jeudi 31 mars 2011

Les pyramides secrètes

Si l'on entend expliquer comment fonctionnent les relations interhumaines, on ne peut pas s'appuyer sur l'explication fondamentale par le complot. La théorie du complot (dans un sens rationnel) n'explique pas la plupart des relations sociales et politiques d'ordre inter-humain. Même les innombrables complots avérés ne sont jamais fondamentaux, mais dépendent d'autres explications. Le point faible de la théorie du complot (complotisme) tient à l'importance disproportionnée accordée à la volonté ou au désir.
Pour le dire vite, il faudrait être tenu au courant de la machination pour comploter : et ce n'est pas possible dans un schéma explicatif fondamental qui implique un grand nombre de comploteurs. La notion de consentement n'est pas compatible avec la théorie du complot. La théorie du complot repose sur le dogme faux de l'immanentisme selon lequel le désir serait complet. Désir et volonté sont des quasi synonymes, que ce soit le désir spinoziste ou son synonyme la volonté schopenhauerienne. La théorie du complot propose que l'homme consente à partir du moment où l'on contacte et l'on convainc son désir ou sa volonté.
La preuve que cette théorie est fausse, c'est qu'on ne peut jamais expliquer un fait historique d'importance, en particulier s'il dure, par le seul complot, qui impliquerait de manière absurde (plutôt sursignifiante) un consentement caché ou secret d'un grand nombre d'individus, impossible à obtenir. La théorie du complot usurpe le rôle de l'explication en ce qu'elle ne peut expliquer les événements dans leur déroulement au grand jour (visible). Mais il serait simpliste de réfuter les complots au nom de la pseudo-théorie du complot, comme s'y complaît une certaine mode dispensée par les propagandistes-théoriciens, eux-mêmes stipendiés par le pouvoir occidentaliste, une mode peureuse et médiocre qui entend empêcher les citoyens de dénoncer les complots.
Si l'on adoube la théorie du complot et son présupposé faux et simpliste, on en vient à figurer le fonctionnement social et politique sous la forme de pyramides aussi stables que cachées. C'est à cet exercice cocasse que se livrent certains sites Internet, qui sombrent dans le complotisme sous le prétexte louable de dénoncer les pires complots et les vilaines intentions politiques. La structure de la pyramide se trouve ainsi mobilisée pour expliquer les manigances et les manipulations ourdies par des sociétés secrètes aussi fantasmatiques que délirantes. Je pense notamment à l'importance accordée aux terribles et maléfiques Illuminatis, qui gagnent d'autant plus à tous les coups qu'ils sont inexistants.
Cette propension des comploteurs à gagner à tous les coups (toute-puissance diabolique et fantasmatique) dans le schéma complotiste pourrait indiquer la fausseté du raisonnement. Mais le plus important dans le schéma de la pyramide, avec l'oeil de l'initié en fin ultime et surplombante, c'est qu'il délivre un schéma de l'univers qui nie l'infini ou propose de l'infini une forme purement finie et figée (stagnante et fixiste). La forme pyramidale peut évoquer le schéma politique de l'Empire égyptien (ou de toute structure politique donnée), dans laquelle un souverain domine.
Mais cette forme pyramidale devient une comparaison peu raisonnable (comparaison n'étant pas raison) quand elle est prolongée et étendue vers la question de l'infini, de l'ontologie ou du religieux. Si les pyramides évoquent plus que la domination politique, au-delà du politique, en particulier une abstraction de l'ordre du religieux, l'analogie est malvenue ou bancale. Comparaison n'est pas raison? Eh bien, la comparaison entre le fini et l'infini permet de montrer la dénaturation du schéma ontologique quand on prétend s'inspirer d'un schéma politique à des fins universalistes. Politique et l'ontologique ne se recoupent pas.
La figure de la pyramide possède de la pertinence quand elle recoupe un pouvoir politique officiel et visible; mais elle perd son sens quand elle renvoie à un pouvoir caché, occulte, secret. Car le propre du pouvoir est de s'exercer de manière visible, quand de manière occulte, il perd en pouvoir et en puissance (en effectivité). La pyramide n'est valable dans le domaine fini que quand elle est reliée au domaine infini. C'est peut-être la signification plus ou moins ésotérique, sans aucun doute initiatrice au sens religieux, des pyramides égyptiennes, qui selon l'enseignement des prêtres officiels, ne signifient pas que l'infini est constitué sur le même modèle que le fini, mais que le fini de type pyramidal est l'incarnation finie et donnée de l'infini.
Il est primordial de comprendre que le pyramidal est un modèle politique qui n'a de valeur que s'il se trouve connecté avec l'infini et s'il exprime une structure visible et non cachée.
La faiblesse de la pyramide est qu'elle implique un lien conscient et consenti entre les parties, avec une organisation structurée et aisément descriptible, même si la connaissance est unilatérale : de haut en bas - et non pas de bas en haut. Dans un complot, les comploteurs les plus haut placés connaissent souvent les arcanes inférieures, alors que les inférieurs ignorent tout de l'identité de leurs commanditaires. Tout ordre est visible. Tout ordre caché se délite. La pyramide exprime la constitution de l'ordre à partir de l'infini et selon la caractéristique de la disjonction.
La pyramide exprime l'ordre visible, qui incarne l'infini invisible; tandis que l'invisible fini ne saurait en aucun cas constituer un cas de pyramide viable. Soit la pyramide est visible, soit elle n'est pas. Les représentations de pouvoir secret et maléfique obéissant à la structure pyramidale sont fausses. L'invisible pyramidale est faux. C'est le signe que la structure pyramidale indique dans l'ordre fini que l'infini obéit à une forme de contradiction, soit que la pyramide finie résout la contradiction infinie.
Ou plutôt, si l'on tient que le reflet est dans une logique d'enversion, la contradiction est l'oeuvre du désordre de nature finie - soit du chaos. L'infini est le reflet : le reflet participe déjà de l'effort visant à résoudre la contradiction dans la production d'un état fini jumellaire, mais en envers. L'infini n'est pas de même tessiture et de même structure (nature) que le fini. Il s'apparente au reflet; quand le fini est état. La pyramide est l'incarnation ordonnée du reflet, à condition que l'on note que dans le domaine du fini, l'ordre le plus haut est le plus visible.
Du coup, le caché en tant que conception ne peut s'ordonner que dans le fini, mais seulement dans une conception nihiliste, où l'on cache le fini parce qu'il côtoie le vide (néant). Le caché exprime la dégradation de l'ordre fini relié à l'infini. Dans le caché, l'infini devient le néant ou le vide démocritéen. Le mimétisme n'exprime ainsi pas un comportement naturel (au sens de réel), mais une dégradation du véritable comportement, qui est créateur. Est créateur ce qui relie le fini à l'infini; quand est dégénéré et moindre ce qui considère que le fini est opposé au néant.
Sans doute conviendrait-il de critiquer les travaux anthropologiques à visée ontologique de René Girard à partir de cette notion de créativité : car l'imitation (la mimésis) exprime la dégénérescence (qualitative) de la création. Cette dégénérescence s'exprime par le postulat selon lequel le fini se trouve déconnecté du vide antagoniste, le vide prenant la place de l'infini (de manière paradoxale et impossible). Dans la conception pyramidale, le fini est l'incarnation (au sens chrétien, d'héritage transcendantaliste plus large) de l'infini, qui, s'il ne se trouve pas rigoureusement défini, désigne une réalité pleine (non vide).
Le caché seul implique une dégénérescence de type nihiliste du pouvoir visible. Le recours à la pyramide pour décrire ce genre de pouvoir occulte constitue une escroquerie, car la pyramide ne saurait en aucun cas qualifier le schéma nihiliste : le nihilisme en tant que dégénérescence de cette créativité repose non pas sur la pyramide, mais sur le cercle. Car le schéma de la pyramide implique que les participants à ce schéma aient tous conscience et manifestent tous leur consentement. Les sujets/citoyens autant que les dirigeants appartiennent à cette volonté générale.
Précisément, le complot surgit de manière cachée et occulte. Il nous rappelle que la structure qui encourage le complot ne saurait être pyramidale. Elle est concentrique, soit : mimétique. Ce sont des cercles qui peuvent agir de manière cachée et disséminée, sans que l'action repose sur le consentement conscient. Le cas du complot ne peut survenir dans un circuit pyramidal, car les impératifs de consentement et de conscience l'en empêcheraient. Par contre, le complot peut survenir dans un schéma concentrique (le cercle), où c'est l'imitation qui remplace la créativité.
L'imitation exprime la dégénérescence de la créativité, autant que le cercle exprime la dégénérescence de la pyramide. Le pouvoir caché exprime la dégénérescence du pouvoir officiel et visible. L'explication du fonctionnement du pouvoir occulte (par le cercle) ne relève pas une alternative égale ou supérieure à la structure officielle (a pyramide). Contrairement à ce qu'estiment les occultistes, tout recours à l'occulte qualifie un affaiblissement qualitatif du fonctionnement, qui contribue à l'effondrement du système en question. Les complots ne profitent jamais à leurs commanditaires et manifestent le déclin du système politique dans lequel ils ont cours.
Le recours à la pyramide pour décrire un pouvoir occulte exprime l'acmé du complotisme, qui consiste à reprendre les caractéristiques classiques pour les subvenir et les pervertir. La perversion prétend, de manière insolente, que ce qui est caché présente autant de valeur que ce qui est visible, voire plus. Un comploteur autant que complotiste comme l'ancien grand maître de la loge occulte italienne P2 Gelli explique sans sourciller devant les caméras que tout pouvoir est in fine d'essence secrète et cachée.
Selon ce raisonnement, le complotiste peut reprendre le schéma pyramidal sans erreur ni risque : car ce qui est supérieur n'a rien à craindre de l'inférieur. La vérité rétablit que ce qui se présente comme le supérieur est l'inférieur. La pyramide ne convient pas pour caractériser un système inférieur et destructeur, qui fonctionne sur le mimétisme. Le recours au mimétisme permet d'expliquer que l'on puisse ourdir des complots sans en appeler à la conscience ou au consentement.
Ce mimétisme n'est possible que dans une configuration où le réel est fini, stagne, fixe. Autant dire que l'infériorité se définit par la fixité, quand la supériorité s'exprime par l'antientropie (néguentropie si l'on veut). D'où la critique contre le concept de désir mimétique chez Girard. Car si Girard note que le mimétisme n'est l'apanage de l'homme qu'en tant que l'homme est inféodé à Dieu (Dieu chrétien pour Girard), cette conception revient à disjoindre l'homme de Dieu, soit à rendre imperméable l'ordre fini de l'infini.
De ce fait, Girard n'expliquerait pas autrement que Descartes l'intervention de la création dans l'ordre du fini. Tel un deus ex machina, Dieu viendrait changer le cours des choses et expliquer les changements de paradigmes. Girard se montrerait contre le sens transcendantaliste contenu dans les pyramides : le fini est interconnecté avec l'infini. Voilà qui ne signifie pas que l'ordre pyramidal recoupe dans l'ordre fini l'ordre infini, mais que l'incarnation de l'infini aboutit dans le fini au pyramidal. L'imitation n'est pas une clé pour comprendre le fonctionnement du réel, car elle fait abstraction de l'infini ou explique le rationnel de manière irrationnelle, alors que le mystère des pyramides consiste à décrypter de manière rationnelle la structure du fini connectée avec l'infini déstructuré.

lundi 28 mars 2011

Et ta nation?

