lundi 21 décembre 2015

Idée

La philosophie rationaliste présente la fâcheuse tendance de ne jamais parvenir à présenter un exposé complet de sa thèse sans l'appuyer sur des éléments qu'elle ne parvient pas au final à fonder. Cette carence signe son insuffisance structurelle, autrement dit son insuffisance à affronter le réel, ou alors pour lui proposer un sens déficient, dont la déficience tient principalement à sa carence en fondements - ce qui tendrait à donner raison aux philosophes de l'absurde, selon lesquels la plus haute expression de la philosophie rationaliste serait leur option, qui présente au moins le mérite lucide de reconnaître la carence fondamentale.
Le fait que la raison soit obligée de parier sur le mystère de l’Être pour éviter de sombrer dans l'absurde indique que la philosophie ne peut en rester à son stade - ou alors elle est destinée à disparaître. Qu'est-ce que la philosophie? Si c'est une discipline qui est appelée à (per)durer, c'est que sa spécificité n'est pas la raison.
Quels sont dès lors ses véritables fondements? La créativité doit remplacer la raison, avec cette différence que la raison est une faculté interne à l'homme, qui ne peut sortir de l'intériorité, ce qu’illustre notamment le cartésianisme; tandis que la créativité relève de l'idée, au sens où cette dernière implique, dans un mouvement d'allers-retours constants, de relier l’intérieur et l'extérieur, comme une faculté qui, ayant été implantée depuis l’extérieur, dispose du pouvoir supplémentaire et complémentaire d'y revenir. 
C'est en ce sens que les idées renvoient à des formes ou à des correspondances entre des niveaux de réalité qui ne peuvent jamais se montrer complets (option qui reviendrait à ce qu'ils soient exclusivement internes). Le mythe de la complétude provient de la démarche défectueuse de la rationalité. On parvient assez facilement à expliquer comment relier l'intérieur de la conscience au réel si l'on ne cherche pas le lien au niveau de la raison, mais à un niveau différent, qui s'avère supérieur parce qu'il explique plus largement, qualitativement.

jeudi 10 décembre 2015

Contre-certitude

Quand le Socrate de Platon dit que la seule chose qu’il sait, c'est qu'il ne sait pas, il affirme que la seule positivité que la raison peut trouver relève du négatif. Autrement dit, nous détenons le témoignage que dès le début, l'expression philosophique de forme rationnelle ne parvient à sortir du négatif. Dès lors, il est explicable (et prévisible) que le projet de rénovation cartésienne ne parvienne à connaître à partir de l'intériorité attestée, vu qu'il ne peut dépasser le stade du négatif. Il se replie donc sur lui-même. La suite de l'histoire de la philosophie a consisté en gros à essayer de corriger le tir à partir de cette position.

mardi 24 novembre 2015

L'origine du sens

Le sens que Dieu prend dans la tradition transcendantaliste implique que le sens préexiste à l'homme et le dépasse, de telle sorte que l'homme applique un plan parfait qui le dépasse. Cette conception est incompréhensible, car l'homme a beau chercher, il ne voit aucun être autre que lui qui produise du sens. Il est possible que d'autres créatures en produisent, tant à son niveau (ce qu'on nomme des OVNIS) qu'à un niveau supérieur (car il est probable que, de manière disjonctive et non-homothétique, d'autres niveaux de réalités nous englobent, comme nous en englobons d'autres), mais alors, pourrait-on encore parler de sens? Ce que nous nommons sens n'est-il pas le propres de l’homme? Il faudrait redéfinir par d'autres termes la capacité qu'ont d'autres créatures à proposer des moyens d'expression autres que le langage (auquel cas nous ne pouvons certainement pas les comprendre); en tout cas, cela signifierait que le sens est dans un sens strict le propre de l'homme; et, dans un sens étendu, qu'il n'existe pas de sens qui constitue l'ensemble du réel et dont il faille retrouver la trace par-delà l'espace et le temps. C’est toute la représentation transcendantaliste qu’il convient dès lors de modifier, pour proposer en lieu et place un développement qui suscite le sens à un moment, mais qui n'en découle pas. Dès lors, qu’est-ce que l'origine si elle n'est pas sens?

jeudi 5 novembre 2015

Idée-force

Nous sommes à un moment-charnière de l'expression des idées, ce qui explique que le blocage intervenant comme réaction à l'issue de la période de progrès que nous venons de connaître sous le nom de Gutenberg en vienne à donner l’impression que le processus d'essor des idées se trouve rompu. Le mouvement général consiste à ce que les idées aient de plus en plus d'importance, moins pour les individus qui les portent que pour ceux qui les suivant.
Nous pouvons constater 3 périodes : 
1) Lors de la première, les idées sont au service du groupe, ce qui semble renforcer le groupe au détriment de l’individualisme découlant de la prise en considération exacerbée de l'individu selon cette mentalité. Mais l'idée ne peut s'épanouir pleinement que si elle est portée par des individus, un ou plusieurs, pas par un groupe au sens de mentalité collective. Elle s'affaiblirait alors considérablement, car la volonté générale n'a pas d'existence propre, ce qui ne signifie pas qu'elle n'existe pas, mais qu'elle existe à l'état d'abstraction, avec un potentiel de réalité qui est inférieure à l'existence singulière. Voilà qui implique aussi que l'existence soit singulière et que les idées s’expriment au mieux selon la singularité.

2) Dès lors, les idées ne peuvent s'exprimer au maximum de leur acuité dans cette situation de groupe et invente les moyens d'individualiser l'expression des idées. Cette invention n'est ni automatique, ni impersonnelle, mais se fait par le truchement de la raison, qui ne cesse de revendiquer des droits individuels pour son expression. L'invention technique de Gutenberg va exprimer ce processus d’individualisation, selon lequel il faut que l'individualisme croisse pour que  les idées s'expriment avec plus de netteté et de qualité. Effectivement, on observe pendant cette période une amélioration qualitative des idées, qui va de pair avec leur individualisation. Pourquoi ne connaît-on presque pas avant une certaine période (en gros le premier millénaire avant J-C) les auteurs? Pourquoi n'ont-ils pas d'identité au point que l'on pare d'écoles, de mouvements, de collectifs?
Cette identification de l'idée avec l'individu rend les idées plus précises, plus originales, avec une caractéristique bien précise : elles se conservent mieux, du fait de la qualité bien meilleure de la conservation des écrits grâce à Gutenberg. Cette constante fige petit à petit l'idée dans sa gangue individuelle, au point que l'individualité finit par avoir plus d’importance que l'idée. Au final, on assiste à une perversion littérale de la relation entre l’individu et l'idée, dans laquelle l’individu acquiert tellement d’importance par rapport à l'idée que le culte de la personne devient l'expression archétypale de l’œuvre d'art. 
C'est la décadence qui se manifeste avec spécifiquement l'autofiction, mais qui existait déjà auparavant depuis au moins un siècle : au point que, paradoxe, l'auteur a plus d'importance que ce qu'il écrit et que ses ouvrages servent à expliquer sa vie tout au plus. Ce renversement signe le passage de l'individualisation de l'idée à l’individualisme qui prétend que l’idée est au service de l’individu puisque la fin des valeurs couronne son culte.

3) C'est le signe que l'idée a besoin d'une forme supérieure et nouvelle pour accroître son expression et la rendre plus pertinente encore. C'est Internet, faisant suite à Gutenberg, qui rappelle que le changement va de pair avec une nouvelle forme d'expression. L'apport d'Internet est de permettre que l'idée soit supérieure à l'individu qui la porte. Dans le paradigme Gutenberg, un individu seul, précisément identifié, exprimait l'idée, raison pour laquelle l'individualisme finissait par naître. Cette caractéristique s'explique par le fait que l’identification individuelle selon Gutenberg est centrée autour de la parole d'un individu ou d'un collectif lors d'un instant précis et assez court; tandis qu'Internet libère de cette contrainte en rallongeant les délais de manière quasi infinie. En théorie, Internet peut se présenter comme une banque de données immortelle, dont les innovations internes pourraient même rajeunir les idées.
Du coup, l'idée change de statut : si elle se trouve bien portée par une chaîne d'individus, c'est elle qui compte le plus, en tant que processus, c'est-à-dire s'adressant à des générations d'individus qui la conçoivent dans son déploiement d'idée-processus, et ne la réduisent pas à telle ou telle individualité qu l'aurait exprimée (d'une manière générale, ce ne peut être un individu qui pense une idée, mais une multitude lui donnant la forme d'une chaîne). 
On ne parlera plus de la théorie des idées de Platon, mais du processus dans lequel plusieurs auteurs ont porté cette idée. L'idée ne s'arrête pas à un individu, mais n'est en réalité jamais terminée. C'est à une véritable révolution du statut de l'idée que se livre Internet : en signalant la fin programmée de l'édition Gutenberg, aussi bien que son remplacement par des contenus gratuits et dont la pérennité est assurée par les supports dématérialisés (ce qui montre que plus l'existence est physique, moins elle est solide; plus elle tend vers sa virtualité, bien nommée, plus elle témoigne de sa pérennité), Internet s'assure que l'idée ne pourra plus être commentée seulement selon un auteur dans une certaine tradition, sans jamais être abordée de manière provisoire, ce qui réduit considérablement la portée de la démarche du commentateur ou de l’historien de la philosophie et qui assure que la philosophie soit conçue comme une activité créatrice, et non seulement d'analyse reproductrice et mimétique.
L'idée présente dès lors une prééminence qui n'est pas indépendance (elle s'incarne dans des individus réels), mais qui pousse à se demander quel type d'existence elle désigne. Qu'est-ce qu'une idée? Comment peut-on exprimer une interprétation d'ordre général, qui ne couvre pas forcément l'ensemble du réel, mais qui parfois l'ambitionne carrément, comme c’est le cas en philosophie? Si les idées se développent dans un domaine qui outrepasse le réel strict, il faut bien qu'il s'agisse d'un réel qui soit connecté au réel physique et qui ne puisse en diverger qu'en y restant intimement lié, sans quoi les idées ne prendraient pas la peine de se mêler aux individus, mais suivraient un cours indépendant et inconnu.
Si les idées sont liées au réel, elles ne peuvent l'être que sur le mode de la différence pour demeurer compatibles avec l'exigence de compatibilité. En effet, contrairement au raisonnement platonicien, qui estime l'identité compatible avec l’homogénéité, la compatibilité entre deux domaines ne peut s'effectuer que sur le modèle de la différence, qui ne saurait en aucun cas se montrer homogène. Il faut savoir : soit la différence n'est pas homogène; soit elle n'est plus différence... La compatibilité implique ainsi que la différence exprime la créativité.  La raison n'est que le prolongement de la créativité, pas la fin. La raison sépare et divise, quand la créativité permet non seulement de penser la différence réelle, mais aussi  d'expliquer que seul ce qui crée perdure.
De ce point de vue, seul ce qui est gratuit perdure également. La créativité n'est pas payante puisqu'elle excède la possibilité de se voir attribuer une évaluation - elle ne se meut pas dans le fini. Ce changement n'est pas du désintérêt, mais ira de pair avec la considération selon laquelle la gratuité étant la plus haute des valeurs matérielle, elle doit recevoir une rétribution inconditionnelle, ce qui rendra les efforts d'enrichissement pécuniaire encore plus dérisoires qu'ils ne le sont déjà.

vendredi 23 octobre 2015

Que pense la science?

