vendredi 30 décembre 2011

L'innovation : postcapitalisme


Une intuition qui s'ancre sur le terrain économique, mais qui tire ses racines du philosophique et dont l'expression est in fine politique : 

Le capitalisme propose un modèle d'organisation qui s'arrête à la sphère économique. Quelle est la limite de l'économie? Elle est une organisation finie et statique. Dans ce cadre, le capitalisme présente la forme la plus aboutie d'économie fixe - en attendant la prochaine forme qui lui soit supérieure. Cette forme ne sera pas définie de manière définitive, puisque le définitif fixe et fixe. Dans ce cadre, la faiblesse que l'on peut déceler et diagnostiquer dans le capitalisme résiderait dans son absence de reconnaissance pour la créativité. Cette critique du capitalisme peu créatif (voire acréatif) se trouve ébauchée chez l'économiste hétérodoxe aux normes libérales et autodidacte LaRouche (et son associé Cheminade en France dans son article sur la critique de la démarche de Marx) lorsqu'il opère la critique du marxisme en montrant que le marxisme critique d'autant plus les normes capitalistes qu'il reprend et valide pour s'y opposer les fondements de l'école libérale.
Quelle est cette créativité déniée par le capitalisme? S'il s'agissait d'un processus dont la dynamique serait infinie et absolue, on n'établirait aucune forme, on demeurerait dans l'indéfini, selon un informel accommodant qui détruirait la possibilité de changement par son expression : pratiquement, la créativité permet de passer de la forme de l'Etat-nation au planétarisme. L'Etat-nation est l'association politique qui s'avère la plus performante à l'intérieur de normes extérieures plus évasives et figées sur la limite de l'international (ou du mondial). La limite de l'Etat-nation recoupe son mode de fonctionnement capitaliste : l'absence de créativité dans le capitalisme fige la forme politique de l'Etat-nation à l'intérieur de la planète Terre.
Quel est ce changement de normes politiques (adossées à un changement de normes philosophiques) qui permet d'accéder à la forme supérieure du planétarisme? La créativité ici relevée désigne la forme permettant d'accéder au planétarisme depuis l'Etat-nation, ou de critiquer le capitalisme qui avait permis l'apport du capital dans l'édification de l'Etat-nation au-delà du tribalisme (y compris sous les formes sophistiquées de tribalisme).
On vante la rationalisation supérieure du capitalisme par rapport aux structures économiques précapitalistes du fait de l'apport ultime de fictif en forme de capital : mais cette rationalisation s'établit trop souvent comme définitive, comme si la découverte du capital comme structure économique permettant de développer et d'accroître l'économie était la fin de l'histoire au sens où un idéologue comme Fukuyama évoque cette hypothèse néo-hégélienne dans un sens déformé en faveur du libéralisme. La créativité dénote déjà le changement de paradigme : ce qui est créatif est ce qui change. Et ce qui accède au planétarisme découle d'un changement qui est accroissement politique.
Le changement de paradigme philosophique repose sur la créativité qui permet de développer et d'accroître le capitalisme - partant l'Etat-nation : cette créativité a besoin de se fixer en une forme qui soit à la fois concrète, politique, quoique reliée au théorique, philosophique, et qui en même temps ne demeure pas dans les limbes de l'informel. La forme théorique qui correspond au planétarisme, c'est dans la succession historique du capitalisme la condition qui va permettre à l'homme de l'Etat-nation, enfermé à l'intérieur de son mode mondialiste sclérosé, de sortir vers l'espace.
En ce sens, la créativité contacte l'informel qui donne la possibilité d'accroître la forme de l'être figée que l'on retrouve dans le capitalisme. L'informel n'est pas tant l'envers de la forme que la possibilité dans le réel de former l'être. Cette dimension se trouve absente du capitalisme et nécessite l'agrandissement de la forme capitaliste vers la valorisation de la créativité, soit de la faculté humaine à valoriser sa croissance au lieu d'en demeurer à une sphère relativement fixe, voire intangible. La créativité comprise dans l'organisation économique implique concrètement, dans l'entreprise, que l'on accélère le changement et que l'on accorde une valeur qui dans l'économique dépasse le capital.
La valeur suprême économique devient une valeur qui n'est plus seulement économique, au contraire du capital comme dans le capitalisme. La valeur suprême économique devient politique et permet à l'homme de se rendre dans l'espace. Les espèces (la valeur monétaire) se trouvent au service de l'espace. La créativité comme lieu informel contacte explicitement au nom de l'informel la valeur philosophique du reflet, mais en ajoutant à cette donnée du reflet son corollaire spécifique dans la sphère économique :  l'innovation. Et c'est ainsi que le capitalisme peut se réformer vers sa croissance spatiale, alors que sa sclérose inexorable sous sa forme figée le conduirait plutôt vers le spectre de la décroissance et l'appellation très impérialiste agonisant de développement durable.

mercredi 28 décembre 2011

La vie professionnelle


D'où vient la rengaine du professionnel comme fin de l'existence? Sarkozy en France lui a conféré son slogan le plus en adéquation avec la mentalité ultralibérale : "Travailler plus gagner plus", ce qui accouche dans les faits d'un éloquent "travailler plus pour gagner moins" - et qui indique que l'ultralibéralisme ne fonctionne pas et ne peut assumer ses promesses. Cette prédominance cardinale accordée au professionnel et au travail rappelle avec inquiétude un signe : les fascistes ont mis en exergue l'importance du professionnel et du travail, eux qui commencèrent par s'implanter par le corporatisme. Les pétainistes revendiquaient cette importance du travail avec le slogan : "Travail, Famille, Patrie".
Cette récurrence du thème du travail se comprend dans le libéralisme, surtout dans ses formes les plus radicales, comme la mise en valeur de l'individuel pur, qui cherche à se couper de ses racines collectives. De ce point de vue, le fascisme exprime la crise libérale, avec la recherche désespérée d'un collectif qui soit en lien avec l'individu et qui se manifesterait grâce à la violence. Évidemment cette alternative ne peut fonctionner : on voit mal comment la violence restaurera le lien collectif, ni quoi que ce soit de pérenne.
L'immanentisme entend imposer l'individu complet en lieu et place du collectif. C'est le projet du libéralisme et à ce titre la promotion du professionnel est d'autant plus une expression libérale que le libéralisme promeut à tout crin le travail comme la résolution de l'accomplissement de l'individu. Le travail exprime l'épanouissement de l'individu, la quintessence de la valeur suprême de facture : "complet du complet". Le professionnel serait l'acmé et le couronnement de l'individu en tant qu'expression de la complétude. Quand Aristote recherche le couronnement de l'individu et qu'il propose (de manière prudente et relative) le plaisir individuel comme couronnement de l'activité individuelle, nous nous trouvons déjà dans une tentative de valorisation de l'individu et de l'action individuelle. Le libéralisme ne fait que prolonger et accroître cette velléité qui est inhérente au projet nihiliste dès les limbes antiques du nihilisme.
La revendication actuelle du professionnel s'intègre dans la mentalité libérale en tant qu'expression interne et de forme idéologique de l'immanentisme, tandis que le fascisme essaye de sortir de la revendication intenable d'individualisme pur en essayant de renouer avec le collectif. Mais sa tentative ne peut être qu'un échec tragico-pathétique, en s'appuyant sur la violence. Le fascisme est imbriqué dans le libéralisme, dont il constitue la phase terminale, bien qu'il prétende se montrer plus ou moins antilibéral et surtout anticapitaliste. En ce sens il n'est pas capable de sortir du libéralisme, tout au plus de proposer la violence comme modèle de reconstruction. Hélas, derrière la violence des fascistes, on tombe sur la mort, un peu comme avec le soldat de Rimbaud. Même attirance pour la guerre, même fascination pour la Nature solaire. J'ai bien peur que le destin des disciples de Carl Schmitt soit comparable à celui de ce jeune soldat paisible et quiet : au final, "il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine/Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit".

dimanche 25 décembre 2011

Le déni


Le déni est un terme psychanalytique qui désigne le mécanisme du refoulement, voire de la forclusion. Il est voisin de la mauvaise foi sartrienne en philosophie. Le déni psychanalytique serait inconscient quand la mauvaise foi philosophique serait consciente. L'histoire du nihilisme repose sur l'inobservé, le caché - le déni. Le nihilisme n'est pas une démarche philosophique qui serait spécifique et indépendante de l'expression religieuse. Au contraire, le nihilisme en tant que forme d'expression religieuse antagoniste du transcendantalisme se sert du rationalisme philosophique comme d'un moyen spécifique de langage religieux.
Le déni exprime le refus du changement au sens où quand on refuse de considérer qu'une réalité est, on ne peut le faire qu'au service du faux, non de l'autre (selon les termes platonicien et aristotélicien). Si on le faisait au service de l'autre, plus on dénierait, plus on ferait advenir l'autre radical et étranger. Le déni réfute l'existence en général sous prétexte de dénier l'existence particulière pour imposer l'immobilisme. L'immobilisme découle du schéma antagoniste être fini/non-être, qui fixe la réalité d'une manière intangible et inchangée. Avec l'autre, l'erreur est au service du changement; tandis qu'avec le non-être, le faux est au service de l'immobilisme.
L'erreur consiste à accélérer le changement. La différence entre erreur et déni tient à l'occultation accrue du réel par le déni. Le déni avance que ce qui existe n'existe pas; quand l'erreur reconnaît l'existence de ce qui existe, mais lui prête une forme fausse et hallucinatoire. L'erreur fait plus le jeu de ce qui existe, quand le déni fait le jeu avancé de ce qui n'existe pas. Le déni est l'expression de la mentalité nihiliste qui instaure l'équilibre précaire entre ce qui existe et ce qui n'existe pas, avec une régénération violente et virulente de l'être au contact antagoniste de ce qui n'existe pas. Le déni sert cette rencontre explosive et destructrice (l'ordre par le chaos), dont l'autodestruction engendre le changement régénérateur.
Le faux aristotélicien est au service du changement. Ce n'est pas un hasard si Aristote s'oppose à l'autre de Platon par son faux : le faux en lieu et place de l'autre permet cette rencontre du changement par l'explosion, alors que dans le cadre de l'autre, le faux est compris dans le processus de l'autre et du coup tend à nier l'existence paradoxale de ce qui n'est pas. Le faux réhabilite le non-être dans l'être, car si le faux existe en tant que faux, le non-être existe en tant que non-être - tandis que le faux englobé et subsumé dans l'autre apparaît seulement comme la mauvaise image de ce qui est.

