mardi 22 mars 2011

Le mimétisme du positivisme

Une des principales critiques que l'on peut adresser au traitement journalistique de l'actualité, c'est de surfer sur la vague des événements, soit de s'en tenir à des apparences qui sont forcément trompeuses quand on leur accorde la primauté exorbitante de l'intégralité du réel. Ces derniers jours, l'on est passé sans coup férir des graves troubles en Libye à la grave catastrophe naturelle japonaise agrémentée de graves problèmes nucléaires. Il était normal à lire la consternation des médias français que l'on change de sujet toutes affaires et chaque semaine cessantes : le drame japonais n'engageait-il pas rien de moins que l'avenir de l'humanité?
Ne détenait-on pas la preuve irréfutable que le nucléaire était une énergie diabolique et qu'il convenait enfin d'en revenir aux énergies maîtrisées et inoffensives comme l'éolien ou le solaire (deux types d'énergie qui comme chacun sait sont parfaitement pérennes)? Mais avec la nouvelle entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France, plus l'accord (timoré) des Etats-Unis et de quelques autres puissances (encore plus timorés) de l'ONU, la résolution onusienne et universelle visant à bombarder la Libye et/ou à entériner la partition néo-coloniale du pays (voire le renversement du régime lui-même néo-colonial, mais périmé, de Kadhafi) au profit de l'exploitation du pétrole et du gaz a repris le dessus de l'importance médiatique occidentale. Le dessus des apparences. Le dessus de la pile.
Le problème japonais se trouvait-il miraculeusement et heureusement résorbé pour quo'n cesse de l'envisager? Point du tout. On apprenait même que de nouveaux soucis apparaissaient, même s'il est de plus en plus clair que le climat d'hystérie irrationaliste suscité par le nucléaire a contribué à grandement exagérer la gravité réelle du problème technique et les points de vue critiques dans cette crise devenue, contre les faits, plus nucléaire que sismique. Les grands médias reléguèrent tout de même le sujet dramatique du Japon meurtri à une place secondaire, mais présente. On reparla en prime time de l'affaire libyenne.
Ce traitement partial, tout à fait sous la coupe de la mentalité impérialiste d'ordre britannique, n'est pas sans rappeler le précédent pourtant consternant (et récent) du sommet de Copenhague, qui avait mobilisé de manière urgente et décisive l'ensemble des médias dominants, la vaillante troupe s'étant donnée le mot pour suivre les recommandations alarmistes, voire apocalyptiques, du GIEC. Trois semaines après l'échec patent de ce sommet pourtant décisif, ces mêmes médias parlaient déjà d'autres affaires, ayant oublié que selon leur propre avis le monde ne devait jamais se remettre du réchauffement climatique rapide et mortifère et surtout du raté diplomatique retentissant (et significatif) consécutif à ce sommet.
Depuis lors et récemment, j'ai entendu un matin le Professeur Atlan (une sommité médicale) rappeler sur France Culture que le réchauffement climatique avait cessé depuis au moins dix ans selon les estimations contestables du GIEC. Atlan se trouvait soutenu par le journaliste influent Slama (encore un expert adoubé par le système médiatico-politique). Ce nouvel exemple de baudruche dégonflée n'a pas servi de leçon d'avertissement aux médias. Le dénominateur commun entre tous ces événements récents, c'est l'effondrement de l'Empire britannique. C'est cet effondrement politique, diplomatique et économique qui a empêché l'accord de Copenhague.
Sous couvert de proposer des mesures écologiques afin de prévenir le réchauffement climatique de nature anthropique, il s'agissait de légitimer l'impérialisme britannique sur le monde en empêchant le développement industriel des pays pauvres, en particulier émergents (la Chine et l'Inde se sont du coup opposées à cet accord inique, alors qu'avec un Empire britannique efficient, elles auraient dû capituler et parapher le traité impérialiste maquillé en préoccupation désintéressée, nobles et écologique).
L'effondrement financier et débutant de l'Empire britannique a engendré en premier lieu l'effondrement conjoint et immédiat des dominions orientaux, qui sont les premiers Etats à s'effondrer dans cette crise - même si dans cette configuration les Etats-Unis gravement endettés ou les pays d'Europe sont condamnés à subir tôt ou tard le même sort (la faillite espagnole pourrait être le déclencheur de cette phase cardinale de l'effondrement systémique). Le traitement malhonnête et hystérique du problème japonais de 2011 indique que les médias occidentaux obéissent à la mentalité impérialiste britannique.
On pourrait certes avancer que ces médias suivent l'idéologie ultralibérale de leurs actionnaires (en France, Pinault pour Le Point, Lagardère puis BNP pour Le Monde, Rothschild pour Libération, la liste serait longue et à l'encan pour les autres médias dominants). Cette explication n'est pas suffisante en ce qu'elle impliquerait une forme de consentement et/ou d'obligation explicite de la part des journalistes qui devraient ainsi suivre contre leur volonté majoritaire les vues de leurs actionnaires et de leurs patrons.