Si la connaissance d'une partie du réel s'avère impossible, ne retombe-t-on pas dès lors dans les rets de la contradiction nihiliste, selon laquelle il existe une opposition irréconciliable entre deux éléments étrangers et antagonistes, l'être et ce qui est nommé en opposition non-être, de manière conséquente, puisqu'il est inconnaissable? Le nihilisme pose l'inconnaissabilité, mais le néanthéisme pose la complémentarité, selon laquelle la connaissance ne peut que intervenir et réussir que dans de l'être, ce qui implique que la propriété de malléabilité ne puisse être décrite de manière expérimentale.
Mais sa connaissance n’impliquerait rien de tangible, puisque le propre du malléable est "seulement" de jouer sur le donné, en le transformant et en l’étendant. Par contre, en tant que différence ne s'oppose pas à l'être, il ne lui est pas antagoniste, mais empêche des visions factualistes et naïves comme le scientisme ou le positivisme, et plus généralement toutes les conceptions qui tiennent le réel pour donné une bonne fois pour toutes, de type factualiste - ainsi d'Aristote.
Ce qui fait que le rêve scientiste ne s’est pas réalisé, en tant que conséquence des ambitions d'Aristote de tout connaître dans un monde fini, projet alors cohérent, c'est que le réel n'est pas constituée seulement de donné, autrement dit d'être, ce qui impliquerait alors qu'il soit fixe et fixiste. Le coefficient de malléabilité qui l'affecte ne se montre pas rédhibitoire pour la connaissance, mais explique que plus la science progresse, plus la connaissance s'avère importante à connaître, non que ce qui reste à connaître soit déjà infini (au nom de l'illusion selon laquelle l'infini existe déjà), mais que le fini s’étend au fur et à mesure que ses limites sont atteintes, de telle sorte que la science ne peut être qu'une quête en perpétuelle évolution, en ce sens indéfinie.
La science ne pense pas, a proclamé le dernier des métaphysiciens. C'est dire que la métaphysique pour se sauver pense que parvenir à sa fin, c'est prôner la destruction légitime de tous ceux qui, selon elle, ne pensent pas et l'inégalitarisme viscéral, seuls les êtres pensant l’Être, comme Heidegger et ses disciples, méritant d'exister et d'affronter la tâche unique et singulière de méditer.
Où l'on voit que cette philosophie est un postromantisme décadent et macabre, qui annonce la fin suicidaire de la métaphysique, Heidegger ne sachant plus trop que déclarer après la défaite du nazisme. Mais la science ne pense pas au sens où sa tâche est de penser l'être, autrement dit de se confronter à l'évolution permanente de cet être qu'elle ne comprend pas, puisqu’elle ne lui est pas extérieure. Si la tâche de la pensée quand elle pense l'ensemble du réel (quand elle se distingue de la science) est d'affronter la différence qui est au cœur du réel, alors la science ne peut pas penser, car ce n'est pas sa tâche.
Mais comment comprendre cette déclaration dans l'optique métaphysique, soit dans le cadre d'une pensée selon laquelle il n'y a que de l'être et du néant? Cette assertion infondée signifie que celui qui pense tente de lever la contradiction être/non-être - ou que la philosophie décrète que penser, c'est affronter l'ensemble de l'être sans savoir bien précisément de quoi il retourne - ce que cette distinction recouvre. De ce fait, dans l'optique de l'être, que ce soit l’Être ou l'opposition être/non-être, la science pense autant que la philosophie, et même parfois plus en cas de manque d'intuition originale de la pensée philosophique. Au moins la science pense-t-elle quelque chose, bien que ce domaine soit restreint.
Que la science ne pense pas, voilà qui est faux, mais la science ne peut penser la différence, ce qui l'amène à rester dans le fixisme de l'être. Quand elle pense, c'est à partir de la dernière innovation, ce qui peut constituer une innovation, qui s'avérera vite dépassée dès la prochaine innovation. La pensée scientifique est figée, privée de dynamique. De ce fait, la connaissance scientifique se distingue nettement de la philosophie, en ce que seule la philosophie peut penser la différence. La science en reste au domaine du même. 
La limite de la science n'en est une que par rapport à la philosophie qui a rejeté le transcendantalisme; sinon, la limite concerne plus la philosophie : toute pensée qui entend se déployer dans la finitude n'est pas assujettie à la limite de l'être, mais doit se fixer des limites (un cadre) si elle veut pouvoir réussir son opération de réflexion (au sens propre comme au figuré).

mercredi 14 octobre 2015

La raison négative

Si l'on prend les paroles les plus célèbres de Socrate, dans le personnage que lui a attribué Platon, comme un double plus de compréhension que de fidélité historique, il importe peu qu'il les ait prononcées ou non : "Je sais que je ne sais pas". Que cette parole fonde la philosophie (là aussi, peu importe que la philosophie ait existé à ce moment précis ou déjà auparavant) indique la négativité qui en est le fondement.
La positivité s'ancre sur la négativité. Il ne s'agit pas d'une positivité qui dépasse son origine négative, car elle n'affirme rien de nouveau, mais se déduit en demeurant dans le même sillage. "Je sais" signifie que le positif s'obtient en prolongeant le négatif - et rien d'autre. Ce n'est pas seulement la philosophie, ni le monothéisme dont elle constitue l'expression rationaliste, qui recèlent en leur sein cette structure.
C'est l'ensemble du transcendantalisme qui exprime cette pensée selon laquelle l'usage final de la raison ne saurait dépasser le négatif. Il n'est pas d'expression de la pensée humaine sans qu'elle représente cette caractéristique. Ce constat indique l’échec de la pensée à se constituer en expression autonome et indépendante réfléchissant sur le réel (au sens de la réflection). Pourtant, la positivité existe dans le réel, ce que confirme n'importe quelle expérience.
Signe que le rationalisme se tient au service de l'action et n'est pas capable de susciter autre chose qu'une pensée sur lui, pas à partir de lui pour découvrir qu'elle relève d'une autre dimension que la sphère physique. D'une manière générale, Dieu n'est pas définissable, parce qu'il exprime ce fait difficile à admettre, quoique évident à l'examen, selon lequel la positivité ne parvient pas à être atteinte par la pensée quand cette dernière s'exprime par le truchement de la raison.
Le négatif est le propre de la raison, non pas si celle-ci se place au service de la créativité, mais quand elle est tenue pour l'expression attitrée de la philosophie, la plus haute forme à laquelle la pensée puisse atteindre. Le négatif est ce qui sous-tend toutes les pensées des hommes et qui s'avère le propre du transcendantalisme. Je sais bien que ce constat peut sembler scandaleux à qui constate que la visée du rationalisme est le positif.
C'est parce que l'existence du positif est attestée par l'expérience, dans le réel et par l'expérience. Mais le positif n'a jamais existé dans aucune affirmation qui estime que la réalité est composée de l'être, en particulier de l’Être, terme fourre-tout dont on n'a jamais réussi à définir positivement l'identité. C'est un fait que les affirmations de la pensée, comme en philosophie, sont déguisées et qu'elles ne peuvent jamais être fondamentalement définies.
Le positif n'a jamais été découvert par la pensée humaine, ce qui explique le penchant de la métaphysique à survaloriser l’intériorité et à éprouver de plus en plus de peine avec sa méthode rationaliste à découvrir l’extériorité. Quant à la méthode scientifique, Carnap et d'autres logiciens empiristes (comme Nagel ou les partisans de la conception sémantique) ont montré qu'ils n’étaient pas en mesure de définir ce que désignait le contenu théorique.
C'est le signe que la méthode scientifique, si elle est capable de connaître au niveau de l'être, n'est pas capable d'être définie en son noyau élaboration, parce qu'elle ne fait pas appel à des moyens rationnels. Pour sortir du négatif, il convient de recourir à la positivité créative. Sans création, il n'est pas de positivité, ce qui implique que toute démarche de connaissance nous pousse à innover plus qu'à comprendre ce qui existe déjà.

lundi 5 octobre 2015

Cui bono?

La question consistant à s'interroger sur l'origine du réel découle typiquement de la mentalité transcendantaliste, selon laquelle l'être est le réel. Elle n'est pas résoluble, parce que le problème qu'elle soulève n'existe pas (pas sous la forme qu'il endosse).  Chercher la cause première, pour reprendre le vocabulaire aristotélicien, c'est estimer que le réel est être (et, dans le cas d'Aristote, qu'il est fini, ce qui explicite la difficulté).
Il est logique selon l'optique de l'être que l'être doive commencer. Dans l'hypothèse artificielle de l'être qui existerait sous une forme pure, l'idée de début aurait du sens. Mais il comporte l'illusion selon laquelle l'être pourrait être seul et incomplet. La question de l'origine soulève le problème indéfini de l'antériorité.
S'ajoute que l’entendement humain envisage la question depuis l'être. Si l'intelligence peut envisager que le réel ne soit pas seulement de l'être, la notion d'infini lui est négative, justement parce qu'elle en reste à l'être. Si elle en sort partiellement, comme elle en a la possibilité, elle découvre que le thème de l'origine n'a pas de sens.
Tout l'enjeu du transcendantalisme consiste à désamorcer cette impossibilité qui prospère en la raison comme faculté attitrée de la philosophie. Si l'on adopte le prisme de la créativité, l'idée de début montre sa fausseté, puisque tout début se trouve recouvert par la possibilité de l'extension (faculté d'extensibilité). La résolution au donné incomplet trouve sa complémentarité dans la propriété, qui traduit une différence de texture par rapport à l'être.
La tension qui se révèle, c'est que la résolution du problème de l'être rend incompréhensible à la raison l'absence de début. L'origine se trouve remplacée par la simultanéité des deux natures. Le temps découlant d'elles, il ne saurait les expliquer. Il n'explique que ce qui se trouve compris dans les bornes de l'être. Ce qu'on peut comprendre hors de l'être, c'est qu'on ne peut pas expliquer par la différence être/malléable que le réel doté de pouvoir couvrant s'avère incompatible avec le vide. Le pourquoi doit être remplacé par le constat de son illusion, qui va de pair avec l'acceptation de la limite de ce modèle.
(Le pourquoi est le raisonnement causal typique de la rationalité. A ce titre, son énonciation s'avère aussi pertinente dans l’ordre de l'être, qu'hors sujet si elle comprend l'ensemble du réel).

vendredi 25 septembre 2015

Le réel et son doute

Le terme réel a déjà été utilisé massivement dans un sens qui n'est pas littéral. Je ne prendrai comme exemple que Hegel, qui estime qu'il n'y a de réel que l'idée, faisant suite sur ce point à Platon. Son usage littéral n'est cantonné qu'à de rares exemples, comme Rosset pour l'heure, parce que le sens est manquant. Un seul exemple : la citation que Rosset fait du physicien Mach, selon lequel le réel est "un être dont le complément en miroir n'existe pas". 
Le terme pris en son acception littérale délivre une définition lacunaire. C'est qu'il ne tient pas du point de vue de la logique, mais que son usage présente la rare qualité de poser implicitement l'existence d'un complément à ce qui est incomplet. Mach estime que le complément est logique, bien qu'il n'existe pas selon lui. Ce faisant, il ne fournit aucune explication. 
Ce besoin logique de complément ne peut être défendu qu'au nom de l'irrationalisme. Dans une position qui tient la logique pour connexe à la pensée, le réel mène à penser qu'il n'est pas seul. Peut-on pour autant procéder à un retournement, selon lequel le sens littéral est illusoire, tandis que l'idéal constitue le véritable réel? 
Ce qui pose problème est ce qui permet à des réalistes intégraux (au sens médiéval) de proposer des définitions à la Mach : le réel idéal prend la place du réel illusoire, sans que cette transformation soit expliquée, ni que sa définition soit apportée. Le complément que propose l'idéalisme est formel, sans que son existence ne puisse être apportée. Sa précision laisse songeur : elle apporte un complément, mais sans le définir.
Raison pour laquelle Mach peut parler de miroir sans complément. L'hypothèse idéaliste, de Platon à Hegel, n'est pas pertinente, ce qui n'a pas la restauration de l'hypothèse opposée (en gros, nihiliste). Il convient de retravailler la représentation du complément en cernant l'erreur principale de l'hypothèse idéaliste.
Sachant que l'idéal est l'Etre, le vrai réel se distingue du réel littéral par sa position. L'Etre transcende l'être. On n'en reste au même. D'un point de vue logique, l'insuffisance se résout par son prolongement absolutisé. L'opération n'exprime aucune différence de contenu qui permette de spécifier l'Etre par rapport à l'être. Telle est l'incohérence qui ruine la tentative transcendantalisme de proposer le complément manquant.
D'où la réhabilitation nihiliste, qui estime que si le complément ne peut être défini, c'est qu'il n'existe pas. Il convient de chercher à poser cette différence. Elle ne peut s'amorcer qu'à partir de l'être. Elle doit s'en distinguer, ce qui fait de l'Etre un mirage. L'Etre constitue à la fois la reconnaissance du besoin de complément - et l'échec à le définir indépendamment de l'être.
C'est la reconnaissance implicite que le nihilisme prévaut en influence sur le transcendantalisme, parce que l'être constitue une expérience de premier plan, tandis que l'Etre relève de l'hypothèse évanescente. Trouver la distinction qui complète l'être, c'est constate qu'on ne peut en rester au même.
Le réel n'est le même qu'en ce qu'il signifie l'être littéral. Ce constat montre que la méthode du prolongement ne fonctionne pas. La philosophie bégaye et n'avance pas. Raison pour laquelle Elle n'a pas progressé depuis Platon? Choisir le terme de réel pour caractériser autre chose que l'être, c'est reconnaître que cet autre n'est pas de l'être.
S'il n'est pas de l'être, la question que pose l'emploi du terme, c'est la dualité qui découle nécessairement de cette unité incomplète. Tout comme la complétude, ou la perfection, l'unité est un mythe forgé depuis la représentation de l'être. On reconnaît l'usage à sa négativité. On sent quelque chose sans le définir, c'est-à-dire sans préciser sa positivité. 
Toute conception négative, comme la théologie éponyme, indique ainsi que son seuil de vérité est extérieur à l'objet. Il ne suffit pas de sentir intuitivement l'objet pour le caractériser positivement. La caractérisation négative ôte toute possibilité de traduire la différence. C'est parce qu'on en reste au négatif qu'on ne distingue que le même.
L'Etre est appréhendé de l'extérieur. En tant que première approche, ce type d'intuition s'avère pertinent. Pour une définition positive, il faut passer à la différence. Elle se cherche dans le complément, même si elle en reste à l'hypothèse. Le réel constitue un point de départ, qui incite à l'hypothèse. Sa principale vertu serait-elle de faire sentir la différence sans laquelle le même  est un complément sans miroir?

dimanche 20 septembre 2015

La fin des opposés

La tendance de la philosophie est d'en revenir aux sources pour retrouver la vérité. D'une manière générale, le transcendantalisme présente cette tendance à estimer, de manière inexplicable, que la vérité se trouve au début de l'être. Dans ce cas, quel besoin d'ajouter une continuation à ce qui se trouve déjà complet dès le départ? Descartes présente une déclinaison de ce raisonnement quand il estime que Dieu est la cause première au réel. 
La mentalité rationaliste exige un début pour expliquer le monde. Ce début est aberrant, puisqu'il pose la question de ce qui précède - le début. C'est constater que la raison patine dans l’infini et que l'histoire des origines ne s'explique pas par l'approche transcendantaliste dans son ensemble. L'imperfection qui suit la perfection originaire ne peut être expliquée que par un complément venant combler le manque. Le réel étant imparfait, le complément se montre parfait en guise d’explication qui vient combler le manque en accordant un crédit absolu aux conditions de représentation de l'être.
Le réel étant soumis à l'espace-temps, le vide originaire s'avère criant. Il s'agit d'une approche ontomorphique, au sens où elle traite les critères de l'être comme s'ils étaient objectifs. Pourtant, le fait que la raison patine à expliquer le réel indique qu'elle n'est pas appropriée pour le penser en dehors du fini. Ce constat implique que le réel soit fini et que l'infini soit dépourvu d'origine, de fin, des représentations qui sont propres à l'être, mais qui n'ont pas d'existence en dehors, sur le plan du réel (ce qui implique que l'être n'en constitue qu'une partie). Le mythe de la perfection originelle, que retranscrit le schéma de la Genèse ne convient pas pour expliquer le réel. Il s'avère approprié pour expliquer l'être. 
Que la cause soit inférieure à l'effet ne remet pas en question que la logique propre à l'être. La première cause est ainsi rendue comme totalité, tandis que la déperdition dans la succession des effets s'accommode de l'inexplicable pérennité du réel. Cette pensée interdit de considérer que le minimum désigne l'effet, quand le maximum remonterait vers la cause. Elle rétablit la contradiction, au nom de la logique.
Le schéma contredit la raison, ce qui indique que la structure logique ne découle pas de la raison, mais l'emploie comme son auxiliaire. Aucune raison ne peut être apportée à cette approche, sauf à estimer qu'elle offre un modèle explicatif, quand les autres s'en tiennent à l'absurde.
Pourtant, cette explication ne prend pas en charge l'ensemble du réel sous prétexte d'offrir une hypothèse. Même la cause originelle se trouve frappée de contradictoire. Si elle était parfaite, elle n'enclencherait aucun mécanisme de causalité. 
La résolution s'effectue avec le passage d'une conception statique à son alternative dynamique. Cette dernière développe une relation d'échange au lieu de la contradiction relevée derrière l'inexplicable. La contradiction se trouve levée dans l'être, ce que sanctionne le constat érigé en principe, selon lequel la contradiction constitue une faute contre la logique.
En lieu et place s'érige une relation d'échange, que l'on pourrait nommer : dynamique d'expansion, qui implique que ce qui est tenu pour le contradictoire se trouve harmonisé en situation de symbiose. Il faudrait ôter toute connotation de staticité à cette relation. Elle s'avère évolutive, le maximum étant plastique par rapport au fondement, qui évoque la référence plutôt que le point de départ.
Le réel est ainsi composé d'un substrat qui peut être qualifié de minimum, car son point de départ est la contradiction intenable, et d'un maximum qui est en expansion constante. Au final, la notion d'espace n'a pas grande signification dans ce schéma, où les repères d'un instantané se trouvent en constante évolution et redéfinition.
La contradiction se trouve levée par cette relation complémentaire et proportionnelle. Le fondement s'avérerait contradictoire s'il était analysé de manière isolée, sans sa dialectique constante avec sa dernière expression, à un degré de maximum sans cesse relevé. 
La vérité n'existe pas comme moment le plus haut et ne désigne pas le commencement fantasmatique. Elle devient relative à un être, consubstantiel à l'être qui n'existe pas en tant que durée, mais s'exprime comme succession d'instants reliés entre eux par la malléabilité.

mardi 1 septembre 2015

Rentrée tardive pour Koffi Cadjehoun.
Sitôt expédié une partie de travail philosophique, je reviendrai bientôt avec des billets plus courts et dynamiques (du moins j'espère!).
A très bientôt.

vendredi 10 juillet 2015

Le prix de la certitude

Le néant n'implique pas de savoir ce qu'est le néant, mais pose que le néant soit l'inverse de l'être, ce qui manifeste que le réel existe sous la forme d'une opposition irréconciliable. L'être est non seulement fini, mais est le seul connaissable, car, s’il est entouré d'élément étranger, cet étranger est nommé non-être, de manière négative, signifiant qu'il ne peut être connu. Le non-être exprime une théorie de la connaissance exclusiviste et clivante, qui concerne la partie homogène de l'être, mais ne peut que s'arrêter à l'étranger, irréconciliable et incompréhensible.
Cette approche du réel permet la connaissance certaine, théoriquement saisissable, avec une méthode a priori, ce qui implique que la certitude soit seulement possible dans l'optique irrationaliste et irréaliste et qu'elle relève de la pensée métaphysique. Cette connaissance se condamne à péricliter pour prix de sa certitude. La certitude ne peut survenir sans qu’un pan du réel soit décrété inconnaissable. 
La certitude n'est pas le rêve qu'il convient à tout prix d'obtenir, ni le but de toute quête de connaissance, mais un acte destructeur et trompeur, selon lequel on ne peut connaître sur le court terme qu'en détruisant à plus long terme. Fidèle de cette approche, Descartes passe curieusement pour le philosophe qui permet de refonder l'entreprise de connaissance, en reliant la recherche scientifique à l’approche métaphysique.
Le terme métaphysique n'est pas anodin chez lui : son approche n'est pas indifféremment philosophique, ontologique et métaphysique. De par son éducation poussée chez les jésuites et sa connaissance de la philosophie issue de l'aristotélisme, dont la scolastique, Descartes aborde la philosophie dans une perspective métaphysique, même si la culture métaphysique a connu des évolutions en mille cinq cents ans. Rénover la philosophie signifie ici rénover la métaphysique.
Il est des plus curieux d'estimer que Descartes serait le continuateur de la méthode platonicienne, alors que sa méthode est destinée à rénover la métaphysique première devenue caduque, qui s'appuie sur une méthode rationnelle se passant de l'expérience, ou subvertissant l'expérience en l’inféodant au raisonnement. D'une manière générale, la métaphysique illustre que le rationalisme se déploie dans sa revendication la plus poussée et rigoureuse dans un contexte implicite d'irrationalisme.
Il n'est pas de certitude sans incertitude déniée et tue. Ce paradoxe n’induit nulle nécessité, sauf l’abandon de ladite certitude, comme une exigence qui n'est pas appropriée à la compréhension du réel, dont la validité ne vaut que si l'on recherche un type de réel bien particulier, qui n'est pas l'être pris dans son acception polysémique, mais l'être uniforme et univoque, dont la définition tendrait vers le donné. L'être figé, prévisible s e montre certes connaissable, mais à des conditions pour le moins contestables - qu'il ne représente plus vraiment le réel et qu'il le simplifie plutôt qu'il ne le définisse.
Raison pour laquelle l'exigence de rationalité qui caractérise la métaphysique finit de manière déceptive par révéler son obsolescence. La sclérose du réel est prévisible si le réel est expurgé de toutes ses facettes obscures et incomprises. Le certain évoque seulement le connu. L'exigence de certitude va de pair avec l'irréalité, l'incompréhension du réel, ce qui fait que comprendre de manière certaine n'est réellement pas possible, tout comme comprendre a priori et de façon complète.
A parti du moment où l'on conçoit le réel comme un donné intangible et fini, il ne peut être conçu que s'il perd sa texture de réel et qu'il s'affiche comme simplification abusive. Comment cette mentalité a-t-elle pu obtenir une telle influence, au point qu’on parle d'influence dominante? Parce que la philosophie, qui cherche une méthode de connaissance du réel, a cru qu'elle pouvait réutiliser et réappliquer la méthode scientifique? Bien que cette méthode ait évolué, la fascination de Démocrite ou d'Aristote montre qu'elle est ancienne - qu'elle ne remonte pas à la révolution expérimentale, qui précède la tentative de Descartes de la nier en métaphysique.
Effectivement, c'est en science qu'il faut, à bon droit, rechercher la certitude, parce que la connaissance y est finie. Mais dès qu'on verse dans la philosophie, sa fin est l'infini. Dès lors, le critère de certitude est inadapté et se révèle comme une transposition abusive. La condamnation de la certitude, dont Descartes fait grand cas, et d'autres termes parents, comme la complétude, peut seule permettre de sortir de cette approche qui condamne la philosophie à être au pire un succédané de la science, dont la distinction apparaît confuse.
Le problème de la mainmise de la métaphysique sur l’histoire de la philosophie, c’est qu'elle a empêché la philosophie de sortir de ses balbutiements et d'atteindre son niveau de plénitude. L'expression de la philosophie, son rôle historique aussi, ne consistent pas à revendiquer le discours de la raison humaine, car l'on voit que les résultats, oscillant entre ontologie et métaphysique, ne sont pas probants : cette recherche commune de la certitude, si elle est plus affirmée en métaphysique, notamment dans sa forme rénovée avec Descartes, est également présente depuis Platon dans cette quête de l’Être, aussi parfait qu’indéfini - aussi certain que différé, comme un geste à la Derrida.
La raison mène à ces impasses, dont Heidegger, le dernier et le plus virulent des métaphysiciens, a nommé la destination véritable, quoique déniée sous des masques de grandiloquence rhétorique : chemins qui ne mènent nulle part. Ce n'est pas qu’il faille fuir la raison, c'est qu’il convient de la considérer pour ce qu'elle est quand elle se pose comme fin. Montaigne l'avait caractérisée avec lucidité et sévérité dans son Apologie de Raymond Sebon : la raison n'est pas capable d'affirmer quoi que ce soit de cohérent, encore moins de certain.
Mais Montaigne en reste à cette raison dont la négativité philosophique le satisfait. Dès lors, la philosophie est condamnée à une impasse dont elle ne peut sortir qu’en quittant la raison et en comprenant que si elle n'est que négative, alors la certitude qu'elle vise est une fausse promesse, qui confine à la supercherie. La bonne nouvelle est que la raison n'étant pas la fin de la philosophie, mais une faculté intermédiaire, il est logique que le changement de paradigme découvre cette erreur, expliquant les résultats catastrophiques autant que leur poursuite obstinée.
De ce point de vue, les résultats déplorables qu'on obtient en cherchant à instaurer la certitude viennent de la confiance béate que l'on accorde à la raison, comme la faculté obligée de réflexion et la fin naturelle et indiscutable de la pensée. Pourtant, la raison, s'imposant comme ce qui ne peut fonctionner que dans un espace fini et stabilisé, ne peut parvenir qu'à des résultats métaphysiques, voire flottants et imprécis, en ontologie, ce que Montaigne confirme en proposant d'en rester à une réflexion négative (lacunaire à affirmer quoi que ce soit).
C'est vers cette direction qu'il faut tendre si l'on veut que la philosophie ne soit pas une métaphysique de plus en plus imprécise et condamnée, pour dire quelque chose, à devenir une histoire de la philosophie roborative et répétitive. La philosophie doit se rendre compte que le propre de la pensée est de se montrer créateur, ce qui signifie que l'individu crée du nouveau par rapport à ce qui est donné, donc s’oppose à l'approche métaphysique et à toute certitude qui ne s'affirmer que dans ce qui est déjà. La certitude réfute la nouveauté.
Reste à définir ce que l'on entend par création. Des néo-platoniciens ont proposé que le terme renvoie au changement, mais ce terme reste encore trop vague, car qu’est-ce que le changement, sinon le constat, empli de mystère, selon lequel du nouveau apparaît, sans qu’on sache bien comment? Comment du nouveau peut-il apparaître dans de l'être, alors que l'être se présente comme le donné ? Soit on décrète qu'il n'est pas de réponse à ce mystère, geste de Montaigne, qui en reste à la philosophie comme critique négative, soit on considère que la connaissance philosophique est possible, à condition qu'on lui trouve une spécificité.
La définition du nouveau et de la création est le malléable comme propriété. La faculté qui lui correspond et qu'on nomme création sans bien se rendre compte de quoi il s'agit, c'est la réflexion, comme ce qui en réfléchissant de manière littérale permet par la pensée de proposer l'accroissement de la perspective. Alors que la raison se contente de diviser et d'en rester à ce qui est déjà, avec des perspectives de créativité forcément limitées, ou alors sombrant dans l’imprécision et l'indéfinition, comme avec Platon, la réflexion est la faculté qui permet d’entrer en contact avec la propriété différente du malléable, donc de ne pas en rester au donné de l'être.

lundi 15 juin 2015

Le réel et son ombre

La définition usuelle de réel semble contradictoire avec la volonté de trouver le terme définissant les choses qui relèvent de l'existence et qui se trouvent excéder le terme être. Sans quoi il n'est pas besoin de trouver une alternative au terme rebattu de la métaphysique : être. L'être pèche dans la signification qu'on lui a conférée avec la codification transcendantaliste, sans quoi il aurait réussi depuis le temps à définir ce qu'est l'être.
Le fait qu'il n'y arrive pas indique qu'il n'est pas la définition du réel qu'il revendique. Voilà qui indique, non que n'existe pas le fameux être, mais qu'il est insuffisant. La question qui alors se pose est : quel est le terme qui désigne le réel? L’hypothèse de l'être immanent à sa manifestation est incomplet. De ce fait, cette conception découle d'une mauvaise compréhension de la forme que prend le réel dans cette configuration : s'il est immanent, il n'est pas complet.
L'immanentisme a perçu le problème que posait le raisonnement transcendantaliste : l'être n'est visible qu'ici et maintenant, alors qu'il n'est pas définissable de manière transcendantaliste. C'est donc qu'il n'existe pas. Mais ce raisonnement, s'il prend en compte le caractère indéfinissable de l'être transcendant, énonce en réaction une absurdité : il crée de l'incomplétude. 
Les deux alternatives fonctionnent sur le même modèle : l’homogénéité, selon laquelle tout est pensé à partir de l'être - et bientôt de l’intériorité, plus sûr témoignage de l'être, ainsi que l’établit Descartes. Il faut sortir de ce schéma dont les deux alternatives sont les deux faces complémentaires. Le transcendantalisme ne peut s'établir sans le nihilisme, et vice versa, l'immanentisme n'étant que l'expression du nihilisme cherchant la cohérence et l’identifiant au désir complet.
Sortir de cet état de fait, c'est aller à l'encontre de ceux qui estiment que c'est en partant de soi que l'on peut au mieux penser, à l'instar de Montaigne, alors que cette méthode ne fait que préciser la démarche de l'être. Ceux qui tiennent que Montaigne est un philosophe hétérodoxe ne le considèrent qu'en fonction des positions de la métaphysique ou de l'ontologie, mais sans se rendre compte qu'il ne sort pas du tout de la position de la primauté de l'être.
La remarque vaudrait également pour Nietzsche. Nietzsche ne propose rien pour sorti des schémas classiques, au point qu'il est possible de le rapprocher de Spinoza et d'établir entre ces deux points la branche de l'immanentisme, depuis l'hérésie postcartésienne jusqu’à de nos jours un Clément Rosset, qui personnifie le stade terminal de cet immanentisme. Sortir de ces impasses qui découlent toutes du transcendantalisme implique déjà de comprendre que les expressions philosophiques ne peuvent tenir que si elles oscillent entre transcendantalisme et nihilisme - l'exemple le plus marquant étant la métaphysique, typique compromis, mais même l’ontologie serait une illustration de cette constante.
Le terme réel tient justement compte du fait que l'être n'est pas la composante essentielle du réel, puisque dans le schéma métaphysique défini par Aristote le non-être qui côtoie l'être se définit par l'être, y compris en repoussoir. C'est également le cas chez Descartes, de manière plus poussée et contradictoire, Dieu parfait réussissant à reconnaître le néant. Il tient également compte de la validité de la critique d'obédience nihiliste, formulée en particulier par Nietzsche ou son disciple Rosset ("Sois ami du présent qui passe, le passé et le futur te seront donnés par surcroît"), selon laquelle seul existe le présent, ce qui implique la reconnaissance de l'incomplétude et l'apologie de l’irrationalisme fondamental, mais Rosset l’accepte, lui qui se targue sans ciller de la version troublante que propose Mach : "Un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas".
Les nihilistes déclarés, comme Gorgias, ou masqués, comme les métaphysiciens ou les immanentistes, leur hérésie plus virulente, choisissent la version inconséquente, selon laquelle il n'y a que l'être, mais l'être est fini. Les ontologues en philosophie, qui propagent le point de vue plus étudié du transcendantalisme, proposent quant à eux un modèle plus cohérent, au sens de complet, bien que l'incohérence béante du nihilisme ne se trouve comblée que d’une manière hypocrite, puisque l’Être reste indéfini - et on a vu quel usage faisait un Nietzsche de ce manque, bien qu'il ne puisse aller trop loin, sans que ses attaques, pour conséquentes qu'elles soient à première vue, reviennent tel un boomerang afficher les failles de ses propres vues et les saper jusqu'à l'éradication définitive.
Le réel présente donc l’avantage de reconnaître la seule réalité, celle qui est ici et maintenant, et seulement ainsi; et aussi, en complément, de reconnaître la possibilité d'une autre réalité, différente, à condition qu'elle ne soit pas ailleurs (les arrières-mondes de Nietzsche) ou autour (Platon n'a jamais versé dans cette caricature nietzschéenne, mais estime que l'être est une partie de l’Être), mais ici et maintenant. Le différent n'est pas remarqué par les sens des êtres (ou des étants, comme le dirait pompeusement un Heidegger pour faire croire que l’Être existe, Dasein tout aussi indéfini que ses prédécesseurs), tout simplement parce qu'il en fait partie et que sa différence de texture le rend invisible.
Autrement dit, le différent de l'être, ou malléable, est une propriété qui lui est attachée et qui lui permet de s'étendre d'un point de vue physique, une plasticité au sens où Pic de la Mirandole ou Montaigne en parlent, sauf qu'il s’agit chez eux d'une faculté propre à l'homme et affectant sa dignité, dans un sens identitaire religieux. Il n'est pas possible d’envisager la dignité seulement humaine, même contresens que la raison, ce que rappelle Montaigne contre certains de ses commentateurs-déformateurs du moment, en expliquant avec finesse que la raison humaine est dénuée de fondements et entre dans un cercle vicieux, dont Nietzsche, le vrai maître de ces commentateurs, a proposé une figuration, en expliquant sans rire, et de manière incomplète, que derrière toute apparence se trouve indéfiniment une autre apparence.
Le réel constitue le terme approprié pour signaler que c'est au sein du physique, et nulle part ailleurs, que ce soit autour ou nulle part, que  se trouve son complément sans lequel on sombre dans l'illogique. Par ailleurs, ce complément n'étant pas de l'être, c'est une propriété qui ne peut pas être répercutée dans le langage si l’on s'en tient au simple point de vue de l'être. Sortir de l'être n'est envisageable que si on envisage ce problème non en termes d'être, avec l'espace et le temps, mais comme une relation de voisinage.
Sinon, c'est impossible et c'est la raison pour laquelle aucune définition n'a été proposée depuis partant d’esprits subtils et éminents : parce qu'elle n'existe tout simplement pas. Seul ce qui est différent peut être aussi au même endroit. Voilà pourquoi ce qui est se perpétue : du fait de sa faculté de malléabilité. Et voilà pourquoi le couple même/autre ne doit pas être envisagé comme une solution d'alternative, mais comme les deux états, différents, qui constituent le réel, alors qu'on recherche illusoirement une cause unique, première, dont la propriété principale traduit aussi le caractère fantasmatique : c'est qu'elle serait alors parfaite et que la suite constituerait une déchéance aussi inéluctable que catastrophique.
Sur ce plan, le schéma que propose Descartes n'est que la réduplication métaphysique (rénovée) de ce qu'affirme le mythe du Jardin perdu et les mythes précédents dont il s'inspire. Ce qui pose problème c'est que cette dualité aboutisse à une représentation antagoniste et conflictuelle, comme c'est le cas du schéma gnostique et de tous les types de schéma de ce type (sensible/idéal ou bien/mal). Ce ne peut qu'être le cas dans le cadre transcendantaliste et nihiliste, dont la relation conflictuelle pourrait servir de symbole, puisque l'être étant l'unique grand tout, il ne peut que susciter un complément dont le caractère problématique ne peut être admis que de manière conflictuelle, pour éviter qu'elle sombre dans une proposition inconséquente et intenable, où la contradiction serait insurmontable.
Le double est le principe fondamental, qui devient complémentaire, à condition que l'on sorte du schéma classique transcendantaliste, qui enfle jusqu’au paroxysme et qui interdit que l'on sorte de ce monisme monomane - et que l'on envisage d'affronter la raison pour laquelle on ne parvient à expliquer la cause unique, qui n'existe pas davantage que l’Être qui en est l'expression conséquente dans l’inconséquence : c'est parce que ce schéma ne tient pas et qu'il faut en proposer un autre.
Qu'on ne l'ait pas fait plus tôt, pour des raisons de lâcheté, de compromission, parce que la logique s’envisage seulement au sein de l'être, et interdit qu'on en sorte, s’explique très bien par la terreur qu’il y avait à sortir du schéma qui était le seul horizon de l'existence. Le sentiment de terreur n'enferme pas l'explication dans le psychologisme, mais subsume ce que la terreur contient au final de dimension philosophique, soit d'affrontement au réel qu’on ne parvient à expliquer, bien qu'il soit si présent qu’il s'en montre menaçant.
Y a-t-il une raison une que notre avis ne parvient à déceler? L'unité n'est en aucun cas le gage que l'on est parvenu au fondamental. Tout au contraire, on peut estimer que tant de temps passé à essayer de trouver la raison fondamentale, sans y être parvenu, c'est plutôt le signe que cette approche n'est pas la bonne et mérite d'être révisée - on peut même aller jusqu'à estimer que cette approche biaisée est connexe de la vision qu'implique le transcendantalisme.
Le deux est sans doute l'approche fondamentale, telle que la raison parvient à retranscrire le réel et à le comprendre depuis le point de vue de l'être, et même d'un être évoluant dans une dimension particulière, ce qui finalement importe peu (car les différences entre les dimensions sont sans doute relatives et se rejoignent sur la communauté de leur identité).
Si l'essence est un mythe, c'est l'essence entendue comme un être permanent et profond, que l'on pourrait retrouver. Le transcendantalisme agit comme la pensée de l'optimisme béat, selon laquelle notre manière de penser est directement en prise avec le réel, de telle sorte qu'en pensant de manière approfondie, on peut retrouver l’Être depuis l'être. Le point de vue qui reconnaît le malléable, qui s'interroge sur ce qu'on nomme néant, en ce sens néanthéiste, estime que la réflexion humaine ne peut sortir de l'être si on en reste à la raison; et qu'elle peut en sortir si elle se rend compte que la raison n'est pas la faculté qui mène la réflexion vers sa finalité, mais la faculté qui l'instille de manière fondamentale; de telle sorte que la fin de la pensée n'est pas d'analyser seulement le donné, auquel cas c'est la raison qui est la plus compétente; mais bien plutôt de créer de la réalité, d'être à la fois acteur et juge si l'on veut; de telle sorte que c'est alors la faculté de création qui est capable de prendre en charge la pensée; et que l'on assiste ce faisant à un changement de paradigme de la pensée et des valeurs qui la définissent : on recherche moins ce qui fonde, activité par excellence de la métaphysique ou de Descartes (mais activité qui rejoint en fait tout exercice de type transcendantalisme); que ce qui est le but.
Ce qui fonde est le point de départ, mais ce qui importe c'est la fin, même (et surtout) si la fin n'est jamais un état précis, mais le processus qui fait que l'on part de deux et que l'on arrive à un. C'est cette opération que le transcendantalisme a mal comprise et qu'il a pris pour une unité de départ qui se démultiplierait et se fractionnerait ensuite. Il l'a mal comprise, mais pourtant, le schéma qui en ressort est aberrant, quoique adoubé par les autorités les plus respectées, comme Descartes : il consisterait à expliquer que c'est le début qui est parfait, bien qu'il y ait eu ensuite autre chose, ce qui constitue la contradiction dans les termes... 
Le deux est bien le début pour la compréhension humaine, telle qu'on peut l'envisager de nos jours. On peut insinuer qu'il s’agit de reconstitution, que l'idée d'un point de départ n'est pas possible; mais il est plus pertinent de proposer un schéma, et selon ce schéma, Dieu est celui qui part du deux pour aller vers l'un; autrement dit il est l'unificateur qui utilise comme technique pour sorti du deux qu'il est la stratégie de l'unification par l’extériorisation du problème. Comme Platon l'avait senti confusément, Dieu est celui qui est l'autre, mais pas l'autre inféodé à l'être, plutôt l'autre comme la figure de l'être.
Pas le changement, comme une certaine tradition néo-platonicienne l'a proposé, sans définir ce qu'elle entendait par changement; mais l'autre entendu comme ce qui permet de ne pas en rester au même. L'autre est la propriété intrinsèque au réel, selon laquelle le réel est autocréatif, évolutif, ce qui permet au fini de ne pas rester figé, bloqué, donné; mais de se suffire à lui-même tout en étant incomplet. En ce sens, on peut dire que le réel est l'événement qui a le pouvoir d'être autre en étant lui. Le réel constitue bien ce qui peut dénoter à la fois le physique et son pouvoir intrinsèque de mutation, résolvant de la sorte les problèmes posés par l’Être et l'être, ou la définition de l'infini entendu comme l'homogène subsumant, bien qu'incompréhensible.