Quand on joue au tennis, on a besoin d'une tactique qui trouve sa correspondance dans le réel.
Ou :
L'intelligence dans un jeu correspond à la tactique réelle.

Au moment où le journaliste économique Pierre Jovanovic appelle implicitement à voter en faveur de Marine Le Pen, candidate néo-nationaliste patentée et promue par les médias dominants français comme la figure emblématique du repoussoir au libéralisme institutionnel, que tous ceux qui ont adhéré à ses discours allumés et illuminés concernant l'Apocalypse financière lèvent la main. Car les thuriféraires et autres zélateurs ne relèvent souvent pas des rangs du nationalisme, mais du complotisme puéril et paumé. Du coup, ils ne se rendent pas compte qu'il est extrêmement dangereux de mettre en garde contre le chaos financier sans rien proposer en échange.
On finit comme pour Jovanovic par promouvoir l'un des porte-paroles de la City de Londres, Ambrose Evans-Pritchard, et par encourager à voter Marine Le Pen, qui tient un discours d'islamophobie et de xénophobie néo-poujadiste reprenant les axes les plus arriérés du choc des civilisations. C'est-à-dire qu'on promeut la violence politique en guise d'alternative contre la crise financière. Défendre les méthodes de la City de Londres contre la crise financière relève d'un prodige qui suffit à démasquer l'entreprise d'un Jovanovic. Mais tenir pour constructeur le vote Marine signe la fin de l'engagement crédible : on ne peut se déclarer en faveur de Marine Le Pen et dénoncer la crise financière dont les conséquences sont d'ores et déjà terribles pour les classes moyennes occidentales.
Jovanovic appartient à cette cohorte de critiques plus ou moins virulents qui optent pour la solution du pire face à un problème. Solution de la violence. Dans le même temps, il se distingue par la dénonciation des méfaits de Wall Street et de la banque anglo-américaine J. P. Morgan. Ce qui pourrait passer pour du courage relève de l'escroquerie analytique. Car un examen à peine détaillé révèle que les intérêts bancaires Morgan sur le sol américain sont manipulés depuis leur avènement par les intérêts financiers autour de la City de Londres.
Ce qui revient à expliquer que ce sont les intérêts financiers qui gouvernent aux Etats-Unis le domaine politique et qui contrôlent de fait la Maison Blanche ou le Capitole. L'escroquerie apocalyptique de Jovanovic recoupe comme par enchantement un autre soutien plus ou moins implicite et détourné de Marine Le Pen, qui se voudrait lui aussi et avant tout opposé à l'impérialisme américain, Soral.
Soral prétend avoir démissionné du Front National, mais il suffit de le suivre un peu pour se rendre compte qu'il se positionne en tant que soutien idéologique du Front National, et de Marine Le Pen en particulier. En jouant contre les juifs (plus ou moins sionistes, plus ou moins israéliens), il valide la choc des civilisations qu'il prétend combattre et il propose une variante similaire à la stratégie de Marine Le Pen, consistant pour le moment à s'en prendre au bouc émissaire des immigrés musulmans en France.
Parmi ses citations fondamentales, Soral ne cesse d'expliquer, avec raison, que l'on mesure l'opposition véritable contre un système à l'exclusion dont le système en question vous gratifie. C'est ici que l'on se rend compte de l'escroquerie intellectuelle et politique perpétrée par Marine Le Pen, qui se voudrait d'autant plus contre le système qu'elle se trouve promue par le même système; mais aussi de ses soutiens soi-disant indépendants et libres, comme Jovanovic et Soral. Car le dernier livre de Soral est en passe de devenir un succès de librairie impressionnant, alors que les révélations qu'il y effectue, si elles étaient véritablement subversives et décisives, devraient lui valoir, non seulement une censure véritable, mais surtout des attaques personnelles et juridiques pires encore que celles qu'endura le journaliste Denis Robert pour ses livres à propos de l'affaire Clearstream.
Le propre de Soral est de dénoncer l'impérialisme américain dirigé par sa branche sioniste. Soral ne serait pas loin plutôt de dénoncer le sionisme qui contrôlerait les Etats-Unis. Parfois, il semblerait aussi que Soral s'égare et qu'il confonde le sionisme, Israël et les juifs. Pourquoi un tel succès pour une analyse géopolitique qui allie l'erreur d'identification avec l'absence de toute alternative? Précisément parce que le but de l'impérialisme est de détruire les Etats-nations, dont l'Etat-nation le plus cohérent et dominateur, les Etats-Unis.
Dans cette optique, Soral est promu éditorialement et commercialement parce qu'il sert l'impérialisme véritable en s'en prenant à l'Etat-nation. Non seulement Soral opère une diversion quant à l'identification de l'impérialisme, mais encore sa grossière erreur émanant d'un soi-disant spécialiste de stratégie politique lui permet de renforcer l'impérialisme qu'il combattrait avec courage en contribuant à détruire l'Etat-nation. La mauvaise identification de l'impérialisme permet à Soral d'amalgamer l'Etat-nation des Etats-Unis avec l'impérialisme britannique.
Le plus drôle dans les critiques acerbes ou les louanges dithyrambiques qu'il reçoit est qu'on ne remarque jamais que le propos de Soral sert l'impérialisme mal identifié. C'est pourtant évident, dès le sous-titre de son inoubliable opuscule au service de l'Empire britannique via la dénonciation de l'Empire américain : Demain la gouvernance globale ou la révolte des Nations? Il est significatif que l'expression d'Etat-nation ne soit pas mentionnée, mais remplacée simplement par : Nation.
Venant d'un individu qui se prétend intellectuel éclairé et cultivé, ce ne peut être une erreur. Un alternationaliste cultivé ne peut remplacer par erreur ou mégarde l'Etat-nation par la Nation. Un intellectuel prétendant dénoncer l'impérialisme ne peut oublier que la Paix de Westphalie (1647) accoucha de la création de l'Etat-nation, qui implique la superposition d'un lieu avec un sens collectif. L'Etat-nation fournit la forme politique à un peuple, quand la nation seule en demeure aux limbes de l'Etat-nation : la nation se borne à proposer un sens et un lieu qui ne sont pas superposés et interconnectés (reliés).
Du coup, la référence à la nation seule, sans l'apposition de l'Etat-nation, permet contre l'Etat-nation de favoriser l'émergence de fédérations antirépublicaines et oligarchiques. L'Etat-nation est la trouvaille politique moderne majeure contre l'oligarchie qui polluait les relations européennes (allant jusqu'à déchaîner les guerres de religion). L'Etat-nation permet la représentation populaire, quand la simple nation empêche cette représentation.
Théoriquement, nous tenons ici l'explication pour laquelle :
- un nationaliste de quelque obédience que ce soit est un farouche adversaire de l'Etat-nation;
- un farouche complice de l'impérialisme;
- pourquoi enfin historiquement les nationalismes contemporains, en particulier le fascisme italien et le nazisme allemand, furent contre les intérêts populistes (qu'ils revendiquaient pourtant pour une large part) et sous la coupe de grands cartels non seulement nationaux, mais internationaux.
La référence à la nation seule empêche toute décision, soit décapite l'intérêt populaire. Cette référence tronquée et partielle explique que Soral soit nationaliste à la sauce alter, une position qui est à la mode en ce moment, et qui est promulguée par les intellectuels de l'extrême-droite dure et internationaliste, proche de la mouvance du GRECE d'Alain de Benoist. On comprend l'alliance objective de Soral et de Jovanovic autour de cette nation expurgée de son Etat décisionnaire : de la même manière que Jovanovic voue une admiration profonde aux représentants de l'Empire britannique dans la presse économique; de même Soral prépare l'avènement de l'impérialisme véritable en s'en prenant à l'impérialisme de l'Etat-nation et en promulguant la nation tronquée à la place de l'Etat-nation.
C'est dire que Soral est un impérialiste sous couvert d'adaptation du nationalisme à la vision internationale (d'où le vocable d'alternationaliste). Soral est l'allié objectif des trotskistes qu'il combat tant dans ses écrits et ses diatribes médiatiques en promouvant le fédéralisme sous couvert de dialogue entre les différents nationalismes. Où l'on comprend pourquoi actuellement la vague nationaliste est en train de submerger les Etats-nations d'Occident en proie à leur plus terrible crise existentielle et systémique : sous couvert de protéger les peuples par le nationalisme tolérant (l'alternationalisme), il s'agit de servir le fédéralisme par le masque impérialiste du nationalisme.
