vendredi 29 février 2008

Oncle E.T.

Un peu de prospective. Comprendre le futur de l'homme, c'est comprendre le 911. Je ne suis pas pessimiste. Je suis certain que l'homme se tirera de ce mauvais pas. Ce mauvais pas est celui de la mondialisation. Il en révèle le vrai visage. J'ai toujours estimé que le 911 était un formidable révélateur, comme s'il entrait quelque chose de divin et de prophétique dans ces actes atroces qui ont endeuillé durablement la face du monde.
L'identité louvoie et tangue dangereusement depuis le 911. Je suis persuadé que le petit Occidental singulièrement, l'homme plus généralement, ont ressenti le jour du 911 que le visage jusqu'alors rassurant des dirigeants démocrates obéissait en fait à une dérobade inquiétante. "Qui étaient les terroristes?" ne signifiait pas seulement : "Quels dirigeants politiques?"; ou : "Quels dirigeants et quels responsables?". En fait, toute la conception du politique montrait une évolution inquiétante où le politique se commet en économique.
Au final, le problème de l'identité est le problème centrale. On se dérobe quand on a quelque chose à cacher, certes; mais surtout on se dérobe de manière éternelle quand on obéit au principe de la différance. A ce petit jeu de cache-cache et d'attrape-moi qui tourne à l'attrape-nigauds, il est crucial d'analyser l'évolution de la conception démocratique par le citoyen démocrate.
Le 911 marque l'effondrement de la démocratie en tant que chimère des fondements. La sérénité du citoyen démocratique tenait à sa certitude de vivre une époque radieuse, l'apogée de l'humanité, telle du moins que le formulait Popper avec une certitude inébranlable : jamais aucune époque ne fut aussi privilégiée que cette fin de vingtième siècle. La prospérité sans précédent de l'Occident phare de l'humanité s'appuyait sur deux balises autant que boussoles : la démocratie et le libéralisme. Si le 911 est aussi douloureux, c'est qu'il a annoncé ce qu'étaient vraiment la démocratie et le libéralisme.
On notera que c'est au pays de la démocratie et du libéralisme que se sont produits les attentats du 911, ce qui n'est certainement pas un hasard. Comme de juste, le principal allié des États-Unis dans la mythique guerre contre le terrorisme n'est autre que le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni est souvent considéré comme l'ancêtre quelque peu déclinant des États-Unis sur le chemin de la démocratie et du libéralisme. La mère-patrie qui aurait été doublée par l'élève turbulent et insatiable.
Au risque de contredire ce lieu commun, je pense que le 911 place au grand jour les vraies relations entre les États-Unis et le Royaume-Uni. J'ai toujours entendu et considéré que le Royaume-Uni était en Europe le vassal et le valet des États-Unis, quelque chose comme un pion manipulable et manipulé par le neveu turbulent et un brin inquiétant. La perfide Albion serait sous la coupe de l'oncle Sam.
M'est avis que le 911 change du tout au tout le regard stéréotypé que l'on porte sur cette relation. Quand on enquête un peu sur le 911, on se rend compte que les milieux qui ont ourdi le 911 l'ont dirigé contre les institutions américaines et le peuple américain. Ennemi intérieur? On se rend vite compte que ben Laden n'est pas le responsable véritable. On se rend assez vite compte que l'État américain ne l'est guère plus en tant qu'Etat. On a alors tendance à s'orienter vers les milieux militaires, industriels, espions et bancaires américains, le regroupement de tous ces milieux dans quelques groupuscules informels et privés.
Las! Nos auteurs irresponsables sont apatrides. Leurs raisons sont par essence égocentriques, mesquines, cyniques et déraisonnables. Le 911 renvoie in fine à des élites financières et bancaires qui opèrent entre la City et Wall Street. Sans doute autour d'autres places financières, en Europe, au Proche-Orient - et ailleurs. Dans des bureaux? Dans des hôtels? Dans des institutions vénérables ou inconnues? J'arrête les spéculations sur cette hypothèse de travail qui entend rester une hypothèse afin de conserver sa liberté spéculative (ce qui ne signifie nullement que l'hypothèse soit saugrenue et irréelle, tant s'en faut).
J'en reviens à la relation bizarre et décalée entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Blair valet de W. Cette caricature est-elle juste? Les milieux qui ont comploté en vue du 911 ne sont-ils pas au final des Anglo-Saxons qui laissent croire que ce sont les États-Unis qui mènent la danse, alors que ce serait plutôt les Anglo-Saxons d'Angleterre et du Royaume-uni qui tireraient leur épingle du jeu dans la mondialisation apatride? Tout le monde se moquait de Blair suivant à la baguette les propositions de W. Et si c'était l'inverse? Si c'était les institutions américaines qui étaient piratées et contrôlées, non par Blair le fantoche, l'alter ego ubuesque de W., mais par les milieux financiers de la City, qui opèrent en temps réel partout dans le monde (en particulier à Wall Street)?
Voila qui expliquerait au mieux le 911 : soit un acte horrible qui est bien entendu tourné contre les États-Unis en tant qu'institutions et en tant que peuple. Il faut être très peu américain pour déstabiliser et fragiliser de la sorte la première puissance du monde. Il faut avoir en vue la destruction pour la domination. Rien n'est plus confortable que de manipuler ce qui nous est étranger. Rien n'est plus confortable que de détruire ce qui ne vous concerne pas, peu ou indirectement. Au risque de jouer du paradoxe, j'opte résolument pour cette idée d'une domination par les élites financières et bancaires implantées plutôt à Londres qu'à New York.
Et si le trompe-l'oeil fonctionnait dans le sens inverse et inattendu de la domination/manipulation/piratage par les élites financières/bancaires du Royaume-Uni qui profitaient d'une colonie aussi invraisemblable que les États-Unis? Si le Royaume-Uni n'avait jamais cessé d'être la métropole et les États-Unis les provinces coloniales et bigarrées? Si l'Empire colonial britannique n'avait jamais cessé de dominer le monde et avait trouvé la ruse imparable du trompe-l'oeil et du décentrement (apparent) pour opérer en toute impunité?
Dans ce cas, l'inversion entre la métropole et ses provinces serait assez génial. Le Royaume-Uni passe pour le vénérable ancêtre dépassé et désormais sous la coupe de son glorieux descendant et héritier, le Neveu Sam. En fait, il est demeuré le vrai maître des cartes. Avec deux caractéristiques :
1) la domination se fait par le truchement d'une dépendance travestie en lieu central. C'est une domination sur le mode indirect.
2) la domination est tellement brouillée qu'elle est aveugle.
Car le caractère différant des élites condamne la domination à être aussi insaisissable et indéfinissable qu'aveugle et incompréhensible. Les élites anglo-saxonnes ont poursuivi le néo-colonialisme avec un double effet :
1) les effets du colonialisme se sont accrus du fait de son invisibilité et de son travestissement en démocratie et libéralisme.
2) Le mécanisme est devenu de plus en plus incontrôlable parce que son efficacité suppose des circuits de plus en plus complexes et tortueux, jusqu'à devenir abyssaux.
De multiples signaux indique que le coup vient plus de l'Empire britannique éclaté et insaisissable que de meutes typiquement américaines : l'affaire de corruption BAE/Arabie Saoudite, le rôle de Blair The Bliar, selon son surnom outre-Manche, le rôle de Bandar "Bush" en tant que négociateur/coordinateur des opérations (très instructif article notamment dans le quotidien The Guardian). Enfin, jamais la perfide Albion n'aurait plus mérité son surnom, sauf que ce décentrement s'opère surtout au sein d'élites aussi select que sélectives. Le plus dramatique est que l'irresponsabilité qui émane et exhale du 911 s'explique tout à fait par le fonctionnement de ces élites qui à force d'être biaisées, éclatées, entre, finissent par perdre le fil de leurs propres impulsions et de leurs propres décisions. Qui a dit qu'il fallait pardonner aux pêcheurs, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient?

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