samedi 26 avril 2008

L'interprétation des faits : traduction et trahison

Il est capital pour le philosophe contemporain de penser l'événementiel en ce que penser l'événementiel n'est plus seulement le moyen de fuir la métaphysique ou l'ontologie. On sait que le propre d'un philosophe, ce qui le distingue de l'intellectuel, et, pis, de l'expert, c'est de creuser la réalité tapie sous les événements. Justement.
Jusqu'à présent, l'analyse de l'événementiel servait certainement à reproduire le factuel sans chercher ce qu'il contenait d'autre que son apparition immédiate et phénoménale. Cette approche était celle du journalisme, selon lequel dire le factuel en ce sens précis, c'est s'approcher au plus près de l'objectivité et de l'impartialité, puisque le plus sûr moyen d'être impartial était encore de dire les faits - et rien que les faits.
Il n'en demeurait pas moins que cette démarche critique n'obère nullement la démarche de l'interprétation : car dire les faits, les restituer dans leur vérité factuelle et crue, implique encore plus après coup que ces faits soient analysés et décortiqués. Autrement dit, la démarche factuelle ou journalistique ne supprime nullement la démarche interprétative. Elle prétend seulement dire le factuel et éviter que la manipulation ne se déroule sur le terrain du factuel. Exemple : rappeler que la Seconde guerre mondiale a débuté en 1939 permet d'éviter les manipulations qui insinueraient qu'elle a commencé en 1938.
Une fois le fait rappelé, l'interprétation est encore plus nécessaire. Il convient seulement de séparer le factuel de l'interprétatif. Il est certains évènements qui incitent à accroître le pouvoir de la critique et de l'interprétation. Le 911 est de ceux-là. Très peu d'événements appartiennent à cette cohorte de faits qui ne renvoient pas à la surface, mais contiennent dans leur manifestation et leur apparence beaucoup plus que cette simple manifestation et cette seule apparence.
Le 911 peut être nommé systémique en ce qu'il dévoile le fonctionnement du système au-delà des apparences que veut bien donner le système. Pis - ou mieux : le 911 dévoile le fonctionnement de l'esprit humain (notamment dans le fonctionnement des médias) et le modus operandi du comportement humain. Interroger le 911, c'est ainsi pénétrer dans l'intimité et la profondeur du sens. Dès lors, comprendre le 911, c'est accéder au factuel, au critique/interprétatif, mais aussi et surtout au religieux dans un sens qui n'est pas circonscrit à telle chapelle ou telle coterie, mais au phénomène religieux qui lie, qu'on le veuille ou non, le culturel au cultuel, et ce, depuis l'avènement des homo sapiens, soit bien avant le monothéisme.
Dans mon message précédent, j'analyse le lien entre la déontologie mutante et propagandiste des médias actuels et le postulat de l'ontologie contemporaine, selon laquelle plus que jamais, le réel est l'immédiat.
http://aucoursdureel.blogspot.com/2008/04/les-mdias-de-limmdiat.html
Mais il faut ajouter maintenant que cette ontologie fausse, fondée sur la proposition réductrice et simpliste phénomène = réel, est également manipulatoire. Car il ne suffit pas d'énoncer que le réel ne se réduit pas à ses manifestations immédiates, que le reél n'est pas transparent, que l'officiel n'est pas la vérité, il faut aussi remarquer le caractère doublement inconséquent de la vérité officielle contemporaine :
1) de se prétendre vérité parce qu'immédiate (fait déjà observé et énoncé).
2) de confondre fait et interprétation au nom de l'idéologie de l'immédiateté.
Je n'ai pas insisté sur ce fait et il est pourtant capital : car que fait la version officielle contemporaine sinon énoncer au nom des faits l'interprétation? Si la version officielle confond (au sens de confusion) les faits et l'interprétation, c'est qu'elle reconnaît implicitement et à mots couverts qu'elle n'est pas parvenue à résoudre la relation entre les faits et l'interprétation, entre l'immédiat et le profond.
Que fait la version officielle quand elle nous dit ce qui s'est passé?
1) Elle fournit les faits en nous les présentant comme l'ensemble des faits.
2) Elle nous fournit une interprétation à partir de ces faits.
Mais l'interprétation officielle ainsi proposée n'est jamais qu'une interprétation qui n'a pas perdu son caractère interprétatif, du fait qu'elle procéderait des faits. Pourtant, la version officielle oublie cette distinction, cette étape, cette différence, cette nuance, et elle produit un amalgame redoutable et peu observé entre faits et interprétation.
Elle fait comme si l'interprétation immédiate serait aussi objective et impartiale que les fiats proposés au nom du fait qu'elle émanerait de l'ontologie de l'immédiateté. C'est un mensonge pourtant patent : ce n'est pas parce que l'on tire une interprétation de faits qu'elle perd du coup son caractère interprétatif. Tout au contraire, rien n'a changé. Peut-être simplement peut-on suggérer que tirer des interprétations à partir de faits montre une démarche plus rigoureuse que tirer des interprétations indépendamment des faits.
Cependant, cette démarche n'est nullement nouvelle et nullement circonscrite à l'époque moderne ou à la sphère occidentaliste. Par contre, le fait de gommer l'étape interprétative contenue derrière toute donnée factuelle est éminemment immanentiste et moderne : car la propagande officielle cherche ainsi à suggérer qu'elle est parvenue à résoudre le principal problème de l'évaluation et que du coup :
1) son ontologie est la bonne (contrairement aux autres ontologies, qui peinaient à relier l'Etre et les étants, pour reprendre la terminologie heidegerrienne).
2) Son estimation/évaluation d'être le Bien ou du côté du Bien n'est plus partiale, dogmatique/idéologique ou dément, puisque le caractère incertain et critiquable de l'évaluation est assurément résolu.
Ergo : si le problème de la vérité est définitivement résolu et enterré, l'application concrète et pratique pour le pouvoir est qu'il a désormais les mains libres pour claironner qu'il est l'émanation du vrai, du bien, du bon. La vérité officielle est irréfutable parce qu'elle a gommé le lien entre factuel et interprétatif. Il reste à se demander si cette revendication repose sur du réel ou sur des fantasmes.
Malheureusement, c'est bien sur des fantasmes que l'ontologie moderne repose et c'est la raison pour laquelle le plus tenace reproche que l'on puisse adresser à la modernité est de résoudre le problème en évacuant le problème, soit d'amplifier le problème en prétendant l'avoir résolu. C'est la vengeance du reél sur le mensonge de la représentation humaine et c'est aussi ce qu'annonce le 911 : en s'effondrant, les Twin Towers ont aplati aussi le mensonge sur lequel la construction occidentaliste reposait.

Aucun commentaire: