samedi 30 juin 2012

Les branches de la nouvelle métaphysique

Si l'on examine la question de la métaphysique à l'aune de sa régénérescence moderne, l'importance de Descartes peut se concevoir comme le nouvel Aristote. Loin de rompre avec la tradition scolastique qui le précède et qui l'a éduquée, Descartes constate que la tradition issue de l'aristotélisme est en fin de course. Il convient de la régénérer pour éviter qu'elle disparaisse, non de la remplacer par une invention supérieure. Loin d'être l'ennemi de la métaphysique, Descartes adhère aux principes selon lesquels le rationalisme est dominé par l'irrationalisme. La connaissance n'est possible que dans un périmètre restreint.
Le doute précède l'exigence de refondation, ne l'oublions pas. Descartes ne doute pas que la connaissance soit possible, mais il a compris qu'il convenait d'adapter la théorie métaphysique à des résultats réétudiés, alors que la tradition scolastique se bornait avec érudition et pédantisme à avaliser les résultats périmés. En particulier, Descartes pose la question : pourquoi la métaphysique se périme-t-elle si son cadre théorique est juste?
Pourquoi le fini défini par Aristote se révèle-t-il aussi éloigné des résultats auxquels il parvient et que l'on validera comme scientifiques à sa suite pendant plus de mille ans - avec des modifications mineures? Réponse de Descartes : le cadre est juste, mais Aristote a opposé l'être au non-être. Alors qu'il définit l'être (le fini), il ne définit nullement le non-être. Descartes propose sa définition du non-être : ce sera le Dieu irrationnel, qui change d'un miracle les lois de la physique régissant l'univers physique quand il convient de remonter le pendule épuisé. Le nouveau cadre métaphysique est posé : Descartes ne se conçoit pas comme fidèle successeur d'Aristote, mais comme rénovateur, de la même manière qu'un Luther dans le christianisme insuffle la révision protestante.
S'il s'oppose à la scolastique, c'est qu'il s'oppose à la fidélité pieuse par rapport à l'héritage aristotélicien. Descartes se veut révolutionnaire métaphysique. Voir en lui un philosophe qui romprait avec la métaphysique par-delà la scolastique relève de l'aimable plaisanterie. Tout son schéma consiste au contraire à rénover la métaphysique. Il y parvient avec succès, en voyant la philosophie s'orienter pour une large partie autour de sa réforme, ce qui empêche l'ontologie de proposer une suite majoritaire au platonisme. La révolution scientifique a détruit la physique aristotélicienne, mais pas la métaphysique. La rénovation cartésienne agit comme une renaissance qui empêche le changement et qui poursuit sur la même erreur initiale : l'erreur métaphysique.
Si Pascal ou Leibniz s'opposeront à Descartes, les courants majoritaires en philosophie partiront du cartésianisme, non pour s'y opposer, mais pour en proposer des versions plus radicales. Le tort de Leibniz, plus armé que Pascal en philosophie pour produire un système, consiste à avoir affronté les erreurs de Platon en physique et en ontologie par des productions qui demeurent incertaines. Si Leibniz tente de définir l'Etre par sa monade, cette définition ne répond pas à la question que pose l'ontologie : comment expliquer de manière homogène le réel?
A partir de Descartes, on peut esquisser trois courants qui partent de la métaphysique moderne :
1) La nouvelle métaphysique, qui commence avec le cartésianisme par rendre le réel irrationnel, puis qui tend vers la négation du réel extérieur à la représentation. Le kantisme culmine avec la phénoménologie. Autour de ce processus qui cherche dans une faculté rationaliste le centre de la subjectivité, s'agrège les philosophes qui escomptent clore la philosophie selon le voeu initial d'Aristote. Ils sont métaphysiciens modernes en ce qu'ils entendent trouver une faculté rationaliste qui permette à l'homme de se mouvoir dans l'irrationalisme : cas de Hegel ou Bergson.
2) L'immanentisme, qui résulte d'un schisme entre le cartésianisme et un disciple plus radical. Spinoza reproche à Descartes de concilier le réel extérieur et la représentation. Le doute cartésien annonce les excès du kantisme, puis la tentative phénoménologique de faire de l'investigation scientifique avec la raison. L'immanentisme commence par résoudre tous les problèmes de la nouvelle métaphysique en décrétant que le réel est immanent, incréé (fini l'indéfini) et que seul intéresse pour l'homme dans le réel la sphère connaissable de son désir. Le but que fixe Spinoza est éthique, par opposition à la morale ontologique et transcendantaliste : il s'agit d'acquérir son désir complet, ce qui se mesure par l'accroissement de sa puissance personnelle.
3) La philosophie analytique, qui entend révolutionner la métaphysique en rénovant la logique aristotélicienne, tout comme la science expérimentale a bouleversé la science antique. L'analytique propose une manière de philosopher qui rendrait obsolète la métaphysique moderne. Sa méthode repose sur l'idée que l'analyse logique du langage permet de proposer une vision supérieure du monde. Mais cette vision oscille entre sophistique et positivisme, deux positions qui n'ont rien de supérieur; et dans les cas où les philosophes analytiques sont plus importants que la ribambelle quantitative remplaçant la qualité singulière, ils se montrent plus impressionnés par les débats de la philosophie classique que par l'innovation analytique. Du coup, la philosophie analytique est la conclusion de la pensée britannique, qui découle de l'empirisme comme branche de la métaphysique moderne et qui se trouve dans une impasse théorique : ne proposant rien de nouveau, les philosophes analytiques sont condamnés au destin des sophistes.
La métaphysique rénovée par Descartes et poursuivie par ses divers courants s'achève avec Heidegger, dont on peut dire qu'il agit par ses égarements nazis passagers et oligarchiques définitifs comme le dernier des avatars d'Aristote. Le Dasein de Heidegger est l'être-là qui agit comme l'être fini. Il est explicitement entouré de néant selon Heidegger, qui dans sa jeunesse dispense un cours de fascination pour Aristote et qui se montre également fasciné par le retour aux présocratiques comme ceux qui peuvent sauver l'Occident de sa fin et corriger les erreurs de la métaphysique.
En échouant à corriger la métaphysique d'Aristote, Heidegger réussira au moins à amalgamer métaphysique et ontologie, ce qui fait que un demi-siècle plus tard même les historiens de la philosophie mélangent ces deux termes antithétiques et confondent philosophie et métaphysique, faisant de l'ontologie une discipline prestigieuse, absconse et savante de la philosophie. Les accès de rage de Heidegger à la fin de son existence s'expliquent parce qu'il a échoué à rénover la métaphysique et qu'il escomptait clôturer tant la philosophie que la métaphysique en parvenant à sortir de l'ornière phénoménologique.
Heidegger ne sera pas le nouveau Descartes issu d'Arsitote. Il rester le dernier des métaphysiciens, qui ayant échoué à rénover la métaphysique moribonde, sait qu'elle se trouvera prolongée moins d'un siècle par la philosophie analytique, mais que la philosophie analytique ne peut rien contre l'effondrement métaphysique. Elle ne propose rien de nouveau, rien d'autre que la rénovation de la sophistique antique combinée à une pincée de positivisme.
Quant à l'immanentisme, il est la branche issue du cartésianisme (en tant que source de la métaphysique moderne et rénovée) qui présente le plus de potentialités de durer parce qu'il propose du novateur par rapport aux idées métaphysiques et même par rapport à l'histoire du nihilisme. Mais être plus pérenne que la métaphysique n'implique pas que l'on soit pérenne pour autant. L'immanentisme est condamné dès ses limbes, puisque sa complétude centrée sur le désir ne peut manquer d'aboutir à la destruction de ce désir et de la société dans laquelle il s'épanouit. L'immanentisme se trouvait déjà condamné à l'époque de Nietzsche, qui fonda la phase tardive et dégénérée pour sauver l'immanentisme de son effondrement programmatique.
De nos jours, la génération terminale entérine l'effondrement en pariant que l'on peut vivre avec la destruction et le chaos, tout en en profitant. Cette perspective n'est possible que si l'on est oligarque. Bien entendu, cette littérature immanentiste qui se réclame beaucoup de Nietzsche et Spinoza se place du côté des dominateurs; pas du côté des beaufs 2.0 et des ploucs, qui essayent de montrer qu'on peut être dominés et heureux, mais dont le témoignage rappellera plus Zola que l'émancipation du désir. L'apologie de la lucidité, du réalisme, de l'inégalitarisme émanent des rares conservateurs assumés (comme Rosset).
Les gauchistes, plus hypocrites dans leur légitimation progressiste de la domination, diffèrent incessamment, à l'image de Derrida, ce qui revient à se condamner à la destruction. Le progrès devient l'expression du déni. On veut bien se montrer progressiste à condition que l'on relève des dominateurs et que nos positions courageuses nous valent profit, reconnaissance et gloire. Les postmodernes gauchistes se révèlent des progressistes de coteries et de salons. Le postmodernisme prend acte que les problèmes de fond ne seront pas affrontés. Au nom de l'inégalitarisme, selon le postmoderne lucide. Au nom de la différAnce, selon le postmoderne progressiste.

jeudi 28 juin 2012

Le plus grand

"Le plus grand a droit à tous les honneurs ou les déshonneurs". 
Nabe pour Arte, émission consacrée à Céline. 

Nabe est désormais raillé pour avoir rallié le camp des néoconservateurs. Je note cette citation à propos de Céline. Nabe estime qu'il peut exhiber sa mentalité biscornue, qu'on pourrait résumer comme suit : on crée à partir du choc des contraires, posture héraclitéenne qui implique que le monde tienne grâce à l'équilibre des contraires. Le supérieur donné implique l'incompréhension des strates inférieures, ce qui valide l'amoralisme selon Nietzsche. Problème : l'amoralisme n'apporte rien de nouveau par rapport à la morale classique. Il valide le renversement de toutes les valeurs, soit la réhabilitation de l'immoralisme!
De même Nabe nous présente-t-il Céline supérieur parce qu'amoral, comme si l'on ne pouvait prendre la mesure de la monstruosité supérieure depuis le point de vue du commun. La monstruosité littérale émanerait du commun. La monstruosité supérieure,forcément incomprise du commun, n'est plus de la monstruosité. En quoi le monstrueux supérieur diffère-t-il du commun? Cette démarche critique instaure l'arbitraire. Céline se trouve jugé supérieur et incompréhensible sans que l'on n'apporte la preuve du critère d'élection novateur, mais qu'on le trouve tel parce qu'il est décrété supérieur et écrivain. 
La posture expliquant qu'un génie ne peut être un salaud aboutit à légitimer les pamphlets antijuifs, l'antisémitisme (terme incorrect) exprimant la supériorité indicible. Où l'on voit l'arnaque : Nabe le commentateur transi ne nous propose à aucun moment de déchiffrer d'une manière novatrice ce que le critère populaire prendrait pour de l'antisémitisme et qui n'en serait pas, mais décrète que l'antisémitisme ordinaire devient chez le génie de la supériorité. 
Problème : cette supériorité sonne comme du pur négatif. Nous nous situons dans l'apologie du nihilisme. Nabe impose une manière de raisonner déraisonnable, selon laquelle l'artiste est du côté des plus forts. La réhabilitation de Céline passe par l'arbitraire : c'est un génie, donc il peut tout se permettre. Il n'est pas immoral, antisméite ou nazi, il se tient au-dessus des valeurs. Céline fait du surhumain nietzschéen. Rien de nouveau, que du réchauffé. Nabe lance son imposture en comparant Jésus - la prophétie religieuse et l'histoire littéraire. 
Pourquoi Arte donne-t-elle la parole à un ancien anarchiste plus à droite que la droite et plus à gauche que la gauche et qui pour prouver son génie a basculé dans l'apologie du néoconservatisme en France (avec condamnation du complotisme)? Parce qu'il participe de la mentalité impérialiste terminale, qui se caractérise par les contradictions et par l'élitisme arrogant. 

- "Lui il est vraiment les meilleur dans tout (techniquement)" 
Au moins cette lecture ne cache pas son hagiographie... 

