Le Point deviendrait-il soudain attentif à la paupérisation de la France, à la chute des classes moyennes, à la détresse du niveau de vie étudiant dans une société en pleine oligarchisation (comme le restant du monde)?
http://www.lepoint.fr/societe/la-zero-euro-attitude-tendance-debrouille-en-plein-essor-face-a-la-crise-12-12-2010-1274389_23.php
L'hebdomadaire présidé par FOG, soutenu par Pinault, a il est vrai activement promotionné le président Sarko, le candidat néoconservateur ultralibéral en France. Il serait étrange que des adeptes du malthusianisme et du darwinisme nouveaux, adaptation inepte de la biologie à la sélection humaine, se mettent soudain à prêter attention à la cause des plus faibles - les étudiants les plus modestes.
Pour forcer le trait, périssent les faibles et les tarés, comme l'a dit un jour bonne humeur ce cher Nietzsche, un esprit si libéral, n'est-ce pas. Je crains que le dessein de cet article soit particulièrement pervers. Il s'agit de cautionner la tiers-mondisation de la France, voire sa clochardisation - en valeur positive et culturelle. On essaye d'instaurer une mode contre-culturelle autour de la chute du niveau de vie en promotionnant une chapelle de clochards jeunes et inventifs, qui auraient accepté leur destin et en tireraient un parti positif.
Message subliminal : le féodalisme a des bons aspects. Il favorise la créativité humaine dans l'indigence. L'apologie du féodalisme new age s'est trouvée récemment vantée par le conseiller britannique de Cameron Philipp Blond. Le Point, loin de dénoncer un problème d'oligarchisation de la condition étudiante, lui trouve des circonstances positives et bénéfiques. L'éclatement du modèle de l'Etat-nation issu de la paix de Westphalie et son remplacement par le microcosme féodaliste de type impérial se trouve sanctifié d'une manière qui évoque la quête artistique d'un Andy Warhol.
La clochardisation érigée en modèle de vie, qui plus est en modèle supérieur, progressiste et artistique? L'art légitime le vice. Quel est cet art - sinon du contre-art, de la contre-culture, de la culture au service du féodalisme et de l'impérialisme? De la culture pour les pouilleux : nous y sommes. Comme si par le miracle de la magie, la représentation humaine, soit l'expression néokantienne du désir, pouvait décider de la texture du réel.
Magie irrationaliste et obscurantiste : suite à un décret de la volonté ou du désir, les valeurs négatives transmutent en valeurs positives, à la manière des alchimistes transformant le plomb en or. Mais les alchimistes n'ont jamais réussi à transformer le plomb en or pour la simple et bonne raison que la partie n'est pas le tout. L'homme n'est pas Dieu. Ce n'est pas en décidant qu'un problème devient une solution que l'opération se produit, parce que la volonté humaine n'a pas le pouvoir de décider du réel.
Un des moyens d'imposer la violence à la victime consiste à la lui dépeindre de manière séduisante. L'esthétisation de la clochardisation entre dans cette approche de la promotion délirante de l'oligarchie. Le Point participe à cette campagne de propagande oligarchique. Il ne fait que relater à son niveau factuel et journalistique les théories d'un Blond, porte-parole des intentions de l'Empire britannique : féodalisme à la sauce postmoderne au menu. Il serait intéressant de recouper la stratégie de l'euroimpérialisme proposée par Cooper avec le féodalisme d'un Blond, et l'on obtient la mentalité qui propulse sur la scène médiatique ce genre d'articles.
Pourquoi les victimes majoritaires acceptent-elles cette violence qui les détruit, les spolie et les dégrade? Pourquoi ne trouvent-t-elles pas les ressources adéquates pour se rebeller, préférant la contre-culture à la culture? C'est le charme pervers de la nécessité de laisser entendre que seule la solution de la violence est possible, voire, plus pervers encore, que la violence possède un degré de positivité pour qui veut y consentir. Le diabolique est divin, c'est connu.
