mercredi 23 avril 2008

Par ici, la so(r)tie

Le plus important dans cette société de la sortie du religieux, c'est de comprendre ce que cette idée veut dire. L'idée à la mode, c'est que grâce à la Raison et à la science, au Progrès universellement constaté des connaissances, les religions en tant que religions sont devenues obsolètes. Le système religieux serait dépassé et il le serait par un système plus performant, plus juste, plus bénéfique pour l'homme.
Qu'est-ce que ce système exactement? Il n'est pas facile de répondre à cette question, car définir cette sorte du religieux relève de la nébuleuse opaque et de la gageure : grosso modo, l'alternative supérieure au religieux tient sans doute à la laïcité, mais aussi à une forme de pensée qui n'est pas scientiste tout en étant rationnelle et rationaliste. Par ailleurs, la sortie du religieux s'accompagne des traditionnelles critiques qui s'abattent sur le phénomène religieux.
C'est ainsi que toutes les productions historiques négatives concernant les religions sont montées en exergue et que les critiques sempiternelles contre l'infériorité du phénomène religieux sont répétées en boucle. Il s'agit de faire passer le message suivant : tout ce que l'on nomme religieux relève de l'imposture irrationnelle et cette imposture est mise en lumière précisément par le nouveau système de la Raison. Il est temps de bénir la Raison car elle a permis à l'homme de découvrir une vérité supérieure au religieux et de sortir du religieux et de ses ténèbres pour accéder à la lumière.
Précisément, l'alternative se nomme sortie du religieux. Elle est portée avant tout par l'élite occidentale et occidentaliste, ceux qui croient au Progrès mais aussi ceux qui historiquement ont développé le progrès scientifique, technique et technologique. En deux mots : l'Occident est le coeur du Progrès. On tolère le christianisme à condition qu'il soit progressiste et évolué, c'est-à-dire qu'il reconnaisse la supériorité manifeste du Progrès. L'argumentaire des chrétiens ouverts et intelligents est simple à résumer : c'est grâce au christianisme et à sa conception religieuse si évoluée que l'Occident, cette terre chrétienne, a su accéder au Progrès.
De nombreux historiens et penseurs ont développé cette idée : la sortie du religieux fait plus ou moins partie du christianisme et montre la supériorité du christianisme sur les autres religions (par christianisme, on englobera le phénomène judéo-chrétien dans son ensemble). Mais une fois que l'on a brillamment exposé cette théorie de la sortie du religieux et de la supériorité du Progrès sur le religieux, on n'est guère plus avancé, car on n'est toujours pas en mesure de définir positivement et clairement en quoi consiste l'alternative pourtant supérieure et transcendante menée par la Raison. 
Si Dieu est mort, qu'est-ce qui l'a remplacé? Eh bien, il faudra répondre courageusement que la propagande immanentiste laisse seulement croire que le religieux a été dépassé. Avec quelle commisération ne juge-t-on pas en nos terres éclairées les malheureuses populations qui s'adonnent encore aux cultes polythéistes et qui ont la bêtise aveuglée de croire en quelque chose de religieux! On cite à ce sujet Spinoza et l'on se croit très malin parce qu'on pense appartenir à l'élite en rejetant le religieux.
Les individus qui adhèrent au nom de la Raison et du Progrès au rejet du religieux ne se rendent pas compte qu'ils servent ce faisant l'immanentisme, impulsion contre laquelle ils seraient fermement opposés s'ils avaient conscience de l'endoctrinement dans lequel ils demeurent. Passons.
Ce qui est fait est fait. Il s'agit par contre de (se) rappeler que toute culture provient du religieux. Le culturel, c'est le culte. Si l'on comprend cette réalité sonnante et dissonante, l'on se rend compte que toute production culturelle est nécessairement religieuse et que le religieux est au fondement (direct ou indirect) de toutes les productions humaines. Prétendre remplacer le religieux correspond, paradoxe insoutenable, à une forme de religion.
Quelle est cette forme religieuse qui s'exprime notamment par des formules comme la sortie du religieux ou le dépassement du religieux? Quelle est cette religion qui nie le religieux et qui prétend que la Raison a réussi à dépasser le religieux sous toutes ses  formes? Réponse : c'est la religion de l'immanentisme. Et la caractéristique de cette religion consiste à nier le religieux et à prétendre l'avoir dépassé (donc enterré).
La sortie du religieux signifie : l'avènement de l'immanentisme. Il reste à comprendre que la religion qui nie le religieux n'est pas n'importe quelle forme de religieux. C'est l'expression du religieux en crise. L'immanentisme n'est pas une nouvelle religion viable qui viendrait remplacer le monothéisme moribond. C'est au contraire le religieux en crise qui accouche de l'immanentisme et qui signale que ce que l'on prend pour un dépassement et un couronnement n'est qu'une crise et l'expression d'une phase de transition. La crise signale la transition.
Non seulement l'immanentisme est un religieux en crise, soit un religieux dégénéré, mais l'immanentisme n'est pas viable. Il ne fait qu'annoncer la transition entre deux grandes formes de religieux : le monothéisme moribond (d'où l'expression fallacieuse et grandiloquente de : Dieu est mort) et les formes futures de religieux. Quant au discours qui consiste à laisser croire que le progrès de l'humanité passe par l'abolition et le dépassement du religieux, que l'on médite sur ce fait anthropologique indubitable : quels que soient les inconvénients du religieux, toute production humaine n'est jamais que le reflet découlant du religieux. La culture, c'est le culte.
On mesure à quel point se fourvoient toux ceux qui par amour de la Raison pensent avoir triomphé des sirènes obscurantistes du religieux et appartenir à l'élite éclairée de l'humanité. En prônant la sortie du religieux, ils ne sortent nullement du religieux. Ils ne font que promouvoir un religieux en crise et se mettre au service aveuglant du religieux le plus dégénéré qui soit : l'immanentisme. Il suffit pour s'en aviser de mesurer les résultats catastrophiques de l'immanentisme : destruction, épuisement, anéantissement. Avec un tel triptyque, nul doute que le plus urgent consiste à abolir la sortie du religieux et à revenir dans les pas du religieux assumé. Le seul qui vaille.

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