dimanche 6 avril 2008

Hypercomplot

L'accusation de complotisme sert surtout à ne pas penser. On l'aura remarqué avec tous les mauvais esprits qui se fendent de commentaires sur le 911, à condition de lancer l'anathème contre le refus de la pensée. Mais le complotisme exprime aussi de farouches réticences face au complot. Pourquoi accepter l'existence du complot reviendrait-il à remettre en péril bien plus que le confort intellectuel de paranoïaques discernant un peu partout les desseins pervers de quelque démiurge aussi puissant que manipulateur?
Le complotisme répond au besoin de désigner et de discerner des manipulateurs qui tirent les ficelles rien de moins que de la réalité. Dans ce cas, le complotisme serait une déviance psychopathologique facile à cerner et à dénoncer : car il faut être particulièrement simpliste pour croire en la fable d'une volonté humaine ou de quelques volontés humaines disposant du pouvoir de manipulation sur la réalité (la réalité en général s'entend).
Dès lors, le refus du complotisme ne cache pas seulement le complotisme. Il est intéressant de noter que le verrou inexpugnable de la mauvaise foi s'appuie sur la capacité à confondre (dans les deux sens du terme) dans un objet existant entre cet objet et au moins un autre objet subrepticement introduit (qui peut aller jusqu'à une foule imaginaire d'objets). La mauvaise foi est ainsi indémontrable : tant que le réel n'est pas définissable, il est impossible de distinguer entre un objet illusoire et un objet possible/inconnu. A l'inverse de la distinction, la confusion sert la mauvaise foi. La mauvaise foi du complotisme, c'est de ramasser ainsi le complotisme avéré et la possibilité du complot.
Sous le même objet de complotisme, on trouve ainsi toutes les accusations certes farfelues et paranoïaques, mais aussi toutes les accusations avérées qui peuvent entrer dans la catégorie des complots et non du complotisme. Dès lors, la dénonciation du complotisme signale le refus pur et simple du complot. Le complot met en danger de mort le système parce qu'il remet en question, du fait de la possibilité de son existence seulement :
1) le hasard comme condition de liberté des individus détenteurs de la raison;
2) l'Hyperréel comme définition du réel à l'immédiat de son apparence phénoménale.
Le système immanentiste a besoin du postulat du hasard pour justifier du caractère bon et positif du donné fini et défini. C'est dire à quel point le système est subordonné à l'effectivité de sa propagande, selon laquelle le système est acceptable et irréfutable parce qu'il est el meilleur et absolument bon. La faiblesse du système, c'est moins son arrogance désaxée que ses prétentions démagogiques. La démagogie est horizon fragile : si le donné n'est pas hasardeux, c'est qu'il peut être manipulé. Et s'il est manipulé, c'est qu'il le sera par des providences très groupusculaires et humaines. Le système s'effondre en tant que donné de liberté et de hasard s'il reconnaît la possibilité de truquer le hasard. Comme par enchantement, le complot répond à la définition de la possibilité de truquer le hasard.
L'autre point important, c'est que le hasard comme système convenant à la liberté hyperrationnelle du donné va de pair avec la représentation ontologique du réel sous des formes particulièrement simples et réduites (simplistes et réductrices?) : le réel, ici, est gouverné par le hasard dans la mesure où il concorde avec l'apparence et l'immédiat. Les arrières-mondes (expression chère à Nietzsche) sont évacués au profit du phénomène immédiat, soit de la première apparence. Le réel, c'est la première apparence. Le reste relève du néant.
L'Hyperréel ne se développe harmonieusement que sur fond de hasard et de première apparence. Bien entendu, le complot est la menace mortelle qui vient annihiler la possibilité même de l'Hyperréel. Si bien qu'il faut rappeler que l'Hyperréel n'est jamais que l'idéal dans lequel le réel en vient à concorder avec les attentes du désir humain. C'est le désir humain qui postule à un réel définissable; c'est le désir humain qui en appelle à un réel hyperrationnel et fort peu raisonnable. Tout le reste est conditionné par ces attentes démesurées : le donné hasardeux et réel, fini et défini. Il suffit de la possibilité d'un complot pour renverser le château de cartes de l'Hyperréel. C'est un beau titre de roman, la possibilité d'un complot...

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