- "Il veut faire lui-même la Bible et dans chaque livre il fait la Bible. Tous les écrivains devraient penser ça. Ils devraient tous dire : "Nous devons refaire la Bible". Moi je voudrais refaire la Bible.. Voilà ce que devrait dire tout écrivain quand il commence ou même quand il finit. Le Voyage, c'est une Bible! Mort à crédit, c'est une Bible! Même Mea culpa, c'est une Bible! Une petite Bible. Mort à crédit finalement a la dimension d'un Evangile. Vous prenez l'Evangile de Luc ou de Jean, ben c'est comme Mea Culpa. Et peut-être que ça dit autant de choses. A voir. En tout cas, Bagatelles est une Bible, évidemment. D'un Château l'autre est une Bible. C'est-à-dire que c'est la vision d'un dieu, dans le cas de l'écrivain c'est un dieu, la Bible c'est Dieu, tout court, voilà, qui voit le monde de cette façon et qui en montrant sa vision du monde le crée, l'invente!" 
Ce témoignage puéril d'admiration caricaturale ramène l'homme à Dieu et instaure la valeur de l'homme-dieu. Nous nageons en plein nietzschéisme adolescent : l'artiste créateur de ses propres valeurs finit par produire des textes sacrés. Même selon l'évaluation esthétique, il est surprenant de placer sur le même plan Le Voyage au bout de la nuit et D'un château l'autre. Mais c'est très germanopratin, au sens où l'élite parisianiste artiste juge osé et avant-gardiste d'admirer Céline de manière injustifiable. Pour la rive gauche, on admire l'oeuvre non antisémite et on rejette les pamphlets antisémites; pour la rive droite, on finit par franchir l'interdit et l'on est ravi d'avoir lu des oeuvres oubliées et de qualité inférieure. 

- "L'idée, c'est de devenir le prophète d'un certain antisémitisme qu'avait Jésus lui-même, parce que Jésus est antisémite, je vous l'apprends pas, mais au sens célinien du terme, c'est-à-dire très élevé, pas au petit sens du terme connement raciste, débile, du Français qui a peur parce qu'il a peur du méchant juif qui va prendre ses sous. C'est quand même, ça dépasse ça, quoi, c'est pour réveiller! (...) C'est peut-être celle qu'avait Jésus (...) Ça nous amènerait très loin, ça. Du côté du Sanhédrin. (...) C'est ça qu'ils ont pas compris, à la fois les antisémites de son époque ont pas compris ça, et les antiantisémites de notre époque qui reprochent à Céline d'avoir été soi-disant un antisémite normal, banal, ou vulgaire, et qui s'est fourvoyé, etc... c'est aussi débile! Même là-dedans il veut être le meilleur. Donc pour être le meilleur il faut qu'il atteigne une dimension biblique, et prophétique, et messianique, dans l'antisémitisme même, qui en plus je vous le rappelle est vraiment le sujet de Bagatelles, mais pas uniquement!" 
Cette envolée confuse se signale par son caractère exalté, en ne définissant jamais ce que serait l'antisémitisme supérieur de l'antisémitisme raciste et débile. Faut-il en conclure qu'il entre de la bêtise dans ce genre de raisonnement? Nous tenons avec ces citations un aperçu de ce que recèle l'amoralisme : le supérieur implique la contradiction. L'artiste créateur de ses propres valeurs ne se soucie pas du jugement commun, en ce qu'il impose la loi du plus fort. La logorrhée plus que la rhétorique, mise en valeur par Arte, une chaîne intellectualiste reflétant le point de vue des néoconservateurs de gauche français, explicite le problème de cohérence de cette pensée, qui ne vaut que pour ceux qui dominent pendant le temps éphémère où ils dominent. Quand on l'applique à la littérature, cela donne une mentalité d'une faible teneur qualitative.

vendredi 22 juin 2012

Déconstruction de l'anticomplotisme médiatique

Il n'est plus besoin de démontrer que les médias des démocraties libérales sont sous la coupe d'intérêts oligarchiques et délivrent la version officielle comme s'il s'agissait de la vérité. La vérité correspondrait à la version du plus fort. Le quotidien vespéral Le Monde, qui en France jouit d'un statut de référence, ce qui en dit long sur l'état du pays par rapport à la vérité, n'a cessé depuis quinze ans de mentir. L'exploit est qu'il continue à incarner le quotidien de centre-gauche, alors qu'il relaye le mensonge - l'inverse du progressisme.
La principale critique que l'on pourrait adresser aux journalistes qui s'adonnent à la propagande éhontée serait : comment pouvez-vous vous prétendre critiques alors que vous adoubez la version officielle? Corollaire : comment pouvez-vous vous prétendre progressistes alors que vous défendez la version du pouvoir en place (que vous êtes des conservateurs pervertis, et même des réactionnaires, si l'on s'avise que le système en place est en phase d'effondrement)?
Je reprends ces deux articles consacrés à l'affaire Merah pour confirmer les habituels mensonges que déversent les grands médias dominants. Merah n'est pas un innocent ou un opposant politique assassiné, c'est un pigeon, qui fut, du fait de sa faiblesse et de sa malhonnêteté de petit voyou de banlieue, manipulé par les services secrets pour être un agent double de bas étage chez les islamistes dans la région de Toulouse. La constatation impavide qui fait exploser la VO dans cette sinistre affaire? Il n'est pas possible à l'heure actuelle pour l'observateur honnête d'avancer la moindre preuve concernant la culpabilité de Merah dans l'assassinat des victimes de Montauban et Toulouse.
Comment se fait-il que les médias prétendent l'inverse - la VO est avérée et ne pèche que par certains aspects mineurs, quoique confus? Une nouvelle fois, l'important, quand l'on énonce de la critique, consiste à s'attaquer aux fondements. Les médias font l'inverse : ils valident les fondements, même bancals, pourvu qu'ils soient officiels; et ils ergotent sur la suite. Raison pour laquelle leur propos a l'air aussi peu solide et aussi creux : ils n'abordent pas l'essentiel et glissent sur toute possibilité de doute.
En l'occurrence, Le Monde s'est aligné sur la ligne néoconservatrice : il s'agit de hurler au complotisme dès que le pouvoir en place se trouve accusé de complot. On déploie des trésors d'ingéniosité pour aborder tel ou tel détail, de telle sorte que l'ensemble ne soit jamais discerné. L'accusation de complotisme cache l'évidence : les complots d'Etat existent; dès lors il s'agit de mesurer le sens de ce que les propagandistes du plus fort cachent : le déclin social, qui ne se manifeste pas seulement dans les allées du pouvoir, mais dont les racines sont culturelles et religieuses.
(Ce que je viens de dire vaut pour des complots mineurs comme l'affaire Merah, mais aussi pour des complots sytémiques comme le 911, bien que le 911 soit le premier événement de type mondial, destiné à changer pour le siècle la stratégie diplomatique dominante, menée par les puissances financières anglo-saxonnes).