mercredi 21 décembre 2011

Le désir du même


Juste quelques bribes de réflexion à propos de l'homosexualité, non pour porter atteinte à l'homosexuel,, mais pour s'interroger sur le stéréotype (véhiculé par la psychanalyse) estimant que l'homosexualité masculine découlerait d'une mère castratrice et d'un univers familial trop féminisé; quand l'homosexualité féminine serait profanation perverse de la figure paternelle, voire du mâle. Je me demande si l'hypothèse inverse ne serait pas plus valide, tant cette interprétation à partir du parent de sexe opposé dissocie l'homosexualité masculine de l'homosexualité féminine, alors qu'elle s'appuie sur l'observation la moins scientifique (l'homosexuel féminisé est une constante qui ne représente pas la majorité des cas, de même que l'homosexuelle masculinisée n'est pas la lesbienne-type).
Deux questions dans ce cadre :
1) L'homosexualité masculine survient-elle quand le fils veut prendre la place du père qu'il considère comme déficient pour bonifier la relation avec la mère? L'homosexualité se déploierait parce que la relation sexuelle avec la mère est impossible (incestueuse). La structure familiale sexuée est archétypale de la structure sexuée de type social : elle y renvoie, d'où la primauté du sexuel sur le familial (et du social sur le familial). Mais le social est partie du politique, qui est partie du religieux. Du coup, il s'agit de réfuter le changement et de prôner à la place le même pur qui se trouve exprimé dans le préfixe d'homosexualité.
2) L'homosexualité féminine survient-elle quand la fille veut prendre la place de la mère qu'elle considère comme déficiente par rapport au père? L'homosexualité féminine ne renverrait plus au désir pervers de profaner le père, mais à la volonté de lui venir en aide.
D'une manière générale, les deux homosexualités consisteraient moins en une réaction contre les sexes opposés, notamment parentaux, qu'en une tentative d'aide envers le parent de sexe opposé considéré comme faible et démuni. Prendre la place du parent de même sexe aboutit à une contradiction, puisque l'instauration radicale de ce même expurgé de toute différence implique dans le même temps, de façon contradictoire, la différence induite dans l'acte de prendre la place de, de se substituer à. Cette aide sclérosante aboutit à l'impossibilité de la reproduction, car la reproduction sexuelle implique la rencontre extrafamiliale, tandis que l'homosexualité s'enferre dans le même pur et absolu et affirme l'impasse sexuelle adossée sur l'impasse ontologique. Cette conception de l'homosexualité, loin de dévaloriser les individus, insiste sur le caractère non pérenne de l'homosexualité - sexualité adossée au même pur en tant qu'approche ontologique autodestructrice.

dimanche 18 décembre 2011

Foi de folie

Que penser d'une personne soumise à des accès de délire qui présente pour particularité théorique (et clinique) de mal reconnaître la différence entre fiction et réel (une bonne définition de la folie)? Je me fais cette réflexion plus générale à propos de la folie : une femme d'âge mûr propose la caractéristique remarquable d'avoir dépassé les quarante années, accumulé les coups durs, subi les épisodes psychopathologiques les plus pénibles, les déceptions sentimentales dépréciantes, j'en passe et des pires - et malgré ces coups qui devraient logiquement (du moins rationnellement) l'inciter à la remise en question et la retenue, voire le détachement, notre quadragénaire adulescente (version périmée), toujours puérile - au sens où elle prend tout au premier degré au point de ne pas apprendre de l'existence, de se trouver dépourvue de jugement mémoriel, ose encore se comporter avec la candeur de la virulence, comme si elle n'avait pas pris acte de ses délires cliniquement traités.
Le propre de la folie conduirait à ne jamais se remettre en question malgré l'évidence? Comment expliquer qu'une hystérique aigrie estime qu'en agressant et en calomniant, elle se retrouverait dans la position inversée de l'agressée qui se défend? Sentiment de toute-puissance bien connu et qui caractérise la perversion, mais - à quoi renvoie cette toute-puissance perverse, où le fou se prend pour le Dieu et décrète son pouvoir absolu (et fantasmatique) sur les autres, surtout quand ceux-ci sont lointains et ne lui ont rien demandé? La toute-puissance renvoie à la complétude. On est tout-puissant quand on maîtrise l'intégralité du réel. La folie tournerait autour de la complétude du désir - la folie étant le désir qui se prétend d'autant plus complet qu'il souffre de déficiences profondes et pathétiques.
Mais si la folie émane d'un désir faussement complet, force est de constater que le programme des immanentistes posé par un Spinoza débouche sur la folie. Pourtant, Spinoza n'était pas fou, quoique Nietzsche ait fini fou, qu'Heidegger ait adhéré un temps au nazisme (perversion du jugement oligarchisé et nihilisé), que Deleuze se soit défenestré dans un acte de souffrance ou que Rosset soit un dépressif chronique. La perversité qui voisinerait de la folie s'approcherait de la complétude du désir - ce qui indique que le programme immanentiste est plus dangereux que faux. Que manque-t-il à la complétude du désir perverse pour renvoyer à la folie?
La différence entre l'immanentisme fondateur et la phase gradatoire interne de l'immanentisme tardif et dégénéré, c'est l'irrationalisme accru, soit la réduction accrue (alors que l'immanentisme constitue une réduction par rapport au nihilisme dès son expression initiale). La folie renverrait à l'alliance de la complétude avec la fixité arbitraire, d'où le décalage croissant et tragique entre ce qui est (le mouvant et le changeant) et le point de vue fou, complet et fixe. La perversion serait adaptée au réel parce qu'elle respecte des conditions précaires, partielles, quoique fondamentales du changeant, tout en réclamant la seule complétude; quand la folie ajouterait à la complétude la fixité, au sens où elle ne retient du réel que le fixe. D'où la paranoïa, moyen de se méfier du changement et d'aduler ce qui est passé et qui est mort; d'où l'hystérie, scandale virulent et incontrôlable face à ce qui change; d'où la projection, qui habille le changeant de tous les maux pour blanchir définitivement le fixe.

vendredi 16 décembre 2011

Rebelote


Pourquoi la métaphysique via ses innombrables avatars scoliastes, comme le mouvement des péripatéticiens, a-t-elle connu un tel succès dans le christianisme? Pourquoi les auteurs nihilistes de l'Antiquité ont-ils disparu dans une forme de censure qui résulte de la vengeance des copistes à l'esprit monothéiste? Démocrite, Gorgias, Protagoras, Epicure... Si Aristote est le seul à être demeuré lisible parmi les écrivains de tradition nihiliste, quoique en partie perdu pour certains écrits comme ses dialogues, c'est qu'il a proposé une compatibilité entre l'ontologie et le nihilisme. L'ontologie est en philosophie antique l'expression compatible avec le monothéisme naissant, dont le christianisme sera longtemps le porte-flambeau, avant d'être accompagné par le prolongement islamique.
La tradition islamique montre aussi une grande révérence pour l'aristotélisme, avec une constante : trouver un compromis entre le monothéisme et l'aristotélisme, parce que le mérite de l'aristotélisme consiste à proposer une méthodologie réaliste dans le fini, qui si elle devenait compatible avec la spéculation monothéiste concernant l'ensemble du réel couronnerait la pensée, l'achèvement des problèmes spéculatifs. Ce compromis ne peut fonctionner parce que le réel  dense et défini d'Aristote étant fini, il se trouve environné par le non-être. Le non-être est incompatible avec le monothéisme; l'idée selon laquelle le monothéisme peut se perfectionner avec la métaphysique repose sur l'illusion selon laquelle on forge l'être en l'entremêlant avec le non-être.
La fin de l'aristotélisme sous sa forme terminale de scolastique était prévisible puisque sa théorie sous prétexte d'achèvement est sclérosante. Mais la méthode de l'aristotélisme va se trouver renouvelée et régénérée par l'intervention du cartésianisme postscolastique. On présente Descartes comme le rénovateur de la philosophie qui romprait avec l'obscurantisme de la scolastique - alors qu'il a rompu avec la scolastique pour préserver la métaphysique et la prolonger en la renouvelant. Descartes est le rénovateur de la métaphysique qui détruit de l'intérieur l'obsolescence de la scolastique. La scolastique exprime la métaphysique originaire (aristotélicienne et associés) poussée dans ses ultimes retranchements, moquée par ses Aristoteles dixit depuis les satiristes de la Renaissance, tandis qu'à l'opposé Descartes, loin de symboliser la rénovation de la métaphysique, lance au contraire la métaphysique seconde, pas comme il l'annonce la rupture avec la scolastique pour proposer un mouvement qui serait la Renaissance de la philosophie. 
La Renaissance a soit proposé le prolongement de l'ontologie - soit a versé dans une contre-révolution idéelle avec d'un côté le cartésianisme qui prolonge la tradition métaphysique en changeant ses aspects obsolètes (scolastiques); de l'autre, la radicalisation immanentiste impulsée par Spinoza de l'intérieur de l'optique métaphysique contre le cartésianisme (comme un Malebranche par exemple). C'est dans cette tradition immanentiste qu'il faut ranger les idéologies dont le nom émane des idéologues, mais dont les productions les plus remarquables sont le libéralisme conservateur issu de la Compagnie des Indes - et l'idéologie progressiste marxienne avec ses applications communistes, dont il convient de noter qu'elle se veut progrès à partir du libéralisme et non contre lui, alors qu'elle entend proposer le couronnement dialectique fini du capitalisme (en ce sens, l'erreur du marxisme est théoriquement fondamentale).
L'immanentisme constitue l'opposition interne à la métaphysique cartésienne (postscolastique), mais les deux, l'immanentisme et le cartésianisme sont la poursuite du nihilisme antique. Quand le monothéisme entend opérer une jonction avec la métaphysique pour parvenir à son achèvement, c'est parce que le nihilisme dispose comme atout considérable de réussir à isoler (au sens chimique) du réel dense et sensible (fini), alors que la métaphysique échoue à réunir sa spéculation sur le divin avec l'existence la plus concrète (même problème non résolu que ce qu'Aristote reprochait au platonisme). L'intervention de Descartes suite à la faillite de la scolastique reconnaît cette faillite définitive de l'association oxymorique entre métaphysique et christianisme. Descartes reste dans le standard de la métaphysique aristotélicienne originelle qui a accouché de la scolastique. Il ne cherche pas à réformer le standard du réel fini énoncé par Aristote comme naissance de la métaphysique et couronnement du nihilisme antique, il lui ajoute une évolution qu'il prend pour la réforme enfin viable de la métaphysique, alors que la métaphysique ne peut être réformée, puisque le ver est dans le fruit : l'être fini d'Aristote était expliqué par le non-être inexplicable (dont on voit mal comment il se concilierait avec le Premier Moteur, qui est un anti-principe irrationnel et anti-divin, abolissant le principe créatif et la possibilité de compréhension).
Descartes réforme en profondeur le non-être d'Aristote en le transformant en divin miraculeux. L'irrationnel intrinsèque au non-être devient le divin miraculeux, ce qui fait que l'approche de la métaphysique cartésienne par rapport à la métaphysique originelle n'a guère changé : si Dieu est reconnu dans son existence par Descartes autrement que sous le terme antidivin de Premier Moteur, ce Dieu miraculeux ne peut intervenir et changer le fini que d'une manière miraculeuse, qui échappe à la raison mécaniste et qui du coup rejoint la faiblesse de la métaphysique originelle et chrétienne par son caractère d'inexplicabilité. La traçabilité (terme peu élégant) de Descartes par rapport à son héritage scolastique l'inscrit dans une rénovation de la métaphysique, et pas dans une stratégie de rupture avec la métaphysique. Contre l'annonce ultérieure de Pascal, Descartes prétend réformer ses connaissances passées, apprises au lycée La Flèche des bons pères jésuites. En fait, sa réforme le pousse non pas à changer de paradigme épistémologique, mais à conserver le même paradigme, en gros métaphysique, pour ensuite révoquer en doute les connaissances métaphysiques passées aux fins de fonder de nouvelles et plus valables connaissances, tout aussi métaphysiques.

