Un des catastrophes les plus consternantes de notre époque décadente et stérile concerne sans aucun doute la mutation des informations. Avant, informer, c'était renseigner sur la marche du monde. Certes, tout ne se disait pas, mais ce qui se disait touchait encore à ce qui se passait dans le monde réel. On sait que bien des détracteurs des informations lui reprochèrent d'aborder constamment et de manière récurrente les sujets les plus atroces et les nouvelles les plus déprimantes : marée noire en Bretagne, attentat en Algérie ou massacres dans la guerre civile entre deux ethnies subitement rivales depuis que des puits de pétrole ont été trouvés dans cette région.
Il était temps de mettre un peu de gaieté dans ce monde brutes! Je me souviens d'une récrimination particulièrement ambigüe émanant de nombreux cercles africains : sous prétexte qu'on ne parlait dans les informations et les médias de l'Afrique qu'en des termes péjoratifs, pour évoquer ses problèmes continuels et interminables de guerres, de famine et de corruption, ces individus s'en prenaient à la couverture médiatique partiale et orientée des médias. Comme si le vrai problème était un problème de présentation et de représentation et que l'Afrique ne souffrait pas de maux endémiques artificiellement créés pour la plupart par les actions des hommes!
Ce n'est pas parce qu'on montre les beaux quartiers de Kinshasa et la dolce vita qui émaille du comportement de tel grand chanteur de soukouss que le Zaïre se porte à merveille. Il se pourrait même que le recours à ces expédients trahisse en fait le besoin d'expulser le reél et de donner la part belle à la représentation. Quelque chose comme un kantisme extrémiste et forcené, dans lequel le seul réel admissible serait le reél retravaillé et retouché par la représentation.
C'est ce que je nommerai l'emprise et l'empire de l'Hyperréel. Accorder la primauté sur l'Hyperréel et sur la représentation aux dépens du réel. Partir du principe que le seul réel admissible est le réel s'accordant avec les désirs et les attentes humains. Evidemment pour parvenir à cette hyperréalité réjouissante, le seul moyen est de recourir à la représentation. Il n'appartient pas au pouvoir humain de réaliser ses désirs autrement qu'en passant par la médiation de l'Hyperréel et en expurgeant soigneusement du réel tous les éléments dérangeants ou inacceptables.
Le refus de la réalité caractérise avant tout la primauté écrasante accordée à l'Hyperréel. Mais cette primauté qui tient parfois de l'exclusivité implique que les éléments dérangeants ou contestataires n'apparaissent plus dans la représentation. Puisque l'homme ne dispose pas du pouvoir de changer le réel dans ses principes, le seul moyen consiste à façonner l'Hyperréel selon son désir. Pourquoi cette impossibilité ontologique? Tout simplement parce que les productions du désir sont en contradiction flagrante avec ses attentes. Je ne citerai une fois de plus sur ce sujet que l'avis éclairé et pénétrant du penseur Héraclite : "Il n'en vaudrait pas mieux pour les hommes qu'arrivât ce qu'ils désirent".
A défaut que ce qu'ils désirent arrive, les hommes ont décidé d'opter pour le plus simple : faire en sorte que ce qu'ils désirent se produise dans le monde du virtuel et de l'imaginaire, dans le monde de la représentation et de l'Hyperréel. C'est largement réalisable et les médias de ce point de vue offrent une lucarne inespérée. Le développement des médias tient-il avant tout à cette idéologie issue de la Raison mutante selon laquelle le monde de l'homme correspond au réel?
Dès lors, les médias ne font plus les informations sur le monde, ils créent le monde, non pas à leur guise, mais selon la guise du désir. La guigne aussi. Pour ce faire, la réalité est savamment et soigneusement exfiltrée de tous les éléments réels qui contrecarrent les attentes du désir. C'est pourquoi l'Afrique dans cette logique ne vaut que par la grâce d'un chanteur de soukouss dont plus personne ne se souvient dix ans plus tard (ce qui n'est pas le cas de Fela ou Salif Keita, ou encore d'Alpha Blondy).