La montée en puissance politique de Marine Le Pen, qui remet au goût du jour et à la mode libérale les excès de son père; le succès de librairie de Soral qui devrait être censuré s'il dénonçait vraiment l'impérialisme financier sous sa forme effective et non pas sous une supercherie puérile et haineuse; les conseils bienveillants du pourfendeur des entourloupes financières et de l'Apocalypse financière Jovanovic à soutenir la candidate nationaliste Marine Le Pen ne sont pas davantage une surprise inexplicable : car le pourfendeur des magouilles financières cible J.P Morgan la banque américaine de Wall Street, comme Soral cible Wall Street et comme Marine Le Pen cible les Etats-Unis.
Tous participent à la destruction des Etats-nations et leur remplacement par des forces fédérales qui ne peuvent que promouvoir l'impérialisme véritable. L'impérialisme se situe contre la possibilité de l'Etat-nation; quand le nationalisme a pour ennemi véritable l'Etat-nation. Du coup, non seulement l'impérialisme a pour allié objectif le nationalisme, quoiqu'en prétende un idéologue comme Soral, mais encore il est parfaitement cohérent que le recours politique au nationalisme pourtant abject et violent survienne en période de crise et d'effondrement du libéralisme.
Le nationalisme n'est pas l'adversaire du libéralisme. Il en est la forme inavouable et systématique en période d'effondrement. Et le libéralisme ne peut mener qu'à l'effondrement, puisqu'il repose sur un équilibre fondamental faux, la fameuse main invisible qui tel un deux ex machina viendrait rééquilibrer de manière providentielle et irrationnelle les marchés commerciaux soumis à la loi du plus fort. Le nationalisme est le faux adversaire du libéralisme. Il en est une forme terminale si l'on veut.
Pourquoi le nationalisme se présente-t-il comme adversaire nécessaire du libéralisme, soit sous une forme antagoniste, alors qu'il serait une forme alliée et interne au processus libéral? Parce que le propre du négatif est d'encourager le positif tout en le combattant. Le négatif ne contient aucune alternative conséquente, mais s'oppose au positif. Idem avec le nationalisme qui est purement négativiste et qui sert le libéralisme qu'il prétend combattre de façon creuse et stérile.
Reste à comprendre que la démarche d'un Soral est singulièrement proche de la démarche des intellectuels du GRECE, défendant un nationalisme fédéraliste de type européen et païen, qui pourrait tout à fait s'accommoder, malgré quelques différences superficielles, avec les théories délivrée par l'idéologue Cooper à propos de l'impérialisme européen postmoderne. Soral se montre très élogieux à propos d'Alain de Benoist, qui serait une forme de parrain pour lui dans le monde intellectuel. Il est vrai que Benoist promeut lui aussi une forme de transversalité déconcertante entre la droite et la gauche démocratiques et libérales, que Soral résume de manière très publicitaire par le slogan : "Droite des valeurs, gauche du travail".
Soral cite souvent Marx pour se réclamer de la hiérarchisation des problèmes dans un jugement. Il rappelle moins souvent que cette conception est également partagée par Carl Schmitt, qui fut le juriste du IIIème Reich et qui n'était pas un nazi, mais un ultraconservateur s'accommodant du nazisme pour faire triompher sa ligne extrêmement dure en faveur de l'oligarchie : l'immobilisme social et politique absolu au service des classes dominantes. Or le GRECE est l'apologue pompeux de la thèse de Carl Schmitt dite de la quatrième théorie (ou quatrièmenomos).
Selon cette théorie, qui explique pourquoi Soral s'emploie tant à parler d'alternationalisme comme une évolution enfin positive et accomplie du nationalisme indéfendable, "selon laquelle après l'échec patent ou potentiel des trois grandes théories qui se sont imposées au monde par le biais de la modernité occidentale, fascismes, communisme, libéralisme, s'ouvre l'ère d'une « quatrième vision du monde » dont on ne pourrait encore cerner les contours précis, mais qui devrait prendre en compte le nouveau multilatéralisme international issu de la décomposition de l'hégémonie occidentale ayant prévalu jusqu'ici" (selon Wikipédia).
Toujours selon cette source, c'est Benosit en personne qui a prononcé un discours en ce sens lors du quarantième anniversaire du GRECE, en 2008. On notera que nous nous situons dans cette configuration où la décomposition du libéralisme touche l'Occident. Mais cette quatrième alternative n'étant pas précisée explicitement, elle ne saurait en aucun cas constituer une solution nouvelle ou originale, mais la perpétuation croissante du libéralisme sous sa dernière forme.
Le nationalisme devient bel et bien la dernière forme, peut-être la quatrième, du libéralisme. Le plus significatif est que Schmitt promeut le multiculturalisme international, qui ne peut dans sa vision nationaliste que déboucher sur des formes fédéralistes qui coïncident avec le gouvernement mondial de type keynésien auquel Soral et les alternationalistes s'opposeraient. Nous sommes contraints à un jeu de dupes avec le nationalisme, qui soutient les forces ultralibérales en prétendant les combattre. Car Schmitt soutient les forces les plus dures du libéralisme, comme le régime nazi était financé par ces mêmes forces.
Suivant cette vision politique et idéologique du monde défendue par Schmitt, on comprend pourquoi Benoist oscille entre gauche et droite, à la recherche d'une quatrième voie qui est mystérieuse, quoique théorisée toujours par des cercles nationalistes d'obédience occidentaliste (au sens premier) et païenne. On comprend tout aussi bien pourquoi Soral se réclame de l'alternationalisme, tout autant de la gauche que de la droite réunies. On comprend que Marine Le Pen surgisse en pleine période française d'effondrement terminal du libéralisme.
On comprend que tout ce beau monde s'en prenne au premier Etat-nation contemporain, les Etats-Unis, en tant que foyer de l'impérialisme, alors que l'impérialisme britannique véritable et vérifiable reste largement tu et dénié. Curieuse erreur et omission révélatrice de la part d'intellectuels censés nous éclairer sur la situation politique internationale... Pendant ce temps, où l'on estime de plus en plus que les nationalistes pourraient constituer l'alternative innovante au libéralisme, cette quatrième forme aussi utopique qu'alter, ceux qui s'opposent à l'impérialisme en l'opposant à l'Etat-nation, ceux qui défendent la forme de l'Etat-nation comme seul garant contre l'impérialisme anti-Etat-nation, ces militants politiques, au rôle primordial dans une époque d'effondrement systémique, se trouvent accusés de toutes les fautes, les plus fausses, racisme, antisémitisme, néo-nazisme, homophobie, sectarisme...
Je veux parler des larouchistes. L'observateur lucide, se rappelant que l'opposition authentique génère la persécution sévère, vérifie à l'aune des calomnies et des persécutions encourues que les larouchistes constituent des opposants au libéralisme, tandis que ce libéralisme promeut le nationalisme du fait de sa parenté et malgré son soi-disant antagonisme. On peut bien entendu ne pas être d'accord avec toutes les thèses défendues par les larouchistes, à condition de prendre la peine de les connaître et des les distinguer de leurs calomnies grossières. La calomnie agit comme un puissant brouilleur qui empêche de savoir la vérité et qui sème la confusion en lieu et place.
A ma connaissance, dans le débat politique, les larouchistes sont les seuls à dénoncer l'Empire britannique et à défendre la forme de l'Etat-nation. Raison pour laquelle ils occupent une place quantitative si marginale sur la scène internationale. Mais raison aussi pour laquelle leurs idées sont si riches et si importantes qualitativement. Ce sont autour de ces alternatives au libéralisme que les nouvelles formes de postlibéralisme émergeront. J'appelle de tous mes voeux l'émergence d'autres formes d'alternatives que la forme larouchiste, qui ne pourront que rendre plus importantes les idées relayées par les larouchistes, émanant en particulier des initiatives du Président américain démocrate F.D. Roosevelt, un ennemi notoire des fascismes.

