condition que ce monde soit calqué en mieux (d'où leur progressisme) sur le monde ultralibéral mondialisé.
Impossible. Demandez à Leibniz : il n'y a qu'un seul monde, qui est aussi le meilleur des mondes. Les alternationalistes prétendent en revenir au nationalisme avant-gardiste débarrassé de ses errances xénophobes. C'est très bien de ne pas être xénophobe, ça évite des délires et des crimes, mais c'est grandement insuffisant : la carence du nationalisme en terre d'Etat-nation moderne n'est pas du tout résolue par l'alternationalisme. D'ailleurs, cet alternationalisme se revendique lui-même comme une impulsion plus de résistance qu'une construction de facture rationnelle : "Cela étant dit, il m’apparaît que le nationalisme revendiqué aujourd’hui par moult gens, dont mes camarades et moi faisons partie, est avant tout une réaction plus que la projection d’une idéologie. Il ne s’agit pas, en effet, de prolonger une doctrine dont nous aurions hérité et qui aurait pour but de nous hisser au mépris de la différence d’autrui mais bien de nous rassembler autour de l’idée de nation afin de mettre fin au pillage économique, politique et culturel que nous subissons et qui vide notre pays de son sens profond."
Réaction : le mot est lancé. L'alternationaliste est réactionnaire, mais d'une réaction simpliste : car il ne suffit pas de constater que la mondialisation ultralibérale est destructrice pour les peuples du monde. Encore faut-il proposer un projet à partir de la nation. Tel n'est pas le cas de cet alternationalisme qui ne propose rien de nouveau et de solide en remplacement du nationalisme. D'où le désarroi ambiant : l'insigne part des partis politiques actuels proposent un schéma libéral plus moins progressiste, plus ou moins dur, pour sortir de la crise systémique.
Mais "se rassembler autour de l'idée de nation", selon l'intention louable de l'alternationaliste, peut vouloir dire beaucoup de choses fort différentes qui ne se résument pas autour du nationalisme et ne se limite pas du tout à revenir à la réaction sous quelque forme que ce soit. L'alternationaliste n'a toujours pas donné sa spécificité. Après avoir consenti à ce que l'alternationalisme soit surtout une réaction simpliste ou naïve face à la mondialisation, l'auteur de ce papier verse dans l'aveu : "Notre nationalisme est donc très contextualisé et relèverait plus du nationalisme libérateur".
Qu'est-ce que le nationalisme libérateur? Nous ne le saurons pas précisément. Nous avons appris que l'alternationalisme consistait en une réaction plus ou moins épidermique et postromantique (encore un terme vague) revendiquant "un profond attachement à l’idée de nation". Il conviendrait de libérer l'idée de nation de l'emprise mondialiste en en revenant à l'idée injustement décatie de nation.
Cela veut tout dire et rien dire à la fois, ce programme minimaliste. Faut-il en revenir à l'Etat-nation pour s'ouvrir vers le monde soit vers l'espace, ce qui n'est pas un programme nationaliste, mais l'horizon des larouchistes à l'heure actuelle (une organisation politique antinationaliste et véritablement progressiste)? Ou convient-il de concilier nationalisme et décroissance, alliance que prône le synarchiste occidentaliste de Benoist et à sa suite son admirateur aveuglé Soral? L'alternationaliste serait ce citoyen qui proposerait d'en revenir à l'idée d'Etat-nation pour résoudre le problème de la mondialisation ultra-libérale.
La lecture de cette formulation laisse pantois : elle est vague, vaste, imprécise, d'une naïveté impayable. En fait, l'alternationalisme ainsi défini (et il ne l'est pas autrement) revient à une constatation entièrement négative, qui serait dépourvue de proposition positive - d'où l'impression d'imprécision. Mais cette négativité pure est le symptôme par excellence du nihilisme, qui est impossible précisément en ce qu'il nie sans jamais proposer en lieu et place.
Or l'on voit la qualité d'une idée à ce qu'elle affirme, non à ce qu'elle nie. C'est ce que Leibniz remarquait déjà en notant que «tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient.» On mesure la valeur d'une idée à sa positivité, non à sa négativité.
Selon ce critère, l'alternationalisme est une idée creuse ou une billevesée, exactement comme l'est le programme entièrement négatif d'un Chomsky, pourtant réputé intellectuel de haute stature, lui entièrement engagé dans le versant opposé à tout type de nationalisme (une idéologie gauchiste de nature alterlibertaire sans doute). La différence entre Chomsky et un alternationalisme, c'est que Chomsky est contre la mondialisation, pour quelque chose qui ressemblerait à une vague forme d'internationale non communiste; alors que le nationalisme est contre la mondialisation et pour une vague forme qui ressemblerait au retour au nationalisme non xénophobe.
On pourrait soumettre quelques questions à l'alternationalisme concernant la cohérence de sa position, qui est peut-être d'ailleurs plus une pause qu'une pause. Sans doute serait-ce inutile : on ne demande pas de cohérence à un incohérent en proie à une vague de l'âme postromantique qu'il s'empresse de noyer dans la réaction comme d'autres noient leur chagrin dans l'alcool. Féru de prétérition, je pose ma question : comment concilier l'alternationalisme cohérent et détaillé avec les autres formes d'alternationalisme? Les différents alternationalismes sont-ils solubles les uns dans les autres? Quel alternationalisme sera la forme retenue si l'alternationalisme consiste à proposer une collaboration (terme connoté) entre les alternationalismes?