jeudi 4 juin 2015

La supériorité du caché

Le complotisme entend entériner le rapport de force qu'il dénonce, de telle manière qu'il agit en faveur de ses ennemis. C'est qu’il se meut dans un monde absurde, avec une particularité exceptionnelle, que peu remarquent : la dimension surnaturelle de ce caché, qui ne peut être telle que parce qu'il ne relève pas du monde usuel. Le caché est soumis à l’absurde, mais c'est un absurde qui n'oscille pas, comme le proclame Schopenhauer, entre la souffrance et l'ennui, mais qui procure un réel attrait, du fait de son pouvoir surnaturel.
La religiosité du complotisme est peut-être absurde, mais elle est extraordinaire par la supériorité qu’elle confère, cette invincibilité qui la place dans une catégorie inaccessible au commun des mortels. De ce fait, la religiosité promeut le mal, puisque la conception du divin telle qu'elle se trouve défendue par le complotisme est aussi nuisible et maléfique qu'elle se montre invisible.
Le religieux est paradoxal, puisqu'il ne se manifeste que par rapport à la toute-puissance de ceux qui peuvent se cacher. De nombreuses thèses fleurissent en ce sens, qui voisinent avec le complotisme : les Illuminatis ou les reptiliens sont des groupes extraterrestres et/ou bénéficiant de pouvoirs surnaturels, qui leur permettent de dominer les masses humaines, dont la crédulité s'explique par l'infériorité intellectuelle.
Si le maléfique est tout-puissant, c'est qu'il fonctionne sur l'idée selon laquelle il existe un mode de réel supérieur au réel de type sensible et dont on ne peut expliquer la supériorité, sauf à considérer que ceux qui en font partie sont capables d'actions absolument perverses et sans l'once d'un remord. C'est ce qui les prémunit de la destruction : qu'ils la perpètrent sur les autres, pour s'en prémunir eux-mêmes.
La vision du monde selon le complotisme signifie que le caché supérieur persiste à la condition qu'il détruise le monde visible et ordinaire. S'ils parviennent à maintenir leur domination, une des caractéristique du complotisme consistant à nier le changement, c'est qu'ils peuvent poursuivre leurs actions prédatrices en toute impunité; et l'on comprend qu'ils les assument, puisque dans un monde absurde, la loi du plus fort est la seule qui soit conséquente et défendable.
D'où les explications assurées de la continuité de ce caché tout-puissant par de longues lignées familiales dont la minutieuse description s'explique : les maîtres cachés de ce monde se transmettent avec une facilité déconcertante le flambeau. En ce sens, l’identité du caché n'évolue pas et, si on enlève les élucubrations expliquant que l'humanité est dirigée par les extraterrestres, le changement n'affecte pas nos maîtres, signe de supériorité.
Reste le critère de la vérification de cette hypothèse : elle n'est pas possible, puisque le caché ainsi dépeint se montre de nature surnaturelle. C'est ce qui en fait la force auprès de son public. N'être pas démontrable permet de n'être pas réfutable. Le parfum sulfureux fait mouche. Cet atout capital peut s'adresser à un public conséquent pour peu que le potentiel concerné soit assez vaste. 
Il convient seulement que l'état de l'éducation dispensée se révèle suffisamment inégalitaire pour qu'un certain nombre d'individus se montre incapable de former un raisonnement et de proposer un jugement critique à l'endroit des informations qu'ils reçoivent. De ce fait, toute information de valeur, nuancée, leur paraîtra repoussante et ennuyeuse; tandis que le simplisme complotiste (sous son appellation stricte) en devient attirant, car il donne l'impression de tout comprendre en peu de temps et sans effort (ou presque).
Quelle est cette existence du caché? Comme son coefficient frise la nullité, elle en dit surtout long sur la conception du caché telle que s'en font les complotistes - donc une représentation vulgaire et simpliste. Cette question du caché pose le problème de ce qui n'est pas perçu par l'observateur : est-ce caché - ou non observé encore, parce que la connaissance est insuffisante ou parce que c'est mal vu? 
Croire que ce qui est caché est destiné à le rester pose alors le problème de la connaissance, soit que l'on puisse tout connaître, auquel cas le caché n'existe pas; soit qu'une certaine partie soit inconnaissable, ce qui limite la connaissance. Dans le premier cas, l'hypothèse d'un caché connaissable, mais par une élite, n'est pas possible, ou il faudrait alors que certains hommes n'appartiennent pas au commun des mortels, ce qui constitue une contradiction dans les termes. Dans le second, comment ce caché connu par peu pourrait se tenir entre les deux termes caché/visible, et défier les règles de la connaissance usuelle?
On le voit, la connaissance du caché constitue un grossier contresens, auquel personne ne peut avoir accès, sauf à disposer de facultés supra-humaines - ce qui aboutit à une nouvelle impasse : car ce qui est supérieur à l'homme n'est plus l'homme. Le complotisme entérine une impossibilité logique, celle de la connaissance. Il est d'autant plus simple qu'il est inexistant. Le caché accessible serait alors l'apanage exclusive du complotisme, puisque si le caché véritable existe, il n'est pas accessible - et si la connaissance n'a pas de limites, quoiqu'elle soit progressive, alors le caché relève de l'imposture paranoïaque.
Peut-on se montrer si sévère? Ne se peut-il pas plutôt que le complotisme soit la déformation et l'exagération d'un phénomène mal compris - comme le terme *néant signale une existence mal comprise, que Platon n'a pas bien interprétée? Le complotisme ne serait pas un phénomène qui se grefferait sur rien, mais la réaction fluctuante à un phénomène récurrent qu’il mésinterprète. Comment se fait-il que le complotisme se manifeste de plus en plus en période de crise? 
C'est parce que la crise manifeste le changement des règles qui sont tenues pour encadrer le réel - son expérience commune, quoique malaisément définissable. Cet agrandissement physique crée un bouleversement, une perte de repères, qui engendre un manque de sens, un déficit de grille d'analyse. Le complotisme survient comme un moyen décalé et surinterprétatif, qui permet d'expliquer le déficit en sens, parce qu'il parvient à tout expliquer, en tant que réduction, et non agrandissement. C'est en ce sens qu’on peut avancer qu'il se montre simpliste.
Alors, que signale le complotisme? Non pas que le monde repose sur les limites du complot, autrement dit de la volonté humaine, ce qui serait réducteur en diable, mais que cette volonté de tout interpréter s'intensifie avec virulence en période de crise, et rencontre un succès auprès de nombreux désespérés, parce qu'elle pressent qu'il se pourrait que tout ne soit pas connaissable. Examinons cette proposition en nous gardant de l'irrationalisme, selon lequel la raison ne peut pas tout comprendre du plan homogène du réel, qu'elle peut par contre comprendre. L'irrationalisme comme son nom l’indique implique que la raison ne puisse pourtant saisir tout de ce plan d’homogénéité.
La différence que le complotisme saisit, tout en ne parvenant à s'y résoudre, c'est qu'il se pourrait que le réel ne soit pas homogène et qu'une différence incompréhensible pour la raison le parcoure - et le fracture. C'est cette différence que le complotisme confond en surinterprétation, en estimant que tout doit être explicable, pour éviter que se révèle que le plus important risque de ne pas l'être, en tout cas pour les moyens humains. 
Prudent, le complotiste se rabat sur la volonté en sentant que la raison s'effrite et qu'il ne pourra tout colmater l'édifice du réel dont les bornes changent. C'est la raison pour laquelle il se rabat sur la volonté, dont le périmètre plus réduit permet de ne pas perdre ses repères, de les sauvegarder comme il peut. Le complotisme est une réaction de petit propriétaire effarouché et craintif, si l'on veut. Mais elle révèle en creux ce qu'elle ne peut voir et surtout ne veut voir.
A savoir qu'il se pourrait bien que le réel ne soit pas homogène et que le changement de bornes provienne de cette partie différentielle qui possède la particularité de susciter le changement, la crise et le complotisme. Ce dernier est le contre-signe selon lequel le réel qui nous entoure n'est pas tissé seulement d'être, quoiqu'en a estimé de manière écrasante la tradition de la pensée, de telle sorte qu'il est devenu inaudible d'oser avancer le contraire. 
Mais alors, si l'être s'avère bien connaissable, le problème que pose cette représentation du réel, c'est : l'ensemble du réel est-il connaissable - ou cette fameuse partie différentielle résiste-t-elle, ce qui apporterait, quoique dans un sens fort différent, du crédit à ceux qui défendent cette thèse dans le sein du parti de l'être, comme les cartésiens? La connaissance ne peut toucher que l'être quand elle est de nature scientifique. C'est la limite de la science et c'est la particularité de la philosophie. 
Contrairement à ce que Leibniz estimait, notamment dans ses Remarques sur les Principes de Descartes, le rôle de la philosophie, singulièrement remis en question depuis l’avènement de la philosophie expérimentale, ne se cantonne pas à chercher et trouver des fondements à la démarche scientifique, autrement dit à analyser les fondements de la connaissance et à essayer de les clarifier au maximum, mais à réussir à penser la différence qui ne relève pas de l'être. Telle est la spécificité de la philosophie, à laquelle elle ne peut prétendre que parce que la faculté qu'elle recèle n'est pas la raison, mais l'innovation.
La mission historique de la philosophie commence à partir du moment où la différence réelle devient perceptible et où la philosophie qui croyait qu'elle permettait la connaissance de l'être, qu'elle avait hypostasiée au point de l'appeler l’Être, se rend compte qu'elle-même s'est méprise sur son propre rôle, son sens, la faculté qui l’animait. La philosophie a un rôle, à condition de sortir de l'être, dont l’uniformité la sclérose à force de s'y complaire. 
C'est à cette prise de conscience que mènerait le complotisme pour peu qu'il ne s'en tienne pas à ses conséquences, mais qu'il creuse plutôt son intuition initiale - ce ne serait alors plus du complotisme... Mais l'on voit que le complotisme n'est pas une idée folle de part en part, mais naît au contraire de prémisses fécondes. Malheureusement, le complotisme, au lieu de poser la question de la perspective différentielle du caché, l'exploite de manière paranoïaque et psychopathologique. Au lieu de se lancer dans la rénovation de la philosophie, qui en a le plus grand besoin, engluée dans les miasmes de la métaphysique moribonde et de l'immanentisme terminal, il fait dans le sensationnel à connotation surnaturelle. 