1) Dans le premier article, Le Monde contre-attaque suite aux révélations encore incertaines, mais déjà fort graves, d'un journal algérien concernant des extraits entre Merah et les policiers lors du siège de son appartement précédant sa mort. Rappelons que l'essentiel réside dans le fait qu'aucun élément ne permet d'accuser Merah de participation dans les atroces meurtres :

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/19/mohammed-merah-decrit-par-un-de-ses-freres-comme-un-monstre-rempli-de-haine_1721233_3224.html

Je cite cet article pour que l'on se rende compte de ce que signifie la propagande : répéter des mensonges jusqu'à ce que l'opinion s'en trouve influencée, avec une inflexion : le matraquage implicite, selon lequel l'on assène d'autant plus une erreur qu'elle ne se trouve jamais explicitée. L'on se garde de mentionner la culpabilité de Merah et l'on se concentre sur les conséquences, comme si la raison allait de soi. Pourtant, si la cause est fausse, on voit mal comment la conséquence serait vraie.
Alors que l'on ne nous entretiendra jamais des preuves touchant à la culpabilité de Merah, l'on nous divertit avec le témoignage d'un frère, qui se déclare indigné par l'action judiciaire qu'entreprend son père contre les autorités françaises. Mon but n'est pas d'insinuer qu'on pourrait avoir affaire à une manipulation médiatique, mais de constater deux angles d'attaque de la propagande :
1) le recours au sentimentalisme, avec la souffrance du frère qui s'oppose au père et qui en vient par sens de la Justice à souhaiter avoir comme Père celui d'un soldat assassiné.
2) La censure quand elle est présente dans le discours d'une victime comporte un avantage : le lecteur a du mal à l'identifier et penche pour une confession. Que dit le frère de Merah? En référence à son père, il demande : "Faites-le taire". C'est une exigence claire, qui en dit long sur l'attente des autorités, relayées par les médias. Le jeune homme renchérit en remplaçant l'argument rationnel par celui d'autorité : "Ce qu'a fait mon frère Mohammed est impardonnable". Mohammed a travaillé pour les services secrets français, selon de nombreuses sources. Est-ce cette collaboration qui est impardonnable? Non, son crime est tel qu'il n'a pas besoin d'être prouvé.
Dans ce cas, répétons que jusqu'à plus ample informé, nous refusons l'argument d'autorité et nous nous cantonnons à l'argument rationnel : rien ne prouve la culpabilité de Mohammed Merah dans les horribles crimes de Montauban et Toulouse.
Que signifie dès lors l'accusation médiatique de complotisme, qui diffère du sens rigoureux du complotisme? Que l'on refuse le complot quand il émane de l'Etat, soit du plus fort (le plus fort investissant l'Etat pour en subvertir son usage général et l'inféoder à des intérêts oligarchiques).

2) Maintenant, nous allons vérifier que la propagande que déverse Le Monde dans cette affaire symptomatique est de facture néoconservatrice :

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/19/affaire-merah-voyage-au-pays-des-conspirationnistes_1717409_3224.html
De même qu'existe l'ultralibéralisme de gauche incarné par DSK, il existe un néoconservatisme de gauche incarné par BHL ou Valls, l'admirateur en 2012 de Blair. Le néoconservatisme tend à subvertir la définition du complotisme pour lui amalgamer la dénonciation des complots. De ce fait, tout dénonciateur de complot devient un paranoïaque. Je ne perdrai pas mon temps à démonter tous les mensonges grossiers de cet article, qui a la prétention de se présenter comme un dossier complet portant sur le conspirationnisme à propos de l'affaire Merah, alors qu'il s'agit d'une tentative de désinformation assez rapide et mal fagotée.


1) L'amalgame  : toute dénonciation d'un complot est raccordée à toutes les dénonciations de complots, voire à tous les problèmes : "Zones d'ombre, déclarations contradictoires, surenchère médiatique, récupération politique, résonances avec le conflit israélo-palestinien, ratés des services depolice, rôle trouble des services de renseignement... l'affaire Mohamed Merah, le jeune homme accusé d'avoir tué sept personnes en mars à Toulouse et à Montauban, réunit tous les ingrédients dont se nourrissent les théories conspirationnistes".


2) Pour prouver son honnêteté, la journaliste n'hésite pas à reconnaître que le dossier est certes incohérent en façades et morcelé, mais que la VO demeure juste. Si bien que la logique de cet article serait : la VO est d'autant plus juste qu'elle est incohérente en superficie. Voire : plus la VO est invraisemblable, plus elle est juste. Donc : la VO est toujours juste. Il est logique que les médias soutiennent la VO.