Le moins qu'on puisse constater, c'est que le problèmes des conflits entre alternationalismes n'est pas réglé, moins encore envisagé. J'en veux pour preuve les exemples que donne l'auteur de cet article ficelé à l'ancienne (toujours finir par les exemples pour étayer la thèse) : en guise de symboles de l'alternationalisme, Chavez le Vénézuélien, Ahmadinejad l'Iranien et Sankara le Burkinabé sont cités. J'oubliais le Bolivien Morales.
C'est assez hétéroclite et cela pose un double problème :
1) n'est toujours pas abordée la distinction entre le nationalisme précolonial et le nationalisme à l'intérieur d'un système accompli d'Etat-nation de type moderne;
2) quant à cette liste fort internationale, si ce n'est mondialisée, elle recoupe le problème de la coexistence entre les alternationalistes de chaque nation. Comment en particulier concilier l'ultrareligeiux Ahmadinejjad avec le populiste laïque Chavez (pour s'en tenir à ces noms)?
Je me permets une petite insolence : ces types (au sens balzacien) sont des déséquilibrés notoires qui ne donnent pas forcément envie de verser dans l'alternationalisme... Leur succès politique découle des ravages de la mondialisation, pas d'une réponse appropriée face à un problème. Choisit-on la peste pour fuir le choléra? Le nationalisme contre le libéralisme ultra? Toute proportion gardée, nous sommes comme face à ces dictateurs fascistes élus démocratiquement (ou installés au pouvoir) pour contrer la crise économique de l'entre-deux guerres...
Une question pour finir : quelle différence considérer entre l'internationalisme et l'alternationalisme? L'internationalisme d'obédience progressiste peut découler du marxisme ou du socialisme. Il s'agit d'envisager ces mouvements comme mondialisés - une sorte de communisme mondial. De ce point de vue, le projet alternationaliste propose aussi la mondialisation des nationalismes. Alors que pour le communisme se pose le problème de la possibilité d'un tel projet, pour le nationalisme se pose un problème accru et démultiplié : non seulement le projet semble impossible, mais en plus s'y ajoute la question de la compatibilité -entre les alternationalismes particuliers.
Si le communisme suppose une unicité et une union (illusoire), il semblerait que toute forme de nationalisme implique sa pluralité et l'impossibilité de son union hypothétique. Dans ce cas, la différence entre l'internationalisme et l'alternationalisme tiendrait à l'autoritarisme du projet alternationaliste qui viendrait compenser sa multiplicité initiale (la multiplicité n'étant résolue que par la loi du plus fort). Pour finir, deux remarques frappées du coin du bon sens, quoique un peu sévères :
1) le projet commun et frappant à tous ces mouvements mondialistes est de se conformer à l'horizon du libéralisme qu'ils prétendent combattre. A les lire, rien ne serait plus antagoniste au libéralisme que le nationalisme ou le communisme. Un Soral prétend réunir les deux forces d'opposition au libéralisme dans son nationalisme de gauche. Mais son projet rebelle et subversif se révèle lui aussi mondialiste, comme le grand secret du dessein communiste est de se calquer sur le modèle libéral soi-disant honni. Du coup, ceux qui prétendent s'opposer au mondialisme sont ceux qui reprennent le projet dans ses grandes lignes et ne proposent que quelques changements superficiels en guise d'alternative révolutionnaire. C'est au mieux un choix fort peu plausible.
2) Une fois qu'on s'est avisé du caractère peu cohérent, voire carrément fantaisiste, de l'alternationalisme, reste à remarquer que ces engagements contestataires à valeur romantique, aux fins de réagir (de manière réactionnaire) au désastre indéniable de la mondialisation ultralibérale, ne peuvent pas ne pas évoquer l'enthousiasme débordant de l'adolescence. Une phase de transition dans la croissance qui n'est pas sans comporter son lot d'inconséquence. Nos alternationalistes seraient-ils des adolescents attardés qui rêvent du grand soir et de la révolution de type nationaliste? Dans ce cas, ce sont des enfants qui ont opté pour le mirage de la violence car le synonyme de nationalisme, sous quelque avatar que ce soit, rime avec - destruction.

3 commentaires:

PhilSvet a dit…

L'article commenté n'est pas parfait. Pour se faire une idée juste et éviter les erreurs, il vaut mieux taper à la source : les bouquins et textes de Soral.

ruben azahar a dit…

http://errhonealpes.wordpress.com/2010/10/01/reponse-a-monsieur-koffi-cadjehoun/

Koffi Cadjehoun a dit…

Monsieur,

Merci pour votre réponse. Vous ne devriez pas vous perdre en attaques personnelles, qui plus est fausses et infondées.
Peut-être n'ai-je pas compris, mais tout votre propos ne répond pas à ma question : qu'est-ce que l'alternationalisme?
Questions subsidiaires :
1) Comment concilier les différents alternationalismes?
2) Le retour à la nation est-il défensif et privé de positivité ou est-il porteur d'un projet alternatif qui seul permet de contrer la mondialisation ultralibérale actuelle?
Je crains que ce soit au mieux un réflexe défensif et qu'au pis le fait que le terme alternationalisme contiennent la continuité sémantique du nationalisme ne l'entraîne vers les pires excès (et accès) du passé...