mardi 13 décembre 2011

L'antifiction


J'entends Nabe parler de son nouveau chef-d'oeuvre impérissable et usant de la projection narcissique comme moyen privilégié de représentation, L'Enculé. Nabe considère qu'aller à la télé (comme aller aux putes) est un signe de qualité, tout comme vendre des livres. Il a déclaré que la vraie littérature oscille entre mille et deux mille exemplaires : maintenant qu'il se vante d'en vendre environ le triple ou le quadruple, il ferait bien de se remettre en cause : arrêter d'écrire ses nullités littéralement anti-littéraires. Un autre excité qui écrit encore plus mal et qui vend beaucoup plus, l'alternationaliste Soral, qui se veut autant politologue que romancier et sociologue (et qui n'est aucun des trois lièvres qu'il entend lever), s'est engueulé avec Nabe parce que (vraie raison) nos impétrants sont deux mauvais écrivains de quelque catégorie que ce soit. Tous deux voudraient vivre en marginaux à condition que ce soit dans la sphère people, tous deux sont accusés d'antisémitisme (terme inexact, peu importe), tous deux pensent qu'on peut écrire la haine au front. 
Écrire oui, mais durer? Question que l'on peut poser pour un Houellebecq (quoique je ne sois plus persuadé de sa postérité d'écrivain), mais qui est drolatique concernant nos deux histrions de la littérature française. Soral plus lucide en critique de bistrot qu'en écrivain idéologue avait défini Nabe comme un maniériste obsédé par son style, creux quant au fond qu'il méprise :  que cet anarcho-nombriliste ait un bon style, c'est certain, qu'il écrive divinement bien comme il osa en toute démesure se qualifier une fois (encore à la télé) relève de la plaisanterie. Si Soral produit de la mauvaise fiction influencée par l'autofiction, Nabe reprend l'autofiction en intégralité - ou peu s'en faut. Un sous-genre de l'autobiographie qui fut théorisé à son faîte (relatif) par Doubrovsky et qui connaît son heure de gloire actuellement, bien que le projet très rapidement révèle ses limites : il s'agit de proposer un récit fictif de sa propre vie, prétexte qui justifie d'écrire sur soi dans les moindres détails, sans besoin sélectif d'avoir vécu des événements notables, pour le moins historiques.
Cette mode a produit les pires débordements, car elle remplace l'historique par l'exhibition graveleuse, souvent sexuelle. Elle consiste fondamentalement à promouvoir le narcissisme du désir complet cher à Spinoza et à ses disciples en immanentisme de plus en plus dégradé. Le culte du désir - voix du désir - aboutit à la monstruosité égotiste et égocentrique. Une kyrielle de jeunes femmes prétendent tenir la chronique de leur vie aussi creuse que sexualisée, dont Angot pour la mauvaise littérature commerciale ou Annie Ernaux pour la médiocre littérature chic. Quelques pervers comme Matzneff qui quand il ne racontait pas dans ses journaux intimes ses journées constellées de jeunes femmes dresse carrément l'apologie de la pédophilie. Eh oui, le culte du désir triomphant et l'accroissement de sa puissance désirante n'inclinent guère à la pondération (c'est l'écrivain X qui énonçait joliment que chez Matzneff on trouve plus de femmes que de littérature).
On voit que le désir complet s'exprime par la peinture de la pornographie et qu'on peut même soupçonné qu'en guise d'autofiction, nos auteurs recourent à des fictions fort complaisantes sur les agissements de leurs désirs. Doubrovsky est certes un bien meilleur écrivain, mais force est de constater qu'il est seul en son genre à pouvoir prétendre à une posture non pas médiocre, mais mineure - et que la lecture de ses livres laisse transparaître leur récurrent défaut : le caractère morne de leur répétition. Par ailleurs, Doubrovsky relate ses expériences sexuelles, amoureuses en confondant les deux réalités, à ceci près qu'il ne les enjolive pas et qu'au contraire il tend à leur conférer au final une interprétation pessimiste : il y a une sorte de désabusement et de fatuité quand Doubrovsky se retourne sur son passé et qu'il se souvient de ce qui constitue le sel de sa vie privée.
La loi du désir veut que les productions désirantes soient soumises au principe de leur contingence et de leur caractéristique éphémère et vaine (la vanité est vaine). Le désir enferme le réel dans son immédiateté la plus périssable. La preuve avec la dérive pseudo-littéraire de l'autofiction, qui finit immanquablement aux portes de la pornographie, soit qu'elle y laisse implicitement, soit qu'elle s'y vautre explicitement. La caractéristique narrative de l'autoficton, faire de la fiction à partir du réel le plus privé, voire impudique, consiste à renverser la démarche classique imaginant un réel fictif qui permette au réel existant de se développer. Au contraire, la fiction si peu fictive de l'autofiction refuse l'imagination spéculative et lui oppose de piocher dans ce qui est déjà connu pour imaginer. On passe d'une fiction qui accroît à une fiction qui bientôt décroît si l'on s'avise que la fin de la littérature se trouve inversée par l'autofiction.
Mais cette inversion procède directement de la loi du désir, selon laquelle le débat du désir existe seulement dans le réel, en précisant que le réel en question est le donné qui existe déjà et qui ne change pas. La voix du désir promeut cette conception et attribue à la littérature le rôle de fixer le réel à son donné comme une mouche à son vinaigre. Mais ce désir diffère de l'expression pornographique en ce que l'action pornographique se trouve dénuée d'intelligence, ou alors réduite à son minimalisme exacerbé, quand l'autofiction entend opérer une marque de distanciation par rapport au désir grâce à l'intelligence. On dispose ainsi d'un désir stupide et d'un désir intelligent, en précisant que l'intelligence se trouve au service du désir.
Il n'est pas étonnant que les écrivains promus par l'autofiction se montrent aussi élitistes et snobs que Matzneff, qui se serait mal remis de son passé de Russe blanc et de son adoration quasi génétique pour l'oligarchie et l'impérialisme : cette posture déformée et grotesque (caricaturale) est prévisible dans l'optique de l'intelligence au service du désir. Il s'agit bien d'accroître sa puissance. Ce qui induit que l'intelligence se trouve glorifiée, non comme fin, mais comme moyen capital rendant le désir efficient et dominateur. Seul le désir intelligent peut dominer, ce qui explique la morgue des désirs intelligents qui seuls expriment la puissance en accroissement au détriment des autres désirs brisés ou détruits - et la revendication d'amoralisme qui est l'antienne/rengaine de tous ces écrivains de l'autofiction : l'amoralisme signe la supériorité du désir sur la loi. La loi est l'expression de l'intelligence, quand le désir dominant se situe par sa domination au-dessus de la loi qu'il édicte.
En empêchant que le réel se renouvelle et se développe, l'autofiction s'insère dans le dispositif théorique de l'immanentisme, qui consiste à détruire le réel au nom du donné retrouvé (le désir plus encore que le fini aristotélicien). L'autofiction est si stéréotypée qu'elle se réduit à la possibilité d'une seule production de qualité et de la répétition qualitativement dégénérée pour les autres : cette unicité statique et nécessaire de l'autofiction découle de la réduction du fini au désir, soit l'idée selon laquelle seule vaudra la confession autofictive qui dominera les autres (la répétition témoignant du succès de l'immanentisme, non de la possibilité d'originalité quant à la variété des voix du désir).
Selon la conception plus large que l'écrivain d'autofiction, la représentation philosophique de l'immanentisme, si l'intelligence est au service du désir, c'est elle qui assure la domination du désir comme loi du réel. Le réel de l'autofiction se marquant par sa limite étriquée, vite exsangue, de désir exprimant la réel, le langage est au service de l'immanentisme. Le romancier d'autofiction est un sophiste du roman autobiographique : le genre autobiographique se trouve orienté par des théoriciens comme Doubrovsky pour devenir un outil d'expression privilégiée du sophisme. Le sophisme consiste moins à subvertir la rationalité en tant que telle qu'à opérer cette subversion dans le cadre d'un réel limité au dire et vite exsangue - d'où la colère de Platon.
L'expérience d'une nostalgie désespérée que narre Doubrovsky avec honnêteté et talent dans son dernier livre, Un homme de passage, recoupe et exprime cet épuisement du désir en tant que tout réel fini est condamné à l'étiolement et que cette caractéristique se trouve accélérée en proportion de la taille réduite du domaine du réel (le désir complet est suffisamment réduit pour que l'épuisement se produise avec la fin du désir). Cette fin programmatique recoupe de toute façon la mort, qui elle est inéluctable et qui condamne le désir dans le cadre du propre réel. D'où sans doute le désespoir de Dobrovsky qui regrette amèrement le temps de ses vingt ans.