3) A mesure que les complots s'accroissent (en période de crise), les complotistes s'accroissent et les anti-complotistes diminuent, surtout quand ce sont des propagandistes comme Le Monde qui entendent soutenir le pouvoir déliquescent. Ce journal, pour continuer à soutenir l'accusation de complotisme malhonnête, se voit contraint de multiplier les complotistes, voire de l'étendre à l'ensemble de la population, de plus ne plus consciente qu'il y a un problème plus grave que l'affaire Merah. Que l'on récapitule : 
a) Philippe Poutou, candidat à la présidentielle 2012, tendance NPA
b) de multiples sites Internet aux tendances hétérogènes
c) René Balme, candidat Front de Gauche 2012 aux législatives
d) Hani Ramadan, frère de Tariq, proche d'une ligne francophile issue des Frères musulmans et facile à ranger dans la catégorie : islamiste - fidèle à la doctrine du choc des civilisations de Huntington et Lewis, les deux maîtres des néoconservateurs
e) Mathieu Kassovitz, réalisateur médiatique
f) Le quotidien algérien Echourouk, d'autant plus à classer dans la catégorie des médias délirants qu'il est algérien - au moins un peu ... islamiste?
g) Yves Bonnet, ancien responsable de la DST, et d'autres anciens responsables de services de renseignements
h) 57 % de Français à la suite d'un sondage à propos de l'affaire DSK
i) Le rappeur Alif
Pas moins de 9 sources sont répertoriées comme complotistes! Pis, l'auteur en vient sans craindre le ridicule à expliquer que nous serions tous plus ou moins complotistes par certains de nos traits et que nous devrions guérir de cette maladie mentale pour nous laisser aller à adouber la VO, formée par certains experts au service de cercles oligarchiques!

4) Puisque cet article prétend fournir une théorie du complotisme, nous allons voir sur quelles bases repose l'effort de théorisation. Prière de ne pas se sentir déçus!
"L'idéologie conspirationniste se signale par une approche systématique, quasi obsessionnelle, qui tend à tisser un lien invisible entre certains grands événements de l'histoire récente au service d'une même vision du monde".
"Mohamed Merah ne sera jamais jugé, et rien n'interdit de s'interroger sur les innombrables questions laissées ouvertes par cette affaire complexe et par les lenteurs de l'enquête".
"Ce tweet est néanmoins révélateur de la mécanique conspirationniste. A partir de "zones d'ombre", le complotiste remonte un fil qui le conduit irrésistiblement à rejeter en bloc la version officielle. On ne sait pas tout, c'est donc qu'il y a complot".
La première phrase entend définir sans rien dire de précis. Elle est dénuée de valeur et montre que la théorie est au service d'apprentis. La seconde phrase rappelle que la position de l'auteur se trouve battue en brèche par elle-même! Voilà qui en dit long sur le souci de cohérence théorique des théoriciens autoproclamés des théories du complot.
Quant à la troisième phrase, elle indique que la mentalité de la loi du plus fort s'est emparée de la plupart des médias dominants d'Occident. Selon cette loi inique, c'est au plus faible de prouver son innocence. Selon la justice rationnelle et démocratique, c'est à l'accusation de prouver de la culpabilité de celui qu'elle accuse. Selon cet article, il faut croire la VO dans son ensemble, sinon l'on est complotiste. Croire sans preuves revient à exiger de prouver l'innocence de quelqu'un. Pourtant, la VO n'est viable que si elle prouve son accusation. En l'occurrence, ce n'est pas le cas, donc la VO est fausse.
Enfin, il ne s'agit nullement de remonter un fil invisible et d'agréger tous les événements troubles depuis deux millénaires à la même théorie. Cette posture est étrange au sens où elle se révèle obscurantiste. Que fait une théorie, si ce n'est  de rassembler des éléments singuliers pour les regrouper sous la même loi? Einstein serait-il complotiste parce qu'il entend théoriser la physique de manière plus large que Newton?
Verdict du substrat théorique qui sous-tend ces lignes  : il se révèle obscurantiste et partisan de la loi du plus fort!


5) Le clou de cet article de commande intervient avec les multiples citations de Rudy Reichstadt, qui officie en tant que collaborateur de la revue française du Meilleur des mondes, un organe de facture néoconservatrice. Bien entendu, jamais l'identité de Reichstadt n'est rappelée, alors qu'on qualifie de complotistes les contestataires de la VO de Merah amalgamés à la contestation paranoïaque de toute VO en tant que telle. Qu'apprend-on de notre spécialiste orienté ès complotisme? Rien, une nouvelle fois. Son propos est orienté par son idéologie impérialiste. Il entend en gros défendre le pouvoir occidental en place contre toute velléité de suspicion.
Reichstadt procède par amalgames. Il parle de complosphère, mélange les rouges et les bruns sous le label complotiste, utilise une argutie efficace : définir le complotisme adéquatement, puis le mélanger avec les dénonciateurs de complots. Il devient impossible de dénoncer les complots sans se révléer complotiste - c'est le but que recherche un néo-conservateur patenté. Pourtant, Reichstadt lui-même reconnaît que des complots peuvent exister.
Il s'aligne sur la même ligne que le sociologue Froissart : "Toute thèse alternative n'est pas délirante, remarque le sociologue Pascal Froissart, auteur de La Rumeur. Histoire et fantasmes. L'appareil d'Etat nous a déjà abondamment menti par le passé - Tchernobyl, la maladie de Mitterrand, etc.. Le doute est plutôt sain." L'auteur exploitera-t-elle cette constatation de bon sens pour distinguer entre complotistes confusionnels et dénonciateurs lucides de complots?
Le propagandiste Reichstadt, présenté comme expert, ne se risque qu'à énoncer des évidences amalgamantes, qui oscillent entre le faux et le reconnu. Ainsi de cette citation, où dans la seconde phrase, il distille le faux, avant dans la troisième de définir rigoureusement le complotisme. Du coup, il recommence à amalgamer complot et complotisme : "Le conspirationnisme a plusieurs étages, explique Rudy Reichstadt. Au premier niveau, une structure de discours qui tend à privilégier un récit alternatif à celui communément admis sur un événement donné. Et quand on creuse un peu, on trouve l'idéologie conspirationniste, qui veut que tout soit complot."
- dans la seconde phrase, Reichstadt rend impossible toute alternative à la VO, ce qui contredit son propre discours et celui du sociologue.
- dans la troisième phrase, Reichstadt amalgame le complotiste au dénonciateur de complots, alors qu'il a reconnu que l'existence des complots était avérée.
Il est normal qu'un néo-conservateur français se positionne de manière aussi  marquée. Le scandale est qu'une journaliste en fasse sa référence et s'aligne sur ses positions. A quel moment notre journaliste prend-elle la peine de citer des sources divergentes (le BA-BA du journalisme)? Ose-t-elle approfondir la remarque du sociologue Froissart? En agissant de la sorte, elle montre qu'elle a opté pour une position néo-conservatiste de gauche, dont on a vu le museau avec BHL en Libye.
Combien de fois cite-t-elle le propagandiste Reichstadt présenté comme expert dans cet article? 
8 fois. 
L'article finit par une nouvelle citation, un avis lapidaire et tranché. Voilà qui a le mérite d'être clair sur l'identité idéologique de l'article et sur des avis qui se veulent experts, alors qu'ils ont à l'emporte-pièce.


