Dans ce grand fatras qu'est la tragédie de l'ordre, les médias étaient contre-pouvoir en ce qu'ils avaient le pouvoir inestimable de s'opposer au pouvoir, soit d'accroître sa vigueur, son éclat et sa pérennité. Vérité bien connue des grands patrons et du patronat éveillé : le pouvoir syndicaliste sert en premier lieu le pouvoir patronal. Le serviteur du pouvoir en place, ce n'est pas le courtisan (véritable parasite) que le contre-pouvoir qui gagne en force et qui oblige le pouvoir à se maintenir comme pouvoir véritable, c'est-à-dire comme force dominant de l'ordre qui indique le sens de l'ordre et sa domination sur les autres ordres. Lorsque le pouvoir officiel perd sa direction, le contre-pouvoir ne sert plus à dénoncer et révéler les faits que chercherait à cacher le pouvoir. Autrement dit, le contre-pouvoir ne sert plus à empêcher le pouvoir de dominer l'ordre et à contraindre le pouvoir de perdurer dans son rôle pérenne et traditionnel de guide. Le contre-pouvoir titille pour empêcher le pouvoir de sombrer dans son travers de décadence. Quand le contre-pouvoir ne joue plus son rôle, c'est-à-dire quand le contre-pouvoir ne sert plus à rappeler le rôle du pouvoir (médium comme révélateur de ce qu'est le pouvoir), c'est que l'oubli du pouvoir en tant que guide a engendré le changement du pouvoir en domination de l'ordre par son élite. En ce cas, les médias n'ont plus la mémoire pour rappeler inlassablement que l'ordre a trahi son rôle historique et sa mission essentielle. Les médias sont alors le contre-pouvoir du nouveau pouvoir. Si le pouvoir dégradé se retourne contre lui-même pour assurer et assumer sa domination, les médias perdent à leur tour le statut de dénonciateurs. Ils commencent certes par poursuivre leur mission de dénoncer les travers du contre-pouvoir; puis ils perdent courage car leur mission n'a plus de sens. Car dénoncer pour dénoncer est décourageant quand on pense que le pouvoir est d'essence dominatrice et destructrice. Les média sont d'autant plus vite fait de retourner leur veste que l'affaiblissement du pouvoir le conduit à dominer tous les composants de l'ordre, à commencer par le contre-pouvoir qui constitue pour lui une gêne, voire une menace. Les médias sont alors le révélateur du pouvoir en ce qu'ils en sont l'outil de propagande. Propagande consciente et cynique dans certains cas; mais aussi propagande inconsciente : servir de contre-pouvoir, c'est nécessairement être propagande quand le système vient à défaillir et à se retourner contre lui-même. C'est que le contre-pouvoir ne se rend pas compte de cette mutation capitale et que sa trahison par rapport à sa mission initiale vient du fait que contester le pouvoir reviendrait à remettre en question gravement le pouvoir. Désormais, le contre-pouvoir ne se rend pas compte que la mutation du pouvoir a entraîné sa propre mutation et que le contre-pouvoir ne peut plus contester sérieusement le pouvoir sans remettre gravement en question l'ordre lui-même. La défense objective du pouvoir par le contre-pouvoir (la trahison du contre-pouvoir travesti en outil de propagande) s'explique par l'instinct de survie que ressent le contre-pouvoir. Quand l'ordre est menacé dans sa survie; c'est se montrer responsable que de protéger le pouvoir et d'empêcher la destruction de l'ordre. Le contre-pouvoir ne se rend pas compte qu'en protégeant le pouvoir dans se dérives, loin de protéger la décrépitude du système, il ne fait que l'accentuer. Le contre-pouvoir est le plus souvent aussi sincère qu'aveugle.
vendredi 11 janvier 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire