jeudi 30 septembre 2010

De pire Empire


Partons du plus trivial, du plus anecdotique. A l'occasion de la grande réunion annuelle de l'IISS, qui se déroule à Genève du 10 au 12 septembre 2010, Kissinger prononce un discours à visée stratégique internationale, pour ne pas dire mondialiste, en particulier consacré aux problèmes en Afghanistan.
http://www.romandie.com/infos/ats/display2.asp?page=20100910213739950172019048164_brf059.xml
La venue de Kissinger provoque un tollé chez de nombreuses associations de défense des libertés qui s'émeuvent qu'un tel meurtrier de masse puisse ne pas être inquiété par la justice internationale. En particulier, de nombreux manifestants sont d'origine chilienne, puisque Kissinger est largement impliqué dans le coup d'Etat du 11 septembre 1973, qui renversa Allende et mit au pouvoir le général Pinochet.
Au passage, c'est toujours la même arnaque médiatique, fondée sur le bouc émissaire et l'amalgame. On focalise son attention sur Kissinger comme si c'était le cerveau de l'affaire sans se rendre compte qu'il ne fut au mieux que le valet d'intérêts bien plus haut placés que lui, qui sont industriels, financiers - et certainement pas d'identité fondamentale américaine. Ainsi ne parle-t-on jamais (ou si peu) de l'implication bien supérieure de Shultz, le secrétaire au Trésor sous Nixon, qui à la même période fut au centre de la dématérialisation du dollar, jusqu'alors indexé au cours de l'or.
Bien entendu, le coup d'Etat chilien était mené par les idéologues inspirant l'Ecole de Chicago, à tel point que la politique de Pinochet se borna à appliquer les consignes radicales des Chicago boys : de l'ultralibéralisme débridé et le soutien des milieux financiers trop heureux d'imposer un capitalisme d'Etat sans démocratie (en France, l'ultraconservateur Revel a défendu le régime chilien des critiques au nom du libéralisme et de l'anticommunisme).
Ajoutons qu'il serait réducteur d'imputer le coup d'Etat à une marionnette supérieure comme Shultz et que ce complot, comme tous les complots, émane de factions oligarchiques dont le propre est de ne pas encourager au sens positif l'identité claire de quelques individus. La naïveté des manifestants se focalise et s'égare contre le monstre Kissinger, qui est à n'en pas douter un pervers politique, mais qui n'est certainement pas le cerveau international du coup d'Etat chilien. Pas plus qu'il n'est le cerveau de cet autre 11 septembre qui progressant cette fois dans l'infamie et l'importance stratégique a attaqué des intérêts américains vitaux (le coeur du pouvoir symbolique mondialisé) après avoir détruit la démocratie chilienne.
Pourtant, de nombreux éléments factuels autoriseraient des manifestants à demander des comptes à Kissinger concernant le 911. L'éphémère président de la commission parlementaire sur le 911 n'est pas étranger à ce sale coup, pas davantage d'ailleurs que son compère supérieur Shultz, que l'on ne nomme jamais, qui ne trempe jamais directement dans les affaires politicardes, mais qui à cette époque était le mentor et l'inspirateur de l'administration W.
Les manifestants protestent vigoureusement contre les crimes de monsieur Kissinger? Ils s'époumonent, ils vibrionnent, ils s'indignent - et du coup ils passent à côté de l'essentiel : pourtant cet essentiel se tient à leurs cotés. Pourquoi Kissinger est-il venu à Genève? Pour prononcer un discours. Le vieux monsieur a presque 90 ans. Au nom de qui? Officiellement, il intervient lors de la prestigieuse conférence annuelle de l'IISS, un think tank britannique. Voilà l'essentiel?
L'essentiel n'est pas Kissinger en tant que stratège fondamental, plus ou moins parrain de stratégies mondialistes véreuses. L'essentiel est de savoir pour le compte de qui Kissinger agit. Kissinger n'agit pas au nom des stratèges de l'IISS, pas plus qu'en 1982 il n'agissait pour les yeux doux des stratèges du RIIA, devant lesquels il prononça un discours d'allégeance sévère à l'Empire britannique. Kissinger est le valet des intérêts oligarchiques financiers de l'Empire britannique. Kissinger travaille pour le compte de ces intérêts stratégiques.
Notre cerveau diplomatique (assez médiocre) commença sa carrière publique en se trouvant lancé par les intérêts britanniques sur le sol américain. Il était la propriété politique du RIIA et ne cessa jamais d'intervenir non en Américain ou en sioniste, mais en serviteur zélé de l'Empire britannique. Ses nombreux crimes et ses malversations innombrables le contraignent à continuer ses allégeances de plus en plus ridicules à son âge.
Si le RIIA est un organe de pensée et de stratégie important dans le fonctionnement de l'Empire britannique, l'IISS a un rôle moins prédominant, mais de premier plan. Il est chargé de conseiller les offensives stratégiques de type militaire menées par les atlantistes, et son rôle devint grotesque en particulier depuis la seconde guerre d'Irak de 2003. On se souvient que les mensonges propagés par Blair et repris par W. et son administration sont démasqués et ridiculisés, mais ce qu'on oublie, c'est que les experts de l'IISS ont sonné la charge en accréditant ces rumeurs mensongères.
Depuis lors, comme s'ils subissaient le contrecoup d'une malédiction, nos charmants stratèges ne cessent de se discréditer en mensonges et calomnies du même acabit sous couvert d'expertise savante et profonde. C'est qu'ils sont des propagandistes au service de l'Empire britannique, pas des chercheurs indépendants et lucides. Leur rôle consiste à propager la stratégie de domination monétaire de l'Empire financier dépolitisé qui passe par certaines guerres et certaines colonisations.
La violence territoriale est au service de la domination financière. Dans ce processus, le politique est au service de l'économique - et c'est la raison principale pour laquelle nous sommes en crise, une crise certes économique, mais qui est en fait beaucoup plus importante - une crise culturelle et religieuse, impliquant la remise en question de nos principaux paradigmes.
A l'occasion de la conférence de l'IISS et du discours impérissable de l'inoxydable Kissinger (à moins que ce ne soit l'inverse), bref récapitulatif non exhaustif des récentes positions de l'IISS, un tableau hallucinant quoique réaliste qui indique qui sont les stratèges ventriloques de l'IISS :
- le 9 septembre 2002, un rapport de l'IISS prône la guerre en Irak pour empêcher que le régime de Saddam Hussein n'utilise ses armes de destruction massive. Rappelons que l'IISS agit pour le compte d'intérêts britanniques centré politiquement autour de la cellule Rockingham et qu'il n'est nul besoin en la matière d'incriminer le commandement du Pentagone américain ou d'éléments israéliens. Dans cette affaire, ces éléments sont subordonnés, pas dirigeants.
- En mai 2004, un rapport de l'IISS préconise d'envoyer 500 000 hommes supplémentaires en Irak (en plus des 145 000 de l'époque), notamment pour lutter contre la menace exponentielle d'al Quaeda, dont le nombre de combattants s'élèverait à 18 000 hommes.
- Selon le Réseau Voltaire, "dans sa parution du 7 septembre 2005, le Financial Times, quotidien britannique de référence en analyse financière et économique, reprend à son compte les nouvelles allégations de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), think tank londonien, qui prétend que l’Iran serait capable de produire des bombes atomiques d’ici cinq ans".
- Selon le Réseau Voltaire, le 14 septembre 2005, "les experts «indépendants» de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres ont publié un rapport péremptoire pour certifier l’imminence du danger iranien, comme ils servirent d’experts à charge pour attester de l’existence des armes de destruction massive irakiennes."
- Selon le rapport Military Balance de 2008, l'IISS note l'augmentation dramatique du danger terroriste en Afghanistan et en Irak et prend acte de la suspension (provisoire) du programme nucléaire iranien.
- Selon Eric Margolis dans un article du 14 septembre 2010, paru dans le Toronto Sun, un rapport d'août de l'IISS (auquel il a appartenu) affirme que la tactique déployée par la coalition occidentale est inopérante en Afghanistan. Contre la position des dirigeants occidentaux comme Obama ou Cameron, l'IISS préconise de retirer massivement les troupes occidentales et rappelle que la présence d'al Quaeda est mineure, pour ne pas dire insignifiante. Cependant, Margolis, qui s'envoie des fleurs indirectement, persiste à estimer que "l'International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, est une autorité au plan mondial concernant les questions militaires. Il rassemble l’élite des experts de la défense, des anciens hauts fonctionnaires et des officiers supérieurs, venus des quatre coins du monde, des États-Unis et de la Grande-Bretagne à la Chine, la Russie et l’Inde."
- Selon Europe 1, Kissinger le 10 septembre 2010, lors de la conférence de l'IISS intitulée huitième "Global Strategic Review", prône le désengagement des forces armées occidentales, en particulier des Américains, et leur remplacement par une coalition de troupes formées par des pays voisins. Morceaux choisis : "Une solution à long terme doit impliquer une combinaison, un consortium de pays qui doit définir, (...) et garantir la définition du statut de l'Afghanistan."
On ne va pas continuer à tourner autour du pot cent sept ans. Kissinger est un pion. L'IISS est un réservoir à pions, sur le principe des think tanks anglo-saxons. Kissinger illustre depuis quarante ans le néo-colonialisme britannique qui s'est attaqué aux Etat-Unis, qui en tant qu'Etat-nation, s'ils ne sont certainement pas des blanches colombes, ont vaincu lors de la guerre de Sécession l'Empire britannique et se font vaincre à petit feu depuis lors sur le principe de l'envahissement insidieux par métastases : on gangrène le système politique mine de rien, en le subvertissant financièrement.
On ne voit pas le monstre venir, mais il s'est glissé tel un cheval de Troie. Le 911 traduit à cet égard le rappel que le monstre s'est développé et qu'il s'apprête tel un alien cinématographique à dévorer son hôte inconscient et insouciant (du coup). Kissinger à l'IISS, c'est la preuve pour qui veut comprendre que le principe de l'Empire britannique décolonisé possède une existence plus qu'indubitable.
Nos financiers ne sont qu'un des piliers d'un système qui ne procède pas de manière pyramidale et concertée, sans quoi le complotisme au sens précis du terme (sans amalgame des médias officiels) serait une vision correcte, alors qu'il est une aberration monumentale. Le fonctionnement de l'Empire britannique n'est pas concerté. C'est une mentalité dans laquelle la plupart des intervenants occupent un rôle subalterne et parcellaire. Ils accomplissent leur besogne sans mesurer l'ensemble des enjeux auquel ils participent de manière partielle, voire indirecte.
Dans ce schéma où la volonté de joue pas le premier rôle, personne n'a une vision totale de l'échiquier. Bien entendu, ceux qui dominent savent plus de choses que les autres, mais leurs intérêts tournent autour de la satisfaction de leur pouvoir. Ce pouvoir est bien particulier : il est conditionné à l'argent - au monétarisme. Ce pouvoir est différant au sens où il n'est pas le pouvoir classique, qui consiste à dominer les choses de manière majoritaire.
En l'occurrence, c'est un pouvoir affaibli dans lequel on n'a de pouvoir supérieur que dans la mesure où ce pouvoir est limité et aveugle. L'inférieur du supérieur. . Il y manque le beurre, soit : le lien entre le pouvoir temporel (politique) et le spirituel (la cité de Dieu telle qu'elle est théorisée notamment par Saint Augustin). Ainsi dominent nos oligarques de l'Empire britannique financier, qui s'occupent de spéculations financières et stratégiques. La stratégie est le synonyme de la tactique politique, à ceci près que le politique se trouve subordonné à l'économique.
Les financiers sont tellement obnubilés par leurs problèmes financiers qu'ils n'ont pas le temps personnel à consacrer à la stratégie. Ils délèguent à des spécialistes ou des experts, qui eux-mêmes réunissent des aréopages d'élus (dans tous les sens du terme) pour donner leur avis sur la question. Seule condition : ne pas être opposé à la persistance de l'Empire britannique. C'est dans cette mentalité qu'il faut concevoir des think tanks comme le RIIA ou, à un cran inférieur quoique influent, l'IISS : ce sont des réservoirs à idées, au sens où ces idées sont au service de la stratégie. Il n'est besoin que de piocher dans leur escarcelle pour dégotter des stratégies face aux problèmes posés.
Du coup, ce ne sont pas les financiers qui concoctent ces stratégies. Ils délèguent, leur maître-mot, et ils tentent de prendre le meilleur. La preuve que la méthode impériale en action est mauvaise, c'est qu'elle échoue. Elle manque de créativité et se borne à répéter servilement et mimétiquement. Les experts et les stratèges produisent des idées finies et fripées, au sens où l'idée transcendantaliste, telle que Platon l'a définie, devient une idée ratiocinée et figée au service des manoeuvres les plus basses.
Exemple avec un Kissinger qui se prend pour Metternich alors qu'il est une vieille monture exsangue dont l'action politique est déjà lamentable avant sa mort prochaine. D'ailleurs, les rapports récents de l'IISS s'adaptent tous à la crise qu'ils n'avaient pas annoncée et qu'ils subissent de plein fouet. Le désengagement qu'ils prônent fait suite à l'effondrement du système financier sous la coupe de l'Empire britannique. Si les derniers rapports contredisent notablement les précédents, ce n'est pas parce que les stratèges de ces milieux sont subitement devenus plus honnêtes et moins intéressés.
C'est tout simplement la preuve qu'ils s'adaptent à l'état actuel de l'Empire britannique. Mais c'est aussi la preuve que nos stratèges n'avaient pas prévu la crise telle qu'elle se produit, ou plutôt, qu'ils l'avaient prévue de manière inadéquate : je veux dire qu'ils savaient certes qu'il y aurait une crise, mais comme ils en avaient une vision déformée et inadéquate (en gros, ils pensaient qu'ils parviendraient à résoudre cette crise avec leurs idées stratégiques prévisibles et inadaptées), ils ont cru que la bonne stratégie consistait à légitimer les guerres pour contraindre l'opinion internationale (surtout occidentale) à rentrer dans le jeu du terrorisme.
Malheureusement, cette stratégie échoue parce que la crise est bien plus grave que prévue. C'est une crise de l'impérialisme que l'impérialisme ne peut résoudre à lui seul. Une crise si profonde qu'elle dépasse même l'aspect politique (l'impérialisme) et qu'en conséquence l'impérialisme ne peut affronter ce qui le dépasse sans qu'il en prenne la mesure. Et surtout, les financiers se rendent compte qu'ils agissent sans filet : s'ils tombent, ils sont morts. Du coup, ils sont contraints de changer leur fusil d'épaule et de prêcher pour une accalmie des guerres et une coopération accrue en lieu et place. Après avoir agi unilatéralement et brutalement, on s'avise que le droit des plus forts est une stupidité radicale à brève échéance?
On pourrait estimer que nos stratèges font preuve d'une naïveté incroyable et d'une médiocrité invraisemblable, mais c'est sans compter sur l'erreur centrale de l'impérialisme : le refus de la créativité. Assez rapidement, dans ce mimétisme moutonnier, on ne produit plus rien. On se contente de recopier, d'agencer, de bidouiller, de copier-coller en termes informatiques. Puis on s'étiole, on se sclérose et l'on disparaît. L'issue de cette impasse consiste simplement à plier bagage et à s'installer ailleurs, pourvu qu'il y ait de la place.
C'est ce que l'Empire vénitien a fait suite à son effondrement : il s'est délocalisé vers Londres, sans que ce transfert soit concerté longtemps à l'avance, répondant à l'impulsion du pur pragmatisme. L'Empire britannique est né en reprenant la succession des intérêts vénitiens. Maintenant que le monde s'est mondialisé sous la férule de l'Empire, ces intérêts monétaristes ne peuvent plus se délocaliser infiniment. Plus d'espace. No future. Pour de l'espace, voyez l'espace. Ils espèrent encore piller la zone transpacifique comme ils ont laminé la zone transatlantique, notamment avec leur idée folle de désindustrialisation, mais cette stratégie n'est plus possible dans les bornes terrestres conquises et connues.
Quand bien même parviendraient-ils à exaucer leurs rêves, quand bien même réussiraient-ils à déménager hors de la City et de ses dépendances britanniques, en Chine, au Brésil ou ailleurs, l'impérialisme terrestre est arrivé à terme (terne). L'Empire britannique agonise et râle, mais surtout la notion d'impérialisme ne peut plus se renouver dans les bornes actuelles, par manque d'espace.
C'est une constatation terrible, qui contraindra les stratèges à deux alternatives : soit aller dans l'espace, ce qui implique que l'impérialisme se calme le temps long de la conquête et mute en passant du statut d'impérialisme terrestre à celui d'impérailmse planétaire et spatial; soit prôner la décroissance, dont le résultat est plus rapide, mais qui à terme est promis à la caducité. Car avant que les gens décillés par ses résultats irrationnels et inopérants ne la rejettent tout à fait, la décroissance aura déjà été abandonnée par ses thuriféraires les plus inconditionnels, qui savent déjà qu'elle n'est valable que comme une illusion d'utopiste bobo, pas comme une expérience oligarchique ou littérale.

Le mirage alternationaliste

S'il vaut mieux être alternationaliste que nationaliste à la sauce Maurras, il vaut encore mieux ne pas être nationaliste du tout.

On sait que l'association Egalité et Réconciliation, qu'on pourrait à bon droit désigner sous le vocable anglophone de think tank, est proche du Front National. S'il est plusieurs formes de nationalismes, dont certaines se trouvent exclues du FN, le génie politicien du président-fondateur du FN Jean-Marie Le Pen (un vieux briscard des joutes politiciennes, bientôt remplacé vu son âge) fut de rassembler au sein du parti politique Front National des familles nationalistes qui s'entredéchiraient du fait de leurs différences - et nonobstant le fait que leurs différences, aussi notables soient-elles, étaient très inférieures à leur convergence.
On peut définir le FN comme un mouvement nationaliste de droite, c'est-à-dire d'obédience spécifiquement et majoritairement poujadiste : priorité donnée à la domination en place, haine des étrangers, voire racisme (ce n'est pas toujours le cas, heureusement). Le nationalisme de droite (conservateur) est une bonne définition pour désigner le FN. Le fondateur d'Egalité et Réconciliation, l'essayiste Soral, se veut certes nationaliste, mais d'un nationalisme oscillant entre droite et gauche (mélange de conservatisme et de progressisme). Ce nationalisme de gauche n'est pas sans rappeler par sa dénomination l'effrayant national-socialisme, dont on a vu les résultats. Est-ce pour cette raison historique que les nationalistes d'aujourd'hui cherchent à se démarquer de leurs aînés de l'entre-deux guerres et se dénomment du vocable assez peu nouveau et original d'alternationalistes?
Toujours est-il que de nombreux cadres d'Egalite et Réconciliation sont proches du FN et que quels que soient leurs mérites particulier (souvent indubitables), le nationalisme est toujours un courant extrémiste (violent) dans un contexte politique où l'Etat en Occident est formé suivant les règles de l'Etat-nation moderne défini par le traité de Westphalie de 1648. Dans cette configuration politique, le national-socialisme constitue une surenchère irresponsable vers la violence, comme si la violence et le chaos pouvaient constituer des remèdes à quelque mal que ce soit.
Nous vivons une situation politique assez proche de celle subie par la république de Weimar et nous avons vu récemment ce que le nationalisme apportait comme pseudo solution à des problèmes très réels : de la destruction, avec comme point d'orgue de cette stratégie l'idée folle (au sens rabelaisien) selon laquelle la guerre pouvait engendrer de la prospérité économique et sociale.
Mais qu'est-ce que l'alternationaliste des amis de Soral? Cette appellation correspond à une définition purement négative qui signifie qu'il n'existe aucune innovation (positive) au nationalisme de Maurras. Faudra-t-il rappeler que Soral est un lecteur de Maurras et qu'il s'est réclamé de son presque homonyme Georges Sorel, qui ne présente pas avec lui seulement des points communs en termes de réunion virulente de la droite et de la gauche de son temps?
Outre une propension remarquable à traiter d'imbéciles toutes les critiques qui oseraient s'abattre négativement sur la tête du pauvre et incompris nationalisme, notre auteur, un membre d'Egalité et Réconciliation, entreprend de définir ce qu'est l'alternationalisme et en quoi ce concept impérissable se démarque de son ancêtre le nationalisme, en particulier concernant les points négatifs et honnis (historiquement).
Rendons-nous pour commencer à l'adresse de cet article qui a le mérite d'être clair, court et éclairant :
http://www.egaliteetreconciliation.fr/De-l-alternationalisme-4265.html
Notre auteur-militant commence par définir ce qu'est le concept d'Etat-nation avec un certain embarras : outre qu'il ne distingue jamais entre un patriote attaché à son Etat-nation et un nationaliste revendiquant la supériorité de son Etat-nation, notre auteur oublie également de distinguer entre l'attitude légitime du nationaliste qui veut que son pays plus ou moins colonisé accède au statut d'Etat-nation moderne et celui qui considère que le meilleur moyen d'échapper à la mondialisation ultralibérale et dévastatrice est d'en revenir au nationalisme de son Etat-nation.
Ces oublis ne sont pas accidentels, mais illustre bien l'embarras de qui aimerait tant faire comprendre qu'on peut être nationaliste sans être xénophobe. Mais qui a donc dit le contraire? Le problème, c'est que s'il vaut mieux être alternationaliste que nationaliste à la sauce Maurras (pour la tendance synarchiste, consultez l'impayable de Maistre dont le descendant gère par hasard la fortune de Liliane B.), il vaut encore mieux ne pas être nationaliste du tout.
Le militantisme alternationaliste présente ceci d'aberrant que face à un problème, on propose pire encore. Remarquez, c'était déjà le cas des fascisme européens qui confrontés à des problèmes financiers internationaux proposaient des recettes pire encore que les maux. Dans un monde actuel mondialisé (ou globalisé), la solution nationaliste y compris sous une mouturealter revient à choisir l'alternative réactionnaire par excellence : revenir en arrière (dans le passé).
Mais c'est oublier que le processus d'unification et d'accroissement de l'homme est historiquement continu et que le temps actuel de ladite mondialisation n'est qu'une étape qui n'a rien de définitif (sauf dans le cerveau détraqué des apologètes de l'ultralibéralisme comme Fukuyama et sa fin de l'histoire, ou, plus pernicieux encore, Huntington et son choc des civilisations). Vouloir revenir en arrière pour résoudre le problème actuel, c'est non seulement tenir le momentané pour le définitif, mais encore ajouter à cette première confusion une seconde erreur : l'impossible comme solution nihiliste.
Autant dire que la solution alternationaliste est tout aussi illusoire que la solution altermondialiste, qui présente d'ailleurs le même préfixe éloquent. Alter renvoie en effet à l'autre, mais à l'autre bien particulier - qui est irréalisable. J'ai crainte que l'alternationalisme soit une catégorie politique aussi utopique (sans lieu réel) que son grand cousin étymologique l'altermondialisme. Les altermondialistes présentaient la particularité de revendiquer un autre monde à condition que ce monde soit calqué en mieux (d'où leur progressisme) sur le monde ultralibéral mondialisé.
Impossible. Demandez à Leibniz : il n'y a qu'un seul monde, qui est aussi le meilleur des mondes. Les alternationalistes prétendent en revenir au nationalisme avant-gardiste débarrassé de ses errances xénophobes. C'est très bien de ne pas être xénophobe, ça évite des délires et des crimes, mais c'est grandement insuffisant : la carence du nationalisme en terre d'Etat-nation moderne n'est pas du tout résolue par l'alternationalisme. D'ailleurs, cet alternationalisme se revendique lui-même comme une impulsion plus de résistance qu'une construction de facture rationnelle : "Cela étant dit, il m’apparaît que le nationalisme revendiqué aujourd’hui par moult gens, dont mes camarades et moi faisons partie, est avant tout une réaction plus que la projection d’une idéologie. Il ne s’agit pas, en effet, de prolonger une doctrine dont nous aurions hérité et qui aurait pour but de nous hisser au mépris de la différence d’autrui mais bien de nous rassembler autour de l’idée de nation afin de mettre fin au pillage économique, politique et culturel que nous subissons et qui vide notre pays de son sens profond."
Réaction : le mot est lancé. L'alternationaliste est réactionnaire, mais d'une réaction simpliste : car il ne suffit pas de constater que la mondialisation ultralibérale est destructrice pour les peuples du monde. Encore faut-il proposer un projet à partir de la nation. Tel n'est pas le cas de cet alternationalisme qui ne propose rien de nouveau et de solide en remplacement du nationalisme. D'où le désarroi ambiant : l'insigne part des partis politiques actuels proposent un schéma libéral plus moins progressiste, plus ou moins dur, pour sortir de la crise systémique.
Mais "se rassembler autour de l'idée de nation", selon l'intention louable de l'alternationaliste, peut vouloir dire beaucoup de choses fort différentes qui ne se résument pas autour du nationalisme et ne se limite pas du tout à revenir à la réaction sous quelque forme que ce soit. L'alternationaliste n'a toujours pas donné sa spécificité. Après avoir consenti à ce que l'alternationalisme soit surtout une réaction simpliste ou naïve face à la mondialisation, l'auteur de ce papier verse dans l'aveu : "Notre nationalisme est donc très contextualisé et relèverait plus du nationalisme libérateur".
Qu'est-ce que le nationalisme libérateur? Nous ne le saurons pas précisément. Nous avons appris que l'alternationalisme consistait en une réaction plus ou moins épidermique et postromantique (encore un terme vague) revendiquant "un profond attachement à l’idée de nation". Il conviendrait de libérer l'idée de nation de l'emprise mondialiste en en revenant à l'idée injustement décatie de nation.
Cela veut tout dire et rien dire à la fois, ce programme minimaliste. Faut-il en revenir à l'Etat-nation pour s'ouvrir vers le monde soit vers l'espace, ce qui n'est pas un programme nationaliste, mais l'horizon des larouchistes à l'heure actuelle (une organisation politique antinationaliste et véritablement progressiste)? Ou convient-il de concilier nationalisme et décroissance, alliance que prône le synarchiste occidentaliste de Benoist et à sa suite son admirateur aveuglé Soral? L'alternationaliste serait ce citoyen qui proposerait d'en revenir à l'idée d'Etat-nation pour résoudre le problème de la mondialisation ultra-libérale.
La lecture de cette formulation laisse pantois : elle est vague, vaste, imprécise, d'une naïveté impayable. En fait, l'alternationalisme ainsi défini (et il ne l'est pas autrement) revient à une constatation entièrement négative, qui serait dépourvue de proposition positive - d'où l'impression d'imprécision. Mais cette négativité pure est le symptôme par excellence du nihilisme, qui est impossible précisément en ce qu'il nie sans jamais proposer en lieu et place.
Or l'on voit la qualité d'une idée à ce qu'elle affirme, non à ce qu'elle nie. C'est ce que Leibniz remarquait déjà en notant que «tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient.» On mesure la valeur d'une idée à sa positivité, non à sa négativité.
Selon ce critère, l'alternationalisme est une idée creuse ou une billevesée, exactement comme l'est le programme entièrement négatif d'un Chomsky, pourtant réputé intellectuel de haute stature, lui entièrement engagé dans le versant opposé à tout type de nationalisme (une idéologie gauchiste de nature alterlibertaire sans doute). La différence entre Chomsky et un alternationalisme, c'est que Chomsky est contre la mondialisation, pour quelque chose qui ressemblerait à une vague forme d'internationale non communiste; alors que le nationalisme est contre la mondialisation et pour une vague forme qui ressemblerait au retour au nationalisme non xénophobe.
On pourrait soumettre quelques questions à l'alternationalisme concernant la cohérence de sa position, qui est peut-être d'ailleurs plus une pause qu'une pause. Sans doute serait-ce inutile : on ne demande pas de cohérence à un incohérent en proie à une vague de l'âme postromantique qu'il s'empresse de noyer dans la réaction comme d'autres noient leur chagrin dans l'alcool. Féru de prétérition, je pose ma question : comment concilier l'alternationalisme cohérent et détaillé avec les autres formes d'alternationalisme? Les différents alternationalismes sont-ils solubles les uns dans les autres? Quel alternationalisme sera la forme retenue si l'alternationalisme consiste à proposer une collaboration (terme connoté) entre les alternationalismes?
Le moins qu'on puisse constater, c'est que le problèmes des conflits entre alternationalismes n'est pas réglé, moins encore envisagé. J'en veux pour preuve les exemples que donne l'auteur de cet article ficelé à l'ancienne (toujours finir par les exemples pour étayer la thèse) : en guise de symboles de l'alternationalisme, Chavez le Vénézuélien, Ahmadinejad l'Iranien et Sankara le Burkinabé sont cités. J'oubliais le Bolivien Morales.
C'est assez hétéroclite et cela pose un double problème :
1) n'est toujours pas abordée la distinction entre le nationalisme précolonial et le nationalisme à l'intérieur d'un système accompli d'Etat-nation de type moderne;
2) quant à cette liste fort internationale, si ce n'est mondialisée, elle recoupe le problème de la coexistence entre les alternationalistes de chaque nation. Comment en particulier concilier l'ultrareligeiux Ahmadinejjad avec le populiste laïque Chavez (pour s'en tenir à ces noms)?
Je me permets une petite insolence : ces types (au sens balzacien) sont des déséquilibrés notoires qui ne donnent pas forcément envie de verser dans l'alternationalisme... Leur succès politique découle des ravages de la mondialisation, pas d'une réponse appropriée face à un problème. Choisit-on la peste pour fuir le choléra? Le nationalisme contre le libéralisme ultra? Toute proportion gardée, nous sommes comme face à ces dictateurs fascistes élus démocratiquement (ou installés au pouvoir) pour contrer la crise économique de l'entre-deux guerres...
Une question pour finir : quelle différence considérer entre l'internationalisme et l'alternationalisme? L'internationalisme d'obédience progressiste peut découler du marxisme ou du socialisme. Il s'agit d'envisager ces mouvements comme mondialisés - une sorte de communisme mondial. De ce point de vue, le projet alternationaliste propose aussi la mondialisation des nationalismes. Alors que pour le communisme se pose le problème de la possibilité d'un tel projet, pour le nationalisme se pose un problème accru et démultiplié : non seulement le projet semble impossible, mais en plus s'y ajoute la question de la compatibilité -entre les alternationalismes particuliers.
Si le communisme suppose une unicité et une union (illusoire), il semblerait que toute forme de nationalisme implique sa pluralité et l'impossibilité de son union hypothétique. Dans ce cas, la différence entre l'internationalisme et l'alternationalisme tiendrait à l'autoritarisme du projet alternationaliste qui viendrait compenser sa multiplicité initiale (la multiplicité n'étant résolue que par la loi du plus fort). Pour finir, deux remarques frappées du coin du bon sens, quoique un peu sévères :
1) le projet commun et frappant à tous ces mouvements mondialistes est de se conformer à l'horizon du libéralisme qu'ils prétendent combattre. A les lire, rien ne serait plus antagoniste au libéralisme que le nationalisme ou le communisme. Un Soral prétend réunir les deux forces d'opposition au libéralisme dans son nationalisme de gauche. Mais son projet rebelle et subversif se révèle lui aussi mondialiste, comme le grand secret du dessein communiste est de se calquer sur le modèle libéral soi-disant honni. Du coup, ceux qui prétendent s'opposer au mondialisme sont ceux qui reprennent le projet dans ses grandes lignes et ne proposent que quelques changements superficiels en guise d'alternative révolutionnaire. C'est au mieux un choix fort peu plausible.
2) Une fois qu'on s'est avisé du caractère peu cohérent, voire carrément fantaisiste, de l'alternationalisme, reste à remarquer que ces engagements contestataires à valeur romantique, aux fins de réagir (de manière réactionnaire) au désastre indéniable de la mondialisation ultralibérale, ne peuvent pas ne pas évoquer l'enthousiasme débordant de l'adolescence. Une phase de transition dans la croissance qui n'est pas sans comporter son lot d'inconséquence. Nos alternationalistes seraient-ils des adolescents attardés qui rêvent du grand soir et de la révolution de type nationaliste? Dans ce cas, ce sont des enfants qui ont opté pour le mirage de la violence car le synonyme de nationalisme, sous quelque avatar que ce soit, rime avec - destruction.

mercredi 29 septembre 2010

Politique de l'anticomplotisme

Cette propension qu'ont les gens (en général) à ne pas voir les problèmes collectifs et à ne s'intéresser qu'à leurs questions individuelles ne remonte certainement pas à l'horrible attentat du 911. Après tout, quand JFK s'est fait assassiner, c'était en 1963. Qui a bronché véritablement? Mais à ce jeu de la chronologie historique, il serait réducteur de s'arrêter à des dates récentes. Sans doute faudrait-il considérer qu'un (assez long) processus s'est enclenché depuis le cheminement de l'immanentisme originel.
Le théoricien originel de l'ontologie immanentiste, ce Spinoza qui passe pour l'un des inspirateurs de la démocratie libérale, théorise en premier lieu sur la complétude. Non seulement Spinoza prétend avoir trouvé la complétude, ce qui constitue une notable avancée depuis les recherches des nihilistes antiques, mais pour parvenir à son dessein, il localise la complétude dans le désir, soit dans la forme individuelle qui nie le plus le sens du collectif et qui promeut implicitement l'individualisme.
Dans tout processus, il convient de considérer la particularité du changement : la gradation (selon la loi de néguentropie ou anti-entropie qui rappelle que si certaines lois physiques peuvent se prévaloir dans leur finitude de l'entropie, la texture du réel, de manière générale, est anti-entropique). Cette gradation au sein de l'immanentisme, on l'observe avec la dévalorisation très nette des idéaux immanentistes. Au dix-huitième siècle, on parle encore de liberté. Et maintenant?
Si l'idéologie est déjà dévalorisation de l'idée, l'idéologie libérale parle encore de libre-échange. La surenchère se déroule à l'intérieur du libéralisme triomphateur (historique), tant et si bien que l'ultra-libéralisme naît du libéralisme, comme une forme de radicalisation particulièrement agressive. C'est ici que l'on démasque l'imposture de ces manipulateurs (et de leurs suiveurs surtout imbéciles) qui se réclament de la liberté ultra-libérale et qui accusent les critiques d'être contre la liberté (en sus de la variante néoconservatrice à l'encontre de ceux qui seraient contre la démocratie à partir du moment où ils s'opposent à l'impérialisme de facture occidentaliste).
Cette gradation aboutit à l'une des antiennes de la contemporanéité : l'aboutissement du refus du complotisme. On connaît le ton effarouché que prennent conservateurs et progressistes de l'immanentisme terminal au moment où ils entendent la rengaine complotiste selon laquelle des complots existent - et même que des complots au sommet des institutions et des États peuvent advenir. Le pire arrive quand on développe ce premier sacrilège complotiste, en rappelant qu'historiquement plus les époques vivent des situations de crise (soit de perturbations dans le changement), plus les complots institutionnels sont nombreux.
Cette fois, l'interlocuteur anticomplotiste vire au blême et vous déclare sur un ton sentencieux : "Désolé, mais je ne suis pas complotiste" (ou une variante du même tonneau). Ce refus du complotisme est conséquent dans la mentalité d'aujourd'hui en Occident (étant entendu que l'Occident domine et que c'est cette mentalité qui a imprégné l'humanité avec la globalisation des échanges). Cet anticomplotisme primaire (paresseux) découle de la complétude du désir de nature spinoziste.
Elle implique la reconnaissance que le complot ne peut se faire sans l'existence d'un groupe qui nie l'individualisme; et que le complot est extérieur à l'univers du désir individualiste. L'anticomplotisme est un postulat conséquent dans la mentalité de l'immanentisme terminal : pourquoi s'occuper de ce qui ne nous concerne pas et qui ne nous concernant pas n'existe (pratiquement) pas? Après tout la complétude du désir implique que la reconnaissance ne s'attache qu'aux attitudes du désir.
L'idée est que le désir est le fondement du réel et le seul intérêt qui vaille pour l'homme. Dans cette mentalité, dans laquelle on loue comme par hasard des formes de sociétés proches du libéralisme démocratique, la politique connaît une profonde remise en question (une mutation) puisqu'elle devient inutile ou secondaire par rapport au désir. Le désir individualiste ne saurait se sentir concerné par l'objectif politique.
Raison pour laquelle l'immanentisme terminal conçoit d'autant plus d'aversion contre l'idée de complot (la reconnaissance de l'existence des complots) que cette reconnaissance est un aveu. Aveu qu'il se trompe du tout au tout dans sa conception de la politique (et de la dépolitisation). Aveu qu'il n'est pas en mesure d'affronter le réel, singulièrement quand ce réel pose problème des suites de ses erreurs. L'immanentiste terminal n'est pas capable d'affronter la crise systémique dont le problème surajouté consiste à englober l'ensemble du réel selon le désir.
Comment réagir de toute façon à ce qui nous dépasse (face auquel on ne peut rien)? Le déni de l'immanentiste s'explique par son impuissance, comme si la crise confinait au sublime version Lucrèce. On ne peut rien faire = on ne s'y intéresse pas. La plupart croient que si c'est hors de portée, cela n'existe pas (ou si peu). Les plus lucides à l'intérieur de cette mentalité fausse préfèrent ne pas s'intéresser à ce qui existe certes, mais au-delà de leur champ d'action (d'individus désirants et individualistes).
On retrouve cette mentalité explicitée chez le plus emblématique des immanentistes terminaux, le sophiste version contemporaine Clément Rosset. Alors que ses fréquentations littéraires se réclament d'autant plus faussement du nihilisme qu'elles sont de facto pessimistes et narcissiques (version déceptive et prévisible), Rosset est le plus caractéristique des nihilistes actuels au sens où il produit une version radicale du spinozisme tout en se réclamant d'autres fins que le nihilisme (tout authentique nihiliste dénie son nihilisme).
D'ordinaire, dans nos sociétés qui se flattent de progressisme pour se rassurer sur l'état de l'immanentisme (tant qu'il y a du progrès, il y a de l'espoir), on considère que la dépolitisation est l'apanage de certains progressistes radicaux, comme les libertaires ou les gauchistes. Mais c'est bien du côté des conservateurs impénitents comme Rosset (à la suite de ses maîtres Schopenhauer et Nietzsche) que l'on trouve l'option la plus conséquente de la dépolitisation.
Cette hypocrisie est de mauvaise augure : quand les contraires d'un système politique se rejoignent, c'est que ledit système est sur le point d'éclater. Tout aussi bien cette hypocrisie est-elle explicable dès les fondements : car la liberté selon Spinoza équivaut à la loi du plus fort (qu'il rebaptise du doux nom de puissance). Spinoza est un conservateur en puissance, qui n'est progressiste que dans la mesure où l'on considère que l'avancée du libéralisme constitue un progrès. A son époque où le libéralisme monte mais n'est pas au pouvoir, Spinoza est un progressiste; à notre époque où le libéralisme classique mute outrageusement en une forme radicale, l'ultra-libéralisme (ou néolibéralisme), les disciples de Spinoza appartiennent le plus souvent aux formes progressistes d'ultra-libéralisme.
La duperie n'a fait que s'amplifier au fil de la désagrégation de l'immanentisme, mais elle existait dès les limbes de l'immanentisme. Dès Spinoza, on subvertit le progrès pour le conformer au conservatisme, c'est-à-dire qu'on déguise le droit du plus fort sous une parure (très fabienne) de liberté. En termes ontologiques, cette méprise se nomme puissance, soit l'association de la liberté (subvertie) et de la nécessité. Toute philosophie qui penche du côté de la nécessité est nécessairement d'obédience conservatrice, ce qui en dit long sur la duperie des maîtres du postmodernisme, qui de Deleuze à Derrida se réclamèrent d'autant plus de la gauche non marxiste (voyez la subversion à l'œuvre) qu'ils furent les plus fidèles introducteurs du conservatisme qu'ils prétendaient combattre.
Mais ne sont-ce pas les mêmes qui nous firent déjà le coup avec leur Nietzsche de gauche, étant entendu qu'un lecteur un tant soit peu lucide (non assujetti aux canons de l'académisme ambiant) indique que Nietzsche (c'est son droit) est politiquement un conservateur de choc, dans la ligné croissante de son maître Schopenhauer? Toujours est-il qu'une fois cernées les raisons pour lesquelles les conservateurs dans l'immanentisme se présentent de plus en plus comme des progressistes, on comprend pourquoi les plus conséquents apôtres de la dépolitisation se situent chez les conservateurs dépolitisés.
Cette expression est des plus comiques puisqu'elle signale une forme approchante de l'oxymore : comment peut-on être politisé et dépolitisé - en même temps? Peut-être serait-il plus judicieux d'appeler les dépolitisés des dépolitisés secondairement et accidentellement conservateurs, car telle est leur conséquence : d'avoir compris que leur pensée ontologique oscillait vers le conservatisme net tout en ajoutant à cette remarque lucide que de toute manière l'engagement politique est une fumisterie. Qu'en conséquence seule la dépolitisation est conséquente.
Si l'on estime au premier abord que nos dénieurs nihilistes tombent le masque, on se rend vite compte qu'ils ne tombent le masque que dans la mesure où ils gardent le véritable sceau de leur déni flagrant. Car c'est se mouvoir dans le déni que de prôner la dépolitisation pour mieux prêcher le conservatisme politique de nature secondaire. Quant à Rosset, c'est un spinoziste fervent, qui va au bout de la logique de Spinoza : non pas un Spinoza de gauche comme il y aurait un Nietzsche de gauche (pour Schopenhauer, les plus brillants subvertisseurs n'ont même pas essayé), mais un Spinoza qui inspire tout le courant immanentiste (qui en se radicalisant au fil de son processus devient de plus en plus visiblement conservateur dur sur le plan politique).
Il est préférable d'écouter Rosset que les postmodernes de gauche pour comprendre directement le mécanisme de la dépolitisation, même si la dépolitisation concerne plus ceux qui se réclament du progressisme que du conservatisme. Rosset ne parle (quasiment) pas de politique, sous prétexte que l'engagement politique serait une fumisterie. Pour comprendre cette position extrême, et qui va beaucoup plus loin que la propre position de Spinoza très engagé politiquement, il faut comprendre que le processus qui commence avec Spinoza se finit à peu près avec Rosset l'immanentiste terminal.
Un Spinoza promeut l'engagement politique progressiste qui contredit le pouvoir en place. Spinoza est favorable à la démocratie libérale et laïque - contre la monarchie religieuse (catholique en France). Spinoza sait de quoi il retourne en matière de persécutions religieuses : non seulement il vient d'une famille de marranes, mais il a été exclu de sa communauté et il se meut dans un pays qui est ravagé par les conflits religieux et qui ne cesse de promouvoir des hérésies chrétiennes de catégorie protestante (comme les arminiens) particulièrement favorables à l'impérialisme.
Rosset propose une radicalisation du point de vue de Spinoza au sens où l'immanentisme a largement échoué et tente tant bien que mal de justifier sa position. Spinoza intervient alors que l'immanentisme balbutiant possède encore la prétention d'amorcer une évolution ontologique qui débouche sur le versant politique de la révolution. Tandis que Rosset vit à l'époque terminale de l'immanentisme. De ce point de vue, Rosset prône la dépolitisation (l'engagement est une fumisterie) car la mutation politique de l'immanentisme n'a pas fonctionné.
Ne reste plus qu'à se focaliser sur la mutation ontologique (la complétude du désir) à laquelle Rosset attribue grand cas au point de lui avoir consacré un opuscule récent (La Nuit de mai). La réduction initiale opérée par l'immanentisme (le réel = le désir) s'est encore accrue au point cette fois de dissocier le politique de l'ontologique. Dans le schéma classique, l'ontologie englobe le politique. Dans l'immanentisme terminal, le politique n'existe plus car il ne concerne plus le désir. Il ne concernait le désir qu'à époque où l'on croyait encore que le désir complet (révolutionnaire) pouvait changer la politique en règne de la complétude sociale.
Mais l'échec de cette conception ramène le désir à la question exclusive et fondamentale de l'ontologie. Ontologie qui est à entendre comme la réduction de la question (ouverte) du réel à ce qui relève seulement du désir - le réel se réduisant au désir et le restant étant peu ou prou inopérant, indéchiffrable, de l'ordre du néant. Le complotiste est celui qui fait encore dans la politique, a fortiori avec la détestable manie de verser dans la contestation - stérile et superfétatoire.
En bref, le complotiste est celui qui donne de l'immanentisme une image négative et péjorative - une sorte d'immanentisme pessimiste se voulant réaliste. Le complotiste rappelle certes que les complots existent, quitte à en faire l'explication fondamentale du réel (en tout cas de la marche humaine), mais cette apparence lucide cache qu'il adhère à l'immanentisme, en précisant que cet immanentisme fonctionne mal. Soit il considère que ce fonctionnement peut être amélioré, ce qui en fait un utopiste; soit il tient que les choses iront de pire en pire, ce qui en fait un pessimiste.
Le complotiste constitue la pire menace pour le tenant du désir et de l'individualisme car il lui signale immanquablement que l'immanentisme repose sur l'erreur : que les choses peuvent aller de mal en pis. Et, plus terrible encore : que les choses sont certaines d'aller de mal en pire, du moment qu'on y souscrit avec une approche immanentiste, soit en les tenant pour complètes. L'anticomplotiste est un immannetiste qui a réussi, soit un tenant du conservatisme social, qui le plus souvent se considère comme progressiste (au sens où l'immanentiste pourrait encore progresser de l'intérieur).
On prétend qu'on déteste avec acharnement son proche. Les plus tenaces et farouches haines découlent de la projection et de la parenté (ce qu'on retrouve avec les querelles de famille). L'anticomplotiste et le complotiste sont proches en ceci qu'ils relèvent tous deux du processus de l'immanentisme et qu'ils interviennent en fin de course, lors de l'immanentisme terminal. Sans doute l'immannetiste complotiste est-il plus lucide que l'immanentiste anticomplotiste, qui ne voit même pas l'énorme problème qui se prépare - comme un inconscient qui ne serait pas capable de se rendre compte qu'un orage menace malgré la noirceur des nuages qui s'amoncèlent.
Le succès du complotisme s'explique parce qu'on vit une période de crise dans laquelle les complots sont de plus en plus nombreux, à des niveaux de plus en plus élevés (exemple emblématique du 911); pas seulement : le succès du complotisme vient du fait que l'on vit dans une période de crise profonde de l'immanentisme (crise religieuse donc, au sens où le nihilisme est la religion du déni du religieux). Tandis que la plupart font preuve de déni avec leur anticomplotisme, les complotistes sont ces minoritaires qui se vivent comme des rebelles alors qu'ils souscrivent en tous points au dogme immanentiste majoritaire et dominant.
Ils sont la chapelle la plus avancée à l'intérieur de l'immanentisme à se rendre compte que l'immanentisme est en phase terminale. Derrière eux, on trouve les pessimistes, les indifférents, et encore après la clique des cyniques, des je-m'en-foutistes. Triste privilège, donc. Quant à la haine des anticomplotistes, si elles s'apparentent au déni, ce déni est bien plus profond qu'un déni contre un frère, fût-il lucide. C'est un déni qui affecte l'ensemble du courant auquel on appartient et qui est une menace incommensurable.
De ce point de vue, les anticomplotistes ont raison d'en vouloir tant aux complotistes : non seulement ils représentent une grande menace par les thèses qu'ils défendent, mais en plus ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Au sein de l'immanentisme terminal, les anticomplotistes sont des suicidaires quand les complotistes sont des sinistres. Aucun ne se rend compte qu'il véhicule la pensée dominante qui est aussi la pôle position - en fin de course.

samedi 25 septembre 2010

La contraction de la contradiction

Abolir la contradiction : fin triomphaliste de l'immanentisme. Preuve que l'immanentisme aurait réussi à produire une ontologie cohérente et supérieure. Mais ce refus de la contradiction, le fait de considérer qu'un système unique a surmonté les contradictions du réel, que la contradiction signe l'erreur, donne plus de signe sur la conception de l'immanentisme que sur le caractère de la contradiction. Qu'est-ce que la contradiction? L'idée qu'il existe plusieurs possibilités de chemins dans le réel. Plusieurs possibilités de sens. La contradiction n'existe que de manière plurielle, quand la grande affaire de l'immanentisme (à la suite du nihilisme) est de chercher l'unicité - qui soit conciliable avec la nécessité.
Un Aristote promeut la méthode logique qui lui permettra de parvenir à l'unicité - sans se prévaloir de la sophistique enterrée. Mais Aristote est un savant qui pense que la logique seule permet d'aboutir au résultat qu'il cherche : la nécessité. Son principe de non contradiction est à entendre, non comme l'apologie de la rationalité logique, mais comme l'usage de la logique au service de l'unicité du réel. Cette conception du réel présente l'avantage de privilégier le système en place et d'expliquer que l'ordre des choses est immuable - qu'il est bien comme il est.
Au contraire, la conception qui substitue à la nécessité unique la liberté indique que les choses ne sont jamais écrites à l'avance et que ce qui est peut changer du tout au tout. Du coup, l'unicité du réel vole en éclats - à la place, on trouve une pluralité qui est compatible avec la contradiction. La contradiction signifie que plusieurs discours contraires existent en même temps. L'idée selon laquelle le réel est un provient peut-être de l'expérience postérieure qui constate qu'il n'est qu'un réel de type sensible. Pour autant, rien n'indique que le sensible soit le seul réel et que le réel se limite à ce que nous voyons - il existe peut-être d'autres formes de réel qui subsistent à l'unicité de ce qui est passé dans le sensible.
Le réel deviendrait unique a posteriori seulement suite à l'élimination de possibles dont la caractéristique ontologique est de dépasser de loin la seule forme sensible. Du coup, l'élimination de la pluralité des possibles par un seul réel factuel passé indique que l'opération du temps consiste à éliminer les possibles pour choisir le possible qui permet au mieux de pérenniser le réel. Le temps ordonne le fini en ce qu'il trie entre les possibles. Le temps est le trieur par excellence. Il convient de distinguer entre la contradiction multiple (les possibles) et la contradiction unique qui découle du chaos.
La contradiction entendue de manière unique découle du schéma nihiliste selon lequel de manière antagoniste et irréconciliable, le réel fini (correspondance du sensible) s'oppose à l'infini chaotique. L'unicité du réel n'est en fait qu'une réduction duelle et inconciliable dans laquelle le réel se réduit à ce qui est fini et stable. Cette soif de stabilité, si elle correspond bien aux attentes et aux désirs de l'individu, est une réduction du réel. Ce n'est que dans cette conception réductrice que l'on peut considérer que le réel est unique.
C'est ainsi que la contradiction est perçue comme l'erreur résultant du conflit entre ce qui est et ce qui n'est pas. Mais cette conception pseudo logique, défendue par Aristote dans l'Antiquité, singulièrement par Hegel dans la modernité, tente d'étouffer ce que la contradiction rappelle : la pluralité des possibles qui accouchent du réel. Soit : l'existence de la liberté - qui nie l'unicité de la nécessité. Dans un réel qui reconnaît la multiplicité et la liberté, la contradiction est signe que l'on se meut dans le réel; alors que le refus de la contradiction implique son corolaire complémentaire : l'unicité de la nécessité.
Que l'immanentisme propage la rumeur selon laquelle la contradiction a été surmontée par son système total est de bonne guerre : il lui importe de montrer qu'il a surmonté à la fois les erreurs (contradictions) du transcendantalisme et celles du nihilisme de facture antique (d'où sa modernisation). De même que la compréhension du réel par tout nihilisme est fausse de part en part; de même la compréhension de la contradiction est faussée par le fondement biaisé de l'ontologie nihiliste.
Loin de signifier que le raisonnement est faux ou que le système est erroné, la contradiction indique au contraire que l'on se meut dans la multiplicité. Qu'au sein de cette multiplicité ensuite on ordonne un choix et qu'une réalisation sensible s'effectue, voilà le genre de constatation a posteriori à partir de laquelle s'opère le jugement nihiliste : s'il n'est qu'un réel constatable dans l'expérience (sensible), c'est la preuve qu'il n'est qu'un réel.
Raisonnement pour le moins à courte-vue. Mais à partir de cette conception du réel (de type moniste), on congédie ensuite la contradiction - ou on définit la contradiction comme le signe de l'erreur. Toute contradiction signe le double. Tout double n'existe pas. La grande question tient au statut de l'existence ou plus précisément de ce qui n'existe pas : aux yeux du nihiliste, ce qui n'existe pas n'existe vraiment pas, alors que pour l'esprit religieux de type classique, ce qui n'existe pas existe sous une autre forme. Pour le répéter après Leibniz, seul ce qui est quelque chose est. Ce qui n'existe pas existe sous une autre forme.
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Si rien n'existe pas, ce qui n'existe pas existe. Platon dirait : sous quelque autre forme. Nous ajouterons plus précisément : sous une forme différente. Car il n'est plus l'heure comme à l'époque de Platon d'estimer que l'on peut cacher l'existence du nihilisme, l'enterrer sous la doctrine transcendantaliste monothéiste comme l'on a enterré Démocrite ou les sophistes. Désormais l'on sait qu'à chaque temps de crise, le nihilisme ressortira. Et qu'au lieu de bénir la contradiction, il la maudira comme une vulgaire contraction.

Post 911

Lisant les récents revirements d'analyse stratégique concernant le 911 en Occident même (dans le restant du monde, cela fait longtemps que des doutes plus ou moins étayés sont exprimés),
http://www.ericmargolis.com/political_commentaries/--the-mother-of-all-coincidences.aspx
je me pose une question : et si après avoir défendu unilatéralement et outrageusement une version délirante (une véritable théorie du complot dénonçant les théories contestataires comme complotistes), les médias occidentaux, sentant le vent de la crise systémique tourner, ne changeaient-ils pas leur fusil d'épaule et n'incriminaient-ils pas de nouveaux responsables, déplaçant ainsi le problème de manière à le rendre plus crédible? Et si une nouvelle version officielle voyait le jour sous couvert d'une opposition bipolaire de nature fixe et immobiliste entre la version officielle et la version contestataire?
Les boucs émissaires fantoches de l'organisation al Quaeda étant désormais seulement crédibles dans une conception étriquée et occidentaliste du monde (ce qui en dit long sur la mentalité de ceux qui adhèrent encore à cette version saugrenue), il reste à se demander si l'on va vraiment vers le dévoilement de la véritable histoire du 911, renversant la version officielle actuelle, largement reconnue comme loufoque. Si l'on en croit le combat politique que mènent les associations de contestation de cette version officielle fantaisiste et irrationnelle, nous serions face à un antagonisme binaire entre ceux qui propagent la version officielle, via notamment les médias officiels; et ceux qui contestent cette version officielle et incriminent en tant que commanditaires une organisation assez mystérieuse et mouvante qui tournerait autour de certains pouvoirs importants aux États-Unis.
Certains comme Meyssan incriminent le lobby militaro-industriel américain avec l'appui des lobbys sionistes internationaux (pas seulement circonscrits à Israël); d'autres attaquent plus directement et explicitement Israël et le sionisme. Quoi qu'il en soit, le fait que la version officielle commence à être remise en question est un signe fort de l'état géopolitique du monde, en particulier du changement dans les complexes équilibres stratégiques dans le monde.
On sait que depuis au moins la Seconde guerre mondiale, l'équilibre repose sur la domination des États d'Occident qui furent opposés aux communistes. Officiellement, le bloc libéral (nommé capitaliste par les communistes) est dominé par les États-Unis quand le bloc communiste était dominé par l'URSS. Cette bipolarité qui durant plusieurs décennies sembla immuable aux yeux de certains esprits mus par la fixité des choses s'est commuée depuis l'effondrement du communisme vers la symbolique 1989 en une uni-polarité où les pays capitalistes et libéraux d'Occident dominent les autres pays du monde, surtout d'un point de vue économique.
Dans cette situation qui n'a rien de fixe, l'équilibre repose sur un rapport de force de type impérialiste et néo-colonialiste. Tant que l'Occident a les moyens de dominer économiquement, il est le maître des débats. A partir du milieu des années 90, et alors que certains de ses stratèges claironnent outrageusement et impudemment que la domination libérale menée par l'Occident a versé dans l'éternité, l'économie mondialisée sous une mouture ultra-libérale commence à amorcer des signes irrémédiables d'effondrement.
Les financiers qui dirigent l'impérialisme occidental, en particulier depuis la City de Londres (et se ramifications), ont été contraints de trouver une parade à cet effondrement. Cette stratégie, c'est la guerre contre le terrorisme, qui consiste à inventer un ennemi imaginaire pour légitimer la guerre impérialiste finale que les Occidentaux mènent pour contrer l'émergence d'autres puissances au niveau mondial (comme la Chine ou l'Inde). Dans cette stratégie, l'événement terroriste mondialement médiatisé du 911 (une première) fournit une justification à une politique d'ensemble qui aurait été inacceptable, en premier lieu pour les peuples d'Occident qui vivent sous des régimes démocratiques et libéraux.
Les stratèges qui ont concocté cette histoire plus mensongère encore que mythique dans des cabinets d'avocats ou des arrières-salles de grandes banques ont surestimé la faculté des impérialistes occidentaux (regroupés de manière croissante en factions oligarchiques outrageusement dominatrices) à imposer leur politique de guerre contre le terrorisme au restant du monde. Comme ils sont en faillite, ils peinent d'autant plus à imposer une version mensongère.
Voyant que leur mensonge est d'autant plus démasqué à mesure que le système économique d'obédience libérale s'effondre, nos stratèges concoctent un revirement de position officielle en cours de partie. La priorité est de réussir à imposer leur modèle ultra-libérale pour remédier (de manière mensongère) à la crise. Du coup, les stratèges au service des milieux financiers dominants sont prêts à n'importe quel compromis pour parvenir à leur fin.
En termes d'échec, on appelle cette stratégie sacrifier son fou - pour sauver le roi (ou la dame). Du coup, il s'agit de tenter un coup pour sauver les meubles. Les stratèges qui avaient composé la fable de la version officielle du 911 se rendent compte qu'ils ne pourront s'en sortir que par une aimable nulle : trouver coûte que coûte, vaille que vaille, un compromis entre leur version officielle désormais intenable et la contestation de plus en plus majoritaire - c'est fâcheux. La démarche est d'esprit utilitariste : couper l'herbe sous le pied des contestataires, c'est surtout justifier les politiques oligarchiques qui sont proposées en guise de remède à la crise mondialisée - c'est-à-dire imposer des modèles de société inégalitaristes et oligarchiques à l'intérieur d'un processus d'effondrement systémique qui ne peut plus contenir des biens matériels pour tous.
Dans le cadre métonymique du 911, où le 911 est le scandale médiatique qui cache la crise systémique, alors que les contestataires de la version officielle se félicitent de la prise en compte médiatique (quoique faible et pour le moins tardive) de leurs objections étayées et souvent irréfutables, une évidence est en train de se dessiner, une sorte de compromis en forme de demi vérité et de mensonge et demi : au lieu de s'en tenir à la version officielle démystifiée de parts en parts, on intègre la partie la plus visible des contestations à la version officielle et on produit une nouvelle version officielle qui rend coupable non plus des marginaux du système, mais des parties minoritaires plus crédibles.
Cette stratégie consent à reconnaître que l'ennemi terroriste n'est pas à l'extérieur du système, ou aux portes du système, mais - à l'intérieur dudit système. C'est la fable du cheval de Troie. A un moment, suite aux enquêtes de patriotes américains menées dans des institutions de contre-espionnage comme le FBI, on a tenté d'incriminer l'allié saoudien. Les financiers apatrides qui décident in fine des stratégies mondialistes ont préféré enterrer cette piste car elle menait trop dangereusement vers leurs propres repaires de pirates et de prédateurs regroupés autour de la City de Londres et de l'Empire britannique (aux États-Unis, les prolongements et succursales de ces métastases financières sont tapies à Wall Street ou à Chicago - entre autres).
Du coup, c'est l'une des satrapies de cet impérialisme financier qui est de plus en plus incriminée : Israël. Ou plus précisément : Israël en tant qu'émanation politique du projet sioniste et des influences sionistes présentes partout dans le monde, notamment en Occident, de manière très hégémonique aux États-Unis. Meyssan a ainsi expliqué récemment sur un média iranien (je crois) que les attentats du 911 avaient été réalisés par des milieux militaires américains et le lobby militaro-industriel américain, avec pour appui les milieux sionistes et certains services israéliens, en particulier pour la propagande médiatique. Le président iranien en plein contexte de possible guerre occidentale contre son pays reprend ces thèses de manière publique.
Bien que les milieux diplomatiques occidentaux fassent mine de s'indigner de positions qu'ils auraient aimé assimiler à du négationnisme, ils savent que le temps est compté et qu'un compromis s'impose : plus de guerre contre le terrorisme islamiste cette fois, mais la reconnaissance que ce sont des alliés des impérialistes occidentaux de nature financière qui ont fait le coup.
Les sionistes font un bouc émissaire tout désigné, non qu'ils soient blancs comme neige, mais qu'ils ne seront jamais que partiellement coupables. Cette reconnaissance tardive et parcellairte présente un double mérite : elle coupe l'herbe sous le pied de la contestation grandissante en reconnaissant certaines des positions contestataires; elle empêche de remonter à la source des commanditaires, qui ne sont ni les sionistes ni les Saoudiens, ni même le quarteron de militaires d'extrême-droite couplé au mystérieux et anonyme lobby militaro-industriel.
Ceux qui ont commandité les attentats du 911 sont des financiers et des oligarques centrés autour de la City de Londres. Quand un bâtiment mesure quarante étages, c'est un grossier mensonge que d'avancer qu'il n'en comporte que cinq. Mais c'est un mensonge encore plus important que de concéder, sur le mode de la contrition, qu'il en fait finalement dix de plus. Du coup, on semble avancer enfin la vérité alors qu'on la plus efficacement encore cachée. Ce qu'on cherche à occulter par-dessus tout, c'est l'existence de l'Empire britannique et la raison pour laquelle ces financiers ont monté le coup sur le sol américain : parce qu'ils détestent la Constitution américaine héritée de l'esprit de Solon et parce que le plus sûr moyen d'imposer leur ordre oligarchique dans la crise est de détruire le rempart d'État-nation que constitue les États-Unis depuis qu'ils ont gagné la guerre de Sécession.
Comprenez-vous pourquoi il est amalgamant de se lancer dans des discours antiaméricains? Les États-Unis ne sont pas seulement le pays plus puissant du monde à l'heure actuelle; ils sont aussi le seul rempart contre l'oligarchie financière et européenne qui était centrée autour des Habsbourg et qui a pris la forme de l'Empire financier d'héritage britannique. Quand on a cerné le mobile de l'attentat, on comprend que l'implication des sionistes, des Israéliens ou de cercles militaires américains, pour effective qu'elle soit, ne peut être que secondaire et accidentelle.
Le 911 est l'événement central du nouveau millénaire chrétien (et le signe d'un profond changement de mentalité) car il incarne le conflit irréconciliable entre l'esprit d'oligarchie et l'esprit de république. Mais si l'on identifie mal cette opposition qui explique le 911, on sombre dans l'un des travers symptomatiques du complotisme contestataire : dénoncer d'autant plus justement les mensonges officiels que l'on se garde bien de les remplacer par une identification précise et aisée.
L'anonymat jour un bien mauvais service à la cause de la contestation et donne du crédit à l'argument paresseux du complotisme (déployé par ceux qui adoubent les pouvoirs officiels et dénient l'existence des complots). Le revirement dans la version officielle du 911, en prenant en compte les contestations, ne se décide pas du tout à suivre la vérité après avoir suivi son intérêt (mal compris). Il décide de désigner un nouveau faux coupable - seulement plus coupable et moins parcellaire. Après la bulle vide d'al Quaeda, qui accueillait plus de services secrets que de réels fanatiques islamistes, pourquoi pas un compromis entre un conglomérat de sionistes israéliens et de militaires américains extrémistes et désaxés?
Les contestataires y trouveraient leur compte; l'incendie serait jugulé. S'il est compréhensible que les stratèges travaillant pour le compte des financiers mondialisés défendent leurs intérêts, il est capital de comprendre que cette stratégie est mauvaise - surtout par temps de crise. On gagne du temps et on perd sur le terme. On ne sauve pas les pyromanes en voulant éteindre le contre-feu qu'ils ont lancé comme prétexte et mobile. Les causes d'un événement ne changent pas. C'est seulement en identifiant ces causes réelles que l'on pourra créer un nouvel équilibre mondial. Le fond du problème : c'est seulement en détruisant le libéralisme et en le remplaçant par un nouvel ordre culturel que l'on pourra sortir l'homme de la crise terrible qu'il subit.
Dans ce grand jeu de dupes, les contestataires de la version officielle croient faire avancer la vérité en s'opposant aux mensonges (énormes) de la fameuse et fumeuse VO. En réalité, ils sont en train de faire l'objet d'une récupération qu'ils n'ont pas prévue. Alors que de nombreux articles sortent à propos des odieuses récupérations de ces mouvements de contestation par des officines au service de la version officielle, la véritable récupération porte davantage sur les deux points faibles de la contestation :
1) accréditer l'idée d'une fixité de la contestation par rapport à la version officielle tout aussi immobile;
2) se contenter de révoquer négativement la VO tout en se gardant bien de lui substituer des coupables identifiés.
Résultat des courses : les stratèges au service des financiers, qui sont tout sauf des imbéciles novices dans les techniques de manipulation des masses, se servent de ceux qui se croient leurs plus acharnés ennemis alors qu'il sont leurs plus utiles alliés. Rien de tel en effet qu'un ennemi ami. Rien de telle qu'une VO qui intègre la contestation. Rien de tel qu'un mensonge qui se pare des atours de la vérité.

jeudi 23 septembre 2010

La paix des méninges

La réconciliation des contraires signe la réussite d'un système. Tant qu'il reste de la contradiction, c'est le signe que le système de pensée achoppe ou défaille. Quand tout fonctionne, c'est la preuve : la représentation est enfin correcte. Comme nous avons toujours subi au fil des temps des systèmes de pensée déficients, certains observateurs ont émis l'hypothèse que le progrès n'existait pas en pensée. Et puis, l'immanentisme est arrivé.
Soudain, on a osé parler d'une révolution dans la pensée. Dès Spinoza, on prétend achever les problèmes ontologiques au sein de l'Ethique. Bien que la persistance des philosophes immanentistes, de plus en plus radicaux et sombres, comme un Schopenhauer, le maître de l'absurde, indique que Spinoza n'a certainement pas réussi à résoudre les problèmes de la pensée, c'st ce même Spinoza qui dès les limbes ne craint pas de proposer une définition de la substance : l'incréation.
D'où le miracle : l'immanentisme est parvenu à la réconciliation. A l'heure actuelle où l'immanentisme s'effondre, on se réclame d'autant plus de Spinoza que l'on cherche un certain sens dans un monde qui est censé l'avoir perdu - de manière différante. Il est vrai aussi qu'il est plus facile de répéter en se donnant l'illusion que l'on répète un maître qui a trouvé la voie pour parodier un expression asiatique - dans la mesure aussi où ledit maître en question prône l'incréation à la place de la création. Ce refus de la création au profit de l'incréation recoupe une profonde divergence de conception du réel sur laquelle je reviendrai.
Cette prétention à la réconciliation est-elle à l'examen une réussite ou cache-t-elle au contraire le pire des antagonismes? Avant de répondre à cette question, il faudrait peut-être songer à rapprocher l'immanentisme du taoïsme chinois. Non que je sois spécialiste de pensée chinoise, tant s'en faut, mais que je sois frappé par une analogie : l'immanentisme trouve sa complétude (sa réalisation) dans le désir. Le taoïsme explique que la connaissance est incertaine et inutile au-delà du désir.
Si le spinozisme (en tant qu'ontologie fondatrice et inspiratrice de l'immanentisme) assigne une place cardinale à la connaissance, cette connaissance valorisée se trouve dans le même temps réduite aux bornes et aux normes du désir soi-disant complet. Cette idée d'hyperréduction de nature ontologique n'indique pas seulement le dévoiement (pervers) de la connaissance. La réconciliation suit de même car l'immanentisme ne parvient à définir le réel qu'en le réduisant au désir.
C'est-à-dire que la providentielle réconciliation de type immanentiste n'advient qu'au prix de la pire des contorsions - je veux dire : de la pire des réductions. Car l'immanentisme ne parvient à définir le réel (et ce faisant à réconcilier les contraires) qu'au prix de la réduction du réel au sensible. C'est dire que non seulement l'immanentisme n'a pas résolu le problème initial (définir le réel au-delà du sensible), mais l'a aggravé irrémédiablement. Car en déniant le réel non sensible, l'immanentisme crée une définition du réel pour le moins simpliste (stéréotypée et figée) dont le moindre des inconvénients n'est pas de créer insidieusement, sans jamais l'admettre, l'existence d'un néant dénié et virulent.
En guise de quoi cette réconciliation a l'arrière-goût rance et empoisonné de la guerre. Un peu comme on décrète que la paix est revenue alors que la guerre bat son plein, cette manière de pensée de manière contradictoire et impossible se fonde sur le schéma typique de l'ontologie nihiliste : l'opposition entre le néant et le réel. Mais cette opposition se fonde sur le déni qui engendre la folie : ainsi du fait d'avancer que quelque chose existe qui n'existe pas - ou que ce qui n'existe pas existe inversement. Pour le dire abruptement : la paix des méninges cache la guerre du réel.

lundi 20 septembre 2010

La culture de la contre-culture

A quelles conditions la contre-culture peut-elle produire de la culture? Car l'on part d'une alternative : soit la contre-culture est en mesure de s'imposer durablement contre la culture; soit la culture est supérieure à l'entreprise de contre-culture (au sens générique) - on devrait toujours ajouter un pluriel à contre-cultureS, car le principe de la contre-culture implique l'éclatement et la multiplicité antagoniste (raison pour laquelle dans une société de contre-culture dominante, tout le monde se croit contre la majorité, rebelle appartenant à une minorité agissante au sens où elle serait douée de pertinence exclusive). Cette remarque recoupe l'interrogation plus générale portant sur la question de l'Être dans l'ontologie hellène telle qu'elle est formulée par Platon et telle qu'elle émane de l'héritage égyptien (non amalgamé et corrompu à la tradition perse).
Si l'on interroge la réalité, il n'est de réel que du quelque chose, ce que Leibniz notait en réponse (entre autres) à son contemporain Spinoza, dont le système immanentiste fondateur (lui-même répondant à l'avatar aristotélicien moderne d'un Descartes) lance l'ontologie nihiliste moderne en tant que gradation de la solution nihiliste antique. Cette idée qui fonde le transcendantalisme dans son élan religieux est le centre de l'ontologie : le néant en tant que tel n'existe pas. Ou, pour répondre à Rosset, le néant ne peut exister, même en tant que ce qui n'existe pas.
Cette idée est d'importance cardinale car elle implique ni plus ni moins que la conséquence selon laquelle, quoi qu'il arrive, les formes afférentes au nihilisme (en tant que forme religieuse supérieure) sont condamnées à perdre contre la forme du transcendantalisme. Avec un paradoxe : la victoire transcendantaliste se manifeste par une supériorité qualitative dont l'incarnation historique n'est pas quantitativement majoritaire, mais se produit par des discontinuités impromptues et inattendues.
D'un point de vue politique, la forme afférente au nihilisme est l'impérialisme (avec son corolaire l'oligarchie). A la lecture de l'histoire depuis trois millénaires dans le bassin méditerranéen, on pourrait estimer que le principe impérialiste est majoritaire, avec notamment les épisodes des Empires mésopotamiens, puis de l'Empire romain, enfin des Empires modernes sous influence des Habsbourg. Mais si l'on se souvient que l'accroissement et l'amélioration de type qualitatif se produisent de manière discontinue et disproportionnel, la supériorité du modèle qualitatif sur le quantitatif n'a pas d'équivalent.
La supériorité quantitative ne veut pas dire grand chose sur le terme puisqu'aussi bien c'est l'empreinte qualitative qui prédomine. C'est dire que d'un point de vue politique la supériorité du modèle républicain sur le modèle impérialiste ne laisse pas place à la contestation. Ceux qui professent (plus ou moins explicitement) que la loi du plus fort est le principe qui régit les comportements humains ne sont pas seulement des adorateurs du fascisme dans la contemporainéité; ce sont aussi des esprits égarés par l'erreur, qui ont raison à court terme dans leur petit univers étriqué - tout à fait tort quant aux raisons qui meuvent le réel.
C'est à l'intérieur d'un certain ordre que la supériorité quantitative se traduit par la domination effective (sans doute cette erreur d'optique explique-t-elle l'erreur de perspective de la loi du plus fort). Mais la supériorité qualitative annihile l'existence de cet ordre alors qu'il était tenu pour tout-puissant par ses membres (surtout les plus serviles). D'où vient cette supériorité qualitative? De la notion d'infini. L'homme est la seule espèce animale à posséder cette notion, ce qui l'oblige à constamment croître (tant pis pour les tenants et partisans de la décroissance malthusienne!); mais qui lui confère une supériorité justement qualitative sur les autres espèces de son environnement connu.
La discontinuité de la manifestation de croissance qualitative indique que l'apport d'absolu au sein de l'ordre fini ne se fait pas de manière harmonieuse et régulière, mais résulte de la forme de l'absolu : la transformation de l'infini en fini, sa désacralisation en termes religieux, se produit avec l'idée que l'ordre est constitué d'une certaine forme, quand l'infini est dépouillé de cette forme. Il intervient d'un coup, au moment où l'ordre se déforme (perd sa forme). L'infini ne peut survenir que quand le fini perd sa forme (sa complétude provisoire).
Ce qui intéresse la compréhension de tout phénomène lié au nihilisme, c'est que c'est à l'intérieur du nihilisme que survient la réaction antinihiliste, soit historiquement le transcendantalisme. C'est la réponse religieuse au sens où le religieux est ce qui permet de suivre et de poursuivre le chemin de l'homme (le sens). Dans la tradition monothéiste, le diable s'effondre non pas du fait d'accidents extérieurs, mais du fait de sa propre action. Le nihilisme en tant que radicalisation du fini estime que seul ce qui est fini existe. L'appel à l'infini se produit à l'intérieur même du fini, suivant la négation du concept d'immanentisme selon lequel le fini se suffit à lui-même (par un décret digne de la méthode Coué, soit par auto-décision personnelle).
Si la production de culture se fait suite au culte, soit suite au religieux, alors les phénomènes multiples de contre-culture sont voués de la même manière que le nihilisme à se soumettre à la culture. D'où le paradoxe - qui est des plus intéressants : les phénomènes de contre-cultures sont nés dans une mentalité nihiliste, aux fins de saper les effets du processus culturel. Mais alors que les modes contre-culturelles innombrables semblent toutes au faîte de leur succès et de leur popularité, il advient que c'est leur propre succès intérieur qui engendre leur disparition en tant que forme singulière et démultipliée.
Ce qui va provoquer le succès et la chute de la contre-culture, c'est son entêtement dans une certaine forme absolument finie ajouté à son refus obstiné et définitif de l'infini. Cette forme est de mieux en mieux ciselée, mais plus elle s'affine et se forme, plus elle se coupe de l'infini qui la vivifie et la transforme - et plus elle s'étiole, se désagrège et s'anéantit. Au lieu de trop s'inquiéter des formes innombrables et des succès que remporte la contre-culture, il convient de comprendre que :
1) les formes de contre-culture connaissent d'autant plus de succès qu'elles annoncent leur disparition soudaine - au zénith de leur gloire;
2) plus le succès des formes de contre-culture est grand, plus la transformation qualitative discontinue approche;
3) des formes de contre-culture démultipliées, éclatées et nulles, il arrive parfois (rarement) que sortent des productions culturelles, soit que la contre-culture engendre de manière inattendue et scandaleuse (stupéfiante) - de la culture, signe que la culture finit par triompher de l'intérieur, comme le religieux classique du nihilisme.

vendredi 17 septembre 2010

L'hôte tonne



"Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie

Ce calice mêlé de nectar et de fiel !

Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?"

Alphonse de Lamartine, L'automne.

Un peu de sérieux dans ce monde loufoque signifie un peu d'humour dans ce monde pesant. L'esprit de plomb s'attache aux semelles (détrempées) de ceux qui professent avec le plus de rejet toute notion de morale - par-delà bien et mal selon la formule du prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré Nietzsche. J'en veux pour preuve cette intervention du sophiste Schiffter, qui se proclame d'autant plus (et avec emphase) essayiste le moins lu de France qu'il jouit d'une exposition des plus conséquentes (du moins dans les rédactions des médias).
http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/09/avoir-un-bon-copain.html
Schiffter croit avoir de l'esprit en citant le joyeux Chamfort, qui déclare : "La plus perdue des journées est celle où l'on n'a pas ri." Alors Schiffter rit, mais sa joie est une joie toute finie, qui lui fait perdre de vue que la joie véritable tend vers l'infini. Schiffter serait au fond pesant derrière son vernis d'humour désespéré? J'en veux pour preuve cette note qu'il croit témoigner avec humour concernant la collaboration littéraire entre Houellebecq et BHL. Schiffter professe de critiquer BHL et d'admirer Houellebecq, qui se présente comme un schopenhauerien inconditionnel.
Mais observons le sophisme que produit Schiffter - et la raison pour laquelle dans le système culturel si vicié que nous endurons un Schiffter peut être aussi apprécié malgré ses rodomontades : on pourrait estimer que Schifffter va casser BHL dont il est certain qu'il est un propagandiste se servant de la littérature comme d'une devanture. Mais Schiffter qui commence de la sorte préfère nous pondre un effet de surprise inattendu en citant Tocqueville cassant Lamartine. Houellebecq est comparé à Tocqueville, alors que BHL imiterait Lamartine.
Ce faisant, le sophiste pessimiste Schiffter entend nous convaincre que les choses ne changent fondamentalement pas. Cette croyance va de pair avec l'autre grande idée de tout immanentiste, en particulier s'il est radicalement pessimiste : que les choses coexistent avec le néant. Du coup si les choses ne changent pas et que le néant existe en tant que néant (ce qui n'existe pas), alors tout ce qui existe a le mérite insigne d'exister. Pour le dire d'un mot, Schiffter appartient à cette cohorte d'immanentistes terminaux qui accordent de l'importance qu'à l'apparence.
Du coup, la réconciliation de type immanentiste n'est pas loin car si des existants ne sont pas d'accord, il n'empêche qu'ils présentent comme principal mérite (ontologique) d'exister. Les sophistes de l'immanentisme terminal détestent le romantisme à qui ils reprochent son idéal impossible résumé par la formule de Baudelaire (souvent citée par Rosset) : anywhere out of the world. Donnez-moi un autre monde - ou je succombe. Au contraire les immanentistes tiennent que le seul monde qui existe se situe ici et maintenant - et qu'il se suffit à lui-même.
Dans cette analogie, où l'on voit vraiment que comparaison n'est pas raison, Lamartine se trouve rapproché de manière scandaleuse de BHL, quand le romancier Houellebecq est comparé au sociologue Tocqueville. Cherchez l'intrus. N'en déplaise à Rosset (et à son disciple Schiffter), Lamartine reste un grand poète du dix-neuvième siècle, ô combien plus important qu'un BHL, qui, outre qu'il n'est pas du tout poète, subvertit médiocrement la littérature pour des besoins de pure propagande. Ce n'est quand même pas parce que BHL est normalien de la rue d'Ulm et agrégé de philosophie qu'on le pare de mérites qu'à l'évidence il ne possède pas.
C'est le principal reproche qu'on adressera à Schiffter : réhabiliter sournoisement BHL en faisant mine de le descendre - et c'est sans doute pour cette raison que Schiffter bénéficie d'un tel éclairage médiatique en faisant mine de sabrer les célébrités intellectuelles et en se présentant toute impudence bue comme l'essayiste le moins lu de France. Schiffter réhabilite ceux qu'il entend descendre par le seul fait que leur exposition les rend apparents et visibles. D'où la fausseté du raisonnement de Schiffter et le fait que son humour contient les ferments les plus marqués de l'esprit de plomb.
L'erreur ontologique principale de Schiffter tient à la réconciliation des contraires et au fait que quel que soit l'avis (tranché) qu'il observe, il se trompe : non, le plus immédiat n'est pas le seul existant; non BHL n'est pas un Lamartine bis; non surtout le néant n'existe pas. C'est à ces conditions que l'on comprend que la vérité dont se targue Schiffter (la désillusion pessimiste étant sa méthode) est portée par l'erreur la plus importante et que l'avis de Schiffter à propos de BHL est faux de part en part : BHL est un écrivain français qui est très important selon les critères de l'immédiat et de l'apparence, mais qui est appelé sans l'ombre d'un doute à disparaître totalement dès qu'il aura fini d'intervenir médiatiquement et surtout dès qu'il sera mort.
A l'opposé, Lamartine est un poète français sans doute narcissique et trop facile, mais dont l'importance historique est incontestable. Peut-être est-il un mineur parmi les majeurs, mais enfin, c'est un mineur important. Il est disproportionné de comparer BHL et Lamartine. Pis, la sensibilité dont Schiffter se prévaut et qui le rendrait méfiant à l'égard de la philosophie universitaire (même posture que Schopenhauer) le conduit à réhabiliter insidieusement un propagandiste et à amalgamer un penseur (Tocqueville) avec un romancier (Houellebecq).