Conclusion.


- Loin d'informer en donnant la parole à des points de vue contradictoires, cet article est engagé dans le néo-conservatisme de gauche.
- A aucun moment, la seule question qui vaille n'est posée : peut-on à l'heure actuelle poser la culpabilité de Merah dans les meurtres de Montauban et Toulouse? Réponse : jamais, à moins de croire sur parole la VO. C'est ce que fait cet article, en s'appuyant sur l'autorité de Reichstadt. C'est ce que ne ferait pas un observateur lucide. Loin de me méfier de tout, je me méfie de ce qui n'est pas prouvé dans le factuel et de ce qui n'est pas argumenté dans l'hypothétique. En l'occurrence, j'ai toutes les raisons de me méfier d'une VO policière et étatique, qui survient à un moment où le pouvoir est en crise et où les complots ont tous les risques de survenir.

                                                                  ***

1)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/19/mohammed-merah-decrit-par-un-de-ses-freres-comme-un-monstre-rempli-de-haine_1721233_3224.html



"Mohamed Merah décrit par un de ses frères comme un "monstre rempli de haine".

L'un des frères de Mohamed Merah est sorti de son silence pour réprouver les crimes du "monstre rempli de haine" qu'est devenu son benjamin, auteur de sept meurtres dans le sud-ouest de la France, et pour tendre la main aux familles des victimes.
Abdelghani Merah, 35 ans, frère aîné du meurtrier de trois militaires et de quatre juifs dont trois enfants à Toulouse et Montauban en mars, a aussi des mots très durs contre leur père, Mohamed Benalel Merah, qui a déposé le 11 juin une plainte pour meurtre contre la police française.
"L'attitude de mon père est totalement indécente, sa plainte est extravagante", dit Abdelghani Merah dans cet entretien publié mardi sur le site internet du Point"On dit qu'il cherche à établir des responsabilités dans la mort de son fils" lors de l'assaut contre l'appartement où il s'était retranché. "Mais le premier responsable de cette horreur, c'est lui. Quand il parle, je me dis : mais faites-le taire", ajoute-t-il.
"C'est une honte totale. Son combat n'est pas le mien. Il devrait s'interroger sur ses propres erreurs qui ont abouti à faire de son fils un monstre rempli de haine, dit-il. Où était-il durant toutes ces années où nous avions besoin de lui ? Et quand son fils était retranché dans son appartement, a-t-il proposé de venir négocier sa reddition ?"
"CE QU'A FAIT MOHAMED EST IMPARDONNABLE"
Le jeune homme explique avoir voulu parler parce qu'il a été touché qu'Albert Chennouf, père d'un des parachutistes tués le 15 mars à Montauban, n'ait pas exprimé de haine malgré la douleur. "J'aurais aimé avoir un père de cette envergure. Il est à la recherche de la vérité, je l'aiderai comme j'aiderai toutes les familles à faire la lumière sur cette tragédie qui aurait pu être évitée", dit Abdelghani Merah, évoquant des "alertes" qui "n'ont pas fonctionné".
"Aujourd'hui, je voulais simplement présenter mes condoléances aux familles des victimes. Je ne demande pas pardon, parce que ce qu'a fait mon frère Mohammed est impardonnable. Il a commis des crimes racistes, c'est un Anders Breivikfrançais", l'extrémiste de droite jugé pour la mort de 77 personnes en Norvège, affirme-t-il.
Mohamed Merah était le dernier d'une fratrie de cinq, que leur père a laissés à leur mère en France pour retourner en Algérie. Un autre frère, Abdelkader, est mis en examen pour complicité d'assassinats et écroué".


2)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/19/affaire-merah-voyage-au-pays-des-conspirationnistes_1717409_3224.html






"Affaire Merah, voyage au pays des conspirationnistes

Le Monde.fr |  • Mis à jour le 
Zones d'ombre, déclarations contradictoires, surenchère médiatique, récupération politique, résonances avec le conflit israélo-palestinien, ratés des services depolice, rôle trouble des services de renseignement... l'affaire Mohamed Merah, le jeune homme accusé d'avoir tué sept personnes en mars à Toulouse et à Montauban, réunit tous les ingrédients dont se nourrissent les théories conspirationnistes.