samedi 26 mars 2011

Le retour d'Aristote

J'écoute la première partie de l'entretien que l'économiste Alain Cotta accorde à une radio catholique (je crois), dans le cadre de la parution de son livre Le Règne des oligarchies :


La particularité de Cotta est d'incarner le visage de l'expert brillant et crédible, lui qui fait partie d'une de ces sociétés atlantistes la Commission Trilatérale. Pas davantage que le Groupe Bilderberg, ni aucun think tank, fût-il secret, la Commission Trilatérale ne figure un gouvernement secret du monde. Par contre, elle illustre le fondement impérialiste, de facture britannique, de toutes ces organisations de réflexion mondialistes, tant d'un point de vue historique que factuelle.
Ce sont David Rockefeller (banquier) et Henry Kissinger (diplomate) qui ont fondé la Commission Trilatérale. Les deux compères, aujourd'hui vieillards célébrés et haïs, sont deux promoteurs inconditionnels de l'Empire britannique sur le sol américain. Cette faction politique défend le projet du Gouvernement mondial, un dessein promu depuis le début du XXème siècle par les cercles fabiens, en particulier par le plus stratège que philosophe Russell. Sans entrer dans les détails et les strates de l'Empire britannique et de sa présence étouffante sur le sol américain, l'économiste français Cotta participe de cette mentalité oligarchique qui promeut les experts comme les cautions intellectuelles de l'ordre politique et philosophique.
En gros, il s'agit d'instituer que le réel est pluriel, d'une pluralité constituée de parties inégales, certaines dominant les autres. Cet agencement du réel se retrouve dans l'ordonnancement de la société humaine, où certains hommes sont constitutivement supérieurs à d'autres. C'est une manière de penser métaphysique et impérialiste que l'on retrouve consignée chez Aristote, dont on feint d'oublier qu'il n'est pas un savant admirable doté de jugements humanistes, mais un oligarque qui promeut la ruse et l'esclavagisme.
Dans sa Métaphysique, un livre longtemps égaré, au titre posthume et assez étranger, Aristote explique de manière très théorique, voire abstraite, que le réel est pluriel parce que cette pluralité s'explique par la pluralité du non-être; au passage, la pluralité du non-être ne se trouve pas expliquée, pas davantage que la question de l'antériorité du non-être ne se trouve abordée. La logique fameuse d'Aristote se trouve circonscrite, voire consignée, au domaine exclusif de l'être, qui n'est pas le domaine intégral du réel - tant s'en faut.
Ce nihilisme théorisé, baptisé du néologisme de métaphysique pour marquer la distinction avec l'entreprise ontologique, se trouve connecté à l'oligarchisme de domaine politique. Aristote se montre un fervent partisan de la forme la plus dure de l'oligarchie, la tyrannie. On ne répétera jamais assez que, contre la réputation usurpée de probité morale d'Aristote, et contre sa renommée de métaphysicien philosophe disciple de Platon, Aristote n'est pas seulement l'ennemi fervent de Platon. C'est aussi un menteur caractérisé, du moment qu'il peut satisfaire les aspirations de sa caste, qu'il défend becs et ongles.
Aristote ne pouvait pas ne pas connaître la doctrine platonicienne du non-être selon laquelle le non-être existe sous la forme de l'autre et se trouve intégré à l'Etre. Il affirme en toute conscience que selon Platon, son maître attitré, le non-être correspond au faux. Cette déformation tendancieuse de la doctrine platonicienne lui permet de légitimer sa propre conception métaphysique, soit : nihiliste masquée, de la philosophie - du réel.
Cotta n'agit pas d'une manière aussi théorique et universelle que le mentor Aristote. Cotta n'est pas un métaphysicien. Suivant le vaste processus de réduction de la pensée du réel au désir, puis du désir à des formes particulières de désir, Cotta se contente de vulgariser ses connaissance avant tout économiques. Où l'on mesure que la science économique instaure une réduction typique du positivisme propre aux sciences humaines (qui prétendaient se substituer pour une large part à la démarche dépassée de la philosophie). Ces sciences humaines n'ont de science que le nom, puisqu'elles s'appliquent à des secteurs qui ne peuvent à aucun moment être isolés comme de purs objets.
C'est sans doute à cause de cette erreur néo-positiviste typique des sciences humaines que les économistes dans leur immense majorité n'ont pas su prévoir la crise de 2007, que l'on baptise injustement (de manière réductrice) crise des subprimes, alors qu'il s'agit de l'expression plus générale de la crise terminale du libéralisme. Aujourd'hui que l'économie est devenuescientifique (comme le marxisme d'Althusser?) à partir du moment où elle est monétariste de manière fanatique et intolérante, il serait temps de rappeler à tous ces pitres savants et histrions intellectuels qu'ils se sont trompés du tout au tout, que leur approche de l'économie est aussi fausse qu'insolente, et que leur erreur néo-positiviste dépasse le cadre de leur expertise.
On pourrait s'étonner qu'un expert oligarque patenté comme Cotta produise les critiques qu'il énonce à propos de l'oligachisation du monde. Qu'un contestataire du NOM lance de pareilles attaques est prévisible; mais qu'un membre de la Trilatérale s'engage sur ce constat vérifiable aurait de quoi surprendre. Cependant, la cohérence de Cotta est assurée quand on s'avise de sa position réelle sur l'échiquier oligarchique. Loin d'un fantasmatique dédoublement de la personnalité, Cotta ne s'offusque nullement de l'oligarchisation de la société puisqu'il constate en tout bien tout honneur que l'oligarchie est "le gouvernement naturel des hommes en communauté."
Cotta est un oligarque décomplexé, puisque les préjugés vulgaires reposent sur l'erreur selon laquelle l'homme peut produire des organisations républicaines et non oligarchiques viables. On constatera que sur le terrain théorique Cotta ne s'aventure pas : on n'apprendra rien de sa conception du nihilisme, comme Aristote put le faire. Fort d'un pragmatisme encore plus poussé que celui des sophistes, le néo-positiviste Cotta en reste sur le terrain politico-économique, maintenu autour de la question de l'oligarchie.
Cotta doit être un admirateur fervent des Empires, notamment de l'Empire romain, mais aussi de l'Empire perse. Peut-être tient-il la perversion de la république, je veux parler de la République de Venise, comme une forme admirable d'oligarchie médiévale et lacustre. Cotta nous explique seulement qu'il existe différentes oligarchies : certaines sont plus démocratiques que d'autres. La démocratie serait un leurre.
Cotta se situe dans le sillage d'Aristote, car Aristote détruit la démocratie pour instaurer l'oligarchique, ce qui est la démarche revendiquée de Cotta (quand Platon détruit la démocratie athénienne pour promouvoir une forme supérieure de républicanisme, où le philosophe-roi est le législateur et le garant de l'ordre). Au passage, on pourrait se demander sous quelle forme Cotta serait chrétien. Comment peut-on être à la fois chrétien et oligarque? Comment peut-on considérer que l'homme se trouve "guidé par son intérêt" et suivre l'amour du prochain?
Je sais bien que W. le dégénéré néo-consrevateur était soi-disant un fervent pratiquant chrétien, mais c'était sous une forme particulièrement viscérale de la Réforme chrétienne - alors que Cotta interviendrait en tant que catholique. Il est vrai que le catholicisme charrie en son sein des effluves fort peu agapiennes depuis ses commencements et qu'un Pébereau de nos jours se prétend aussi un fervent catholique. De là à penser que Cotta l'économiste proche de la Trilatérale se tiendrait proche de la mentalité de Pébereau le banquier de la BNP (qu'on dit homme le plus influent de France, devant l'officiel président de la République)...
Mais cette confession d'un économiste proche de la mentalité de la City de Londres n'indique pas seulement l'imprégnation de l'économie par le libéralisme le plus virulent (l'ultralibéralisme d'un Friedmann). Que l'on puisse vanter l'oligarchisation de la société et un crime plus important encore que l'ineptie consistant à prôner le fascisme. Le fascisme est une forme tellement caricaturale et simpliste qu'elle en vient rapidement à s'effondrer sur elle-même, ainsi que nous l'enseigne le destin de la plupart des fascismes européens après la seconde guerre mondiale. Tandis que le système oligarchique peut perdurer plusieurs siècles, ce que nous rappelle l'histoire de l'Empire romain (ou de l'Empire perse).
Le témoignage d'un Cotta en dit long sur la mentalité sévissant dans les multiples organisations atlantistes qui vantent l'ultralibéralisme débridé et le mondialisme de l'Empire britannique : il s'agit rien moins que de rétablir pleinement l'oligarchie, soit un projet dont le moins qu'on puisse relever est qu'il n'est guère novateur. Aussi, craignant sans doute que la clarté de son propos n'amène quelques criques négatives, Cotta s'empresse de préciser qu'il existe plusieurs types d'oligarchie, certaines se révélant plus favorables à la démocratie que d'autres.
Comme auparavant, Cotta n'a pas craint d'expliquer que la démocratie était un leurre, suivant la démonstration d'Aristote, cette précision nous indique que la forme transitoire et instable de la démocratie oligarchique peut être un moyen opportun d'accommoder l'oligarchie avec son soutien aveuglé. Peut-être que les têtes pensantes de l'oligarchie mondiale, qu'un Cotta classifie sans pointer du doigt l'existence de l'Empire britannique (le parcours d'un Kissinger le prouve), cherchent un moyen de rendre définitive l'existence de l'oligarchie et à jamais révolue toute prétention à la république (comme Platon put le proposer).
Nos oligarques contemporains ne parviendront à leur fin qu'en fondant une théorie enfin viable, ce que ni Démocrite d'Abdère, ni Aristote n'ont réussi à produire en leur temps, sur les fonds baptismaux de l'Antiquité. Démocrite opposait deux infinis, quand Aristote relègue pour se débarrasser du problème (la patate chaude) le spectre de la contradiction dans la sphère du non-être. Quant à nos experts de l'économise monétariste ou d'autres pans des sciences humaines, ils se contentent d'évacuer carrément le problème de la théorie, reprenant en cela la démarche radicale des sophistes, notamment de Protagoras.
On en trouve une trace évidente dans ce dogme assez caricatural de Cotta, qui répète que l'oligarchie serait la forme naturelle de l'organisation politique. Toutes les hypothèses concernant le droit naturel se trouvent évacuées devant ce postulat aussi essentiel que non démontré (et indémontrable). Là s'exprime le véritable problème du nihilisme : il ne se renouvelle pas, malgré les efforts particuliers d'Aristote en son temps, alerté par le destin funeste qui attend tout nihiliste, en particulier l'oubli rapide de ses prédécesseurs immédiats, les Abdéritains ou les sophistes. Les formes d'oligarchie contemporaines ne sont que des resucées de l'oligarchie antique. Le seul changement notable, c'est que l'oligarchie s'étend désormais à l'ensemble du monde, quand auparavant elle se trouvait circonscrite à des régions plus ou moins étendues.
Le propre de l'oligarchie est de figer le développement humain. Figer le sens. Ce n'est que dans cette conception bloquée et sclérosante que l'oligarchie parvient à édicter son programme de domination élitiste. Cotta le résume très bien : avec sa bénédiction tacite, environ un pour cent de la population mondiale dirigerait de fait les décisions politiques mondiales. C'est cette erreur inhérente au nihilisme qui coule le nihilisme et son application politique, l'oligarchie : bloquer le sens à un domaine fini.
Aristote définissait l'être comme ce qui est fini. Le reste n'est pas vraiment de l'infini au sens plein que propose Xénophane (de l'être); c'est du non-être, du néant, du vide (vocabulaire de Démocrite). Cette conception commence par détruire la société humaine en dégagent des élites, que d'aucuns, partisans de l'élitisme, prennent pour une forme d'amélioration qualitative (ainsi des néo-darwiniens engagés en sciences sociales ou des ultralibéraux disciples de Hayek ou de von Mises). Puis elle en vient à précipiter la société humaine dans l'abîme en instaurant l'oligarchie générale d'expression drastique, alors qu'auparavant cette domination s'accommodait de pans républicains et pérennes.
C'est alors que l'erreur du nihilisme reparaît comme l'auréole sous les taches diverses et particulières, et que la proposition d'un Cotta (l'oligarchie est naturelle) prend une tournure aussi monstrueuse qu'inquiétante. L'emblème Cotta a-t-il mal pris la mesure de son erreur fondamentale? S'est-il fourvoyé par son pragmatisme réfutant l'entreprise théorique? Son témoignage limpide et déterminant nous montre comment l'on peut être favorable à l'oligarchie : par paresse intellectuelle autant que par goût de la certitude.

jeudi 24 mars 2011

Le monisme de Parménide

De la méontologie (suite).