dimanche 11 décembre 2011

La subversion du panafricanisme


Alors que l'on continue à annoncer que le Colonel Kadhafi serait vivant; que son fils Seïf el Islam serait prisonnier, agonisant des suites d'infection, voire libéré par les rebelles de Zenten qui sont devenus des opposants farouches aux fantoches du CNT; qu'Aicha la fille du Guide lance des philippiques qui tantôt n'émaneraient pas d'elle, tantôt recoupent sa stratégie belliqueuse intégrant le rachat d'une radio de la résistance irakienne; et je passe sur les diverses autres rumeurs qui mélangent la famille Kadhafi avec la résistance libyenne à l'occupation purement coloniale de l'OTAN et de son prolongement famélique le CNT. Je croyais que l'arrogance désaxée du Colonel était reconnue, de même que sa file Aicha n'était pas surnommée pour rien la Claudia Schiffer du désert. De son côté, Seïf a commis des erreurs invraisemblables dans sa stratégie de libéralisation de la Libye depuis plus de dix ans : sous contrôle des élites de l'Empire britannique, on l'a vu libérer les islamistes proches de Belhadj (l'actuel gouverneur militaire de Tripoli, récemment blessé puis sous-traité dans des ingérences en Syrie) et adouber dans le gouvernement les futurs dirigeants du CNT.
Et c'est ce dirigeant si peu perspicace qui devrait prendre la suite de son père - en sus des accusations de népotisme qui courent sur son compte? Soyons lucides : c'est à cause du népotisme des Kadhafi, du fédéralisme intertribaliste de la Jamahiryia et de l'arrogance sans borne de ses dirigeants que la Libye se trouve détruite par la folie sanguinaire de l'OTAN et qu'elle n'a pu se défendre contre cette agression étrangère. Ce n'est pas parce que le Colonel est mort en martyr qu'il s'est comporté d'une manière cohérente dans le gouvernement de son pays pendant ses quarante ans de pouvoir. N'ayant cessé de mener les doubles jeux et de financer les déstabilisations terroristes, il est étrange de le présenter en défenseur éclairé du panafricanisme, assassiné parce qu'il incarnait les valeurs portées par les authentiques panafricains que furent les Lumumba, les Olimpio, les Nkrumah ou les Sankara.
Ce n'est pas parce qu'il faut s'élever contre ceux qui soutiennent l'intervention de l'OTAN pour des motifs humanitaires et démocratiques (Sarko, Cameron, Berlusconi ou Obama sont des anti-impérialistes notoires) qu'il faut soutenir le régime de Kadhafi, qui au-delà du cas libyen s'érige en défenseur inconditionnel des valeurs panafricanistes alors qu'il reposait sur le népotisme, la corruption, le terrorisme, le double jeu et l'arrogance. Toutes valeurs qui expliquent les atermoiements et l'impéritie de la Jamahiryia dans son renversement, en particulier son incapacité à lutter contre l'invasion occidentale soutenue par le CNT : parce que le ver était dans le fruit et que c'est le rejeton Seïf al Islam Kadhafi qui a le plus oeuvré pour que l'ennemi intègre la direction de son pays. Ce n'est pas parce qu'il a reconnu se erreurs par la suite qu'il convient de le réhabiliter au point d'en faire le futur dirigeant de la Libye.
La Libye doit certes résister contre l'actuelle campagne militaire de colonisation et rétablir sa souveraineté. Elle ne pourra y parvenir qu'avec de nouveaux dirigeants, plus intègres et plus cohérents que le clan Kadhafi, pieds et poings liés par ses activités de double jeu avec l'impérialisme occidental qu'ils prétendent combattre (impérialisme dominé par l'Empire britannique). Ce n'est qu'en établissant en Libye (et dans l'Afrique) le système de l'État-nation supérieur au tribalisme, y compris dans des systèmes fédéraux, que le peuple libyen se trouvera enfin défendu et représenté. La preuve que le tribalisme est inférieur à l'Etat-nation : le népotisme qui a envahi la Libye au point qu'on considère légitime que les enfants Kadhafi succèdent à leur père-Guide et représentent l'alternative à l'impérialisme. Mais peut-on être oligarque africaniste et anti-impérialiste? Et peut-on suivre les conseils du défunt Guide quand il appelait au fédéralisme panafricain seul en mesure de contrecarrer le militarisme impérialiste occidental - quand on se rend compte que sa conception du panafricanisme est oligarchique?
De ce point de vue, la chute et le lynchage de Kadhafi, aussi tragique soient-ils pour son peuple comme pour son entourage, constituent une bonne nouvelle à terme pour la Résistance libyenne à l'envahisseur de l'OTAN : elle signifie que c'est une vraie nouvelle génération qui va prendre les rênes du pouvoir, et pas que le vieux dictateur (fût-il assez éclairé et moins sanguinaire qu'un Saddam) soit remplacé par ses enfants et ses amis. La confusion des avis sur le dossier libyen est inquiétante : on confond l'anti-impérialisme légitime avec les victimes troubles de l'impérialisme occidental (et sa bannière de l'OTAN), fussent-elles oligarchiques, corrompues ou inconséquentes (comme c'était le cas de la faction Kadhafi en Libye). Désolé pour la mémoire du Colonel : il a certes renversé la monarchie corrompue de son pays et établi une certaine prospérité dans son pays, mais il a aussi versé dans les pires travers de la dictature, assassinant ses opposants avec une férocité qui n'a d'égale que le traitement abject qui lui fut réservé par l'OTAN (et leurs soudards présentés comme des soldats de Misrata). On cite la générosité visionnaire de Kadhafi à l'égard de la cause panafricaine comme une illustration de son caractère éclairé, voire prophétique (le rédacteur du Livre vert, le fondateur du gouvernement de la démocratie directe, etc.).
Le sociologue camerounais Pougala a rédigé un article pénétrant expliquant que l'agression barbare de l'OTAN contre la Libye contrecarrait le panafricanisme que Kadhafi commençait à mettre en place contre l'impérialisme occidental, notamment les politiques génocidaires du FMI secondées par la force de l'OTAN. Cette cause du développement et de la souveraineté de l'Afrique n'aurait pu être menée par Kadhafi, du fait de ses méthodes oligarchiques, népotiques et contradictoires (anarchiques ou anarchisantes?). Kadhafi aurait mélangé et mêlé le panafricanisme intègre de Lumumba avec ses antiennes retorses et destructrices (on se rappelle à l'inverse de Lumumba et, un ton en dessous de Kadhafi, des prétentions africanistes du tyran Mobutu). Aucune des nombreuses et variées ambitions de Kadhafi n'a été réalisée sur la durée, même si l'on retiendra de manière mineure dans son action d'ensemble sur quatre décennies certains objectifs comme les projets de banques de financement panafricaines ou la volonté d'intégrer l'Afrique au développement technologique de pointe, en particulier à son essor dans l'espace (les satellites africains).
La stratégie de Kadhafi pourrait se résumer comme suit : mener double jeu pour rouler l'impérialisme dans la farine du nationalisme le plus critiquable, aux antipodes de la netteté de Lumumba (Kadhafi finançait entre autres depuis quarante ans des mouvements néo-fascistes et néo-nazis en Europe, de même qu'il se trouvait soutenu par les réseaux du financier nazi suisse Genoud). Selon ce raisonnement, la destruction se trouve intégrée dans la construction, qui figure de fait un jeu dangereux et improductif, voué à l'échec, ce qu'illustre la fin infamante (pour les commanditaires de l'OTAN) de Kadhafi. Le panafricanisme n'a pas besoin de ces atermoiements paradoxaux et troubles, lui qui déjà doit lutter contre l'association entre le lumineux Lumumba et le trouble Kadhafi. Le panafricanisme n'est une cause universelle et cohérente que si elle s'intègre à l'humanisme. L'Afrique ne peut se développer que si elle intègre sa quête à la quête de l'homme dans son ensemble. Si elle se ferme sur son seul développement, elle verse dans la contradiction du racialisme au moins implicite et contre-productif. Si je devais retenir une leçon de l'action politique de Kadhafi en presque un demi siècle d'autocratie, ce serait le fait que l'on ne peut diriger avec succès un pays en versant dans la contradiction.
Il faut que les panafricains de tous horizons se trouvent bien perdus en ce moment pour qu'ils embrassent au nom du panafricanisme l'action idéoillogique d'un Kadhafi. Car le panafricanisme exige qu'on lutte à la fois contre l'impérialisme et qu'on propose des figures cohérentes - à l'inverse de ce qu'illustra Kadhafi et de ce que ses enfants prétendent perpétrer, en nous faisant croire qu'ils peuvent parce qu'ils s'appellent Kadhafi et qu'ils ont profité de la manne népotique libyenne prendre la relève de leur père martyrisé et agir pour le développement pérenne de leurs frères africains. Le clan Kadhafi, pour violenté qu'il soit, illustre la manipulation du panafricanisme par l'oligarchie interne, en particulier la récupération du panafricanisme par des oligarchies africaines qui s'opposent à la tentative de mainmise mondialiste de l'oligarchie occidentale, non à des fins républicaines panafricaines ou plus largement universalistes, mais à des fins d'oligarchie fédérale panafricaine.
Le panarabisme d'un Kadhafi, qui se réclamait de l'action d'un Nasser en Egypte, s'est appuyé sur les réseaux du néo-nazisme et du communisme en Europe pour prospérer et instaurer la zizanie. Kadhafi a participé à l'action de ceux qui ont discrédité le panarabisme sous prétexte de mener une lutte anti-impérialiste. J'ai bien peur que ses velléités panafricaines n'aient obéi au même irrationalisme souvent criminel et qu'il ne faille en aucun cas confondre l'impérialisme scandaleux de l'Occident hégémonique et l'anti-impérialisme tortueux de ceux qui entendent promouvoir l'oligarchie régionaliste de leurs propres intérêts et pas la cause des peuples d'Afrique ou du monde. Pour ce qui est de l'état d'abandon dramatique de l'Afrique en ce moment, la cause panafricaine mérite bien mieux que des personnages de l'acabit Kadhafi.
Elle ne pourra se relever que si elle rattache la cause humaniste plus universaliste que le panafricanisme (ce qui était l'ambition d'un Lumumba ou d'un Nkrumah) et si elle s'oppose à sa récupération par des intérêts qui pour anti-occidentaliste qu'ils soient n'en demeurent pas moins oligarchiques, troubles et contre-productifs. De ce point de vue, le meilleur service à rendre à l'impérialisme occidental serait de lui opposer la figure d'un Kadhafi, soit de quelqu'un qui par son action violente ne sera jamais capable de proposer l'inverse de l'oligarchie, le système républicain, seulement une oligarchie inférieure et antagoniste d'un point de vue interne. Le projet de fédéralisme oligarchique panafricain que défendaient les intérêts Kadhafi et leur manne rentière énergétique, loin de contrecarrer le projet d'oligarchie mondialiste des factions de l'Empire britannique, les sert plutôt en laissant croire que la seule alternative oscille entre le modèle d'oligarchie inférieure régionaliste et le modèle d'oligarchie supérieure mondialiste 