vendredi 29 mai 2015

Le marqueur du faux

Que le mensonge puisse exister, alors qu'il dessert le dispositif de la vérité, ou que le néant puisse exister sous une forme admissible pour la pensée transcendantaliste : comme ce qui est dit, mais aussi comme ce qui n'existe pas - voilà qui montre l’ambiguïté de nos concepts qui relèvent de l'être. Car l'on voit mal comment ce qui est, s'il est tout, pourrait laisser place aussi à ce qui n'est pas (à cet égard, le mensonge définissant le faux, relève du néant). On ne peut dire, comme le fait la philosophie depuis Descartes, que ce qui n'est pas existe pourtant, seulement sous la forme langagière, sans que cette existence paradoxale, pour ne pas dire déniée, ne soit aussi existence ontologique.
Cette incohérence est tellement énorme à l'examen que je ne comprends pas comment la philosophie moderne a pu y souscrire - sinon parce qu'elle se retrouvait coincée sinon, étant contrainte d'admettre, de manière déniée, qu'il ne peut y avoir que de l'être, bien que l'être admette le néant. On voit mal, pour reprendre la terminologie de Descartes, pourquoi la perfection souffrirait l’imperfection, ce qui suffit à remettre en cause la définition même de la perfection.
Cette prétention de la philosophie à n’accepter que de l'être au prix de l'incohérence - l'admission du néant - relève, non de la seule philosophie moderne, de la pensée atavique, celle de type transcendantaliste : comme il n'est pas possible de penser le réel autrement que de manière univoque et homogène, alors l'on n'accepte que l'être comme texture du réel; puisque l'on ne peut le définir sans se trouver obligé d’accepter le néant, la tentative platonicienne de le définir au sein de l’Être comme l'autre ayant échoué; alors s'explique l'hypothèse cartésienne : le néant existe uniquement sous forme langagière, donc n'est pas. 
CQFD.
L'immanentisme d’obédience spinoziste radicalisera la position cartésienne en décrétant que ce défaut, fût-il langagier, implique que l'on ne se préoccupe que de son désir, décrété complet - donc que cette question se révèle inutile. Cette position permet de proposer une définition de l'être qui soit complet, au sens où il forme un ensemble délimité et stable, et où il élimine la reconnaissance intenable du néant. Mais l'élimine-t-il de manière langagière? Spinoza n'a-t-il pas ajouté une couche supplémentaire de déni - sans résoudre le problème?
Chez Descartes, le complet occupe une place ambiguë, puisque Dieu peut y prétendre, mais de manière incompréhensible; ce qui explique encore moins l'existence du néant, à moins de consentir à ce que Dieu ait créé le néant, mais alors le néant serait un sous-produit de l'être, et serait un dogme à respecter parce qu'on considère qu'il émane de Dieu, sans qu'on puisse ni le concevoir, ni le rendre cohérent.
Mais le fait que l'être, soi-disant complet, soit contraint d'admettre le néant (ou quelques-uns de ses paronymes) implique qu'il n'est pas ce qu'il annonce, démentant ses prétentions, tant à la complétude et à la perfection. Et le néant n'est jamais qu'une définition paradoxale, qui, non seulement résiste à tout effort de définition, mais ne peut se passer de l'être dont elle n'est que la négation paresseuse - autrement dit : elle ne sort pas de l'élément dont elle entend renier le caractère indépassable.
Si bien que les véritable fondement de la pensée de l'être se révèle en réalité duel : l'être et le néant, ce que rappelle leur carence réciproque, eux qui, malgré leurs dénégations, se tiennent par la barbichette. Le non-être a autant besoin de l'être que l'inverse - il prétend ne pas être, à condition d'être d'autant plus. De même, l'être ne peut se passer du non-être pour asséner sa toute-puissance, ce qu'illustre la position de Descartes, qui entend corriger l'erreur de la métaphysique qui le précède en énonçant la coexistence de l'être et du néant (le défaut, aussi minimaliste soit-il, n'en demeurant pas moins quelque chose en trop, fût-ce sur le mode négatif).
Il s'agit de reconnaître, non que l'être n'est pas, position intenable défendue par Gorgias, sanctionnée dans le temps par le discrédit, mais que l'être n'est pas seulement, autrement dit que la complétude n'existe pas, puisqu'elle reconnaît un complément inavouable, qui plus est sous une forme incohérente. Mais qu'est-ce alors que le faux, si le non-être constitue la mauvaise définition de ce qui n'est pas de l'être, et qui se définit autrement que la définition de l'autre?
Le faux n'existe que s'il signale en creux qu'une certaine forme se révèle ne pas être. Dès lors, il ne survient dans l'être que comme potentialité : l'être peut changer ce qui est en ce qui est identifié comme n'étant pas, parce qu'il existe un potentiel qui l'y amène, et qui autorise l'erreur. Mais cette potentialité qui change l'être n'est pas à situer à l'extérieur - de l'être, surtout s'il s'agit d'une anti-réalité (comme chez Aristote). Sinon, le faux désignerait l'existence de quelque chose d'autre - bien de quelque chose. 
Le fait que le faux soit désigné, comme chez Descartes, par le manque ou le défaut, soit ce qui est en n'étant rien, implique que la reconnaissance de cette existence impossible (être rien, si l'on veut), oxymorique, renvoie à un objet mal défini, mal envisagé, qui n'est pas la réalité alternative à l'être que tant prétendent, après l'avoir dénié, ni la réalité identique à l'être, bien que distincte et connexe, mais une forme interne à l'être, sans laquelle l'être incomplet manquerait de cette complémentarité qui lui permet de se déclarer complet, parfait, total et couvrant. 
Le néant ne saurait se présenter comme une anti-réalité, terme qui n'a pas de sens - sinon, qu'est le négatif, vu qu’il ne peut se passer du positif auquel il s'oppose? Il ne s'agit pas d'estimer que le faux serait supérieur au vrai, mais de constater ce que l'existence de ce faux faussée révèle en fait. La possibilité qu'il y ait du faux implique que le vrai tel que l'être le répercute n'est pas total (et non que le fax existe en tant que concurrent au vrai) et que la latence qu'il implique relève d'autre chose que de l'être connu - justement de la possibilité.
Ce qui est intéressant - et significatif, c'est que l'on puisse mentir, et non que l'existence du faux soit tenue pour telle à tort, comme un Nietzsche a pu le prétendre, en estimant que l'urgence commandait de renverser les valeurs morales - sans créer de nouvelles valeurs. Contrairement à cette démarche faussement alternative, et vraiment stérilisante, l'existence du faux révèle plutôt que le vrai n'est que relatif à l'être et que l'être n'étant pas le tout, il ne peut y avoir de vérité intangible, et fixe, telle qu'elle est conçue dans une optique transcendantaliste. La vérité est relative à l'être, qui n'est pas l'ensemble du réel, ce qui rend la créativité supérieure à la vérité dans l'ordre des valeurs qui définissent le champ instable et plastique du réel.

samedi 16 mai 2015

Tout contre

Quand Rosset reprend l'une des idées-maîtresses de Nietzsche, selon laquelle les philosophes depuis Platon ont presque tous doublé le réel d'un fantasme, il est obligé lui aussi d'admettre que cette définition du réel ne permet pas de le rendre complet et il propose en conséquence, inconséquente si on peut dire, que le réel soit sans complément, selon la proposition de Mach (« Un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas »).
Selon cette définition, le réel est tissé d'être, mais il est sans complément, ce qui est absurde. D’un point de vue logique, il est deux alternatives à cette posture, qui serait anecdotique si elle était seulement le propre d'un philosophe mineur, mais elle s'avère être celle d’une partie importante de la philosophie, centrée autour de la métaphysique.
La philosophie a versé dans l’irrationalité pour éviter le piège de l'ontologie (plus largement, la position atavique du transcendantalisme). Elle n'a pas eu tout à fait tort : le problème que rencontre la philosophie, en tant qu'expression rationnelle de la pensée, c'est de compléter l'être fini - ou sensible. La réponse qui est formulée s'avère contestable, dans le sens où la proposition choisit le prolongement de type homogène.
La réponse apportée est donc : l’Être est ce qui complète l'être. Mais qu'est-ce que l’Être? Le bât blesse. Jamais Platon ne parviendra à définir le terme  incontournable, bien qu'il ait réussi grâce à ce fondement à définir le non-être comme l'autre. C'est que cette option, si elle reste indéfinie, présente le mérite de rendre un ensemble cohérent et satisfaisant du point de vue des catégories du sens.
Désormais, on est confronté à deux propositions obsolètes. Si c'est seulement maintenant qu'on s'en rend compte, c'est parce qu'on commence, de manière balbutiante, à sortir de l'être. Jamais la métaphysique n'aurait pu exister de manière indépendante, si elle ne s'était pas opposée à l'ontologie, qu'elle prétend remplacer. Les deux au fond se meuvent dans l’être, y compris le non-être, comme son nom l'indique.
La critique que lance la métaphysique, inspirée du compromis, pour que le nihilisme puisse sortir de son autodestruction, est fondée contre l'ontologie, qui ne définit pas son fondement, mais à laquelle elle oppose le refus de toute résolution, en restant au négatif, nommé par exemple non-être. La vertu de ce nihilisme exprimé en compromis est de mettre en évidence le problème cardinal, bien entendu non observé par la toute-puissance qu’exprime la pensée de l'être, qui affecte la proposition de type transcendantaliste.
Autrement dit, le vice advient immédiatement après le début de remise en question, de manière connexe. Loin de résoudre le problème dénoncé, la métaphysique le conforte plutôt, en s'empressant de ne le pas résoudre. Ce qui est fascinant dans cette démarche, c'est autant le fait d'approcher du problème que de passer immédiatement à côté. En effet, il s'agit de ne surtout pas proposer d'autre réalité que l'être, tout en reconnaissant avec contradiction qu'il y a quelque chose à côté, mais en précisant que ce quelque chose n'est pas définissable, donc n'est pas vraiment quelque chose - Descartes ira encore plus loin en estimant que cette reconnaissance est dépourvue de réalité, opérant exclusivement dans le cadre du langage, ce qui s'avère un raisonnement pour le moins étrange.
C'est dire que Rosset passe tout contre le problème qu'il pose à la suite de Nietzsche, voire Spinoza : non seulement rien ne prouve que l'idéal sous forme d’Être (ou ses paronymes) existe, mais il est encore plus aberrant, et impraticable, d'en rester là et de s'en tenir à l'affirmation négative qu’énonce le non-être. Nietzsche a réfuté ce qu'il nomme le double, pour déterminer cet idéal aussi évanescent qu’homogène.
Comme souvent, il répond à sa question pertinente et lancinante de manière aberrante, teintée par la folie, en prétendant qu'il est envisageable de demeurer rivé à son désir d'artiste créateur de ses propres valeurs, une posture pour le moins déroutante, si l'on creuse derrière l'annonce, enthousiasmante à la première lecture. Nietzsche ne s’avise pas que sa proposition équivaut à de l'inconséquence - rien d'étonnant chez ce grand irrationaliste, qui rêva d'abolir le principe de non-contradiction, pour en revenir à ce qu’il identifie comme le magma informel et originel.
S'il l'option transcendantaliste n'est pas démontrée, donc pas démontrable, la conclusion à laquelle parvient le nihilisme ne peut fonctionner comme telle - en atteste la postérité de Gorgias et de son Traité. Dès lors, l'option du  compromis, celle par excellence de la métaphysique, rencontre un succès important, puisqu'elle conjugue le réalisme et l'idéal de la connaissance. Pourtant, ce succès se heurte à l'impéritie de cette méthode, dont le réalisme porte mal le nom : il s’agit de décréter que le réel est fini et que l'idéal se limite au contour saisissable.
Pourquoi ne pas envisager l'hypothèse nihiliste? Il faudrait alors compléter le fini, sans quoi on se contente de violer le principe de non-contradiction et on se meut dans un monde absurde, dont le propre est d'échapper à toute démonstration, à tout sens, à toute pensée. Si l'on s'en tient à l'idée selon laquelle la connaissance est possible, sans quoi le geste de connaissance sombre dans la faillite irrémédiable, alors il faut sortir de l'impasse métaphysique qui asphyxie la pensée, tout comme de l’approximation transcendantaliste, praticable, mais brouillonne, qui nous fait patiner et nous laisse l'esprit embrouillé par la complication du style venant remplacer l'absence de vision claire de ce qu'est le réel.
Pour ce faire, il convient de situer le complément, non à l'extérieur de l'être fini (le sensible), mais à l'intérieur; et de changer la définition de l'homogénéité, sans quoi l’homogénéité interne serait impraticable; alors que la différence interne est envisageable, et permet de considérer l’incomplétude comme ce qui se complète à l'intérieur.
Du coup, ce qui rendait incohérent le schéma transcendantaliste devient limpide : l'être est complété par une structure qui n'est pas de l'être tout en lui étant connexe - le malléable. Ce complément n'existe pas sous la forme de l'être et ne saurait en conséquence se trouver saisi par notre entendement, assujetti à l'être. Le malléable s'exprime sous forme de potentialité, qui a donné naissance à l'être et qui lui permet de se maintenir, en lui permettant de s'étendre, de ne pas en rester à la forme donnée (mais de ne pas se réduire, car la réduction n'est pas compatible avec la permanence, bien qu’il faille prendre en compte la relativité de ce qu'on considère comme accroissement spatiale, dépendant de l'être).

