Qu'il est drôle de constater l'essor et la reconnaissance du terme Françafrique popularisé par l'économiste Verschave et repris par son association Survie - depuis plus de trente ans. Au départ, ce fut le futur président ivoirien Houphouët-Boigny qui lança le néologisme, en 1955, pour désigner la collaboration entre les élites africaines et françaises. On pourrait se féliciter de cette reconnaissance tardive, fort du principe selon lequel mieux vaut tard que jamais.
L'évolution du terme tient à la récupération pour des motifs négatifs. Désormais, la Françafrique désigne cette alliance maléfique transversale entre les élites africaines et les élites françaises corrompues, sur le dos des peuples français et africains, principalement africains. Que de chemin néfaste parcouru, qui témoigne de l'oligarchisation du monde. Avant, on se faisait traiter de fou par ceux-là qui aujourd'hui sont les pionniers dans la dénonciation de cette Françafrique subvertie et pervertie, dénoncée à tort et à travers par des artistes africains francophones, obnubilés par le fait qu'ils sont noirs (préjugé inversé) ou qu'ils seraient progressistes - ils sont au mieux idéalistes, au pire, calculateurs, sans doute un peu des deux.
Que proposent ces gens pour mettre fin au néocolonialisme? Rien. Si l'on écoute un Tiken Jah Fakoly, artiste ivoirien engagé, plus par les médias francophones que par les peuples d'Afrique, on assiste à la récupération néocolonialiste d'un artiste pour le moins médiocre, puisque notre militant anticolonialiste et amateur de tradition reggae (dans le sillage Marley) ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes et énoncer des stéréotypes tous plus creux les uns que les autres. Je sais bien que les Rastas sont spécialistes pour proposer des fausses solutions face à des problèmes réels - comme ce retour délirant à l'Afrique pour les populations noires d'Amérique esclavagisées et opprimées.
Le Tiken tribun ne délire pas comme son compatriote (plus ou moins rival) Alpha Blondy quand il s'exprime, bien qu'il chante moins bien. Surtout, il n'a jamais rien proposé de positif pour empêcher ses récriminations justes, parcellaires, fragmentées, éculées. Depuis son dernier album, injustement baptisé African Revolution, son approche de la résistance le conduit vers les exemples rebattus de fausse résistance : promouvoir des ONG en Afrique, changer les mentalités, annoncer le développement prochain de l'Afrique... Les ONG, aussi bien intentionnées soient-elle, sont le paravent de la charité que les millionnaires déploient après avoir exploité le peuple pour lui en redistribuer une infirme part.
Comme un symbole linguistique, voire sémantique, l'album de notre Tiken bien instrumentalisé, qui prétend agir après avoir donné dans la dénonciation des crimes néo-coloniaux, est intitulé en anglais. Signe de soumission plus culturelle encore que linguistique - ou de révolution vérifiable? Le public lucide a un début de réponse quand il constate que chez Tiken la solution au néocolonialisme tient à l'humanitaire, soit à la légitimation du pillage néocolonial par la compensation charitable et perverse. Autant dire que cette solutionarchirebattue ne résoudra aucun problème car elle n'en a jamais résolu aucun.
Ce pour une raison simple : le seul moyen pour un pays de se développer es de s'appuyer sur le peuple en question, pas sur des aides étrangères, aussi bien intentionnées soient-elles. Que dirait-on si la France devait se coltiner une ribambelle d'ONG étrangères sous prétexte de l'aider à pallier à son sous-développement? Jamais on n'a tant dénoncé la Françafrique pour se donner bonne conscience, notamment en Occident, au moment où le système impérialiste et monétariste occidental centré autour de la City de Londres s'effondre.
Outre que la dénonciation est déconnectée de toute solution réelle, autre que l'arnaque humanitaire, le signe que tous ces intellectuels et artistes françafricains nous distraient, nous amusent et se promeuvent sous prétexte de dénoncer les crimes néocoloniaux, c'est que la Françafrique est reconnue au moment où elle n'existe plus, avalée par les intérêts financiers de l'Empire britannique mondialiste et tentaculaire.
On ne reconnaît la Françafrqiue qu'à condition qu'elle n'existe plus et qu'elle cache la forêt de l'Empire britannique? On apposerait le même raisonnement à propos du déni : on dénie aujourd'hui l'existence de l'Empire britannique comme l'on déniait autrefois (toutes proportions gardées) l'existence de la Françafrique impérialiste. Les historiens dans cinquante ans seront-ils enfin plus lucides (et courageux) que ceux d'aujourd'hui quant à l'existence d'un phénomène impérialiste de nature monétariste, qui prolonge le phénomène françafricain, avec cependant des proportions plus importantes?
La Françafrique désigne, au lieu de la coopération républicaine et dynamique entre la France et ses anciennes colonies, les élites transversales qui constituèrent l'Empire français officiellement dissout et qui après la décolonisation politique pratiquèrent un colonialisme économique d'ordre financier (monétariste) connu sous le nom de néocolonialisme. Cette réalité longtemps moquée, tue ou décriée est aujourd'hui couramment admise comme si elle l'avait toujours été - et par ceux-là mêmes qui l'ont réfutée - ou qui la réfuteraient, par exemple sous le sobriquet hystérique et pervers de complotisme.