jeudi 8 décembre 2011

Le testament ontologique


Les pensées les plus admirables prononcées dans l'époque moderne d'un point de vue philosophique et religieux? Elles émanent des dernières paroles de Sophie-Charlotte sur son lit de mort, en 1705 : « Ne soyez pas triste pour moi, car maintenant je vais satisfaire ma curiosité sur les principes des choses que Leibniz n’a jamais été capable de m’expliquer : l’espace infini, l’existence et le néant. » Sophie-Charlotte de Prusse, fille de Sophie de Hanovre, la prétendante de l'époque au trône d'Angleterre, était l'élève de Leibniz. Que Leibniz n'ait pas été en mesure de résoudre ces problématiques fondamentales doit nous interpeller. Les propos concis de Sophie-Charlotte indiquent l'enjeu de la philosophie moderne jusqu'à nous - et ce que doit instaurer la philosophie nouvelle à l'avenir (si l'on veut poursuivre l'aventure humaine en crise) : tout se joue autour de l'infini par rapport au néant. Les deux termes fondamentaux sont aussi indéfinis, tant par le nihilisme (Aristote ou Spinoza) que par l'ontologie (Platon ou Leibniz). Ils rappellent à quel point Leibniz, esprit universel, qui surgit à la suite du renouvellement métaphysique initié par Descartes et qui s'oppose à l'immanentisme de Spinoza, en pleine guerre des idées modernes, et en plein renouvellement suite à la sclérose scolastique, représente le parti ontologique et la poursuite de l'ontologie contre la métaphysique moderne. 
En particulier, Leibniz et le parti ontologique s'opposent directement et frontalement à la position de Spinoza, qui tente de radicaliser le cartésianisme. En ce sens, le vrai ennemi de Spinoza n'est pas Descartes, mais Leibniz. L'honnêteté de Leibniz et de son élève Sophie-Charlotte les conduit à avouer qu'ils ne sont pas en mesure de définir l'infini (l'Etre, l'existence) et le non-être, bien que Leibniz ait tenté de tout son esprit de prolonger les travaux de Platon sur ce point crucial. L'approche de l'ontologie moderne contient en son sein le vice de raisonnement du prolongement : il ne parvient à définir ni l'infini, ni l'existence, ni le néant. Dans le raisonnement leibnizien, le néant est inféodé à l'existence infinie de Dieu, conformément à la conception de l'ontologie, dont Leibniz est le plus éminent représentant moderne, lui qui de son vivant lutte politiquement et diplomatiquement contre l'Empire britannique. Le testament de Sophie-Charlotte élève éclairée de Leibniz nous indique quel est le débat le plus important selon les termes de la philosophie moderne. Les termes n'ont pas changé depuis.
Il convient de proposer en ce moment de crise terminale transcendantaliste une innovation à l'ontologie (en tant que la forme ontologique est l'expression philosophique spécifique interne au monothéisme et donc au transcendantalisme). Si le problème est mal posé en termes ontologiques et monothéistes, sa résolution par une réponse claire n'est pas possible. Pourtant, il serait aveugle de s'en tenir à la même évaluation critique de type consensuel pour l'erreur nihiliste que pour son pendant ontologique : le nihilisme s'est trompé bien davantage que l'ontologie, dans une ampleur autrement plus importante. Le mérite du nihilisme est de sentir qu'existe une hétérogénéité au réel, qu'il ne comprend pas et qu'il attribue à une opposition contradictoire entre l'être (fini selon la définition d'Aristote) et le non-être, un concept irrationaliste qui n'étant pas défini ne découle d'aucun principe et ne recouvre aucune réalité positive. Si l'ontologie se garde de définir sa maîtresse-idée l'Etre en tant que principe infini s'opposant au non-être en tant que principe irrationaliste, le principe qui meut l'Etre est diamétralement opposé à l'irrationalisme nihiliste en ce qu'il est fondé sur l'idée qu'il ne peut y avoir que du quelque chose (ainsi que le professe Leibniz).
Si l'on souhaite renouveler et rénover l'ontologie, d'une manière identique à la démarche de la Renaissance par rapport à la scolastique, il convient d'opposer l'ontologie et le nihilisme et dans cette optique de rompre avec l'hypothèse du prolongement - de raisonnement monothéiste plus largement plus qu'ontologique, en lui substituant l'idée de l'hétérogénéité, pas de l'hétérogénéité antagoniste propre au nihilisme, mais de l'hétérogénéité harmonieuse qui considère que le réel est formé de deux textures différentes, compatibles, ce qui revient à définir le non-être comme le faire et à refuser qu'on puisse ne pas définir une partie du réel, surtout quand cette partie ets aussi importante. Le testament de Sophie-Charlotte, pour lumineux qu'il soit, indique à nos générations en crise leur devoir cardinal et fondamental : l'ontologie ne possède pas l'approche théorique pour résoudre les problèmes qu'elle perçoit inadéquatement - qu'il faut la renouveler pour progresser. Eh bien, au nom de Sophie-Charlotte et en nos noms, progressons, changeons - nous irons dans l'espace.

mardi 6 décembre 2011

La théorie finie


De la méontologie (suite).