C'est pourquoi surtout la pipolisation des informations est le grand évènement marquant de ce début de troisième millénaire chrétien (j'aurais presque osé : crétin, tant il est vrai que l'abrutissement des masses règne en maître). Pipolisation : orthographe francisée d'un terme (people) qui signifie les gens. Pipoliser les informations, c'est rendre les événements du monde conformes aux désirs des gens. C'est aussi stupide et atterrant que de décréter que l'abus de chocolat est bon pour la santé sous prétexte que la publicité en vante les mérites. Les informations ne sont plus un lieu de renseignements sur le monde, mais un lieu de renseignements sur les attentes du désir humain.
Le monde des infos people n'est certainement pas le reél, mais la déformation du réel adapté aux attentes humaines. Le seul moyen d'évoquer un monde supportable pour les nerfs et le désir humains revient encore à expurger le désir (au sens des purges politiques sauf qu'il s'agit ici de purge ontologique) de tous les éléments réels qui sont opposés à l'idéologie du désir. On en arrive à cette fameuse surface ou apparence que je baptiserai pour ma part apparance.
Les éléments ou événements censurés sont profonds dans la mesure où ils sont opposés aux attentes du désir humains. Les éléments ou événements conservés (et concernés) sont superficiels, immédiats et apparents dans la mesure où ils obéissent (dans tous les sens du terme) aux attentes premières du désir humain. Le monde de l'Hyperréel est impitoyable. Cependant, cette déformation de la réalité n'est pas sans inconvénient majeur : le reél finit toujours par s'imposer avec usure - leçon profonde administrée notamment par Rosset. A trop le nier, il se venge - de la plus terrible des manières.
Cette vengeance est facile à comprendre : c'est le retour du refoulé, ou encore c'est la réalité inexpugnable et irréfutable dont se trouve cependant parés les éléments censurés. Ce n'est pas parce qu'on censure que l'on biffe. Les censeurs le savent bien. Par contre, la censure est le moyen à court terme de prendre ses désirs pour des réalités. Nul moyen plus sûr pour ce faire que de recourir à la grâce des médias. Les médias sont le miroir aux alouettes du temps en ce qu'ils instaurent avec une facilité déconcertante la censure. Ils sont les premiers porte-paroles du désir humain et de la représentation humaine.
Rien d'étonnant dès lors à ce que les informations se commuent de plus en plus en renseignements sur l'Hyperreél, soit en idéologisation de la profession de journaliste. Dire ce qu'on désire et non plus ce qui est : transformation majeure et tue du métier de journaliste. La culotte de Britney, le genou de Ronaldo ou la longévité cathodique de Drucker : tous les sujets sont intéressants à condition qu'ils évoquent l'Hyperréel et qu'ils évitent le réel. C'est ainsi qu'on omettra tous les sujets qui fâchent, l'Afghanistan, l'Irak, le 911, la crise bancaire ou la crise alimentaire.
Le monde va mal mais faisons comme s'il allait bien. A la limite, on tolèrera le sujet du Tibet, parce que c'est plus un sujet de manipulation qu'un réel sujet politique. Parlons des JO, parlons de sport, parlons de cinéma, parlons d'actrices et d'acteurs, parlons de tout, à condition que les aspérités du réel disparaissent. Mission accomplie : aujourd'hui les talk shows n'abordent plus que des sujets privés ou individualistes et la dépolitisation du monde permet pour l'instant à la cause de l'Hyperréel de remporter haut la main son combat pour la déréalisation du monde de l'homme.
Pour l'instant : car à terme, le signe le plus flagrant de l'effondrement du système tient à cette censure méthodique qui consiste à inviter le futile et à convoquer le clinquant pour nous éviter d'affronter le vrai problème de l'homme : non de faire comme si le désir était comblé, mais de relier la représentation et le réel. L'étymologie, ce puits de science, nous en dit plus long que tous les discours sur le désir : desiderium, la disparition de l'astre, signifie tout simplement que la crise actuelle porte sur la disparition du réel. Quand il réapparaîtra, ce sera pour signifier que le système fondé sur la Raison mutante et sur l'Hyperréel est fini dans tous les sens du terme, en premier lieu qu'il est caduc. J'entends d'ici les pleurs et les grincements de dents : le dentiste est la plus efficace (é)vocation pour retrouver les pieds sur terre et les saveurs bigarrées du réel.