Cette explication par la force plus ou moins contrainte et le consentement nombreux n'est pas plausible : trop de personnes rentreraient dans ce secret de nature violente, qui réactiverait les pires visages du complotisme (pour le coup effectif). Une interprétation plus plausible, jouant moins sur des mécanismes conscients de volonté ou de désir, explique cette mentalité sans recourir à la force (la farce) consciente : c'est le phénomène de l'autocensure, par lequel le journalisme se censurerait pour se conformer à une certaine mentalité sans suivre les recommandations explicites de sa hiérarchie.
Si le problème de la conscience se trouve résolu, cette explication s'arrête en chemin : car si elle explique par l'autocensure le suivisme des journalistes occidentaux, comment expliquer cette autocensure qui s'emparerait de professionnels formés et honnêtes? Le mimétisme seul peut expliquer de manière ontologique cette propension des journalistes principaux à suivre la mentalité de l'Empire britannique en déconfiture. Le mimétisme se déroule dans une conception de stabilité du réel, ce qui ne manque jamais d'engendrer en guise de stabilité bienvenue et parfaite la destruction nihiliste.
L'explication par la stabilité mimétique offre une explication satisfaisante du phénomène de néo-positivisme qui s'est emparé des médias et qui explique les grossières contradictions que l'on y observe, avec des journalistes qui s'emparent d'un sujet pour quelques jours plus tard remplacer ce premier thème incontournable et irremplaçable par un second du même tonneau - et ainsi de suite. Rien d'étonnant dès lors à ce que le lecteur ne comprenne plus rien et finisse par se désintéresser de l'actualité et de la vie publique. Le problème du positivisme tel qu'il a façonné les sciences humaines, et surtout le journalisme (la religion des faits évacuant toute erreur d'interprétation), revient à réintroduire subrepticement, mais fermement, le nihilisme sous couvert de stabilité.
Cette religion néo-positiviste de la stabilité mimétique (un avatar du nihilisme contemporain) explique pourquoi les médias suivent avec une inexplicable attirance (des papillons autour d'une lumière) les préceptes stratégiques des cartels financiers de l'Empire britannique : on suit le mouvement parce qu'on adhère à un modèle identique, sans volonté, conscience ou consentement. La plupart des journalistes sont mus par des préoccupations bien plus terre à terre que des considérations ontologiques, voire, un degré en dessous, stratégiques, pour expliquer leur suivisme non concerté et pourtant apparenté dans le traitement des informations.
Plus l'information se veut factuelle, plus son interprétation déniée unique se trouve contrainte (les vicissitudes de la nécessité?). Du coup, cette manière de considérer le monde comme stable et identique conduit au plus grave des contresens : produire de la propagande sous prétexte de proposer de l'information objective. On mesure l'importance qu'a prise l'information de type journalistique : elle sert sans s'en rendre compte l'idéologie libérale au pouvoir (il suffit de vérifier la gradation de la propagande dans un journal de révérence comme Le Monde depuis trente ans). Tout cet ordonnancement ne s'explique pas par une concertation aussi néfaste que cachée (le complotisme simpliste quand il est effectif), mais par le mimétisme au service du culte de la stabilité.
Sans quoi nos médias n'auraient pas couvert de manière si orientée le sommet de Copenhague, pas davantage qu'à l'heure actuelle ils ne se laisseraient abuser pour l'obscurantisme irrationaliste qui entoure l'accident nucléaire produit par la catastrophe naturelle (et non l'inverse). Quant à l'épisode libyen, difficile de ne pas voir derrière l'intervention des Etats occidentaux l'influence économique de ce fameux et tu Empire britannique, qui s'il a encore le pouvoir de manipuler les Etats occidentaux, se trouve visiblement dépassé par les événements politiques dans le monde.
La perte d'influence de l'Empire britannique se mesure précisément au fait qu'il est contraint de semer le chaos là où précédemment il parvenait à réguler les politiques mondiales par des dictatures de lignage satrapique. Quant au mimétisme subjugué par la loi du plus fort, donc de l'impérialisme, rien d'étonnant à ce qu'il ne comprenne rien à rien. Rien de concerté non plus dans le contresens généralisé et vérifiable de l'information de type journalistique. Car la lecture par les faits seuls, loin d'amener à plus de véracité, contribue à découper le réel en des instantanés aussi flous que peu significatifs.
Au lieu de voir l'éléphant dans le magasin, on distingue des formes floues et découpées en instantanés plus insignifiants encore que dénués de signification. On prend des vessies pour des lanternes : des instants appartenant au processus pour le processus lui-même. On confond la réduction écologique malthusienne avec une approche innovante de la politique, voire de la philosophie. On croit vraiment que ce qui détruit (l'impérialisme nihiliste) est le réel et que le réel (le processus dynamique de réalité duquel relève le phénomène scientifique nucléaire) est ce qui détruit.

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