vendredi 21 octobre 2016

Le mythe du caché

Ce qui est caché dans le complot peut encore s'expliquer par une mauvaise compréhension des mécanismes qui sont à l’œuvre dans le réel : le caché signifie alors ce qui est mal compris. Mais comment peut-il y avoir du caché durable si l'être fini trouve son complément dans le prolongement transcendant de l’Être? 
Si les deux sont en prolongement, le caché devrait être connu, puisqu'il devient connaissable. Le transcendantalisme n'explique pas pourquoi il y a du caché. Du coup, le domaine humain ne se trouve pas différencié des limites divines. Dès lors, c'est la place des complots qui, s’avérant vague, déborde parfois de ses attributions classiques.
Ce constat prend en compte la mode actuelle du complotisme, qui ne surgit pas par hasard ou de manière  spontanée. Le complotisme ne surgit comme interprétation sursignifiante et donc à tendance paranoïaque La crise traduit qu'une faiblesse apparaît dans l'explication du déroulement des choses, que le schéma général ne parvient à résoudre.
Le défaut était déjà dans l’œuf transcendantaliste, le complotisme ne faisant qu'exacerber le défaut. Ce qu'il faut discerner derrière la protestation bien-pensante contre le complotisme, c'est que le transcendantalisme ne peut condamner ce qu'il pratique lui-même, seulement à moindre mesure et de manière plus contrôlée : il complote, sans savoir pourquoi il le fait, alors que selon ses dires, son bon fonctionnement fait qu'il ne devrait pas en avoir besoin.
Bien que le caché demeure inexplicable, il occupe la principale place du réel - nous ne parvenons à expliquer que fort peu de choses, qui relèvent du fini. Chercher un explication au fait que Dieu est invisible rappelle dans ces conditions que le caché occupe une place qui outrepasse de très loin les attributions du complot.
Ce faisant, le caché n'est pas une catégorie que l'on peut définir clairement. Il correspond plutôt à une définition ad hoc permettant d'expliquer sans grand effort ce qui reste mystérieux et qui plutôt cloche dans l'explication proposée. 
Il explique tout aussi bien qu'il n’explique rien, tout comme Dieu. Au passage, voilà qui ne signifie pas que Dieu n'existe pas, plutôt que le problème qui est derrière Dieu (expliquer par complément notre monde mal connu, mais irréfutable) est mal posé.
Le complotisme intervient dans ce cadre, afin de donner à toute force à l'homme la responsabilité de ses actions et d'expliquer à tout prix ce qui lui arrive. Il dissocie le monde de l'homme du réel, en estimant que ce dernier importe peu, tout bien considéré. 
Cette responsabilisation a au moins l'avantage de proposer une explication. On pourrait estimer qu'on recourt, en lieu et place de l’explication passe-partout et dénuée de sens de Dieu, à l'explication, elle non dénuée de sens, par l'homme, qui déclare que son domaine est délimité.    
L’explication repose sur la volonté : elle réalise l'ensemble des actions. Sans elle il n'est pas possible d'agir. En outre, elle rend possible l'explication sans questionnement, puisqu'elle explique tout, toute en étant inexplicable - ce que Schopenhauer avait bien compris, au point de l'étendre à l'ensemble de l'univers.
Le paradoxe auquel parvient le complotisme est que pour décrypter le caché, il le rétablit, en admettant qu'il existe autre chose que le monde de l'homme. Ce n'est plus l'intelligence qui domine l'homme, mais la volonté. Elle permet d'éviter que l'on fasse sens pour tout élément de réel (ce que, avant Schopenhauer, Descartes savait fort bien et qui lui permit de proposer une explication dont les points faibles se trouvent gommés).
Le refus de l'explication est le moyen paralogique qui permet au raisonnement fallacieux de faire croire qu'il fonctionne - alors qu'il faut exiger de l'explication qu'elle puisse expliquer, sans quoi elle exprime le vice de forme. Le caché aura toutes les chances d'engendrer le complotisme tant qu'on ne reconnaîtra pas que tout ce qui est inconnu peut devenir connaissable, au moins en partie et de manière croissante.
Si l’Être était en homogénéité avec l'être, il ne pourrait être caché. La raison aurait découvert ce qu'il est - étant capable de découvrir ce qui se tient sur le même plan. Voilà qui implique que le réel ne soit pas uniforme, mais fonctionne sur la différence.
Comprendre la différence relève de la faculté nommée créativité, parce que le mouvement de la pensée qui permet de penser la différence consiste à la comprendre en allant de l'avant, seul moyen de comprendre ce qui est caché quand on se tient dans ce qui est ou ce qui est déjà. Le passage dans l'inconnu permet de se rendre compte que l'être ne peut survenir qu'en s'appuyant sur une propriété différente, qui est la faculté de malléable.
Ce que fait apparaître le complotisme, c'est le problème du caché, qui est le problème sous-jacent à l’ensemble du transcendantalisme. Peu importe que le complotisme en lui-même ne comporte guère d'intérêt et de cohérence. Il est amené à fleurir dans les périodes de crise du sens, tant que l'on n'aura pas remplacé le transcendantalisme par quelque chose qui empêche le mythe du caché pérenne - possédé par quelques initiés aussi supérieurs que malfaisants.
C'est ce caché qu'il convient de clarifier, non pas ce que l'on classe dans le caché parce qu'il est mal compris, mais ce qui est destiné à resté caché de notre intelligence, puisque ce qu'on nomme Dieu dans le transcendantalisme signifie ne pouvoir être aperçu, entendu ou compris des faibles moyens de l'homme.
Le caché constitue le moyen de rendre plausible ce que le transcendantal ne parvient à expliquer. Il est temps de dénoncer cette faiblesse et de se demander ce que serait l'explication qui rendrait le caché marginal - un caché provisoire et qui ne peut exister sans le visible. La  question est : puisque le caché est absurde dans un schéma homogène, comment expliquer ce qui est caché autrement que par cette mauvaise interprétation?
Et si le caché n’existait pas, en tout cas sous cette forme reçue, il faudrait presque dire : cette emprise? Voilà qui expliquerait pourquoi on ne l'aperçoit pas : parce qu'il n'existe pas. 
Ce que l'on prend pour le caché, c'est ce qui est différent et de ce fait ne peut être aperçu. Le caché part du principe selon lequel on vivrait dans un réel homogène, quoique incompréhensible. Tout bien considéré, rien ne prouve ce postulat; par contre, tout indique que l'on ne comprend pas le réel, non pour la raison qu'il nous est inexplicable bien qu'identique, ce qui pour le coup relèverait de l'inexplicable; mais parce qu'il est constitué de deux textures différentes.

lundi 3 octobre 2016

La vérité et le réel

La vérité n'existe que comme le terme du réel. Si tant de philosophes envisagent la fin du réel, c'est à cause de la conception selon laquelle le réel peut être rendu en termes de donné, avec un début et une fin. La vérité va de pair avec la croyance absolue en l'être univoque. Que la vérité existe dans l'être n'implique pas qu'elle existe dans tout le réel.