Concernant l'environnement de Gorgias, il est précieux (dans un sens littéral?) de le rapprocher de celui qui passe pour un présocratique, bien qu'on sache mal à quelle période exacte il vécut. Parménide naquit entre 540 et 510 (avec des incertitudes); il mourut au milieu du Vème siècle. Certains en font le contemporain d'Héraclite ou d'Empédocle, d'autres de Gorgias ou Démocrite. Parménide déjà âgé aurait rencontré un Socrate encore jeune. Parménide aurait été un pythagoricien disciple de Xénophane (selon Aristote).
Xénophane aurait été le fondateur de l'école d'Elée selon une tradition, mais Platon rend cet Ecole bien plus ancienne (ce qui serait probable). Xénophane a fui la domination perse et professe une doctrine qui exclut le vide et qui établit l'infini et le plein. Quand on affirme que Parménide fut un disciple d'Anaximandre, ce serait un raccourci, car on raconte également que Xénophane fut son disciple. Quoi qu'il en soit, Anaximandre fut (sans doute) l'inventeur incertain de l'infini et du principe, et ces deux inventions expliquent la filiation entre Anaximandre et Parménide.
Sans doute Anaximandre, qui postule la pluralité des mondes, est-il un philosophe hybride entre l'influence de Thalès son maître (plutôt proche du nihilisme) et l'influence d'une postérité d'ontologues qui possède en Parménide un élément de valeur, direct ancêtre de Platon. Selon cette conception, Xénophane aurait conservé de l'enseignement d'Anaximandre l'infini et l'aurait d'une certaine manière épuré vers une tendance ontologique et antinihiliste. Une autre tradition, nullement inconciliable avec la tradition éléate, pointe la filiation pythagoricienne, qui a connu une importance capitale en Grèce et qui provient d'influences plus anciennes, comme les sources sacrées égyptiennes.
Pythagore l'initié aurait été aussi un élève d'Anaximandre, ce qui indique la proximité de toutes ces pensées, aux confins entre le nihilisme atavique et l'ontologie transcendantaliste, mais il semblerait que l'opposition assez violente que Xénophane conçut à l'encontre du pythagorisme montre que ces penseurs postpythagoriciens, comme Parménide, son supposé maître Xénophane et Empédocle, qui selon une tradition aurait été l'émule de Parménide, sont des disciples contestataires et hérétiques du pythagorisme. Entendons Parménide comme cas du fondement de l'ontologie préplatonicienne (plus que présocratique). Parménide reçoit l'enseignement de Xénophane, qui s'oppose aux les éléments de nihilisme présents chez Thalès ou Anaximandre.
Empédocle montrera une doctrine plus poétique et religieuse que l'ontologie rationaliste de Parménide. De ce point de vue, Parménide pourrait être le disciple de Xénophane, qui semble lui aussi enclin à des explications rationalistes, avec sa conception d'un principe divin fort peu imagé et fort théorique. Platon fut inspiré par l'enseignement de Parménide, dont il fait un père direct (ou presque) de l'ontologie telle qu'il la pose. Quand on parle des présocratiques, on a une transition entre le savoir des prêtres égyptiens, dont un Pythagore offre une image assez fidèle : les présocratiques dans leur immense majorité se caractérisent par une communauté de conceptions imagées, alors que Parménide rompt avec cette approche imagée pour lui substituer la théorisation ontologique. Parménide radicalise l'ontologie telle qu'elle est en partie définie par Anaximandre, puis, de manière plus théorique, par Xénophane.
L'opposition entre Xénophane et Pythagore doit intervenir sur ce point, où Pythagore serait encore trop dépendant d'une certaine représentation poétique (imagée) du monde, bien qu'il cherche aussi par certains aspects à proposer une vision mathématique. Mais cette mathématique-là se révèle sans doute aussi imagée - autant scientifique que poétique. Toutes ces oppositions sont internes à un mouvement qui donne lieu à l'ontologie, soit qui refuse le nihilisme. Quant au nihilisme, il se dévoile sous une forme fidèle à son passé avec Démocrite, Leucippe et la tradition atomiste d'Abdère.
Revenons à Parménide. On l'accusera d'avoir professé avec une certaine radicalité la doctrine ontologique, au point que Platon essayera d'empêcher le défaut logique et ontologique qu'on nomme le monisme de Parménide : dans ce système, l'Etre étant le tout, le non-être se trouve impossible et nié avec vigueur. Parménide ne résout pas la question du non-être en le renvoyant à la figure du faux et de l'impossible. Il la redéploie avec usure et déni. Mais l'intervention de Parménide en faveur d'un monisme de l'Etre, d'une ontologie radicale, s'explique par la période dans laquelle intervient Parméinde.
Parménide se trouve environné par la montée du nihilisme méontologique. On en trouve un cas frappant avec l'école d'Abdère. Ce qui doit inquiéter Parménide, c'est qu'il sent qu'il vit une période de crise profonde du sens. Si le nihilisme s'impose, c'en est fini de la culture et de l'avenir. L'inquiétude de Parménide (dans sa jeunesse) se retrouve chez son maître Xénophane, qui lui aussi commence déjà à prôner un rationalisme théorique opposé au pythagorisme, soit opposé à un important mouvement qui se situe dans la même tradition que la sienne.
C'est que le nihilisme qui monte set soutenu par les atours du savoir érudit et de la science impeccable. Un Démocrite d'Abdère est un puits de science. Il s'agit de ne pas plaisanter : soit l'ontologie que contribue à fonder Parménide parvient à opposer à cette rigueur logique nihiliste une alternative viable, soit le nihilisme risque de l'emporter. L'inquiétude parménidienne est encore accrue par l'avènement du courant des sophistes, qui d'une certaine manière incarnent une radicalisation du mouvement nihiliste, par rapport notamment à la figure de Démocrite, qui ose encore avancer une théorisation contradictoire et intenable.
Les sophistes réfutent la théorisation pour résoudre le problème de sa contradiction et leur succès prodigieux est justement illustré par le parcours de Gorgias. Rien d'étonnant à ce que Platon ait composé deux célèbres dialogues, l'un intitulé le Parménide, l'autre le Gorgias. Car Parménide le préontologue (si l'on considère que c'est Platon qui confère à l'ontologie pythagoricienne ses lettres de noblesse rationalistes) propose son ontologie radicale en réponse à la sophistique de Gorgias.
Sans doute Parménide a-t-il compris dans quelle époque il se mouvait et a-t-il produit une ontologique qui constitue une réponse au problème nihiliste. Les sophistes, Parménide et toutes ces figures voisines et pittoresques de la philosophie grecque précédant Platon sont baignés dans la mentalité de la mutation du transcendantalisme en monothéisme. Que Platon se déclare l'héritier de Parménide en dit long sur son importance historique, amis aussi culturelle : Parménide est celui qui s'est théoriquement opposé aux sophistes. Il a certes proposé un monisme qui se révèle trop dur en ce qu'il rend impossible la pensée du non-être, mais il est surtout celui qui a contrecarré la montée du nihilisme de son temps.
C'est à cause de cette opposition intransigeante au nihilisme d'un Gorgias que Parménide a proposé un monisme contraire et opposé : Gorgias expliquera que l'être n'est pas en opposition à al doctrine de Parménide selon laquelle l'Etre seul est. Et encore faudrait-il ajouter que Gorgias ne dit pas le non-être, mais le non-étant, car il cherche avant tout à ne passubstantialiser aucun nom, lui qui se veut et est reconnu expert du langage. La réfutation de Gorgias est explicite : Gorgias a écrit son Traité contre De la nature de Parménide. Aussi bien Parménide aurait-il pu intitulé son poème De l'Etre, tant il est frappant de constater que Parménide répond sur le terrain de la logique et de la théorie aux nihilistes.
L'intervention de Platon, notamment dans le Parménide et dans le Gorgias, vise à clarifier le débat. Platon ridiculise l'érudition béotienne de Gorgias et lui oppose la théorie ontologique que Parménide s'est employé à structurer et à léguer à l'intérieur du parti transcendantaliste qui fait la part belle aux entreprise imagées et poétiques. La démarche de Parménide tranche avec celle des pythagoriciens ou d'Empédocle.
Il s'agit pour lui d'adopter le style rationaliste propre aux sophistes et aux nihilistes abdéritains, ce qui implique que Parménide reconnaisse la pertinence de la démarche logique, rationnelle et scientifique. Mais Parménide qui reconnaît le rationalisme (c'est l'homme qui suit sa raison, et non les dieux) relie l'usage de la raison humaine avec l'Etre, ce qui implique qu'il reprend la trouvaille rationaliste des nihilistes (en particulier des sophistes) pour l'adapter au format de l'ontologie.
La principale déclaration de l'ontologie est qu'il n'existe pas de non-être, que de l'Etre. Mais cette déclaration est originale ne ce qu'elle établit le rationalisme ontologique. C'est l'innovation à laquelle concourt Parménide et c'est la raison pour laquelle il ne voit pas qu'en proposent contre le nihilisme méontologique son ontologie moniste, il édifie un monisme comportant une grosse lacune logique : car l'Etre pur rétablit de manière insidieuse et déniée la question du non-être sans la résoudre, ce qui fait que le nihilisme se pâme de triomphalisme (érudit de préférence).
Le nihilisme a beau jeu de rétorquer qu'au jeu de la théorie la plus contradictoire, le monisme ontologique de Parménide vaut bien la méontologie contradictoire d'un Démocrite. C'est ici qu'intervient une des principales innovations de Platon (si ce n'est la principale), qui a beaucoup repris, et pas seulement à la tradition égyptienne (qu'on affuble souvent d'origine indienne). Platon perfectionne l'ontologie de Parménide en résolvant (enfin) son monisme intenable. Selon Platon, le non-être n'est pas impossible, ou rejeté, ou déni,é ce qui a prou paradoxal mais irréfutable effet de ranger l'Etre dans la catégorie spécifique du nihilisme : l'impossible.
Selon Platon, le non-être correspond à la figure du faux, soit d'un quelque chose intégré au grand processus dynamique de l'Etre. Raison pour laquelle Gorgias croit encore triompher de l'ontologie de Parménide par le monisme. Contre un monisme, on peut proposer en alternative un autre monisme, qui plus est radicalisé, puisqu'il joue sur le refus de la logique et sur le jeu rhétorique. Mais quand Platon se moque de Gorgias, dans son dialogue éponyme (et célèbre), Gorgias ne sait plus qu'objecter.
Non seulement Paton a bien saisi le principal travers des sophistes, dont il se moque, la fameuse loi du plus fort, mais encore il propose quelque chose de viable contre le nihilisme de Gorgias. Parménide trouve ainsi l'achèvement de l'ontologie monothéiste et antique en Platon. Quand Gorgias prendra connaissance du dialogue de Platon, il est immensément célèbre et célébré, notamment à Athènes. Il ne peut rien objecter à la virulence du propos platonicien (Paton est un grand polémiste, voire pamphlétaire, c'est souvent une particularité peu notée dan son oeuvre).
D'après la légende, il remarquera seulement : "Comme Platon sait bien se moquer!". Gorgias, qui est un rhéteur virtuose, quoique un piètre philosophe (à mon avis), a tout de suite repéré le trait satirique et ironique de Platon, qui ne devait pas être tendre avec ceux qu'il jugeait dangereux, comme les sophistes (qu'on constate la postérité il leur réserve). Mais surtout son commentaire n'objecte rien de précis, alors que Gorgias avait pris le temps (considérable) de produire un Traité du non-être pour répondre à Parménide. C'st que Gorgias savait que l'ontologie parménidienne comportait un vice dans sa cuirasse, alors qu'il a compris en lisant Platon que l'ontologie a partiellement résolu l'objection qu'il lui adressait.
Pour partie (seulement) : car on pourrait aussi interpréter la concision sibylline de Gorgias comme un défi à la doctrine ontologique. Comme si Gorgias savait que la résolution de Platon ne peut être définitive et que l'ontologie sera toujours affligée d'un vice consubstantiel. Potin essayera à son tour de résoudre le problème du platonisme en proposant que le néant se trouve au-dessus de l'Etre. Preuve que l'indéfinition de l'Etre rétablit au moins insidieusement le problème du non-être, au-dela de la résolution de Platon.
Le ver est dans le fruit : la réactualisation moderne de cette maxime n'est pas seulement babylonienne (mésopotamienne) et biblique. Gorgias savait que l'ontologie n'avait pas résolu le problème et le défi que posaient les nihilistes de l'époque de la crise (pré)monothéiste : l'Etre n'intègre pas le non-être tant qu'il ne se trouve pas défini. En bout de chaîne historique, Heidegger ne parviendra jamais à définir l'Etre (et versera dans le nazisme idéologique, puis le désespoir ontologique jusqu'à la fin de ses jours). La vertu de l'ontologie est de permettre la pérennité de l'homme, malgré le rationalisme méontologique; son vice est de bloquer le développement humain à une phase terrestre en ne définissant pas l'Etre et en postulant que le réel non humain est forme en prolongement du réel humain (le monde des étants, selon Heidegger notamment).