Dès l'origine de l'affaire, les premiers soupçons de manipulation politique surgissent. Alimentés par les incohérences du dossier, ils ne cesseront d'enflerjusqu'à s'agréger en véritables thèses alternatives à la version officielle. Plongée dans la nébuleuse complotiste, ses réflexes, ses techniques, ses arrière-pensées idéologiques.
Nous sommes le 19 mars. La France est encore sous le choc du meurtre de trois militaires à Montauban quand un homme, baptisé le "tueur au scooter" par la presse, tue trois enfants et un adulte devant une école juive de Toulouse. Le nom de Merah n'est pas encore apparu, les médias véhiculant encore la thèse d'un tueur néonazi. Quelques heures à peine après le drame, Philippe Poutou, alors candidat NPA à la présidentielle, déclare : "Ça a l'air d'être un fou, mais ce n'est peut-être pas un hasard si ça arrive en pleine campagne. Il y a peut-être un calcul politique derrière pour faire diversion par rapport à la crise." Le NPA se désolidarise aussitôt de cette sortie hasardeuse. Les germes du complot, eux, ne tarderont pas à s'épanouir sur Internet.
  • De l'innocence de Merah à la culpabilité d'Israël
Ils sont rapidement relayés sur des sites "spécialisés" comme Sott.net, le Réseau Voltaire, MecanopolisOulala.net ou Legrandsoir.info. Avec l'identification de Merah, ce n'est plus tant sur le "timing" politique que sur l'identité du tueur, que portent désormais les soupçons de manipulation.
Pour Sott.net, un réseau de sites multilingue qui occupe une place de choix dans la complosphère, l'affaire est entendue : Merah est "innocent". La "démonstration", truffée de contrevérités, se nourrit des nombreuses zones d'ombre de l'affaire (récits contradictoires de l'assaut, nature exacte des relations entre Merah et les services secrets, etc.) pour aboutir à une conclusion lapidaire : le jeune homme a été manipulé par les services de renseignement avant d'être exécuté. 
Il faut lire l'exposé jusqu'à son terme pour comprendre l'arrière-fond idéologique qui sous-tend cette thèse : "Les véritables cerveaux du terrorisme à l'échelle mondiale" sont... "les Israéliens". Sous l'article, un texte intitulé "Comment le monde va finir en 2012" nous explique "que la mise en place finale du Nouvel ordre mondial fasciste et totalitaire aura lieu cette année".
"L'idéologie conspirationniste pense que tout est complot, qu'il y a un complot mondial. Elle recycle les vieux thèmes anti-judéo-maçonniques, l'idée d'un sionisme international tentaculaire", explique Rudy Reichstadt, fondateur deConspiracy Watch, site qui se décrit comme un "observatoire du conspirationnisme et des théories du complot". "La complosphère est une galaxie rouge/brune, qui s'agrège de l'extrême gauche à l'extrême droite autour d'un fond idéologique anti-impérialiste". Une collusion illustrée récemment par le cas René Balme, candidat du Front de gauche aux législatives qui hébergeait sur son site,Oulala.net, des textes d'extrême droite, antisémites et complotistes.
L'idéologie conspirationniste se signale par une approche systématique, quasi obsessionnelle, qui tend à tisser un lien invisible entre certains grands événements de l'histoire récente au service d'une même vision du monde.
Sur Mecanopolis, Hani Ramadan, le frère de Tariq, défend ainsi la thèse d'un attentat sous fausse bannière, destiné à faire monter l'islamophobie, qu'il met en relation avec la mort de Ben Laden et les attentats du 11-Septembre : "A propos de Mohamed Merah, nous pouvons être sûrs qu'il est l'auteur des crimes de Toulouse et de Montauban. Du moins, aussi sûrs que nous avons la certitude que le corps de Ben Laden gît au fond des mers, écrit le directeur du Centre islamique de Genève. Comment ne pas ressentir un malaise devant la version officielle des faits, en cette période électorale ? Comment ne pas faire la comparaison avec le 11-Septembre ?"
"La complosphère s'est engouffrée dans cette affaire avec sa célérité habituelle, dès les premiers jours, comme pour le 11-Septembre, la mort de Ben Laden ou l'affaire DSK", constate Rudy Reichstadt. Dernier exemple en date de ce complotisme systémique, le réalisateur Mathieu Kassovitz, qui avait déjà publiquement mis en cause la version officielle du 11-Septembre, s'est fendu, la semaine dernière, d'un tweet dubitatif (supprimé depuis) sur la culpabilité deMohamed Merah :
  • Parole officielle contre source alternative : qui croire ?
Mohamed Merah ne sera jamais jugé, et rien n'interdit de s'interroger sur les innombrables questions laissées ouvertes par cette affaire complexe et par les lenteurs de l'enquête"Toute thèse alternative n'est pas délirante, remarque le sociologue Pascal Froissart, auteur de La rumeur. Histoire et fantasmes.L'appareil d'Etat nous a déjà abondamment menti par le passé - Tchernobyl, la maladie de Mitterrand, etc.. Le doute est plutôt sain."
Ce tweet est néanmoins révélateur de la mécanique conspirationniste. A partir de "zones d'ombre", le complotiste remonte un fil qui le conduit irrésistiblement àrejeter en bloc la version officielle. On ne sait pas tout, c'est donc qu'il y a complot. 
La prise de position de Mathieu Kassovitz fait suite à la publication, mardi 12 juin,par le quotidien algérien arabophone Echourouk, de la traduction en arabe des propos qu'aurait tenus Merah dans deux vidéos tournées durant l'assaut du RAID. Selon la transcription en français du contenu supposé de ces vidéos, le jeune homme aurait découvert peu avant de mourir qu'il avait été manipulé par les services secrets. "Je suis innocent", affirme-t-il, selon la transcription.
Personne n'a jamais vu ces vidéos. La justice française les réclame, jusqu'ici en vain. Les enquêteurs ont fait part de leurs "sérieux doutes" concernant leur existence, tout comme le parquet de Paris, au motif qu'aucun matériel d'enregistrement n'a été retrouvé dans l'appartement de Merah.
Sur les sites conspirationnistes, le contenu de ces vidéos fantômes, relayé par un journal proche des services secrets algériens, eux-mêmes réputés pour leur art consommé de la manipulation, est pourtant cité comme une preuve matérielle du complot. L'autorité de la source importe peu : la version officielle étant par nature mensongère, seules les assertions émanant de la marge sont à même de faireéclater la vérité.
Et quand bien même ces vidéos n'existeraient pas ou seraient des faux, l'objectif serait atteint, explique Rudy Reichstadt : "Il est moins important de convaincre que d'instiller le doute. Dans dix ans, on aura oublié les détails, on retiendra la suspicion."
  • Le rôle des médias : le diable est dans le détail