Comment peut-on accepter un destin de clochard étudiant pour que quelques privilégiés puissent conforter leur désir parvenu de se sentir au-dessus du troupeau? Comment la majorité peut-elle valider cette image qui la détruit et lui nuit? En vivant dans le présent. L'immédiateté empêche toute prévision, toute stratégie, toute réflexion. Le mouton est celui qui vit dans le présent, bénit le présent et ne comprend pas le futur qui l'attend : de même que les moutons de Rabelais finissent noyés, de même les populations d'Occident finiront en serfs nouvelle génération, fiers de fouiller dans les poubelles avec tact et art.
Pensez aux mimiques d'un Jacquouille dans les Visiteurs : mêmes son aïeul snob et grotesque en a honte. C'est pourtant sa réplique caricaturale (largement surjouée par un admirateur des valeurs ultralibérales). Qui sont les visiteurs de ce film assez médiocre quoique célèbre par son succès hexagonal? Pourquoi un tel succès? Les visiteurs représentent ceux qui parviennent à voyager dans un temps linéaire, où tout se passe au présent. Le futur est déjà écrit - du moment qu'il se déroule au présent. Le présent est le temps de référence de la mentalité nihiliste, parce que le nihiliste considère que le réel est ce qui est le plus immédiat et le plus expérimenté.
A noter que le film Les Visiteurs doit son succès à la référence subvertie et déformée au Moyen-Age, quand la tactique vantée par Blond consiste à revenir au modèle fantasmé des communautés médiévales antithétiques de la volonté générale. D'une certaine manière, l'archétype des Visiteurs privilégie le modèle médiéval (totalement caricatural) au profit de son évolution vers la grande bourgeoise parvenue et terriblement arrogante. En fait, c'est bonnet blanc et blanc bonnet : Si Jacquouille est le sosie de Jacquard, c'est qu'ils sont les mêmes.
Des individus parvenus et stupides, l'un exploitant sans vergogne son propre ancêtre. Modèle oligarchique, où l'homme exploite l'homme sans autre raison que sa prétention aveuglante et déformante. Jacquard se comporte comme un oligarque, quand Jacquouille accepte sans broncher son sort de serf. La société contemporaine n'est que la reprise (plus seulement cinématographique) de la société féodale du Moyen-Age. Et si Jacquouille accepte son rôle de pouilleux médiéval, la même voie doit être possible dans le monde postmoderne...
Le succès des Visiteurs, qui ne saurait s'expliquer par la qualité comique du film, recoupe les valeurs impérialistes de son époque, celles de l'Empire britannique, celles postérieures d'un Blond. Il est décourageant de constater que la mentalité française de la fin du vingtième siècle chrétien se révèle d'un tonneau impérialiste. Raison pour laquelle nous subissons les valeurs oligarchique et inégalitaristes; raison pour laquelle les étudiants glissent tout doucement vers la clochardisation des plus démunis (un nombre croissant et important) : c'est que notre modèle social et économique est de moins en moins républicain, de plus en plus oligarchique.
Cherchez un type républicain dans Les Visiteurs. Idem pour la condition étudiante selon Le Point. Les jacqueries auxquelles on assiste chez les étudiants britanniques se trouvent résolues par le modèle du clochard-étudiant selon Point : quitte à se révolter, autant farfouiller avec art dans les poubelles. On y trouvera de quoi se sustenter. On obtiendra surtout un résultat assez prometteur pour qui vit dans le présent : car la société oligarchique est encore trop bonne de proposer des poubelles comestibles à l'homme du présent. Présent du présent : de la merde. Quant aux oligarques qui tiennent cette société féodale, ils se démarquent de ce modèle de bêtise et de vulgarité en ce qu'ils sont ceux capables de prévoir au-delà de l'instant, parce que le propre du développement et de la pérennité réside dans la démarche dynamique opposée à l'adoration destructrice du présent.
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