mardi 22 mars 2011

Le mimétisme du positivisme

Une des principales critiques que l'on peut adresser au traitement journalistique de l'actualité, c'est de surfer sur la vague des événements, soit de s'en tenir à des apparences qui sont forcément trompeuses quand on leur accorde la primauté exorbitante de l'intégralité du réel. Ces derniers jours, l'on est passé sans coup férir des graves troubles en Libye à la grave catastrophe naturelle japonaise agrémentée de graves problèmes nucléaires. Il était normal à lire la consternation des médias français que l'on change de sujet toutes affaires et chaque semaine cessantes : le drame japonais n'engageait-il pas rien de moins que l'avenir de l'humanité?
Ne détenait-on pas la preuve irréfutable que le nucléaire était une énergie diabolique et qu'il convenait enfin d'en revenir aux énergies maîtrisées et inoffensives comme l'éolien ou le solaire (deux types d'énergie qui comme chacun sait sont parfaitement pérennes)? Mais avec la nouvelle entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France, plus l'accord (timoré) des Etats-Unis et de quelques autres puissances (encore plus timorés) de l'ONU, la résolution onusienne et universelle visant à bombarder la Libye et/ou à entériner la partition néo-coloniale du pays (voire le renversement du régime lui-même néo-colonial, mais périmé, de Kadhafi) au profit de l'exploitation du pétrole et du gaz a repris le dessus de l'importance médiatique occidentale. Le dessus des apparences. Le dessus de la pile.
Le problème japonais se trouvait-il miraculeusement et heureusement résorbé pour quo'n cesse de l'envisager? Point du tout. On apprenait même que de nouveaux soucis apparaissaient, même s'il est de plus en plus clair que le climat d'hystérie irrationaliste suscité par le nucléaire a contribué à grandement exagérer la gravité réelle du problème technique et les points de vue critiques dans cette crise devenue, contre les faits, plus nucléaire que sismique. Les grands médias reléguèrent tout de même le sujet dramatique du Japon meurtri à une place secondaire, mais présente. On reparla en prime time de l'affaire libyenne.
Ce traitement partial, tout à fait sous la coupe de la mentalité impérialiste d'ordre britannique, n'est pas sans rappeler le précédent pourtant consternant (et récent) du sommet de Copenhague, qui avait mobilisé de manière urgente et décisive l'ensemble des médias dominants, la vaillante troupe s'étant donnée le mot pour suivre les recommandations alarmistes, voire apocalyptiques, du GIEC. Trois semaines après l'échec patent de ce sommet pourtant décisif, ces mêmes médias parlaient déjà d'autres affaires, ayant oublié que selon leur propre avis le monde ne devait jamais se remettre du réchauffement climatique rapide et mortifère et surtout du raté diplomatique retentissant (et significatif) consécutif à ce sommet.
Depuis lors et récemment, j'ai entendu un matin le Professeur Atlan (une sommité médicale) rappeler sur France Culture que le réchauffement climatique avait cessé depuis au moins dix ans selon les estimations contestables du GIEC. Atlan se trouvait soutenu par le journaliste influent Slama (encore un expert adoubé par le système médiatico-politique). Ce nouvel exemple de baudruche dégonflée n'a pas servi de leçon d'avertissement aux médias. Le dénominateur commun entre tous ces événements récents, c'est l'effondrement de l'Empire britannique. C'est cet effondrement politique, diplomatique et économique qui a empêché l'accord de Copenhague.
Sous couvert de proposer des mesures écologiques afin de prévenir le réchauffement climatique de nature anthropique, il s'agissait de légitimer l'impérialisme britannique sur le monde en empêchant le développement industriel des pays pauvres, en particulier émergents (la Chine et l'Inde se sont du coup opposées à cet accord inique, alors qu'avec un Empire britannique efficient, elles auraient dû capituler et parapher le traité impérialiste maquillé en préoccupation désintéressée, nobles et écologique).
L'effondrement financier et débutant de l'Empire britannique a engendré en premier lieu l'effondrement conjoint et immédiat des dominions orientaux, qui sont les premiers Etats à s'effondrer dans cette crise - même si dans cette configuration les Etats-Unis gravement endettés ou les pays d'Europe sont condamnés à subir tôt ou tard le même sort (la faillite espagnole pourrait être le déclencheur de cette phase cardinale de l'effondrement systémique). Le traitement malhonnête et hystérique du problème japonais de 2011 indique que les médias occidentaux obéissent à la mentalité impérialiste britannique.
On pourrait certes avancer que ces médias suivent l'idéologie ultralibérale de leurs actionnaires (en France, Pinault pour Le Point, Lagardère puis BNP pour Le Monde, Rothschild pour Libération, la liste serait longue et à l'encan pour les autres médias dominants). Cette explication n'est pas suffisante en ce qu'elle impliquerait une forme de consentement et/ou d'obligation explicite de la part des journalistes qui devraient ainsi suivre contre leur volonté majoritaire les vues de leurs actionnaires et de leurs patrons.
Cette explication par la force plus ou moins contrainte et le consentement nombreux n'est pas plausible : trop de personnes rentreraient dans ce secret de nature violente, qui réactiverait les pires visages du complotisme (pour le coup effectif). Une interprétation plus plausible, jouant moins sur des mécanismes conscients de volonté ou de désir, explique cette mentalité sans recourir à la force (la farce) consciente : c'est le phénomène de l'autocensure, par lequel le journalisme se censurerait pour se conformer à une certaine mentalité sans suivre les recommandations explicites de sa hiérarchie.
Si le problème de la conscience se trouve résolu, cette explication s'arrête en chemin : car si elle explique par l'autocensure le suivisme des journalistes occidentaux, comment expliquer cette autocensure qui s'emparerait de professionnels formés et honnêtes? Le mimétisme seul peut expliquer de manière ontologique cette propension des journalistes principaux à suivre la mentalité de l'Empire britannique en déconfiture. Le mimétisme se déroule dans une conception de stabilité du réel, ce qui ne manque jamais d'engendrer en guise de stabilité bienvenue et parfaite la destruction nihiliste.
L'explication par la stabilité mimétique offre une explication satisfaisante du phénomène de néo-positivisme qui s'est emparé des médias et qui explique les grossières contradictions que l'on y observe, avec des journalistes qui s'emparent d'un sujet pour quelques jours plus tard remplacer ce premier thème incontournable et irremplaçable par un second du même tonneau - et ainsi de suite. Rien d'étonnant dès lors à ce que le lecteur ne comprenne plus rien et finisse par se désintéresser de l'actualité et de la vie publique. Le problème du positivisme tel qu'il a façonné les sciences humaines, et surtout le journalisme (la religion des faits évacuant toute erreur d'interprétation), revient à réintroduire subrepticement, mais fermement, le nihilisme sous couvert de stabilité.
Cette religion néo-positiviste de la stabilité mimétique (un avatar du nihilisme contemporain) explique pourquoi les médias suivent avec une inexplicable attirance (des papillons autour d'une lumière) les préceptes stratégiques des cartels financiers de l'Empire britannique : on suit le mouvement parce qu'on adhère à un modèle identique, sans volonté, conscience ou consentement. La plupart des journalistes sont mus par des préoccupations bien plus terre à terre que des considérations ontologiques, voire, un degré en dessous, stratégiques, pour expliquer leur suivisme non concerté et pourtant apparenté dans le traitement des informations.
Plus l'information se veut factuelle, plus son interprétation déniée unique se trouve contrainte (les vicissitudes de la nécessité?). Du coup, cette manière de considérer le monde comme stable et identique conduit au plus grave des contresens : produire de la propagande sous prétexte de proposer de l'information objective. On mesure l'importance qu'a prise l'information de type journalistique : elle sert sans s'en rendre compte l'idéologie libérale au pouvoir (il suffit de vérifier la gradation de la propagande dans un journal de révérence comme Le Monde depuis trente ans). Tout cet ordonnancement ne s'explique pas par une concertation aussi néfaste que cachée (le complotisme simpliste quand il est effectif), mais par le mimétisme au service du culte de la stabilité.
Sans quoi nos médias n'auraient pas couvert de manière si orientée le sommet de Copenhague, pas davantage qu'à l'heure actuelle ils ne se laisseraient abuser pour l'obscurantisme irrationaliste qui entoure l'accident nucléaire produit par la catastrophe naturelle (et non l'inverse). Quant à l'épisode libyen, difficile de ne pas voir derrière l'intervention des Etats occidentaux l'influence économique de ce fameux et tu Empire britannique, qui s'il a encore le pouvoir de manipuler les Etats occidentaux, se trouve visiblement dépassé par les événements politiques dans le monde.
La perte d'influence de l'Empire britannique se mesure précisément au fait qu'il est contraint de semer le chaos là où précédemment il parvenait à réguler les politiques mondiales par des dictatures de lignage satrapique. Quant au mimétisme subjugué par la loi du plus fort, donc de l'impérialisme, rien d'étonnant à ce qu'il ne comprenne rien à rien. Rien de concerté non plus dans le contresens généralisé et vérifiable de l'information de type journalistique. Car la lecture par les faits seuls, loin d'amener à plus de véracité, contribue à découper le réel en des instantanés aussi flous que peu significatifs.
Au lieu de voir l'éléphant dans le magasin, on distingue des formes floues et découpées en instantanés plus insignifiants encore que dénués de signification. On prend des vessies pour des lanternes : des instants appartenant au processus pour le processus lui-même. On confond la réduction écologique malthusienne avec une approche innovante de la politique, voire de la philosophie. On croit vraiment que ce qui détruit (l'impérialisme nihiliste) est le réel et que le réel (le processus dynamique de réalité duquel relève le phénomène scientifique nucléaire) est ce qui détruit.

dimanche 20 mars 2011

L'honorable correspondant

Tandis que l'actualité superficielle nous abreuvent en événements secondaires qui sont autant de diversions, petit extrait d'un article de l'honorable correspondant à la City de Londres, Marc Roche, qui est centré sur le coeur de l'impérialisme. Alors que bien des soi-disants experts de l'heure se perdent en brillantes hypothèses labyrinthiques à propos de l'impérialisme tapi à Wall Street et qui du coup serait de facture américaine (avec des inflexions sionistes), Marc Roche sait très bien, ne sait que trop, que les grosses firmes financières de Wall Street, de Chicago ou d'ailleurs sont des ombres sur le sol américain manipulées depuis la City de Londres (l'ultime commanditaire dans le fonctionnement impérialiste).
Prenons le cas le plus emblématique, celui de JP Morgan et de sa jumelle Morgan Stanley (divisée par le Glass-Steagall révolu) : c'est une opération typique de la City de Londres, avec notamment la branche londonienne Morgan, Grenfell&Co. Ce qui est frappant dans cette description qui se voudrait critique, c'est le refus de la critique générale au profit d'une critique inféodée à la loi du plus fort. Admirable définition des médias occidentaux! L'on est prêt à reconnaître que les banquiers sont amoraux à condition que l'on reconnaisse conjointement que la situation ne peut être changée. On comprend que Marc Roche soit le correspond pour le grand journal français Le Monde (tenu depuis peu par des intérêts proches de la BNP) de la City de Londres : il en reprend les tics et les dogmes.
Too big to fail : expression qui ne veut rien dire si on l'examine depuis une perspective un tant soit peu soustraite à la critique, un peu comme Marc Roche veut bien accepter toutes les critiques à propos de la mentalité des financiers à condition que l'on reconnaisse leur impunité et leur toute-puissance. Comment peut-on échapper à la critique? A condition d'être trop fort dans un critère où c'est la loi du plus fort qui l'emporte sur la vérité. Le seul moyen de se mouvoir dans un monde dirigé par la loi du plus fort est un monde statique, où le changement est sous contrôle des dominateurs de l'être.
Exactement le monde tel que le perçoivent les banquiers : monde qui peut accepter toutes les critiques, à condition que les banquiers le dominent. Marc Roche reprend cette argumentation avec une candeur qui ne peut être mue que par le cynisme fondamental : car ce monde est un monde qui n'est pas viable, mais monstrueux. C'est un monde qui ne peut que s'effondrer, en sus de sa monstruosité. C'est l'époque que nous vivons. Marc Roche déverse la propagande inconditionnelle en faveur des banquiers et contre toute idée de changement, puisque s'il convient de moraliser les échanges financiers ou de rationaliser l'irrationnel, ainsi qu'y appellent les théoriciens progressistes de l'ultralibéralisme, il est impossible de concevoir un monde non nihiliste (au sens ontologique) avec cette domination évidente et incontestable des banquiers.
Pourtant cette manière de représenter les choses, de les dépeindre avec fatalisme et même une certaine dose de critique secondaire et superficielle, soutient l'apologie de la nécessité ontologique, telle qu'elle est accréditée dans l'histoire de l'immanentisme par Spinoza ou Nietzsche (auparavant par un Démocrite d'Abdère notamment). Selon des voix autorisées comme celle de Marc Roche, il est nécessaire d'agir ainsi. Rengaine des gouvernements occidentaux au service des financiers : on ne pouvait que renflouer les intérêts en faillite. Rengaine pitoyable et pathétique des opprimés de la mondialisation : on ne peut faire autrement. C'est le slogan des esclaves.
Un Marc Roche reprend implicitement ce refrain sinistre et oligarchique en se plaçant du côté des dominateurs de la mondialisation ultralibérale : des financiers qui agissent de manière apatride, entre plusieurs places financières, mais toujours à partir de la City de Londres, le bastion de l'Empire financier britannique. Dans le conte où le roi est nu, les courtisans se rendent compte de la nudité du roi, mais ne la révéleront qu'à partir du moment où le roi aura perdu son pouvoir. Il en va de même avec l'Empire britannique : ceux qui sont ses observateurs connaissent son existence, mais préfèrent la taire. On en parlera sans doute plus tard, de manière historique, quand ces intérêts fondés sur la dissolution et le mensonge auront disparu et seront devenu inoffensifs. Un peu comme la Françafrique?

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/08/la-crise-c-est-la-faute-des-autres_1490064_3232.html

"Lettre de la City du 8 mars.

Les banquiers responsables de la crise de retour aux manettes.

