mardi 31 juillet 2018

Penser la simultanéité

On estime souvent que la cause est supérieure à l'effet, étant précisé que l'on entend ici la cause métaphysique, et non la cause au sens scientifique. Dans son sens scientifique, la cause est définie par Descartes, grand causaliste et grand internaliste devant l’Éternel (les deux sont liés), comme au moins égale à l'effet. Mais Descartes lui-même indique que la cause métaphysique est forcément supérieure, puisque Dieu est la cause et que Dieu est parfait. Si l'on se rend compte que la cause n'est que le début du processus, nécessairement inférieure à la construction de ses effets successifs, on est finaliste, au sens où l'on estime que la fin importe plus que la cause, mais on tomberait dans la même erreur d'illusion si on estimait qu'il existe une fin ultime, comme il existe une cause ultime. Dans les deux cas, on se montrerait ultimiste. Or l'ultimisme est l'illusion générale, commune au causalisme comme au finalisme, selon laquelle on ne saurait sortir de notre expérience courante et ordinaire de l'être. Autrement dit, l'être étant ordinaire, il est indépassable quand on veut penser à ce qui est (ce qu'on est comme ce qui est extérieur à ce qu'on est).
Cela implique que le réel soit formé d'une manière homogène, seulement avec de l'être, ce qui ne va pas de soi, et qui pose des problèmes plus nombreux, voire insurmontables, que si on part de l'hypothèse tout aussi intuitiviste, mais opposée, selon laquelle le réel est fondamentalement constitué de différence et de simultanéité. Mais comme on n'interroge que rarement les choses les plus importantes, on se rend compte que les philosophies déroulent des arguments d'une logique impeccable, à partir de fondements le plus souvent impensés et dont les problèmes se révèlent, si on prend la peine de les examiner, cachés avec une grande ingéniosité et une parfaite mauvaise foi. Si l'on congédie le causalisme comme le finalisme, que reste-t-il? Les philosophes seront nombreux dans la tradition à répondre qu'il ne reste rien et que c'est pour cette raison qu'il convient d'embrasser l'une deux deux hypothèses - le causalisme présentant l’avantage non négligeable de correspondre à la forme logique du raisonnement humain, quand le finalisme semble parfois séduisant sur le plan métaphysique, mais impraticable le plus souvent dans nos expériences de pensée.
Reste une dernière alternative : quand on dit qu'il ne reste rien, il reste précisément quelque chose : à interroger ce qu'on entend par rien. Donc à constater que ce qu'on appelle rien ne l'est pas, rien. Il est quelque chose. C'est en ce sens qu'on peut défendre une autre option, jamais envisagée : la simultanéité. C'est-à-dire qu'il existe autre chose que de l'être; ce qu'on nomme le rien. Et si l'on admet cette hypothèse hardie, il faut bien qualifier le différent de l’être. Autrement dit, renommer le rien. Mais ce rien ne peut exister avant ou après, comme cause première ou comme fin ultime. Il faut donc qu'il existe en même temps, sinon il retombe sous les mêmes critiques. Même si le nihilisme se rapproche du transcendantalisme sur le point capital de ne considérer comme pensable que l'être, en revanche, il présente la différence et la vertu de prôner la simultanéité. Le nihilisme proposait certes le mode de vie de la destruction généralisée, ce qui explique qu'il ait été oublié et que le transcendantalisme n'ait eu aucune peine à le dominer d'une manière quasi unanime (au point que, de nos jours, on tient le nihilisme comme marginal). Mais pas seulement.
C'est ainsi que, sur la simultanéité, Démocrite et ses successeurs de l'atomisme expliquent bien que le vide coexiste avec l'être. Selon eux, on ne peut penser le réel sans le penser de manière simultanée. Et sur ce point, ils ont vu juste. Comme ils ont raison sur l'idée de différence, et non d'homogénéité, qui caractérise le réel. Le nihilisme n'est ainsi pas qu'un mouvement dangereux et à oublier. Il part aussi d'intuitions justes, à condition de préciser qu'elles mènent ensuite vers la destruction. La simultanéité nihiliste ne permet ainsi pas de donner voix à une idée nouvelle, originale et viable, car elle amène l'idée selon laquelle la destruction est nécessaire et de ce fait souhaitable pour la valider. Raison pour laquelle on a oublié cette thèse, en l'assimilant (hâtivement) au nihilisme. La simultanéité ne sera viable que si elle réussit à échapper à la destruction. Qu'est-ce que la destruction? C'est la mauvaise représentation. Disparaît par exemple le sujet qui se trompe totalement (ou grandement). 
La simultanéité nihiliste signifie que tout est ici et maintenant. Sous-entendu : ici et maintenant dans l'être. Mais, justement, dans l'être. Quand le nihilisme dit, autre intuition profonde, qu'il n'y a que de l'être, il ne développe pas cette intuition que pour y ajouter le non-être. Or le non-être n'étant pas défini, il bascule dans l'irrationalisme. Dès lors, le nihilisme rejoint le transcendantalisme sur la question de l'identité du réel avec l'être : pour lui aussi, il n'y a que de l'être, à partir du moment où l'alternative du non-être ne se pense pas. La simultanéité nihiliste se montre ainsi destructrice. Mais la simultanéité telle que je l'entends s'ancre sur une conception du réel qui considère qu'il n'y a pas que de l'être, mais que le non-être n'est pas du rien et du non définissable, mais quelque chose qui n'est pas de l'être et qui se trouve être de la malléabilité. 
Dans ce cas, la simultanéité signifie qu'il y a quelque chose d'autre dans l'ici et le maintenant que de l'être. La simultanéité ne se limite pas à ce que l'être présente et propose. La simultanéité signifie que l'être est en même temps autre chose que de l'être, ce qu'il ne perçoit pas. C'est cette question qu'il importe de considérer et d'opposer au causalisme et au finalisme quand on estime que la conception homogène du réel ne vaut pas.

lundi 16 juillet 2018

Qu'est-ce que la vérité?

On comprend que l'évaluation soit au centre de la philosophie quand on se rend compte que la principale erreur de la quête de l'origine comme vérité consiste à croire que la vérité existe de manière donnée, stable, immuable - qu'on peut donc la retrouver, comme la quête du temps perdu qu'entreprend Proust dans sa grande œuvre.
Si au contraire, on comprend l'alternative à l’Être, la malléabilité, comme ce qui n'est pas de l'être, mais du mouvant par excellence, alors l'évaluation reprend tout son sens : elle n'est pas une fonction de jugement approximative, secondaire par rapport au véritable jugement, qui est stabilité, mais le jugement même (le jugement donné et stabilisé étant au contraire ce qui est secondaire autant que provisoire).
Ne vaut que ce qui est évaluatif, ce qui explique le peu de valeur de mouvements comme le positivisme - ou tout moment qui pense que la vérité est donnée et atteignable (comme le matérialisme). Dans ce cas, ce qui est à évaluer, ce n'est pas la malléabilité, qui comme propriété d'ensemble ne peut être évalué de l’intérieur, mais le fait que l'être change, et qu'il change suffisamment pour qu'il ne soit pas le même.
En fait, quand on avance qu'un grand penseur a vu quelque chose de nouveau que les autres n'ont pas vus, on estime qu'il a plus vu la vérité que les autres, vérité qui existe déjà; alors que si la vérité est évaluation, elle est toujours à faire et celui qui a vu du nouveau est celui qui l'a produit.