Il était temps de mettre un peu de gaieté dans ce monde brutes! Je me souviens d'une récrimination particulièrement ambigüe émanant de nombreux cercles africains : sous prétexte qu'on ne parlait dans les informations et les médias de l'Afrique qu'en des termes péjoratifs, pour évoquer ses problèmes continuels et interminables de guerres, de famine et de corruption, ces individus s'en prenaient à la couverture médiatique partiale et orientée des médias. Comme si le vrai problème était un problème de présentation et de représentation et que l'Afrique ne souffrait pas de maux endémiques artificiellement créés pour la plupart par les actions des hommes!
Ce n'est pas parce qu'on montre les beaux quartiers de Kinshasa et la dolce vita qui émaille du comportement de tel grand chanteur de soukouss que le Zaïre se porte à merveille. Il se pourrait même que le recours à ces expédients trahisse en fait le besoin d'expulser le reél et de donner la part belle à la représentation. Quelque chose comme un kantisme extrémiste et forcené, dans lequel le seul réel admissible serait le reél retravaillé et retouché par la représentation.
C'est ce que je nommerai l'emprise et l'empire de l'Hyperréel. Accorder la primauté sur l'Hyperréel et sur la représentation aux dépens du réel. Partir du principe que le seul réel admissible est le réel s'accordant avec les désirs et les attentes humains. Evidemment pour parvenir à cette hyperréalité réjouissante, le seul moyen est de recourir à la représentation. Il n'appartient pas au pouvoir humain de réaliser ses désirs autrement qu'en passant par la médiation de l'Hyperréel et en expurgeant soigneusement du réel tous les éléments dérangeants ou inacceptables.
Le refus de la réalité caractérise avant tout la primauté écrasante accordée à l'Hyperréel. Mais cette primauté qui tient parfois de l'exclusivité implique que les éléments dérangeants ou contestataires n'apparaissent plus dans la représentation. Puisque l'homme ne dispose pas du pouvoir de changer le réel dans ses principes, le seul moyen consiste à façonner l'Hyperréel selon son désir. Pourquoi cette impossibilité ontologique? Tout simplement parce que les productions du désir sont en contradiction flagrante avec ses attentes. Je ne citerai une fois de plus sur ce sujet que l'avis éclairé et pénétrant du penseur Héraclite : "Il n'en vaudrait pas mieux pour les hommes qu'arrivât ce qu'ils désirent".
A défaut que ce qu'ils désirent arrive, les hommes ont décidé d'opter pour le plus simple : faire en sorte que ce qu'ils désirent se produise dans le monde du virtuel et de l'imaginaire, dans le monde de la représentation et de l'Hyperréel. C'est largement réalisable et les médias de ce point de vue offrent une lucarne inespérée. Le développement des médias tient-il avant tout à cette idéologie issue de la Raison mutante selon laquelle le monde de l'homme correspond au réel?
Dès lors, les médias ne font plus les informations sur le monde, ils créent le monde, non pas à leur guise, mais selon la guise du désir. La guigne aussi. Pour ce faire, la réalité est savamment et soigneusement exfiltrée de tous les éléments réels qui contrecarrent les attentes du désir. C'est pourquoi l'Afrique dans cette logique ne vaut que par la grâce d'un chanteur de soukouss dont plus personne ne se souvient dix ans plus tard (ce qui n'est pas le cas de Fela ou Salif Keita, ou encore d'Alpha Blondy).