Trois noms pratiquement inconnus du grand public ont récemment occupé le devant de la scène financière. Trois noms qui, pour beaucoup, ne disent rien, mais qui symbolisent la philosophie d'une profession n'ayant rien appris et cependant tout compris : banquier un jour, banquier toujours. A la vie, à la mort ! Qu'on se le dise ! Commençons par le Français du lot. Jean-Pierre Mustier doit prendre le 21 mars ses nouvelles fonctions de directeur des activités de finance et d'investissement de l'établissement italien UniCredit, "pour pouvoir pousser certaines convictions". Ce personnage énigmatique était le patron, à la Société générale, du trader fou Jérôme Kerviel. Il en avait démissionné en 2009.
Le deuxième protagoniste est l'Américain Bill Winters, membre de la commission officielle britannique planchant sur la réforme bancaire. Cet ancien banquier d'affaires vient de s'associer avec deux locomotives de la vie des affaires, le raider Lord Rothschild et l'industriel du luxe Johann Rupert, pour créer un fonds d'investissement. Winters avait été l'un des animateurs de l'équipe de JP Morgan, qui en 1994-1997 avait inventé les
credit default swaps, ces produits financiers hautement toxiques qui ont contribué à l'explosion de la planète finance.
Enfin, il y a le cas d'Alan Schwartz, dernier patron de Bear Stearns, la banque d'affaires plombée de crédits immobiliers vérolés, dont la chute en 2007 avait été le signe prémonitoire de la tourmente à venir. Après sa sortie ignominieuse, le banquier new-yorkais avait pris la tête d'un hedge fund, Guggenheim Partners. Ce fonds a annoncé la semaine dernière la création d'un département de trading utilisant ses capitaux propres, une activité très risquée et hautement spéculative désormais interdite aux banques.
Les banquiers emportés par la crise de 2008-2009 sont donc de retour, comme si de rien n'était, et par la grande porte. Et la liste est longue, très longue, à lire quotidiennement les pages de la presse financière. Le cas le plus scandaleux demeure celui d'Antigone Loudiadis, la banquière de Goldman Sachs qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes pour lui permettre d'entrer dans l'euro. Ce forfait lui a valu d'être promue à la tête de la compagnie d'assurances maison de GS !
Convenons-en, de quelque côté que l'on regarde, la tête nous en tourne. Saisi d'un semblant de repentance, Jean-Pierre Mustier a ainsi potassé pendant son intermède londonien d'un an et demi les biographies d'Alan Greenspan, ancien patron de la Réserve fédérale américaine, et d'Henry Paulson, le secrétaire au Trésor entre 2006 et 2008.
Dans le genre flagellant, on fait mieux. Greenspan passe pour l'un des grands responsables de la débâcle par sa politique d'argent bon marché et par son refus d'une réglementation des produits dérivés. Quant à Paulson, qui fut président de Goldman Sachs entre 1999 et 2006, il n'a eu de cesse quand il était au pouvoir de promouvoir les intérêts de son ancien employeur.
La déroute financière a vu des millions de ménages perdre logement, emploi, retraite. A quelques exceptions près, on retrouve aujourd'hui les mêmes patrons à la tête des grandes institutions financières. Aucun dirigeant de banque n'a été sanctionné, même dans les cas de fraude avérée sur les crédits hypothécaires. Dans ce genre d'affaires complexes, les preuves sont difficiles à réunir, et l'incompétence n'est pas un crime : telle est l'antienne officielle pour justifier ce laxisme judiciaire.
Alors que le contribuable qui a sauvé le système bancaire doit se serrer la ceinture, l'heure est à nouveau à l'octroi en toute impunité de bonus mirobolants, à Wall Street comme à la City. A Bruxelles et à Washington, le lobby bancaire a émasculé les projets de régulation, poussant même des cris d'orfraie à l'idée d'un renforcement des normes prudentielles de capital. Au mépris du civisme le plus élémentaire, les zones offshore aident les multinationales comme les grosses fortunes à s'adonner à l'évasion fiscale légale. Pour échapper à l'impôt comme au régulateur britanniques, les hedge funds londoniens auraient trouvé leur nouvelle terre promise, Malte, pour spéculer en toute quiétude.
La profession bancaire ne voit pas en quoi elle aurait failli à l'honneur ou à la morale, nous explique le consultant londonien Amin Rajan, spécialiste du leadership d'entreprise. "Les milieux financiers ont réussi à faire passer le message que la crise est la faute du système, des régulateurs, des banques centrales, des actionnaires, voire des ménages, bref, des turpitudes des autres." Dans la lecture particulière qu'ont les banquiers de la déontologie, reconnaître ses torts serait un aveu de faiblesse ou de culpabilité. Toutefois, il faut en convenir, les banques, dont personne ne peut se passer, ne sont pas toutes à mettre dans le même sac, et certaines remplissent les fonctions normales de financement de l'économie.
Le cardinal archevêque de Westminster, Vincent Nichols, n'a pas dit autre chose en déclarant à l'adresse des banquiers : "Votre mission consiste en priorité à servir l'intérêt public." Ce prêche ne devrait-il pas être frappé au fronton du Guildhall, l'hôtel de ville de la City ?

roche@lemonde.fr
Marc Roche
Article paru dans l'édition du 09.03.11."

vendredi 18 mars 2011

L'âge de l'homme

Connais-toi toi-même.

Dans ce lien
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/14/crise-nucleaire-le-gouvernement-francais-victime-du-syndrome-mam_1492847_3232.html
comme dans d'autres articles, un soi-disant expert objectif en nucléaire (bardé du prestigieux poste de président de l'Observatoire du nucléaire) entend proposer avec un engagement militantiste irrationnel et fanatique la sortie du nucléaire à l'occasion de la catastrophe naturelle qui afflige le Japon. Pour aller - où? Revenir à l'âge du pétrole? A l'Age d'Or de la roue et de la Nature bienfaisante? Ou enfin dire la vérité économique et politique? Sans l'alternative du nucléaire, c'est l'absence d'énergie et l'effondrement économique qui attendent l'homme. Veut-on vraiment soutenir les stratégies perverses des malthusiens au service des conceptions oligarchiques et ultralibérales du monde?
Quant au débat scientifique, il n'est guère sérieux - et il indique que désormais les intervenants majoritaires à propos du nucléaire se trouvent subventionnés et promus massivement pour tenir des propos qui oscillent entre l'obscurantisme et le faux. Dans l'écologie médiatique, on ne donne jamais la parole à des écologistes érudits et antimalthusiens, mais à des rigolos pétris de contradiction et venant vous expliquer à leur descente d'avion qu'il convient toutes affaires cessantes d'envisager de nouveaux modes de vie anticapitalistes et plus ou moins décroissants (il me déplairait de citer qui que ce soit, mais ces tartuffes à la sauce écolo-bio se tiennent dans le sillage de l'esprit du Club de Rome). Avec l'épineuse question du nucléaire, c'est pareil. Jouant sur l'air du sécuritarisme néo-conservateur, nos gauchistes rebelles et solaires (mélange savoureux plus que savant d'Onfray et de Bové) distillent la peur avec des rengaines démago comme l'Apocalypse nucléaire ou le Big Bang atomique.
D'un simple point de vue scientifique, il est pourtant facile de répondre que la catastrophe japonaise naturelle ayant engendré l'accident de type nucléaire aurait pu être grandement diminuée, voire évitée, si l'on avait encouragé le développement scientifique et technologique du nucléaire, au lieu d'en rester prudemment à des techniques usagées et limitées. Par ailleurs, que l'on cherche à inventer de nouvelles formes d'énergies que le nucléaire, tout à fait d'accord (surtout si l'impulsion rejoint la recherche); mais, à l'heure actuelle, aucune forme d'énergie n'égale le nucléaire en termes de rapport qualité/prix (n'en déplaise aux menteurs ou aux crétins qui polluent les médias pour prôner une sortie du nucléaire remplacée par une nouvelle manière de vivre).
Le nucléaire est bien moins polluant (et bien moins cher) que toutes les énergies actuelles, surtout les énergies présentées comme durables (éolienne ou solaire), mais la peur irrationnelle qui est générée contre le nucléaire permet, dans un effort de récupération médiatique, aux antinucléaires de passer pour des individus responsables et réfléchis, qui penseraient au futur de la planète et des jeunes générations; alors qu'ils favorisent une conception oligarchique et profondément inégalitariste des ressources énergétiques, du savoir et de l'éducation, contre la majorité de la population et dans l'intérêt d'une caste oligarchique qui les utilise en se moquant d'eux. Le malthusianisme est un crime, dont on ne voit pas bien pourquoi il deviendrait un bienfait à partir du moment où l'on aborde les rives aveuglantes et enivrantes de l'écologie.
Cette manière obscurantiste et irrationaliste d'aborder un problème crucial (le nucléaire après le climat) aboutit à des erreurs d'interprétation et à un climat (désolé) d'hystérie assez consternant. Car non seulement on ne se demande jamais si l'erreur humaine incriminée découlant du problème naturel non humain n'est pas un usage critiquable du nucléaire ou le peu de moyens accordés à la recherche nucléaire (dans un monde oligarchisant qui freine la recherche pour mieux établir ses distinctions soi-disant essentielles), mais encore on en vient à inverser la cause et la conséquence dans le raisonnement, soit à réfuter le déroulement du réel nommé changement.
Cause : le terrible tremblement de terre agrémenté d'un sévère tsunami. Conséquence : la catastrophe nucléaire (sans doute exagérée par nos médias au service du pouvoir financier). Cette inversion illogique est une insulte caractérisée à la mémoire des nombreuses victimes, mais peu importe quand on s'exprime de manière fanatique, avec le sentiment moralisateur et superficiel de se trouver du côté du Bien. Il est tout à fait prévisible que cette inversion illogique intervienne dans un climat d'obscurantisme et d'irrationalisme où toute méthode scientifique se trouve bafouée au nom de pulsions incohérentes, soi-disant désintéressées.
Nietzsche d'un tout autre point de vue dénonce l'inversion de la cause et de la conséquence pour fustiger l'idéalisme platonicien dans la philosophie occidentale ultérieure (et dans l'expression plébéienne et religieuse du christianisme). Nietzsche avec les idées qu'il défend condamnerait l'obscurantisme scientifique et rationnel, qui ne peut émaner que de points de vue moutonniers et plébéiens (selon le propre langage de Nietzsche, un rien préfasciste je trouve, lui dirait aristocratique dans un sens esthétique). Nietzsche défend un irrationalisme théorique, qu'il situe dans le canevas opéré par Aristote, selon lequel l'être est rationnel - quand le non-être ne l'est pas. L'attitude antiscientifique et irrationnelle au sein de l'être, à propos de la question du nucléaire, se trouverait violemment combattue par des nihilistes conséquents.
Ce raisonnement antiscientifique est intéressant en ce qu'on cherche quoi qu'il arrive à incriminer l'homme mauvais contre la nature bonne. Il aurait sans doute été impeccable pour un casting écolo-malthusien que ce soit une catastrophe nucléaire (purement humaine) qui ait provoqué une catastrophe naturelle. Comme c'est l'inverse qui est vrai, on opère une diversion en faisant du nucléaire le problème, alors que c'est précisément l'inverse qui est vrai : l'absence de recherche nucléaire combinée avec l'inégalitarisme oligarchique a accru cette crise naturelle et ses conséquences nucléaires.
Cette soif d'inverser le cours du temps et de produire des raisonnements aussi illogiques qu'antiscientifiques (obscurantistes) s'explique par la doctrine nihiliste qui cherche à opérer une immuabilité du réel, opposé en deux forces antagonistes stables : l'être et le non-être (avec des variantes internes). Cet immobilisme fondamental implique non seulement l'obscurantisme et l'arrêt de la recherche, mais aussi que l'on en revienne à un état naturel aussi artificiel qu'infondé (peu importe en l'occurrence que la Nature pure corresponde surtout à certains fantasmes humains, qui plus est oligarchiques). La question du nucléaire indique le positionnement véritable sur l'échelle de l'impérialisme.
Ainsi de ces pseudo-écolos de gauche qui sont viscéralement antinucléaires et favorables au réchauffement climatique de nature anthropique alors que les positions qu'ils défendent sont impérialistes, ultralibérales et subventionnées par les cercles financiers de l'Empire britannique (le point le plus savoureux). Bien entendu, il convient de séparer le nucléaire dogmatique (le nucléaire est la meilleure énergie inconditionnelle et éternelle) du principe du nucléaire (principe scientifique consistant à perfectionner la meilleure énergie actuelle) et de relier ce principe scientifique avec la démarche fondamentale scientifique qui consiste sans cesse à promouvoir la recherche et à réfuter l'ignorance, voire la bêtise (le fanatisme est réputé toujours bête).
L'inversion du cours du temps est significative d'une mentalité nihiliste qui implique que l'on réduise le réel aux strates du désir humain. Selon l'expression du désir humain, le nucléaire est inutile, puisque le désir dispose du pouvoir de faire advenir les choses telles qu'il les entend. Mais surtout, la recherche scientifique devient inutile puisque le désir est complet (selon la terminologie de ce faussement rationaliste de Spinoza). Cette complétude toute-puissante du désir indique que le nihilisme contemporain est majoritairement exprimé par l'immanentisme, qui constitue une radicalisation du nihilisme d'un Aristote durant l'Antiquité.
Surtout qu'il s'agit d'une réduction ontologique typique dans laquelle le réel de texture infinie est réduit au réel selon l'expression finie et homogène du désir. C'est selon cette conception dévoyée et terriblement ratiocinante que s'expriment tous les défenseurs de l'antinucléaire et des énergies dites alternatives et durables. Car rien n'est moins durable et alternatif que l'expression de l'immanentisme, soit de la complétude du désir. De même que le désir ne saurait être complet sous quelque rapport que ce soit, de même les énergies durables ne sauraient être durables, tout comme les énergies alternatives ne sauraient comporter aucune alternative viable.
Ce jeudi 17 mars au matin, j'ai subi la chronique pontifiante d'une certaine coco bobo écolo nommée Clémentine Autain. Notre Autain se croit de gauche dans la mesure où elle défend des valeurs écologistes. Peu lui importe que ces valeurs soient utopiques (vivent les énergies durables ou alternatives), il s'agit d'être progressiste et d'appeler à la fin du nucléaire. Le moment le plus intéressant de son discours idéologico-utopique intervient quand notre politicienne avance de manière mensongère et sans argument qu'il existerait des alternatives viables au nucléaire comme les éoliennes. Ayant démontré à sa manière irrationaliste et dogmatique son point de vue antinucléaire, Autain en appelle sans guère d'intelligence à l'avènement de comportements différents et enfin écologiques. C'est ce genre de personnels politiques qui incarnent, non pas la relève, mais l'effondrement du niveau intellectuel et culturel de l'ensemble de la société occidentale (singulièrement française). Ce n'est pas qu'Autain manque d'intelligence. C'est pire : elle utilise son intelligence symptomatique (de la répétition, peu de création) pour défendre des points de vue manifestement imbéciles et impossibles (donc nihilistes), étant entendu qu'elle dispose de savoirs (assez) étendus censés remplacer un jugement déficient. Il est patent que ce type de positionnement écolo-gauchiste ne saurait en aucun cas proposer quoi que ce soit de progressiste et de viable - et que ce gauchisme sociétal et bobo est l'allié aussi utile qu'idiot de l'ultralibéralisme de gauche, incarné par un DSK, qui est l'actuel directeur du FMI et qui pourrait devenir le candidat du Parti socialiste à la prochaine présidentielle. Le pire pour Autain et ses acolytes écolos-bobos-cocos, c'est qu'un ultralibéral comme DSK, qui veut bien promettre à condition qu'il ne réalise aucune démagogie de nature antilibérale, saura trouver une conciliation pour que l'utopie antinucléaire soit compatible avec l'idéologie libérale - et le niveau de consommation effectif et non négociable des Français, calqué sur le modèle non seulement occidental, mais désormais mondial.

