dimanche 26 décembre 2010

Les trois signes

A propos des trois singes, l'un se couvrant les yeux, l'autres se bouchant les oreilles, le troisième se fermant la bouche, il existe plusieurs interprétations, la plus courante consistant à se murer dans le refus du jugement sensible pour ne pas commettre le mal : ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal. Cette interprétation en recoupe d'autres qui sont plus génériques ou un peu différentes.
Cette première interprétation présente déjà la caractéristique d'être relativiste (dans un sens aristotélicien), puisque le mal est considéré par rapport au jugement subjectif et qu'il n'existe pas de mal universel et objectif (dans un sens platonicien). L'erreur est constatée quand survient le mal et que les partisans du mal relativiste en viennent à considérer que le seul mal qui existe provient de ceux qui voient le mal - partout et surtout - à l'extérieur d'eux. Inversion croustillante quoique accablante, qui explique tant l'accusation rémanente de complotisme que les persécutions qui découlent de l'accusation latente de répandre le mal (Socrate en sut quelque chose).
Dans la note que j'ai envoyée au journaliste indépendant Bonnet (qui par ailleurs ne répond pas vraiment à ce que je le dis sur le fond), notre indépendant relatif (à mon avis) me répond (ce qui se fait rare parmi les journalistes) qu'il n'existe pas de vérité positive, seulement une vérité négative. Selon lui, l'accès à la vérité positive est impossible. La catégorie de l'impossible est l'expression du nihilisme. Mais aussi : l'étymologie de singe en japonais (saru) jouerait avec la forme verbale zaru, qui exprime de manière archaïque la négativité. Autant dire que l'approche typiquement positiviste de Bonnet (le positif n'existe pas puisque le factualisme est négativiste) recoupe l'attitude des trois singes, qui se murent dans le négatif pour obtenir le bine.
Cette attitude consistant à obtenir du positif par le négatif rejoint l'idée libérale (développée initialement je crois par Mandeville avec la fable des abeilles) selon laquelle les vices privés deviennent des vertus publiques. Cette opération n'est pas explicable au sens où elle est irrationnelle; elle se trouve établie dans la doctrine nihiliste développée par exemple de manière assez explicite par l'atomiste Démocrite au sens où l'existence du néant côtoie l'existence de l'être. Impossible d'expliquer pourquoi l'être n'est pas détruit par le néant antagoniste, ni pourquoi l'être est, autant que le non-être n'est pas.
Cette manière d'envisager le réel de manière négative (et donc nihiliste, même indirectement ou inconsciemment) rejoint cette propension curieuse chez l'artiste à dénoncer le mimétisme par le comportement animal : chez Rabelais, en pleine Renaissance, ce sont des moutons qui se trouvent dénoncés; alors que du côté de l'Asie, notamment chez le sculpteur japonais Jingoro, ce sont des singes. Dans les deux cas, au-dela du relativisme culturel et animalier, ce qui est dénoncé réside dans le mimétisme (moutonnier dit-on depuis Rabelais) qui différencie l'animal de l'homme.
Comme le proclamait le président américain Abraham Lincoln dans un discours, le castor reproduit toujours la même maison, alors que le mineur est la métaphore de la spécificité et de la supériorité humaines en ce qu'il est capable de créer, d'innover et de proposer des formes supérieures d'expression. Ce sont des animaux qui se montrent dans l'erreur au nom du bien parce que c'est quand l'homme se comporte comme un animal qu'il croit atteindre le bonheur alors qu'il sombre dans le mal (destruction, ...).
Nous disposons d'un exemple théorique dans l'oeuvre de Rosset : en bon immanentiste terminal, notre philosophe nietzschéen dresse l'apologie des animaux qui seraient eux pleinement heureux de vivre de manière stable et insouciante, alors que l'homme est doté du savoir en trop ne lui permettant pas d'accéder au bonheur. Si ce sont des animaux, trois singes ou un troupeau de moutons, qui expriment le comportement humain de dégradation, aberrant et mimétique, au point de produire un néologisme avec l'excellent adjectif moutonnier, c'est que la référence à l'animal en tant que modèle est mauvais signe.
Bonnet est à ce titre un cas, certainement pas la racine du mal. Il se pourrait même qu'il soit doté d'idées généreuses et qu'il participe à l'élan de tous ces progressistes qui ont tant contribué à l'état actuel du système : la crise financière qui est culturelle. La critique contre le journalisme dont la méthode est d'obédience positiviste incline à un certain pessimisme car il se pourrait que le positivisme ne puisse y répondre sans la déformer. C'est d'ailleurs de cette manière qu'agit Bonnnet, qui ne veut pas entendre que la fable des trois singes désigne plus des gens comme lui que des dominateurs fascistes et passablement désaxés comme ceux qu'il finit par dénoncer avec retard.
Quelle est l'antienne des singes? Ne pas commettre le mal. Mais surtout : estimer qu'on n'agit bien qu'en agissant au niveau individuel. Un discours que l'on entend souvent de nos jours où les anciens collectivistes désabusés se sont réfugiés dans le micro-économique. Micro = individuel. Cette attitude sclérosante ne peut être dépassée qu'en découvrant que le nihilisme n'est pas un principe actif mineur dans l'histoire des idées, mais le grand courant qui traverse de manière déniée l'histoire des idées et dont on trouve des traces explicites aux périodes de crise, comme à l'époque des sophistes ou des atomistes - et comme maintenant.
Le nihilisme est à l'oeuvre dans ce négativisme présent et explicite chez Bonnet, mais aussi chez les journalistes en tant que discipline qui tendrait de plus en plus à noyer l'expression littéraire sous la religion du fait. Mais il faut élargir à une mentalité générale, surtout par temps mondialisé, et comprendre que la fable des trois singes désigne la propension populaire (dans ce cas moutonnière) à subir la domination de la mentalité du plus fort (nous en avons un cas avec l'accusation de complotisme qui est très souvent inepte mais trop souvent fonctionne); alors que la plupart du temps, comme c'est le cas chez Bonnet à propos de la VO du 911 relayée par les puissants de ce monde, on estime que ceux qui ne veulent pas voir, entendre et répéter sont les puissants méchants et dominateurs.

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