La méontologie réduit le réel au physique - la théorie au physique. La métaphysique établit la possibilité de théorisation du réel fini, ce qui permet sa conciliation avec le monothéisme, tant dans l'Islam que dans le christianisme. La théorie métaphysique consiste à estimer que l'être fini recèle une unité et une connaissance, aussi limitée soit-elle. La méontologie nie la connaissance au profit du savoir et la théorie générale au profit de la théorie particulière. Quand Démocrite énonce (de manière péremptoire d'après les sources) que l'Etre est inconnaissable même s'il existe, il signifie que la possibilité d'unité du réel n'existe pas - que seuls le particulier et le singulier existent dans l'entreprise de connaissance. Parlons de savoirs multiples s'opposant à l'unité de connaissance en tant que le savoir désigne des morceaux érudits et particuliers sans lien envisageable entre eux. Le propre de tout nihilisme consiste à tenir le réel pour morcelé, tandis que la définition divine, pour vague qu'elle soit, consiste à parier sur l'unité du réel. Si le réel est morcelé, alors il est légitime de ne s'intéresser qu'au seul réel d'intérêt humain. La question revient à savoir si le réel d'intéressement humain est théorisable ou pas. Si l'unité du réel morcelé est possible, l'unité ne serait plus totale, mais fragmentaire. Quand on parie sur le réel seulement physique, on aboutit à un réel non théorisable, qui est morcelé et dont l'unité n'est pas possible. Aristote fera le pari inverse et sera réputé métaphysicien et non méontologue : on peut théoriser le réel fini et fragmentaire, le réel d'environnement humain.
Cette approche n'est pas ontologique : l'unité ici en question est unité finie. La théorie du réel finie s'oppose à la théorie du réel infini (ontologique) et l'opposition entre la méontologie et la métaphysique est une opposition interne à l'histoire du nihilisme. Avant Aristote, les traditions nihilistes que l'on retrouve en Grèce, comme la tradition abdéritaine ou la tradition de sophistes, notamment de Gorgias ou sa variante Protagoras (qui vient d'Abdère mais ne s'inscrit pas dans la filiation abdéritaine), réunissent pour point commun notable de parier sur l'absence d'unité possible. Deux options sont proposées : l'option physique avec l'école d'Abdère - l'option rhétorique avec les sophistes dénoncés par Platon. Les deux écoles professent que le réel peut se rapporter en guise d'unité à des agrégats sans lien entre eux et sans logique d'ensemble. La théorie n'est pas possible au sens où l'unité se trouve remplacée par le hasard. Le hasard signifie que l'ensemble existe quand même, au sens où l'agrégat est entouré, mais que l'unité d'ensemble n'existe pas au sens où il n'existe pas d'ensemble, seulement des points de rencontre. La théorie des atomes propose que les corps soient des agrégats d'atomes en tant que l'atome serait l'unité indivisible et inexplicable. Il n'y a pas d'unité possible signifie que l'unité n'est pas la règle du réel, soit que la régularité n'est pas la règle. L'étymologie est d'ailleurs approchante et commune.
La théorie cherche la règle, mais la règle relative à un ensemble fini n'est pas identique à la règle totale. La règle totale implique qu'il y ait une régularité qui excède le monde de l'homme, soit que ce qui est insuffisant et incomplet soit complété par quelque chose de non irrégulier et arbitraire; tandis que la règle relative propose que la règle retenue concerne seulement le domaine circonscrit au monde de l'homme. La théorie s'inscrit dans l'idée selon laquelle une régularité finie est possible et discernable; tandis que les théories purement nihilistes prônent l'absence de règle au sens où le réel est seulement morcelé - bien que ce morcelé soit inexplicable. En fait, l'irrégularité comme règle reprend la règle qu'il n'y a pas de règle. Et cette contradiction, le nihilisme ne peut s'en dépêtrer, au sens où l'on ne peut falsifier le réel dans son fondement sans entrer en contradiction. De sorte qu'il existe deux chemins dans le réel : un chemin pavé de contradictions et un chemin qui propose une règle levant les contradictions. Le multiple est contradictoire. Le un est réglé. Si l'on en peut falsifier le réel, c'est que la falsification signifie la réduction du réel à sa primauté contradictoire. "Il n'est que deux sens dans le réel, l'un croissant, l'autre décroissant" signifie que le réel ne supporte pas la contradiction.
La faute de la contradiction (méthode de falsifiabilité) consisterait à rendre praticable le contradictoire. Quand Popper définit la méthode scientifique expérimentale comme ce qui ne se falsifie pas, il introduit une réhabilitation de la logique physique généralisée au philosophique typiquement métaphysique : le logique serait le fini alors que l'illogique serait l'infini. L'opposition logique/illogique ne recoupe pas ce débat, car le physique est toujours logique à condition de préciser que la logique physique n'est pas la logique suprême, au sens de règle suprême, mais qu'elle est une règle particulière - une logique particulière. Ce n'est pas le fini contre l'infini, mais plutôt le fini est-il l'unique réel ou est-il compris dans l'unique réel de l'infini? La théorisation devient inexplicable dans le système nihiliste parce que l'explication a besoin d'un référentiel sans quoi la faculté d'explication est impossible. Aristote découvre que l'on peut théoriser le réel fini à condition que l'on omette d'ajouter que le théorisable fini est vite caduc et périmé. La théorie est compatible avec le non-être et l'irrationalisme à condition que l'on forge un réel aussi complet et suffisant que faux (fondé sur la contradiction).
Historiquement la science aristotélicienne est d'autant plus parfaite en son temps qu'elle devient caduque et sclérosée à partir de la Renaissance. Cette particularité pratique recoupe sa consistance théorique. Quand un Popper maître de logique reprend et prolonge sa méthode aristotélicienne, il couple le réel et la science comme si la science pouvait aller de pair avec la définition du réel finie. Ce coup de force, Démocrite l'érudit le manque parce qu'il ne parvient pas à expliquer le réel dans son ensemble. Aristote y parvient avec sa théorie du multiple : si le réel est multiple, alors ce qu'il nomme théorie ne s'applique qu'à l'une des innombrables strates du multiple. La théorie finie contredit la théorie tout en sauvegardant l'exigence de théorie. Le régulier comme condition du théorique est préservé au milieu de l'irrégulier du non-être avec plus de consistance que si c'était du régulier infini tenu pour incertain et impalpable. La théorie métaphysique jouit du prestige de paraître plus rationnelle et scientifique que l'ontologie parce qu'elle serait plus à même de délimiter le réel.
En contrepartie, chaque historien des idées, en particulier dans l'épistémologie, est obligé de constater, s'il ne veut pas sombrer dans la mauvaise foi, que ce n'est pas un hasard si le théoricien de l'incomplétude mathématique Gödel tente de renouer avec le platonisme des origines et s'oppose frontalement à ceux qui parmi la communauté scientifique reprennent à leur compte l'approche métaphysique : tel Wittgenstein, plus profond que son maître Russell, de plus en plus propagandiste de l'Empire britannique et de moins en moins logicien, qui énonce que les idées mathématiques existent relativement à l'homme. Gödel énonce au contraire que les idées mathématiques existent en dehors de l'homme. Cet affrontement traduit le problème du nihilisme en tant qu'approche théorique : en limitant la régularité théorisable au domaine de la complétude, le nihilisme ne se rend pas compte que le propre de toute évaluation implique la comparaison.
L'intervention de Gödel dans le débat épistémologique et philosophique in fine met en déroute l'attitude des logiciens comme Popper qui entendaient proposer une rénovation de l'aristotélisme de manière plus encore radicale et épurée que la métaphysique. L'incomplétude chère à Gödel vise la complétude de l'immanentisme spinoziste et derrière cet énoncé, l'aristotélisme fondateur de la métaphysique, qui entendent, explicitement et implicitement, définir le réel comme fini et complet. L'immanentisme radicalise la métaphysique comme couronnement du nihilisme antique (compromis avec l'ontologie) en situant la complétude dans le désir humain, à l'intérieur du réel fini (en réduisant le fini au désir). Il n'y a pas de complétude dans le fini, ce qui ruine la théorie nihiliste sous toutes ses moutures.
La théorie métaphysique ne peut que proposer une régularité isolée et bloquée, figée, inerte, qui du fait de son opposition avec le non-être voit le non-être se retourner contre elle en tant qu'élément étranger, souvent dénié, toujours porteur de la direction générale du sens. Le vice du nihilisme consiste à opposer le domaine fini au non-être, soit à opérer le contresens du non-être indéfini et indéfinissable, irrationnel et irrationaliste en lieu et place de l'infini de l'Etre ontologique. Alors que le propre du réel est de fonctionner en passant d'un domaine à un autre supérieur, de l'être fini à un être plus important, développé et croissant, sous l'effet du changement. La frontière interprétative entre le système nihiliste et le système ontologique est ténue. La vertu du nihilisme (isoler le fini) cache son vice fondamental (ne pas définir le non-être en tant que substitut de l'Etre et de l'infini). Tandis que la parenté de l'ontologie avec cette version métaphysique du nihilisme accroît son vice ou sa fragilité théorique (ne pas définir son fondement l'Etre) et amoindrit sa vertu (définir le non-être comme l'autre avec Platon).

dimanche 4 décembre 2011

L'obscénité comique : la paix et changeons!


On ne résiste pas à l'appel du DSK.