P.S. : la Chine envisage de lancer sur le site de Rongcheng un site nucléaire de quatrième génération. C'est la meilleure réponse que l'on puisse apporter à la catastrophe nucléaire japonaise et aux limites du nucléaire de troisième génération employé dans ce pays : au lieu de prôner le recul, voire l'immobilisme, choisir la dynamique du progrès, de l'avenir et de l'évolution.

jeudi 17 mars 2011

Politique chaotique

Le principe géopolitique de l'Empire britannique se montre à l'oeuvre dans l'emblématique autant que chaotique Libye : gérer les deux opposés d'un certain système afin d'empêcher le changement. Principe qui implique que l'on crée des dissensions et des rivalités à condition qu'elles se meuvent sous contrôle égal du dominateur. On trouve un exemple frappant de cette stratégie en Libye où les Occidentaux autour de l'Empire britannique ont armé via le Qatar notamment les insurgés venus de Benghazi après avoir soutenu largement les forces fidèles au Colonel, y compris durant son isolement diplomatique de la scène internationale.
Une information qui serait à creuser par ces temps où en matière de moralisme, les gouvernements occidentaux annoncent le gel des avoirs libyens, c'est : pourquoi ne parle-t-on pas davantage des placements que les investisseurs libyens ont effectués dans des places opaques comme Dubaï, qui est un des hauts lieux de l'Empire britannique, au point d'avoir pris la succession de l'enclave Hong-Kong?
Les marchands d'armes illustrent cette stratégie toujours gagnante (le fantasme de la maîtrise du réel), que l'on retrouve exposée dans le film Lord of War : les marchands d'armes livrent à la fois les insurgés opposés à Kadhafi et le clan Kadhafi, très proche de Blair et d'autres têtes pe(n)santes de l'Empire britannique. Mais cette stratégie du contrôle des parties ennemies n'est viable que dans un système impérialiste qui se porte bien. Pendant trente ans, les Egyptiens ont enduré le régime corrompu de Moubarak, dont on dénonçait la tutelle impérialiste américaine à tort.
Car les placements du clan Moubarak indiquent mieux qu'un long discours l'influence de l'Empire britannique via l'influence politique et officielle des Etats-Unis. L'effondrement en série des dictatures en Afrique n'est compris adéquatement que si on lui applique deux grilles de lecture globales :
1) c'est un effondrement qui n'est pas circonscrit à une zone géographique, mais qui est général, directement causé par l'hyperinflation alimentaire (annonçant une vague d'hyperinflation carabinées de type Weimar);
2) cet effondrement n'est pas maîtrisé par une volonté manipulatrice de type complotiste (comme ce fut souvent le cas en Afrique, n'en déplaise aux contempteurs hypocrites du complotisme paranoïaque). La politique du chaos qui a été décidée en haut lieu ces derniers mois commence à s'appliquer aux dominions et aux marches de l'Empire; puis elle reviendra petit à petit, telle un boomerang, dans les pays d'Occident. Cette politique du chaos est une politique chaotique en ce qu'elle n'est nullement maîtrisée, mais qu'elle est lancée précisément pour s'adapter à l'effondrement des forces vives de l'Empire.
La stratégie du chaos illustre l'adaptation de la stratégie impérialiste à la décadence des forces impérialistes. Du coup, on précipite avec un danger certain et incontrôlé le chaos en oubliant que le chaos est l'annonciateur du KO. Prêts à tout pour conserver leur pouvoir condamné et avarié, les cercles de l'Empire britannique déchaînent le feu en sachant très bien qu'ils tirent leurs dernières cartouches.
A cet égard, la situation du satrape déjanté et farfelu Kadhafi, mélange de roublardise du désert et de psychose hallucinée, indique une fois de plus la situation de l'Empire britannique (son vérifiable protecteur depuis ces quarante années de Troisième voie plus fabienne qu'islamo-socialiste) : Kadhafi, qui a repris du poil de la bête dans cette insurrection, n'en sortira pas renforcé et vainqueur. Le pire n'est pas passé pour lui. Kadhafi doit céder la main et s'il ne sait pas assurer la transition, il finira comme Saddam (sa grande peur).
Idem pour les cercles oligarchiques de l'Empire britannique : l'Empire est condamné et doit assurer sa transition - un peu comme à l'époque transitoire de Venise. Deux alternatives sont opposées : soit l'Empire britannique disparaît définitivement et restera dans l'histoire comme un Empire dominateur qui finit en forces disparates et déclinantes; soit l'Empire déménage, pour commencer dans des territoires provisoires, comme les Provinces-Unies à l'époque de la République de Venise; puis, de manière définitive et assurée, dans une colonie, par exemple la Corée ou le Brésil.
Voilà qui expliquerait pourquoi Kadhafi en mesures de rétorsions propose à des puissances émergentes comme l'Inde, la Chine ou la Russie de prendre la succession des concessions pétrolières et gazières tenues par des compagnies occidentales (comme l'emblématique BP). Ce qui pourrait passer pour un discours anti-occidental et anti-impérialiste se révèlera une ruse impérialiste axée sur l'avenir : Kadhafi s'adresserait déjà à cette mutation indispensable de l'Empire britannique, lui qui a servi les forces autour de Tony Blair, de Sir Mark Allen ou de Lord Jacob Rothschild (des dignes et valeureux représentants des cercles monarchiques britanniques).
Ce serait un marché aussi vicieux qu'improbable : je suis prêt à assurer la relève de l'Empire britannique sous couvert de punir les Etats-nations d'Occident. Je suis prêt à servir le programme d'oligarchisation du monde en abreuvant de pétrole ou de gaz la Chine, la Russie ou l'Inde, qui se développent sur un modèle typiquement oligarchique et impérialiste plus compatible avec l'impérialisme que le modèle des Etats-nations d'Occident (république et démocratie). Je sers la relève de l'Empire britannique et j'assure ma propre relève.
Kadhafi n'a jamais servi que son clan des Kadhafs en Libye (et encore) et a trouvé le partenaire correspondant avec les factions dominatrices et protectrices (quoique fourbes) de l'Empire britannique. Tout comme l'adversaire de l'Empire britannique reste l'Etat-nation, surtout l'Etat-nation le plus puissant du monde (les Etats-Unis soi-disant impérialistes), de même l'ennemi de Kadhafi est de fait l'Etat-nation, dont il ne cesse de dénoncer l'impérialisme dans un délicieux mensonge volontaire et avéré. Maintenant que l'Empire britannique n'arrive plus à gérer les deux opposés d'un lieu colonisé pour empêcher le changement, il lance la politique du chaos. Et son satrape le plus déjanté dans la région (peut-être?), ce Kadhafi imprévisible et madré, essaye de parer le chaos en promouvant l'impérialisme succédant à l'Empire britannique condamné.
Kadhafi se déclare en faveur de l'oligarchisation du monde, soit du NOM, à condition que cette stratégie lui soit favorable. Marché de dupes ou de salauds : je vous aide à assurer votre propre transition et en échange, vous me fichez la paix. J'assurerai ma propre transition ultralibérale et impérialiste en donnant les clés du pouvoir officiel en Libye à des membres de mon clan. Moi aussi j'aurai changé, tout en m'assurant que ce changement soit contrôlé par l'inertie de la répétition.