vendredi 31 décembre 2010

L'idéologie contre le réel

Guy Sorman est un dur. C'e qu'on pourrait appeler un fanatique. Le libéralisme se meurt, Sorman s'entête. Pareil à ces porte-paroles bornés qui refusent d'abjurer contre l'évidence, y compris sur le bûcher, Sorman privilégie contre le réel sa représentation. L'idéologie contre le réel. Un exemple croustillant de ce déni historique : un porte-parole de Saddam Hussein, à mesure que les forces de la coalition atlantisme approchaient du siège de la télévision irakienne, s'ingéniait à affirmer que jamais la défaite des alliés occidentaux n'avait été aussi cuisante.
Avec l'accusation de complotisme, qu'ils dégainent comme une fatwa indiscutable révélant les limites de leur conception, les thuriféraires de l'impérialisme en Occident sont devenus fous : c'est pour eux un curieux moyen de décréter que leur société libérale se trouve débarrassée une bonne fois pour toutes (une mauvaise foi) des complots, qui n'ont jamais cessé de parsemer l'histoire. Guy Sorman est une incarnation de cette sclérose mentale consistant à dégainer le complotisme plus vite que son ombre. Problème médiatique : l'argutie contre un comique balourd comme Bigard (comment expliquer le succès populaire du comique balourd, notamment en France?) peut fonctionner tant un Bigard sert de repoussoir; mais contre un ancien ministre chevronné des Affaires étrangères et ancien président du Conseil constitutionnel, cela devient passablement ridicule.
Et le pédigrée de Roland Dumas, un immoraliste intelligent, comme le définit un ancien membre du Conseil constitutionnel ("il lui manque une case, celle de la morale", en substance), loin de remettre en question ses déclarations récentes concernant le 911, leur confère une portée irréfutable pour qui veut comprendre : car désormais, c'est un impérialiste progressiste qui entre dans la danse, dénonce la supercherie dont les populations sont victimes par acceptation veule et s'émeut du sort qui est réservé aux peuples d'Occident.
Face aux durs comme Sorman, Lellouche ou Delpech, Dumas entre en résistance : pas question d'accepter que l'on détruise les peuples pour privilégier quelques oligarchies - comme le prévoient les programmes des experts et autres conseillers mandatés par le conglomérat bancaire Inter-Alpha. Sorman se comporte comme le porte-parole de Saddam : il a trop accepté de diktats du libéralisme pour être en mesure de se dédire. Il est trop tard pour Sorman.
Un peu de lacanisme. Quel est le nom révélateur de notre Guy atlantiste? Sorman signifie : le sort ment (également : le saure ment, mais ce serait injurieux). Face à la réalité apocalyptique de l'effondrement du libéralisme, Sorman choisit contre le réel la représentation de l'idéologie libérale, qui déroule un programme harmonieux de développement mondialiste - en réalité, la guerre de tous contre tous. Le sort ment, j'ai raison. A côté d'une autre victime (collatérale?) du lacanisme, le sombre Lellouche, si bien-nommé pour son rôle de propagandiste de l'OTAN et d'autres intérêts ultralibéraux et altlantistes, Sorman aimerait endosser la tunique du grand professeur pontifiant alors qu'il est au mieux un perroquet savant, sans doute encore plus un répétiteur stéréotypé, qui ne fait que ressasser des discours prémâchés avec une certaine habileté.
Mais revenons sur le commentaire que Sorman propose de la déclaration du Dumas selon laquelle la VO du 911 est fausse. Sorman est présent sur le plateau en tant que représentant de la mentalité atlantiste, avec ses deux acolytes sus-nommés. Loin de tenir compte du fait que désormais ce sont des centaines de voix expertes et autorisées qui dénoncent l'imposture de cette version folle, Sorman la défend sans aucun esprit critique. Et il pense proposer une certaine argumentation rationnelle avec ce commentaire lénifiant, pour ne pas dire stalinien (tant il est vrai que les libéraux contemporains sont devenus des propagandistes aussi zélés qu'entêtés rappelant les pires heures du communisme qu'ils dénoncèrent) :
"