Ami lecteur, si tu veux rire, l'affaire DSK est propice au comique grotesque. Désormais que l'ancien chouchou des médias et candidat idéal à l'investiture socialiste se retrouve grillé par de multiples affaires de moeurs, voilà que son ami l'hagiographe-journaliste Taubmann ose encore le défendre et prendre ses lecteurs pour des imbéciles. Que dit Taubmann au départ? DSK aurait été victime d'un coup monté. Déjà, je ne vois pas pourquoi le complotisme serait décrié quand on dénonce des complots d'Etat, alors que les mêmes médias dénonciateurs le valideraient quand il s'agit de défendre les officiels accusés. La mauvaise foi s'appelle du deux poids deux mesures et se place du côté du plus fort.
Ensuite, la question est mal posée d'une manière caricaturale : il ne s'agit pas de savoir si DSK est victime ou non d'un complot. Pour ma part, je suis certain de l'hypothèse du complot, non que je sois complotiste (tout expliquer par des complots), mais parce que le traitement juridique du dossier américain est par trop contradictoire : soit notre dépravé DSK est innocent et il doit sur le champ se trouver réhabilité dans ses fonctions de directeur du FMI; soit il est coupable et il doit sur le champ être jugé et finir en prison aux États-Unis pour viol. Mais la question n'est pas de savoir s'il y a eu complot alors que DSK venait au préalable de passer la nuit en galante compagnie (ce que manifeste la décision du procureur Vance Jr. d'enterrer un dossier pour absence de preuves suffisantes... avec un dossier médico-légal concluant au viol, des blessures corporelles dont vaginales et des traces du sperme de DSK dans la suite). De même que la question n'est pas de savoir si Nafissatou raconte la vérité ou participe d'une machination retorse et complexe contre DSK.
La question est de savoir pourquoi les avocats de DSK, qui sont des pointures de la procédure américaine et dont le pedigree de défenseurs inconditionnels du sionisme et de la mafia US indique leur mentalité, ont choisi de valider la version impossible de la relation sexuelle consentie et non du complot déformateur et truqueur. Pourtant, la version de l'acte sexuel consenti est invraisemblable parce que l'on voit mal pourquoi une femme de ménage ne connaissant pas DSK et venant pour des motifs obscurs épousseter la suite aurait pu en tombant sur le sexagénaire bedonnant et libidineux nu au sortir de sa douche flasher sur cet anti-Apollon décati et ventripotent au point de foncer sur son sexe et de lui prodiguer une gâterie minutée dont l'irrationalisme renverrait sans le moindre doute à une vision stéréotypée fondée sur le racisme.
Comment le procureur américain a-t-il pu entériner une version aussi stupide de la scène? Comment des avocats peuvent-ils soutenir une version tellement ridicule? Il faut que tous nos experts et officiels prennent le grand public pour une bande d'imbéciles décérébrés, seulement préoccupés par leurs petits et minables plaisirs, pour vendre pareille camelote. Taubmann dépourvu d'imagination mais pas d'impudence nous dépeint et nous soutient mordicus la scène hilarante du rapport sexuel consenti entre inconnus se découvrant, rencontre pourtant démentie par la bonne raison, d'une manière si improbable que le fou rire est la meilleure arme face à l'imposture de ce mauvais scénario de film porno tourné dare-dare dans une chambre d'hôtel d'un pays slave paumé. Que l'on en juge selon une dépêche relayée par le quotidien conservateur français Le Figaro :
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/11/30/01016-20111130ARTFIG00625-carlton-sofitel-dsk-donne-sa-version-des-faits.php
dans Affaires DSK, la contre-enquête, Taubmann évoque une Nafissatou «surprise mais pas terrifiée» à la vue d'un DSK sortant nu de sa salle de bain. Elle est gentille, Nafi, parce que le physique pour le moins pachydermique de notre érotomane violent n'est pas vraiment du meilleur goût (du moins selon les critères du beau classique). Taubmann, bien renseigné visiblement, raconte avec détail et conviction : «Elle le fixe droit dans les yeux. Puis elle regarde ostensiblement son sexe». Ce scénario est digne de critères pornographiques, avec le mauvais goût si particulier accordé à ce genre de films brillants : on mate les yeux, puis vite fait on en arrive à la véritable fin de la quête (je n'ai pas dit  : de la quéquette). On se gausse du caractère irréaliste des scènes pornographiques, en particulier de la stupidité sans borne de leur scénario : eh bien, avec Taubmann retraçant les exploits de Nafi et DSK, nous sommes plongés en pleine vaudeville trash et porno, avec mauvais goût et irréalisme patents. 
Taubmann qui a décidé de défendre becs et ongles son ami-candidat pas candide poursuit avec une interprétation tarabiscotée : DSK aurait vu dans le minaudage de la femme de ménage sans méninges «une proposition». Banco illico! Notre exégète DSK, qui en fait pratiquait en grand incompris dans la suite 2806 l'art abscons de la phénoménologie conjuguée à l'herméneutique (version Ricoeur ou Gadamer?), serait  la victime d'hallucinations surinterprétatives à tendance pathologique. Cependant, tout accusé ordinaire de viol se trouverait immédiatement condamné par ce genre de jugement confusionnel : Monsieur le juge, je vous jure, elle a regardé mon sexe, donc elle veut me faire une fellation, donc je peux la sauter, lui broyer le vagin et lui démonter l'épaule. 
Taubmann ne se rend-il même plus compte qu'en surenchérissant sur la version de DSK et de ses avocats américains, il légitime le viol en sus de l'invraisemblable outrancier? Même dans ce cadre grossier qu'il nous vend, Taubmann ne nous explique nullement la suite des exploits : comment notre érotomane à poil a-t-il procédé ensuitein concreto, voire in petto, pour que la femme de ménage en rut et visiblement portée sur le sexe plus que sur les sentiments (mais non, ce n'est pas du racisme primaire) ne passe à l'acte de manière consentante et éphémère. Après son coup de force narratif (reconstruit?), l'avocat Taubmann propose une élision remarquable du moment le plus capital (ou capiteux) de la scène, qui consiste à sauter (sans vilain jeu de mots) le moment crucial de la relation sexuelle (viol ou consentement, peu importe), pour verser dans l'interprétation générale et rétroactive. En l'occurrence, il s'agit d'une manoeuvre de diversion qui se révèle tout sauf anodine si l'on s'avise que la diversion intentée permet de se détourner d'un problème de nature criminelle : la question du viol par DSK de sa femme de chambre.
Taubmann s'immisce dans le débat en produisant un viol rhétorique, consistant à déformer logiquement la scène, à produire des incohérences narratives grossières et à pratiquer la diversion mésinterprétative : «Rarement dans sa vie», Strauss-Kahn a refusé «la possibilité d'un moment de plaisir» - il «ne résiste pas à la tentation d'une fellation». Les enfants de DSK seront prévenus : papa disciple de Keynes aime  les statistiques et les sucettes. Mais ce n'est pas un violeur, ni de peuple, ni de femme. Pour tout esprit libre et critique, la question honnête serait plutôt : entre cette Nafissatou qui scrute ce sexe si prisé et pourtant inconnu - et la transition vers la fellation, DSK a bien dû formuler une proposition, verbale (genre : "Toi belle Négresse sucer sexe à moi???"), au moins gestuelle (au lecteur d'imaginer le contenu de ce message, qu'un Taubmann pourrait reconstituer sans nul doute), à moins qu'il ne l'ait contrainte violemment à satisfaire son plaisir social (ah, se taper la femme de ménage black de l'hôtel de luxe) et racial (ah, se taper la Guinéennne Peule Africaine Noire sauvage et sexuelle!). Bon, nous ne saurons jamais rien de probant et de nouveau avec Taubmann, qui s'enferre à souhait dans sa tactique de la diversion pathétique, au point d'en rajouter une couche sur les digressions sophistiques des avocats américains de DSK.
La vraie question n'est pas de savoir si Nafissatou a volé le portable de DSK, si elle faisait partie d'une conjuration - ou si, variante avariée, DSK a été victime d'une conjuration, mais : y a-t-il eu viol ou pas, que Nafi soit menteuse, voleuse, suceuse, illettrée, Négresse et j'en passe? Et à cette question, alors que le rapport médico-légal répond par l'affirmative, le plumitif Taubmann contribue plus encore à donner à cette triste affaire criminelle (mais oui) une saveur rance de pornographie matinée d'oligarchie. Non seulement Taubmann ne nous livre aucune preuve que DSK n'a pas agressé sexuellement et physiquement sa femme de ménage, ce qui constitue le but de son intervention si médiatisée  (tout de même), mais encore il se vautre dans les pires relents du stéréotype, parfois racistes implicitement, consistant à expliquer qu'une pauvre femme, noire de surcroît, ne peut avoir été violée par un homme blanc, riche et puissant (raisonnement impeccable dont bien des faibles et des dominés de par le monde ont repris l'antienne simplette par suivisme apeuré).
En outre, Taubmann réussit un exploit rare : se retrouver contredit par celui qu'il entend défendre. DSK a demandé à d'éventuels intervenants de ne pas s'occuper de cette affaire, sauf s'li s'agissait de la Justice (en même temps, il ne peut guère proposer moins). 
http://www.pipole.net/dsk-mari-anne-sinclair-lache-michel-taubmann/124830/
Du coup, l'avocat contre-productif Taubmann a déjà perdu son pari en révision du réel car il s'attaque à un adversaire trop vaste pour lui. Il ne suffit pas de réfuter la seule histoire américaine de Nafissatou pour réussir à blanchir DSK l'érotomane partouzeur - mais pas violeur. En France, DSK a aussi été accusé de tentative de viol par une jeune journaliste dont la mère, ancienne conseillère générale socialiste de tendance (justement) DSK, a avoué il y a quelques mois avoir eu une relation sexuelle consentie et brutale avec DSK. DSK, comme dans l'affaire Nafissatou, a commencé par nier les faits, puis par reconnaître une tentative un peu fougueuse de baiser (au sens nominal, hein). Cette fois, en France, la procédure n'a pas été abandonnée faute de preuves (hum, hum). DSK a été condamné pour agression sexuelle, fait prescrit au bout de trois ans. DSK n'a pas été reconnu coupable de viol, mais d'agression sexuelle, un crime prescrit amis un crime, ce qui implique que DSK est tout à fait capable d'avoir violé Nafissatou.
Si l'on s'en tient au témoignage de Tristane Banon, DSK n'a pas été un dragueur lourdingue et pressant, voire oppressant, mais un agresseur sexuel. On le comprend : après avoir baisé la mère, il convenait toute affaire cessante de niquer la fille. Taubmann qui essaye de faire passer DSK pour un partouzeur chic, mais pas un violeur choc, se trouve contredit dans sa tentative de sophisme par cette reconnaissance émanant de la Justice française et contredisant les méthodes de travail de la Justice américaine (un procès politique). On trouve dans Le Nouvel Observateur du 17 au 23 novembre 2011 une anecdote qui recoupe les accusations de violence sexuelle portée contre DSK par Nafissatou et Banon : page 104, le lecteur apprend que dans le cadre des soirées coquines organisées par des amis intéressés, le candidat ultra-libre-échangiste DSK aurait malmené une certaine Béa, une call-girl qui est aussi la compagne du proxénète Dodo la Saumure, ami d'enfance du directeur des relations publiques du Carlton, René Kojfer. C'est ce que confie un patron amateur de libre-échange et complice de DSK, David Roquet, directeur d'une filiale d'Eiffage, aux policiers qui lui demande s'il se souvient "de l'épisode où Béa a été malmenée par M. Strauss-Kahn?".
Réponse de l'impétrant : "J'ai su qu'il y avait un truc en descendant aux toilettes." La journaliste de l'article Sophie des Déserts commente : Dès le printemps 2009, l'incident s'est ébruité dans les rues de Lille. Dodo la Saumure ne manque pas de relater les mésaventures de Béa. Devant Kojfer et leurs copains policiers, devant des avocats, il palabre sur ce "malade de Strauss-Kahn."
Deux commentaires : 
1) le ton bobo et condescendant de cet article, où l'on s'exprime de manière périphrastique et confusionnelle en confondant les "rues de Lille" avec certains milieux bien informés qui n'ont rien à voir avec les populaires rues de Lille.
2) le fait que les milieux policiers, judiciaires, affairistes et journalistiques aient été au courant des méthodes sexuelles violentes de DSK nous indique l'hypocrisie des journalistes soi-disant indépendants et honnêtes avant l'explosion de l'affaire Diallo de New-York : tous savaient déjà que DSK est plus qu'un partouzeur guindé et déshonoré. C'est un érotomane compulsif et violent. Dès lors, faire mine de n'être pas au courant d'un fait connu signifie au mieux qu'on est mal informé, ce qui n'est pas très brillant pour un journaliste compétent. Au pire, que l'on sort l'affaire quand elle est devenue publique et inévitable à relayer. Taubmann ne peut être de bonne foi en recoupant ce genre d'anecdotes.
Par ailleurs, les méthodes du complot s'éclairent quand on s'avise que l'on n'a pas piégé un individu innocent, mais une crapule qui trompait dans le privé comme il trompait dans le public : ce partouzeur privé était dans le domaine politique un faux socialiste vrai ultralibéral. DSK entretenait une réputation plus qu'encombrante et a été éliminé par des factions financières qui voulaient enterrer sa politique de renflouement bancaire suicidaire pour les organismes financiers eux-mêmes. DSK n'est pas un innocent piégé, mais un puissant destructeur couvert pendant trente ans, qui s'est vu soudain piégé et qui ne sait pas comment réagir face à ce traitement moins tolérant et compréhensif.
Que s'est-il passé avec Nafissatou à New-York? On ne le sait toujours pas, mais Taubmann ment évidemment en passant sous silence des informations qu'il n'est plus très malaisé d'obtenir. Car si ce qui s'est produit exactement demeure incertain dans cette affaire, ce qui est certain en revanche, c'est que DSK l'érotomane peut fort bien voir violé Nafissatou comme elle le clame et ne pourrait être victime d'un complot qu'en intégrant cette manipulation perverse dans le piège qu'il n'a pas su éviter. Voilà ce que c'est de vivre en régime oligarchique : nos représentants politiques sont tenus par leurs minables vices et peuvent à tout moment tomber. Ce qui s'est produit avec l'affaire minable Clinton pourrait survenir avec Jack Lang en France, gravement accusé à de multiples reprises et plus ou moins directement de pédophilie (qu'en est-il vraiment, ce serait à la Justice de le préciser).
Nous nous trouvons dans une époque d'obscénité généralisée qui coïncide avec l'effondrement de notre système libéral au sens idéologique plus large que le simple volet commercial. Dans l'affaire DSK, parlons d'obscénité comique, avec des débordements contre lesquels on ne peut que réagir avec honneur : cet homme à terre, justement déshonoré, que le public lui fiche la paix. Que ses crimes soient jugés, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis, mais que l'on n'attaque pas un homme au sol, comme les minables de l'OTAN l'ont fait avec le vieux Kadhafi et qu'on cesse le lynchage médiatique et al récupération politicarde (pour Kadhafi, on est allé jusqu'à diffuser les images dégradantes d'un lynchage effectif).
Revenons au sens : l'obscénité dévoile la saleté de notre monde libéral purulent et termianl. L'obscénité est inévitable dans un système fixe et fini qui ne se renouvelle pas et qui du coup manque aux règles élémentaires de l'hygiène. Du coup, les méthodes douteuses de nos cliques politiciennes corrompues te dépravées sentent fort mauvais. L'obscénité au sens large signale que notre système à bout de souffle mérite vraiment d'être remplacé par du nouveau.