Une suspicion entretenue par les médias (vidéo ci-dessous) et les déclarations d'anciens patrons du renseignement, comme Yves Bonnet, ancien responsable de la DST, qui a laissé entendre, sans preuve, que Merah avait pu être un indicateur de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). L'enquête n'a pas encore permis de faire la lumière sur ce point : une carence d'information dont s'emparent les tenants des thèses alternatives.
A l'heure d'Internet et des chaînes d'information en continu, affirmations contradictoires non recoupées et contrevérités s'accumulent, semant la confusion dans les esprits. Sur Sott.net, les approximations des médias ne sont pas le signe d'un manque de rigueur, mais la preuve qu'on nous ment :
"Un témoin oculaire des meurtres de Montauban [a] déclaré de façon claire que le tireur, qui portait toujours un casque de moto, était 'corpulent'. [...] Ainsi, conclut l'auteur, il y a des chances que Mohamed Merah ne soit pas l'assassin de Toulouse." Ce lien de cause à effet sur la foi d'un unique témoignage est développé dans cette vidéo :
"Les témoins disent n'importe quoi, comme souvent dans ce genre d'affaires. Le témoignage de cette dame, Martine, n'a jamais été pris au sérieux par les enquêteurs. Mais il faut alimenter l'antenne, et cela créé de la confusion dans l'opinion", explique Frédéric Helbert, journaliste indépendant, qui décrypte sur son blog les développements de l'affaire depuis le premier jour.
"Les conspirationnistes discréditent par avance toute parole officielle, tout média officiel, alors qu'ils ne se nourrissent eux-mêmes que des informations diffusées par ces canaux, explique Rudy Reichstadt. Ils n'enquêtent pas, ils collationnent ce qu'ils trouvent et le mettent en scène de façon plausible. Ils agissent par sous-entendus, pointent les zones d'ombre comme autant de preuves et excluent de leur démonstration ce qui les gêne. Il arrive bien sûr que la parole officielle mente, mais les discours conspirationnistes sont eux-mêmes mensongers et manipulatoires."
  • Le récit de l'assaut : une version officielle défaillante
Cette suspicion à l'égard de la parole officielle a été largement renforcée par la fantastique confusion qui règne depuis le début de cette affaire. "On est dans une histoire où tous les officiels mentent. La communication est totalement verrouillée. C'est du pain béni pour les complotistes !", résume Frédéric Helbert. 
La description tout en non-dits de l'assaut faite au Monde.fr par le patron du RAID, qui coïncide avec son rapport complet de l'opération, est abondamment commentée sur certains sites. Amaury de Hauteclocque y déclare : "Il est venu à l'engagement contre nous avec trois Colt 45 de calibre 11.43 alors que nous avions alors engagé uniquement des armes non-létales. J'avais donné l'ordre de ne riposter qu'avec des grenades susceptibles de le choquer. Mais il a progressé dans l'appartement et il a tenté d'abattre mes hommes qui étaient placés en protection sur le balcon. C'est probablement l'un des snipers qui l'a alors touché."
A aucun moment le patron du RAID n'évoque des tirs de la part de ses hommes engagés dans l'appartement laissant entendre, par omission ("alors que nous avions alors engagé..."), qu'ils étaient équipés d'armes non-létales. En réalité, Merah n'avait qu'un seul Colt, et non trois, et les premiers intervenants du RAID ont tiré à balles réelles lorsqu'il a surgi de la salle de bain en faisant feu dans leur direction, racontent Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut dans Affaire Merah, l'enquête. Au terme de près de six minutes de fusillade, la PJ retrouvera 69 douilles de balles 11.43 tirées par le Colt de Merah, qui avait plusieurs chargeurs, et près de 300 appartenant aux policiers.
Sott.net s'est aussitôt engouffré dans les failles du récit du patron du RAID, en y ajoutant plusieurs erreurs factuelles : "Aucune de ces balles n'a atteint Merah ni un seul membre du groupe d'assaut [...] On peut supposer que les policiers susmentionnés sont tombés en état de choc lorsqu'ils ont réalisé que trois cents cartouches tirées avec des armes automatiques dans un 38 m2 avaient toutes manqué leur cible." Cette affirmation est fausse : près de trente impacts de balles ont été retrouvés sur le corps de Merah, qui portait un gilet de protection, et plusieurs policiers ont été blessés durant l'opération.
"Le récit officiel de l'assaut est incohérent, estime Frédéric Helbert. Six à sept minutes de mitraillage dans 40 m2, 300 cartouches, 28 impacts de balles sur le corps de Merah, c'est difficile à croire. J'ai moi-même du mal à comprendre. Rien n'a été clairement expliqué, et ça ressort comme une hydre. Quand on ne sait pas, on invente. A quoi il faut ajouter que la mère de Merah n'a pas pu voir le corps de son fils, qui était dans un cercueil plombé. Et ça, les complotistes adorent..."
  • Nous sommes tous conspirationnistes
"Le conspirationnisme a plusieurs étages, explique Rudy Reichstadt. Au premier niveau, une structure de discours qui tend à privilégier un récit alternatif à celui communément admis sur un événement donné. Et quand on creuse un peu, on trouve l'idéologie conspirationniste, qui veut que tout soit complot."
Inutile d'être un conspirationniste avéré pour céder, ponctuellement, à la tentation du complot. Au lendemain de la révélation de l'affaire du Sofitel de New York, et alors que l'opinion ne disposait encore d'aucun élément permettant de se forger un avis sur la culpabilité de Dominique Strauss-Kahn, une majorité de français (57 %) pensaient que DSK était victime d'un coup monté. Le pourcentage montait même à 70 % chez les sympathisants socialistes.
Le réflexe complotiste a alors constitué une forme d'autodéfense patriotique, voire partisane. Elle trouve un équivalent dans l'affaire Merah, avec un conspirationnisme "communautaire", certains Français de confession musulmane refusant de croire qu'un des "leurs" ait pu commettre de telles atrocités. Une façon de se libérer d'une culpabilité collective, d'anticiper par le déni toute stigmatisation de leur communauté.
En témoigne ce clip du rappeur d'Alif (qui se présente lui-même comme le chanteur "le plus boycotté du rap français"), dans lequel il se glisse dans la peau de Merah : "La France m'a pris pour cible et m'a collé une affaire d'Etat. (...) En période électorale, tous les coups sont permis. (...) Ils m'accusent de tous ces meurtres que je n'ai pas commis. (...) Ce que nous vivons est un deuxième 11-Septembre à la française. (...) J'pisse le sang dans leur complot. (...) Je sais quetuer des enfants est horrible, mais le plus horrible est d'en avoir reçu l'ordre."
"Le doute est sain en démocratie, admet Rudy Reichstadt. Le problème, c'est que les conspirationnistes se méfient de tout, sauf de leur propre méfiance." Prisonniers de leur idéologie ou de leur réflexes défensifs, "ils sont le contraire d'un esprit libre".