mercredi 15 septembre 2010

Le Bilderbeurk

Catherine Lieutenant du blog Les Grosses Orchades, les amples thalamèges me demande de donner mon avis sur les écrits dont Fidel Castro nous gratifie depuis son retour de maladie. A vrai dire, je n'accorde à Castro qu'un intérêt limité, non que je verse dans la haine anticommuniste de certains ultra-libéraux discrédités (comme en France le regrettable Revel), mais que je ne voie pas comment un affidé du communisme puisse échapper à la faillite des systèmes communistes (qui s'est ordonnée autour de la symbolique chute du Mur de Berlin, en 1989).
Je travaillerai sur les notes de Castro du 17 août 2010; telles que Catherine Lieutenant me les envoie. Comme je viens de perdre mon texte bien avancé en ayant mal sauvegardé les données, je vais faire plus court. Castro est un néo-communiste qui nous montre qu'il est moins pressé de sortir des vérités à l'article de la mort qu'il se trouve engoncé dans une manière de penser qui l'empêche de comprendre le monde. Est-ce bien ce dirigeant qui a pendant un demi-siècle tenu la dragée haute aux ennemis du monde capitaliste?
Le mérite de Castro pourrait sembler d'importance. Il est faible : Castro reconnaît l'importance du rôle des services britanniques (secrets et autres) dans les complots et les manipulations capitalistes, atlantistes et mondialistes. D'ordinaire, on se contente d'incriminer les services américains, voire israéliens. Castro ne se contente pas de verser dans l'antiaméricanisme primaire. En pédagogue averti, il expose que la contre-culture n'est pas née de génération spontanée ou hasardeuse, mais découle de programmes issus des cerveaux de certains savants du Tavistock Institute ou de certains pontes de l'Empire britannique comme la famille Huxley,
Par contre il n'évite pas un autre simplisme : le complotisme. Tout expliquer par le complotisme revient ici à accorder une importance grandiloquente au Groupe Bilderberg. D'où le doute : il est incroyable qu'un dirigeant aussi exposé que Castro valide une version aussi primaire des faits. L'interprétation complotiste est certes bien moins paresseuse que l'interprétation anticomplotiste consistant à évacuer l'existence des complots pour accepter benoîtement l'ordre dans lequel on vit, en particulier l'infâme droit du plus fort. Mais le complotisme consiste à proposer une cause simple et fausse expliquant des phénomènes occultes et occultés.
Il convient de rappeler que même si Castro n'explique pas tout par le Bilderberg, il en explique toujours trop. Comme si le Bilderberg (ou quelques autres instances) pouvait réellement décider de manière occulte et efficace de ce qui ne fonctionne pas de manière visible et explicite - d'un gouvernement mondial entre États. Ce que Castro laisse entendre, c'est que le pouvoir des États-Unis serait gérer par des instances oligarchiques qui utiliseraient les complots pour gouverner de manière occulte. Il est important d'insister sur le fait que le caractère occulte du pouvoir se conjugue ici à son (autre) caractère efficace.
En réalité, il n'en est rien. Plus le pouvoir est caché, moins il est fort. Il se pourrait au contraire que la visibilité du pouvoir classique ne soit pas une donnée secondaire, mais qu'elle soit capitale : la solidité et l'efficacité du pouvoir dépendent au premier chef de sa visibilité. Se cacher, c'est amoindrir le pouvoir, le flétrir et le diminuer. Le recours au complot peut se révéler avantageux à court terme; jamais à plus longue échéance.
D'un point de vue factuel, il coule de source qu'aucun gouvernement mondial secret n'existe et qu'en conséquence le Bilderberg n'est qu'une prestigieuse réunion oligarchique parmi tant d'autres. On ne parvient jamais à réaliser de manière cachée ce qu'on rate à effectuer de façon visible. Ce pour une raison précise : le pouvoir caché est inférieur au pouvoir visible en ce que le seul pouvoir qui parvient à réunir les instances du pouvoir dans les mains de quelques individus (voire d'un seul homme fort) est d'obédience visible. Plus le pouvoir est contraint de recourir à l'occulte, plus il se dissémine et s'étiole.
Du coup, les complots sont le signe d'un pouvoir faible qui va de pair avec un pouvoir caché (occulte). Le pouvoir fiable est visible, le pouvoir faible caché. Il est vrai que Castro descend d'un héritage marxiste, selon lequel si le gouvernement doit tendre vers la perfection et le visible, il se meut dans un espace fixe. D'ailleurs, demandez à un marxien de vous définir la différence entre libéralisme et capitalisme, il peinera ou en fera des synonymes accommodants. C'est parce qu'aussi scandaleux que ce fait puisse se révéler, le marxisme résulte d'une réfutation des conséquences libérales reprenant les causes libérales.
Si le libéralisme est faux, le communisme qui se présente comme une amélioration idéologico-politique du capitalisme ne peut qu'être plus faux encore, bien qu'il contienne comme élément de profondeur un souci réel de justice (sous le terme récurrent d'égalité). L'erreur fondamentale de Castro se situe à cet endroit décisif : le concept de fixité lié à l'idée de finitude. Marx entérine ces postulats, ce qui fait que son système est forcément faux.
Mais le complotisme d'un Castro fait de même. Ce n'est que dans un univers fixe que l'on peut développer ce type de pensée. Non pas qu'il faille verser dans le simplisme arbitraire des conservateurs paresseux qui classent dans la rubrique accommodante des complotistes tous ceux qui osent évoquer des complots d'États. Sans doute un Castro entend-il dénoncer la montée des complots durant ce début de millénaire (chrétien); sans doute notre néo-communiste n'entend-il pas réduire l'ensemble des sphères du pouvoir à quelques groupes occultes dont le Bilderberg.
Il n'empêche qu'il verse dans les travers consistant à cautionner l'idée d'un pouvoir occulte qui serait la réplique du pouvoir visible, avec autant d'efficacité et plus encore de diabolisme. Au contraire si l'on considère que le pouvoir qui se cache perd en efficacité et en pérennité, on aboutit à l'idée d'un éclatement et d'un affaiblissement du pouvoir de type caché. Le moins qu'on puisse constater est que Castro n'aboutit pas à ce genre de révélations et qu'il se contente au surplus de reprendre les théories et enquêtes réalisées par d'autres que lui.
Comme si un Estulin par exemple en savait plus que notre Castro sur ce genre de sujets! J'aimerais quant à moi non pas louer à la manière de Castro l'ouvrage d'Estulin, mais au contraire en discerner les limites. Car ce n'est pas la même chose d'observer factuellement qu'une centaine de hauts responsables de la politique, de l'industrie, de la finance et d'autres secteurs se retrouve quelques jours par an - et d'en inférer des théories complotistes (explication des événements négatifs du monde par des complots).
Ce dont on a besoin c'est d'une théorie qui prenne en compte les complots sans sombrer dans le complotisme, soit sans réduire le réel au désir, dans une fixité dont l'immanentisme n'est que la réduplication moderne. Ce qu'il faut interroger, c'est l'origine de cette faiblesse du pouvoir et ne surtout pas en rester à des révélations réchauffées et pis encore finalistes comme le fait Castro d'une manière si réductrice (caricaturale) que j'espère qu'il n'est pas vraiment l'instigateur ni l'auteur.
Le pouvoir est fort quand il parvient à faire le lien entre son apparence (extériorité) et son intériorité. Le pouvoir qui ne demeurerait seulement que dans l'apparence pure serait comme l'ontologie de la seule apparence (soit de la sophistique sophistiquée) : une supercherie assortie d'un mensonge. Elle conduit bien entendu à de l'oligarchie, soit la loi du plus fort appliquée comme finalité au réel.
Qu'est-ce que l'apparence pure? C'est la réintroduction par déni du néant nihiliste, soit l'absence de lien entre l'extérieur et l'intérieur. Le fait de cacher implique cette rupture antagoniste entre l'apparence et le néant. C'est dire que l'acte de cacher n'est pas de l'intériorité, mais de l'antagonisme. C'est dans un schéma de type nihiliste que l'occulte se produit. La tradition du caché, de l'occulte ou du secret consiste à séparer de manière irréconciliable et appauvrissante le réel réduit au sensible ou à l'apparence.
L'acte d'agir de manière cachée consiste moins à découvrir de l'intériorité face à l'apparence que de scinder à l'intérieur de l'apparence une forme cachée et artificielle qui réduit encore davantage la forme finie de l'apparence et la contraint non seulement à s'appauvrir en se coupant de l'absolu (l'infini) par sa soumission à cet espace de domination secrète; mais encore à s'appauvrir par le fait de se réduire dans ce lien débilitant entre les dominés (espace majoritaire fini) et les dominateurs (espace minoritaire fini).
Raison pour laquelle le recours aux complots signale la crise : il signifie l'appauvrissement symptomatique de la réduction. La raison de cette crise est que ce mécanisme de complot ou de crise ne crée rien du tout et du coup tend vers l'appauvrissement qualitatif. L'explication par le complotisme ne tient pas la route parce qu'elle accrédite l'appauvrissement et propose une mauvaise explication par le plus évident en période de crise : les complots.
Du coup, le fait de se réfugier dans le secret de type complotiste consiste moins à opposer l'intériorité contre l'extériorité - que de créer une intériorité factice à l'intérieur (c'est le cas de le dire) de l'extériorité. C'est d'ailleurs l'intention de ce secret que de créer de l'intériorité dans l'apparence artificiellement subdivisée. On comprend que le pouvoir ne puisse pas être caché. Car le caché est l'antagoniste qui affaiblit, quand le visible est l'unificateur qui renforce (par la croissance).
Il y a un emboîtement du politique dans le religieux (qui en philosophie passe par l'ontologique). La conception du pouvoir qui unifie et renforce implique la réunification de l'apparence avec le réel. C'est l'idée selon laquelle le réel ne saurait en aucun cas se limiter à l'apparence et qu'au contraire cette apparence ne donne du réel qu'une image finie et fixe. On comprend pourquoi un communiste initial peut évoluer en complotiste : au départ, on essaye d'améliorer le système fixe; mais c'est en vain; tout ce qui est fixe est condamné à dégénérer sous l'emprise notamment de complots sordides et sacrificiels.
C'est alors qu'impressionné par l'importance des complots et leur rôle significatif, l'observateur perd sa lucidité et sombre dans l'interprétation complotiste. La finitude du réel recoupe l'apparence, ce que les sophistes ou Nietzsche savaient fort bien. A l'opposé, le schéma politique du transcendantalisme consiste à réintégrer l'apparence dans l'orbite du réel en prolongeant l'extériorité pour la faire tendre vers la plénitude. D'où le mouvement de croissance qui s'en est suivi inéluctablement et qui est le propre de la nature humaine.
A l'intention des sourds d'obédience écologiste : il n'est pas possible de décroître ou même de stagner. Le propre de l'homme est de croître dans un réel en perpétuelle dynamique (changement). Que décroître, c'est mourir. Bel aveu de la part de la décroissance! Quant au développement durable, son label fort engageant ne peut survenir qu'avec l'appoint du progrès scientifique et technologique, certainement pas en versant dans l'obscurantisme des modernes moulins à vent que figurent les éoliennes (un spectacle spectral dont les hommes riront dès le siècle prochain).
Mais cette croissance de type transcendantaliste n'est pas indéfinie. Elle s'arrête aux portes de la terre. D'où les tiraillements actuels avec les idéologies stabilisatrices comme le mondialisme (et sa cousine la décroissance dont personne ne note la parenté pourtant frappante). La conception transcendantaliste en politique butte sur la même limite qu'en ontologie (forme philosophique du religieux).
La représentation du fini prétend trouver l'infini en prolongeant l'infini - de l'être vers l'Être. Ce prolongement est aussi englobement au sens où l'Être englobe l'être sensible (les étants dirait Heidegger). En ontologie, le transcendantalisme se trouve incapable de reconnaître l'existence du néant et oscille entre deux tensions extrêmes : soit le déni complet (avec l'Être); soit le nihilisme qui reconnaît sur le mode du déni le néant et qui lui accorde une définition aberrante : le néant qui existe n'existe pas.
Dans le domaine politique, la limite butte sur l'espace. La limite de la technique du prolongement vient de ce que le sensible (de type platonicien en Occident) est perçu comme essentiellement constitué d'être. Du coup, cet être, même imparfait, même fini, même morcelé et divisible, représente au final le substrat essentialisé de ce qui est le réel. Le réel devient à la fois l'extension du sensible et s'arrête avec les bornes humaines de l'expérience sensible.
Mais ces bornes sont circonscrites au globe terrestre et nous sommes en train d'en subir les conséquences : l'effondrement du religieux de type transcendantaliste s'explique parce que le sens a disparu dans tous les sens du terme. Sens physique avec la globalisation terrestre; sens métaphysique avec la mort de Dieu (ou de l'Être) annoncée avec perte et fracas par celui qui n'est pas un simple moraliste de la tradition française, mais le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré - Nietzsche.
Il importe à l'homme de renouveler et de refonder le sens. Pas seulement d'un point de vue philosophique, mais d'un point de vue religieux. Je sais bien que cette évocation du religieux ne peut que faire horreur à ceux qui de nos jours estime que le religieux est dépassé et que le nouveau consiste précisément à fonder des formes non religieuses. C'est sans compter sur le fait qu'il n'est pas de culture sans culte - pas de culture sans religieux.
Soit l'homme refonde le religieux, soit il disparaît, embourbé dans son mythe destructeur du mondialisme exacerbé. Le religieux est le seul moyen pour l'homme de trouver un sens, dans un sens métaphysique qui passe aussi par un sens littéral - purement physique. Pas d'avenir ni de pérennité sans religieux - aussi attristante soit cette remarque pour des contempteurs qui oublient que les inconvénients du religieux sont peu en comparaison de ses mérites.
Refonder le transcendantalisme, c'est accepter le néant en lui donnant une inflexion religieuse (ou sa sous-forme ontologique). Pas de néant nihiliste, mais contre le nihilisme le néant néanthéiste. L'acception du néant est le seul moyen d'aller dans l'espace soit de conquérir au sens métaphysique et physique ce corps étranger et étrange qu'est l'espace, qui nous échappe et qui dans l'idéologie mondialiste actuelle (une conséquence de l'ultra-libéralisme dominant) est même perçu comme une perte d'argent - la valeur cardinale. Nous sommes bien loin de la salsa Castro et du complotisme de facture nostalgique.