P.S. 1. Une question en passant : pourquoi Anne Sinclair continue-t-elle à couvrir son énergumène de mari anciennement présidentiable et désormais grillé, qui est peut-être victime d'un complot dans l'affaire Nafissatou mais à condition qu'on intègre le complot dans le cadre d'un comportement délictueux jusqu'alors couvert? Sans chercher à proposer une interprétation détaillée d'une relation dont j'ignore beaucoup, il faudrait se demander comment réagirait Sinclair si son charmant mari coureur de dévergondées et autres paumées se lançait dans des avances raffinées et discrètes à l'intention de Claire Chazal, amie et alter ego sur la chaîne d'information TF1. Je penche résolument pour le divorce et le scandale immédiats, car Sinclair ne supporterait pas qu'on l'atteigne dans son principe de vie oligarchique, qui est sa manifestation de sa dignité.
Loin d'agir de manière incompréhensible et mystérieuse, Sinclair reprend l'attitude des dirigeants de l'Ancien Régime, où Madame la Duchesse fermait les yeux sur les troussages de domestiques de Monsieur tant qu'ils n'impliquaient pas des crimes perpétrés contre des égaux sur un plan social. Anne Sinclair accepterait que son mari saute n'importe quelle inférieure sociale, au lit du FMI ou sur la photocopieuse du Sofitel, à condition qu'il ne se comporte pas de la sorte avec des égaux. Selon cette grille de lecture, l'inégalitarisme social est tel que le comportement légal n'est pas le même suivant qu'on s'adresse à des inférieurs, qui sont frappés d'infériorité ontologique plus que sociale, ou à des égaux (l'élite).
L'existence ne vaut que pour ce qui est dominateur et élitiste. C'est d'ailleurs ce qu'énonçait déjà Aristote avec son apologie de la domination dans un réel multiple et fragmenté. C'est aussi ce qu'ont souligné des défenseurs de DSK aussi maladroits que BHL le pestiféré néo-libyen (lui aussi discrédité), Jack Lang ou Jean-François Kahn en France. Loin de péter les plombs, nos esprits maladroits n'ont fait que proposer des arguties oligarchiques, selon lesquelles la loi n'est pas la même en fonction du rang social et l'existence ne vaut qu'en cas de domination. La loi est l'expression de la normalité à laquelle les esprits supérieurs se trouvent indépendants, du fait qu'ils sont ceux qui édictent les lois.

P.S. 2. Et puisque Taubmann persiste à défendre l'indéfendable, DSK a été dégommé par une affaire de moeurs sordide alors que son crime principal consiste non pas à avoir malmené des femmes au quatre coins du globe, en bon mondialiste amoral, mais à avoir pratiqué la politique la moins socialiste que je connaisse et la plus favorable aux principes suicidaires et destructeurs de l'ulralibéralisme. DSK n'a jamais été accusé de détruire les peuples d'Europe alors que se prédécesseurs au FMI sont accusés d'avoir affamé l'Afrique et l'Amérique latine. C'est pourtant la vérité la plus irréfragable, un crime bien plus considérable et abject que ses crimes privés et inexcusables. Curieuse époque où l'on a été obligé pour le dégager (pour de mauvaises raisons qui plus est) de l'accuser sexuellement, parce que le crime oligarchique n'est pas reconnu. Nous vivons une époque d'immanentisme simpliste, où c'est la loi du désir qui prévaut et où toute question politique se trouve dénuée de valeur. DSK n'a pas été dénoncé par des partisans républicains et démocrates, mais par une faction oligarchique opposée à son principe oligarchique. DSK a été décapité politiquement et médiatiquement par des ennemis oligarques et c'est bien ce fait violent qu'il faut retenir : le principe selon lequel c'est l'oligarchie qui détruit l'oligarchie.

P.S. 3. A cette première remarque terminale s'en ajoute une seconde sous forme de question : d'où vient le comique dans cette affaire de viol qui n'a rien de risible et tout de tragique? Son aspect justement tragi-comique? Les mensonges et les manipulations de DSK sont drôles parce que le faux renvoie au figé quand le vrai porte le mobile. C'est ce que notait Bergson dans le Rire avec son hypothèse du placage de l'inanimé sur l'animé, placage oxymorique et contre-nature qui évoque la chute impromptue ou cocasse. Le faux chez DSK, c'est son enfermement dans un périmètre qui est, autant que périmètre social, périmètre oligarchique étriqué et élitiste - la nostalgie de l'instant passé et glorieux (directeur du FMI ou présidentiable en France). Quand cet enfermement dépassé dans tous les sens du terme s'entrechoque avec la véritable situation (DSK érotomane, manipulateur et pervers, incapable d'occuper une place importante en France sans risquer de tout détruire politiquement comme il a tout détruit  affectivement, notamment chez ses enfants). Ce comique rappelle le ridicule de l'oligarchie, ce que rappellent les comédies de Molière ou les figures d'aristocrates dégénérés de la Cour d'un Louis XV (les fadaises du principe Charles au Royaume-Uni seraient tout aussi valables à notre époque opaque). L'obscène comique rappelle aussi que l'oligarchie est un principe mort plaqué arbitrairement sur le corps vivant de l'homme, tout comme le violeur tente de voler la vie de sa victime.

jeudi 1 décembre 2011

La transvaluation politique


La théorie fondamentale du libéralisme (la guerre de tous contre tous, Hobbes) recoupe l'idée-force de l'oligarchie selon laquelle les relations entre Etats sont fondées sur la force. Dans les années 70, un Kissinger en peine force de l'âge réaffirme ce concept, soufflé dans les allées, les couloirs et les boudoirs du RIIA britannique, qui le contrôlait depuis le début de sa carrière et qui est le véritable inspirateur de la politique étrangère américaine depuis quarante ans (et de son organe jumeau aux États-Unis, le CFR). Au départ du libéralisme, Hobbes promeut sa théorie politique du tous contre tous illusoire qui ne peut être surmontée dans la constitution de la société que par le Léviathan, sorte de tyran qui résout la violence de tous contre tous par la violence du pouvoir.
La violence politique résout par la question du pouvoir autoritaire (violent) la violence individuelle. A l'autre bout de la chaîne (historique), le libéralisme décrépi et moribond de nos jours continue à promouvoir l'idée que ce sont les rapports de force qui dirigent les relations interhumaines. Comme Platon a réussi à montrer que la loi du plus fort est individuellement une catastrophe de loin inférieure à la morale (tant décriée depuis par le parti issu de Nietzsche), le libéralisme se concentre sur la faiblesse de l'argumentation platonicienne (et ontologique) : les ontologues peinant à définir la morale dans les relations politiques (les conseils de Platon sont chassés par Denys II le Jeune), les libéraux réaffirment la violence oligarchique déjà théorisée par Aristote.
Ils abandonnent le domaine interindividuel pour se focaliser sur le domaine politique. Et là, ils clament  sans ambage que les relations entre États sont gouvernés par la loi du plus fort. La différence entre le libéralisme débutant d'un Hobbes et le libéralisme purulent propagé par la clique de théoriciens médiocres comme Kissinger (qui se prend pour l'avatar de Metternich) ne tient pas seulement à la prolifération quantitative des théoriciens qui accompagnent leur affaiblissement qualitatif singulier (Hobbes single vaut plus que Kissinger And Associates). La différence fondamentale tient à l'impossibilité des théoriciens médiocres de résoudre la dichotomie entre le principe démocratique et la loi du plus fort d'adaptation interétatique.
Le coup de force politique (la loi du plus fort comme relation naturelle et nécessaire entre États) devient coup de force théorique : on n'explique en aucun cas le passage rationnel du microcosme au macrocosme. Ou alors on recourt à des termes à connotation magique comme la transvaluation d'héritage nietzschéen. Il est amusant de constater à quel point par mimétisme une mentalité peut de manière contagieuse se propager et innerver des aspects différents, voire divergents d'une même approche de pensée fondamentale : le libéralisme et Nietzsche sont des branches qui sont étrangères, voire antagonistes sur certains aspects, mais qui se rejoignent fondamentalement.
De même que Nietzsche, Spinoza et les libéraux fondateurs, dont Smith, font du plaisir et de la douleur les fondements de la pensée, de même Nietzsche propose une transvaluation de toutes les valeurs qui d'obédience irrationaliste s'attache (en vain) à résoudre la crise immanentiste portant sur la question du réel. Si le libéralisme se pique lui surtout de questions commerciales, économiques et politiques (au sens réducteur de l'idéologiqe), il recourt lui aussi, implicitement, à la méthode de la transvaluation - à inflexion idéologique. L'approche libérale est plus réductrice qu'une approche philosophique de tendance religieuse immanentiste.
L'égoïsme en libéralisme et la transvaluation des vices privées en vertus publiques recoupe l'idée selon laquelle la loi du plus fort est pérenne et la transvaluation mystico-magique. Mais ce qui importe aux libéraux historiques revient à rendre cohérent le commerce, d'une manière très particulière, en liant le commerce et la loi du plus fort. Ce n'est pas autrement qu'il faut comprendre la transvaluation des vices privés en vertus publiques : ou l'intervention magique et providentielle de la main invisible dans l'équilibre des transactions commerciales. Toutes ces fadaises contribuent, avec l'apologie des vices privés et l'éloge de la loi du plus fort entre États, à rendre plausible et légitime le commerce envisagé comme domination économique par un Empire de ses colonies exploitées. Et c'est ce qui rend encore plus savoureuses les théories libérales démenties de nos jours par leur effondrement, surtout quand ces théories émanent de cercles progressistes (ah, les multiples écoles keynésiennes) et rendent la théorie du plus fort compatible avec l'idée d'une amélioration d'autant plus générale que cette généralisation confuse se révèle à l'examen restrictive et particulière.