C'est pourquoi surtout la pipolisation des informations est le grand évènement marquant de ce début de troisième millénaire chrétien (j'aurais presque osé : crétin, tant il est vrai que l'abrutissement des masses règne en maître). Pipolisation : orthographe francisée d'un terme (people) qui signifie les gens. Pipoliser les informations, c'est rendre les événements du monde conformes aux désirs des gens. C'est aussi stupide et atterrant que de décréter que l'abus de chocolat est bon pour la santé sous prétexte que la publicité en vante les mérites. Les informations ne sont plus un lieu de renseignements sur le monde, mais un lieu de renseignements sur les attentes du désir humain.
Le monde des infos people n'est certainement pas le reél, mais la déformation du réel adapté aux attentes humaines. Le seul moyen d'évoquer un monde supportable pour les nerfs et le désir humains revient encore à expurger le désir (au sens des purges politiques sauf qu'il s'agit ici de purge ontologique) de tous les éléments réels qui sont opposés à l'idéologie du désir. On en arrive à cette fameuse surface ou apparence que je baptiserai pour ma part apparance.
Les éléments ou événements censurés sont profonds dans la mesure où ils sont opposés aux attentes du désir humains. Les éléments ou événements conservés (et concernés) sont superficiels, immédiats et apparents dans la mesure où ils obéissent (dans tous les sens du terme) aux attentes premières du désir humain. Le monde de l'Hyperréel est impitoyable. Cependant, cette déformation de la réalité n'est pas sans inconvénient majeur : le reél finit toujours par s'imposer avec usure - leçon profonde administrée notamment par Rosset. A trop le nier, il se venge - de la plus terrible des manières.
Cette vengeance est facile à comprendre : c'est le retour du refoulé, ou encore c'est la réalité inexpugnable et irréfutable dont se trouve cependant parés les éléments censurés. Ce n'est pas parce qu'on censure que l'on biffe. Les censeurs le savent bien. Par contre, la censure est le moyen à court terme de prendre ses désirs pour des réalités. Nul moyen plus sûr pour ce faire que de recourir à la grâce des médias. Les médias sont le miroir aux alouettes du temps en ce qu'ils instaurent avec une facilité déconcertante la censure. Ils sont les premiers porte-paroles du désir humain et de la représentation humaine.
Rien d'étonnant dès lors à ce que les informations se commuent de plus en plus en renseignements sur l'Hyperreél, soit en idéologisation de la profession de journaliste. Dire ce qu'on désire et non plus ce qui est : transformation majeure et tue du métier de journaliste. La culotte de Britney, le genou de Ronaldo ou la longévité cathodique de Drucker : tous les sujets sont intéressants à condition qu'ils évoquent l'Hyperréel et qu'ils évitent le réel. C'est ainsi qu'on omettra tous les sujets qui fâchent, l'Afghanistan, l'Irak, le 911, la crise bancaire ou la crise alimentaire.
Le monde va mal mais faisons comme s'il allait bien. A la limite, on tolèrera le sujet du Tibet, parce que c'est plus un sujet de manipulation qu'un réel sujet politique. Parlons des JO, parlons de sport, parlons de cinéma, parlons d'actrices et d'acteurs, parlons de tout, à condition que les aspérités du réel disparaissent. Mission accomplie : aujourd'hui les talk shows n'abordent plus que des sujets privés ou individualistes et la dépolitisation du monde permet pour l'instant à la cause de l'Hyperréel de remporter haut la main son combat pour la déréalisation du monde de l'homme.
Pour l'instant : car à terme, le signe le plus flagrant de l'effondrement du système tient à cette censure méthodique qui consiste à inviter le futile et à convoquer le clinquant pour nous éviter d'affronter le vrai problème de l'homme : non de faire comme si le désir était comblé, mais de relier la représentation et le réel. L'étymologie, ce puits de science, nous en dit plus long que tous les discours sur le désir : desiderium, la disparition de l'astre, signifie tout simplement que la crise actuelle porte sur la disparition du réel. Quand il réapparaîtra, ce sera pour signifier que le système fondé sur la Raison mutante et sur l'Hyperréel est fini dans tous les sens du terme, en premier lieu qu'il est caduc. J'entends d'ici les pleurs et les grincements de dents : le dentiste est la plus efficace (é)vocation pour retrouver les pieds sur terre et les saveurs bigarrées du réel.
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