Le principe de certitude immédiate s'oppose au principe d'incertitude positive, qui a besoin de postuler l'Etre en prolongement de l'immédiat. Cette certitude immédiate postule que la connaissance n'est pas possible ou qu'elle est inutile - ou les deux. Le savoir comme opposition à la connaissance distingue ce type de principe. L'illusion du savoir supplantant la connaissance provient de cette production de certitude immédiate présentée comme supérieure à l'incertitude positive.
L'utilité de la démarche de connaissance s'appuie sur l'importance du savoir immédiat : l'immédiateté requiert une somme considérable de savoir. Ergo (comme diraient les scolastiques) : l'idée est qu'on ne peut obtenir de certitude que dans l'immédiat. Autrement dit, pour définir, il convient de finir. Idée : l'idée nihiliste mérite plus d'être nommée concept en ce qu'elle n'est pas l'idée platonicienne, mais la trahison de l'idée platonicienne. Plutôt : l'ideé fixe et finie. Figée.
Jouons à inventer un état originaire assez artificiel. Joue-la comme Rousseau. La première inclination de l'homme est de se révolter face à sa condition. Il ne sait pas mais peut savoir. C'est la remarque profonde que propose Rosset dans son Abrégé de philosophie : l'homme serait cet animal doté de la faculté en trop - de savoir. Il sait qu'il sait; mais il ne sait pas. A cette constatation qui remonte à l'apparition de la culture, un Platon répondra, dans la veine du transcendantalisme, et par le truchement de Socrate, que cette faculté de savoir est une chance et que l'homme du coup se trouve au-desus du règne animal, à condition qu'il aborde le savoir en termes dynamiques de connaissance.
L'homme n'est pas capable de tout savoir, mais il est capable de savoir progressivement toujours plus. Le nihiliste veut tout tout de suite : sa compréhension du savoir est antithétique de la connaissance. Pour obtenir le savoir total (immédiat et faux), il est prêt à n'importe quel artifice - c'est l'invention de l'immédiateté, qui donne la certitude dans la mesure où cette certitude est accompagnée du maximum d'incertitude. Ici intervient la question du sens de la présence de l'homme dans le réel. Avec cette faculté de connaissance, l'homme a pour intérêt d'accroître le fini, soit d'intégrer le néant à l'être.
Cette position est unique dans l'observation des espèces connues : les espèces les plus évoluées du vivant sont seulement capables de stabilité dans l'être, alors que la spécificité de l'homme en tant qu'espèce supérieure et unique, c'est qu'elle croît. N'en déplaise aux thuriféraires de la décroissance, qui montrent seulement qu'ils sont perdus face à la mutation qui attend l'homme. Prôner la décroissance pour mieux engendrer la prochaine croissance, faut le faire!
Le savoir appréhendé comme totalité (dans une mentalité immanentiste dans l'époque moderne) est une fumisterie, car c'est la dynamique de la connaissance, portée par Platon puis Leibniz, qui explique ce qu'est le réel pour l'homme : la croissance. L'idée de savoir déforme le projet dynamique de croissance et produit le nihilisme, soit la destruction.
Car l'homme n'est pas capable de stagner à partir du moment où il possède la faculté de connaître. Le lapsus de Rosset, symbole de l'immanentisme terminal, est parfait : il déforme la connaissance en savoir et présente le savoir comme en trop. L'homme est cet animal qui en savait trop - ou pas assez. La remarque ne peut qu'émaner de quelqu'un qui n'a pas compris que le sens de la connaissance ne se limitait pas au savoir, soit au fait de posséder une connaissance close et fixe.
Rosset ne se désole du savoir qu'en réduisant la connaissance dynamique au savoir fixiste. Quant à la dynamique liée à la connaissance, elle implique l'incertitude positive, puisque le propre du réel est de ne jamais être complet, total, entier - immanent. Tel est le secret profond qui démystifie et discrédite radicalement le nihilisme et la démarche de certitude : pour que certitude il y ait, encore convient-il que le réel soit complet - pour parler en langage immanentiste.
La prétention nihiliste est prétentieuse, du nihilisme originaire à l'immanentisme en passant par le nihilisme antique, en ce qu'elle adhère à la complétude ontologique immédiate, soit accessible. Le transcendantalisme réserve la complétude pour l'inaccessible. Et c'est en quoi le nihilisme possède toujours quelque sarcasme à l'endroit du transcendantalisme : il prétend incarner une ligne plus radicale et plus réelle que son rival théorique. Dans le schémanéanthéiste, la complétude devient un mythe, qu'elle soit accessible ou pas.
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