jeudi 30 avril 2015

L'enseignement pour tous

La crise de l’enseignement trouve deux explications opposées : les uns estiment que la crise s'explique parce qu'on n'est pas allé assez loin dans les nouvelles méthodes pédagogiques, dont le but est de rendre possible l'enseignement pour tous en recourant au volontarisme des équipes pédagogique, tout en estimant que ce supplément d'effort est de nature à faire progresser l'élève.
En réalité, cette méthode indique surtout que les pédagogues, qui expriment le camp de ceux qui croient qu'il suffit d'être volontariste pour être progressiste, ignorent comment instaurer l'enseignement pour tous et s'entêtent à vouloir prolonger, voire accroître leurs mesures inefficaces, dans la mesure où ils se montrent persuadés que la fin justifie les moyens (la fin étant juste, les moyens peuvent bien se montrer insuffisants).
Ce sont des progressistes d'un type particulier, puisqu’ils entendent instaurer un progrès volontariste, qui ne peut que signifier le remplacement de l’effectivité par le fantasme propre à la volonté, faculté intellectuelle, plus qu'au désir, sensation corporelle. Autant dire que leur progrès frelaté ne peut fonctionner; et qu'il engendre du coup les contestations venant de ceux qui, catalogués d’ordinaire conservateurs, voire réactionnaires, trouvent le moyen de proposer une critique juste d'un point de vue négatif (ça ne marche pas) et, plus fort encore, de passer pour progressistes - le comble!
Je veux parler de ceux qui se déchaînent avec un succès certain pour stigmatiser sans nuance le déclin de l’École égalitaire en ne proposant rien d'autre que le retour en arrière (l'absence de proposition alternative étant masquée par le luxe de critiques étayées, souvent justifiées). Le fait que la seule critique médiatisée soit d'ordre réactionnaire ne peut que s'avérer inutile, à moins de considérer qu'on puisse revenir dans le temps. Mais voilà qui n'indique pas qu'il n'existe pas de solutions alternatives, ce qui serait contraire à l'expérience, plus sûrement que l'on se situe dans un schéma d'ensemble qui est caduc, du fait de la stérilité qu'il promeut face au constat d'échec grandissant et irrévocable que produit son bilan.
On dit que quand une porte est fermée, une autre est ouverte. Lorsqu'il n'y a pas de solution dans une situation, ce n'est pas le signe que le changement est impossible, mais que le changement dans cet état est impossible. Il reste à évoluer. 
La crise que traverse l'école n'est pas résoluble dans la situation telle qu'elle est donnée pour l'heure, comme toute crise. Elle indique déjà quelle direction prendre pour surmonter le problème, mais ce serait abandonner le système obsolète et ses théoriciens, qui sont en fait réactionnaires au sens où ils refusent de changer de paradigme et où ils ne voient pas que le changement est de nature disjonctive et non-linéaire.
La crise signale qu'il convient de changer de paradigme si l'on veut la surmonter. Elle est plus un indicateur précieux d'innovation, terme plus précis que le changement; plutôt qu'un signe de pessimisme ou de fatalisme. Souvent, dès les symptômes de crise, le remède est déjà discernable, sous forme latente, mais croissante, parce que la crise ne fait que sanctionner le déclin de la norme dominante, ce qui implique qu'existe déjà en son sein l’alternative.
La crise de l'école ne lui est pas spécifique, mais recoupe la crise Gutenberg, appelé à être remplacé par Internet. L'ambition de rendre l'enseignement accessible à tous n'est pas envisageable dans le standard Gutenberg, quelles que soient les évolutions qu'on lui ferait subir. Si tous les efforts échouent, c'est parce qu'il n'existe pas de solutions de ce côté-là.
La solution se situe dans l'évolution Internet, qui comme toute découverte et tout progrès, va permettre de développer les capacités et les performances pour la même sommes d'efforts. L'exigence actuelle d’enseignement pour tous ne peut qu’aboutir à l'échec, car la somme maximale reste insuffisante. Mais cet échec ne signifie pas que l'exigence de réussite pour tous soit impossible, plutôt que sa justesse appelle la transformation de fond en comble du modèle enseignement situé pour l'heure.
C'est se montrer bien fanfaron que d'estimer au fond naïvement que nous en serions venus au maximum indépassable de ce que nous pouvons apprendre. Le mode actuel d'apprentissage implique une grande fixité dans les échanges, entre l'élève et le maître/professeur. C'est en changeant la manière d'apprendre et en la rendant plus facile et accessible que l'on peut parvenir à rendre envisageable l'enseignement pour tous.
La manière actuelle ne peut accomplir plus que ce qu'elle réalise, et elle réalise sans doute le paroxysme épuisant et désespéré de ce qu'elle peut espérer en l'état actuel de ses forces. C'est dire que les possibilités actuelles se montrent presque outrepassées, que le système se trouve en surrégime et en surchauffe. D'une manière générale, il n'est pas possible à l'enseignement sous sa forme actuelle de dépasser l'ingélitarisme auquel il tend et de parvenir à l'égalité (et non l'égalitarisme).
Ce but n’est pas envisageable, parce que le propre de l'enseignement tel que nous le connaissons instaure une relation dissymétrique entre le professeur et l'élève, qui ne peut concerner tous les élèves. Elle crée un inégalitarisme dans les conditions d'apprentissage (de délivrance du savoir), parce que le propre de l'apprentissage, ainsi que le professait Platon, et contrairement à ce qu'estimait l'élitiste Aristote (point qui sera encore renforcé par un Nietzsche près de nous), consiste bien à ce que l'élève apprenne par lui-même - et non à ce que l'élève apprenne par un autre.
Sur ce point, les actuels thuriféraires du pédagogisme et de la didactique auraient presque raison s'ils ne sombraient dans la démagogie en faisant de cette proposition la légitimation à des expériences irrationnelles, selon lesquelles il convient de ne plus rien apprendre de consistant à l'élève, puisque c'est à lui d'apprendre par lui-même. Le fait d'apprendre par soi-même ne saurait en aucun cas supprimer les contenus, ou du moins les diminuer grandement, sans quoi c'est l'apprentissage qui disparaît.
Mais il est contradictoire d'estimer que l'enseignement de type égalitariste peut déboucher sur l'égalité de ses conditions. Voilà qui impliquerait que l'on change de conditions et que les conditions actuelles soient parvenues au maximum de ce qu'elles peuvent produire. L'enseignement actuel est de type Gutenberg et, de même que l'édition éponyme se manifeste par une diffusion inégalitariste qui arrive à son terme; de même, nous assistons à une révolution plus générale de l'expression, dont l'enseignement constitue une expression privilégiée et fondamentale, au sens où il ne peut a avoir d'accès à la connaissance sans une formation exigeante.
Plus la connaissance croît en qualité, plus elle a besoin de toucher de plus en plus de quantité de personnes, pour pouvoir poursuivre sa croissance, dont le propre est d'être qualitatif, c'est-à-dire de changer de paradigme (et de niveau), pas seulement de croître dans le même champ.
C'est Internet qui permet de passer ce cap qualitatif et de rendre l'enseignement accessible à tous. Pour ce faire, il convient de changer les règles de l'apprentissage, de telle sorte que ce soit l'élève se trouve au centre de son apprentissage, mais non comme dans revendication pédagogiste actuelle, où perdure la relation élève/professeur, mais dans une relation où disparaît la fonction actuelle du professeur, détenteur du savoir, pour se transformer en autorité impersonnelle et fluctuante (multiple), selon laquelle la compétence est compatible avec l'impersonnalité, l'anonymat presque.
C'est avec ce critère seulement que l'élève peut devenir maître de son apprentissage, et se passer de la figure fixe et identifiée du maître, qui engendre l'inégalitarisme et qui empêche l'élève d'avoir une relation au savoir qui ne soit pas subie, mais qui soit active, et, en ce sens, libre. Pour ce faire, il faut dématérialiser la relation maître/élève, de telle sorte que l'élève puisse gagner en liberté. L'élève ne peut dépendre de celui qui délivre le savoir ex cathedra, sans quoi il voir sa possibilité d'apprendre encadré, que ce soit en mal et en bien, et il ne peut mettre en oeuvre cette liberté de savoir qui seule lui permettra de tendre vers l'objectif de l'égalitarisme de l'enseignement.
Internet constitue une étape décisive et un changement de paradigme évident qui seul peut accompagner la révolution du savoir. Si l'enseignement ne va pas dans cette direction, ce qu'il fera au nom du principe selon lequel l'homme tend vers le meilleur de choix dont il dispose, sa liberté supérieure aux autres animaux s'expliquant par son intelligence elle aussi supérieure, d'un point de vue qualitatif plus que quantitatif, alors jamais l'enseignement ne pourra tendre vers son objectif de s'améliorer en s'adressant à tous au nom de l'excellence.