En fait, il est impossible de débattre avec un "complotiste" car les adeptes de ce culte ne sont pas réceptifs aux arguments: ils estiment appartenir à une caste d'initiés à la manière des gnostiques en théologie. Aucun fait avéré ne pourrait ébranler les certitudes de ceux qui imaginent voir au-delà du réel."
Afin de ne pas laisser planer de soupçons quant à l'importance de son propos, Sorman choisit de souligner et de la surligner en gras. Quand la forme remplace le fond? Pourtant, s'il était plus lucide, Sorman devrait faire montre de davantage de prudence : s'opposer à la vérité vous mène vers de cruels déboires. Derrière le vernis rationaliste se cache l'argutie sophistique. Phrase de constat : il est impossible de débattre avec un complotiste.
Sorman coupe toute possibilité de discussion, ce qui est mauvais signe pour lui - et seulement pour ses positions, qui doivent être bien intenables si elles ne peuvent plus être discutées. Pourtant, c'est ce même censeur masqué qui déclare sans craindre la contradiction que : "Tout débat est bienvenu sur ce blog : c'est le principe fondateur". Faudrait savoir! Sans craindre la contradiction, Sorman plonge dans le sophisme en utilisant la conjonction car qui est sensée (plutôt censée) apporter un brin de raison et d'explication : pourtant, Sorman n'apportera aucune raison à son propos virulent. Il expliquera que le complotisme est un culte religieux, de tendance sans doute païenne et dégénérée; il proposera une comparaison historique savante (gratuite, donc pédante) : la gnose; enfin, il versera dans l'immanentisme de tendance spinoziste en dénonçant ceux qui voient au-delà du réel.
La supercherie est tout à fait décelable à la fin de cette sortie propagandiste : le refus de discuter avec le complotiste s'ancrerait sur le critère du réel. Sorman respecterait le réel; le complotiste injurierait le réel. Mais qu'est-ce que le réel? Comme ni Spinoza, ni Nietzsche, ni aucun postmoderne n'a réussi à définir cette idée, Sorman, qui ne définit rien de plus, verse explicitement dans la supercherie rhétorique : il établit des normes vides de sens et s'y réfèrent pour tenir son propos. Si les normes sont vides de sens, c'est que le restant du propos est lui aussi vide de sens.
La défense inconditionnelle du libéralisme par Sorman s'effondre sur elle-même, à la manière d'un soufflé trop cuit. Cette prose typiquement sorbonnarde est seulement significative d'une mentalité sclérosée qui désormais est certaine de s'effondrer et de passer aux oubliettes de l'histoire. Sorman se comporte comme un entêté scoliaste qui refuserait de changer sa méthode pourtant inepte et fausse, consistant à déduire des raisons jugées valides d'un savoir congelé. Sorman aurait besoin de relire Rabelais.
Rabelais lui permettrait sans doute de quitter les chemins moutonniers et de se défier du savoir qui prétend prendre la place de la connaissance. Tous les Aristoteles dixit du monde ne vaudront jamais aucune idée platonicienne. Mais le plus inquiétant à ce stade de déni, où la réalité se ligue contre Sorman et ses acolytes pour leur rappeler que la VO du 911 est fausse, c'est ce refus d'accepter l'existence pourtant pullulante (voire purulente) des complots. Alors, sans nous éterniser à convaincre en vain Sorman qu'il se trompe, nous allons seulement lui rappeler ces vers d'un écrivain autrement plus important que l'historien des idées anglais Berlin (que Sorman confond avec un philosophe, en montrant qu'il amalgame savoir et connaissance, dazn un bel effort d'impérialsme).
Dans une de ses plus célèbres pièces de théâtre, le grand Shakespeare reconnaît l'existence centrale des complots d'État, au point que c'est Hamlet qui meurt à cause de l'un d'eux et que sa mise en garde contre son temps prend des allures universelles pour toutes les époques, en particulier la nôtre. Au lieu de jouer les philosophes de pouvoir, Sorman ferait bien de la méditer :
"Horatio : - Alors vous entendrez parler d'actes charnels, sanglants, contre nature ; d'accidents expiatoires ; de meurtres involontaires ; de morts causées par la perfidie ou par une force majeure ; et, pour dénouement, de complots retombés par méprise sur la tête des auteurs. Voilà tout ce que je puis vous raconter sans mentir. (Hamlet, V, 2)".

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