Longtemps elle a tué, les opposants africains comme Lumumba ou Sankara, les intellectuels et les authentiques patriotes d'Afrique. Il aura fallu l'intervention opiniâtre d'un Français (Verschave) pour que le phénomène soit porté à la connaissance du public francophone non initié et que les exactions d'un Pasqua soient par exemple démasquées. Cette révélation économique, politique et historique a-t-elle changé les choses? L'Afrique se débloque-t-elle ou débloque-t-elle? L'Afrique se décolonise-t-elle? Se républicanise-t-elle? Si l'Afrique n'a jamais été aussi pauvre, il doit bien y avoir une raison.
Cette raison est simple : l'impérialisme occidental n'a pas cessé. Il s'est accru. L'impérialisme françafricain s'est fondu dans l'impérialisme britannique. Même tabou, l'on n'aborde jamais la question de l'Empire britannique (du vrai Commonwealth) depuis sa décolonisation. On traite de fous, d'extrémistes et de désaxés quiconque présente la lucidité d'identifier le phénomène. L'on met en avant, soit des phénomènes impérialistes passés et inoffensifs comme la Françafrique; soit de faux et ineptes formes impérialistes comme l'impérialisme américain, alors que la Constitution américaine empêche l'Etat-nation américain de pratiquer l'impérialisme (ce qui implique que l'appellation impérialisme américain soit invalidée par les faits qui amalgament Wall Street et les Etats-Unis).
Aujourd'hui, l'impérialisme véritable n'est ni françafricain, ni américain. Ni défunt, ni mal identifié. Cet impérialisme n'est pas idéologique (comme pour le sionisme). Il est monétariste, financier et a pour nom l'Empire britannique. Il siège à la City de Londres, étend ses ramifications dans les paradis fiscaux, se prolonge à Wall Street et se satrapise dans les pays émergents (comme le Brésil). On pourrait s'étonner qu'on reconnaisse tardivement un impérialisme posthume et qu'on ne soit pas capable de reconnaître son prolongement, son successeur et son repreneur, alors que l'Empire britannique existe à peu près sous les mêmes termes que l'Empire françafricain.
Seule exception : il n'est pas circonscrit aux limites de l'ancien Empire français en Afrique, mais, plus étendu, il est mondialiste et opère sur les marchés financiers depuis la City. L'Empire britannique existe comme l'Empire français existait - en plus étendu. Il n'est pasinidentifiable ou tout-puissant : si on ne le voit pas, c'est parce qu'on refuse d'admettre sa définition, ses contours et son existence. On refuse que l'impérialisme soit fondamentalement financier et monétariste. Ne cherchez pas d'Etats-nations : lorgnez du côté des factions. On refuse la réalité comme de considérer la différence entre un faux résistant du style du chanteur Tiken Jah Fakoly et un vrai de la dimension de Sankara.
Le plus poignant n'est pas que Sankara ait fini assassiné par son ami dans l'année qui a suivi son discours d'Accra. Le plus terrible est que l'on continue à perpétuer les mêmes impostures en médiatisant les faux rebelles pour enterrer la véritable opposition. Tiken est un faux rebelle; Sankara un vrai opposant, parce qu'il émettait des propositions politiques panafricaines sans recycler les cataplasmes néocoloniaux à l'effet inverse de celui présenté (on ne lutte pas contre le colonialisme avec de l'humanitaire). Pas de négatif sans positif. La fin de l'impérialisme passe par le démantèlement du véritable impérialisme (britannique) et par le développement souverain des peuples d'Afrique.
Identification de l'impérialisme, développement souverain de l'Afrique : l'un ne va pas sans l'autre. Tant qu'on perdra son temps à révérer des fausses critiques, des négatifs sans positif, on ne pourra empêcher l'oligarchisation du monde. Ce processus sinistre a pris une inflexion plus urgente de nos jours puisque nous assistons à la fin du cycle : c'est à présent le coeur de l'impérialisme britannique, cette Europe financière de mentalité oligarchique, qui se trouve attaquée, la proie des faillites d'Etats. Sankara dans son discours d'Accra insiste sur le lien entre la communauté de destin des peuples d'Afrique et d'Europe.
Il rappelle que les peuples d'Europe sont aussi les victimes des factions impérialistes européennes; tout comme les peuples d'Afrique subissent l'impérialisme prolongé par les élites impérialistes africaines (autochtones). Si Sankara a fini assassiné, à l'époque où Mitterrand était en France le président allié de la politique ultralibérale d'une Thatcher en Grande-Bretagne, c'est parce qu'il a osé dire la vérité insolente (et drôle). Ceux qui ont éventé le secret de l'impérialisme françafricain ont été ses victimes parce qu'ils ont parlé en avance. Idem avec l'impérialisme britannique.
Il leur arrive le même sort : l'homme politique américain LaRouche a été emprisonné et subit des campagnes de calomnies invraisemblables. A l'époque, on taxait un Sankara de stalinisme, de communisme, de trahison face à l'idéal libéral. Aujourd'hui, on traite un LaRouche d'antisémite, de nazisme et autres sornettes qui en disent long sur les mensonges gobés par les peuples complices passifs. Pourtant, si l'on étudie des projets comme la revitalisation du lac Tchad, on s'aperçoit que les larouchistes (autour de Cheminade en France) sont à la pointe du développement de l'Afrique et contre l'impérialisme financier qui détruit le monde (pas seulement l'Afrique) et qui, pour ceux voulant comprendre, est entré dans sa phase terminale de désintégration. Tout l'inverse d'un Tiken qui contribue à détruire l'Afrique avec sa reprise éculée de l'humanitaire anticolonial et qui soutient sans s'en rendre compte l'impérialisme britannique sous prétexte de dénoncer l'impérialisme françafricain.
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