lundi 26 septembre 2016

Usage de faux

Que signifie le faux? Déjà, que l'être n'est pas tout le réel, puisque le faux nécessite une place, qui est autre chose que l'être. Quand on dit d'une chose qu'elle est fausse, on reconnaît qu'elle n'existe pas sous cette forme, donc que l'on peut ne pas être tout en croyant en cette existence. 
Il existe donc autre chose que de l'être existant, instancié, en acte, qui est le possible. Dans le possible, certaines potentialités sont fausses. Et si l'on peut ne pas être, c'est que l'être accepte sa négation, ce qui ne serait pas possible s'il était le tout. L'être n'est pas le tout. Mais à quoi renvoie le faux?
En termes d'être, le faux se montre positif, en ce ce que le faux est négatif parce qu'il ne fait pas partie de la sphère de l'être - mais est-il négatif? Il faut bien que la possibilité de négation contienne une positivité, dont la caractéristique est d'être différente de l'être. Sinon, il n’existerait pas la place pour le faux. 
La condition du faux fait partie de l'être. L'être n'existe pas à côté du non-être, comme deux états séparés et irréconciliables, mais comme deux états  imbriqués, différents et complémentaires.
Comme la doxa transcendantaliste estime irréfutable que le réel ne relève que de l'être, elle n'en vient même pas à se poser la question de ce que peut bien être le faux s'il existe forcément en n'étant pas. Qu'est-il, s'il n'est pas de l'être? Que révèle-t-il sur la structure du réel? 
D'une part, que le réel est tissé de possibles, dont la pluralité va accoucher de l'existence (ce qui invalide la croyance en la multiplicité des mondes ou des multivers). Autrement dit, le possible est pluriel, quand l'existence est singulière. D’autre part, que le possible n'est pas de l'ordre de l'être, ni de l'existence, dans le sens où l'existence se déploierait selon les modalités de l'être.
Le possible relève d'une autre catégorie, et la dénomination de non-être ne convient pas pour le décrire, car on voit mal comment ce qui peut devenir de l'être pourrait commencer par n'en être pas. On ne peut être une chose à partir de son contraire, c'est pourtant l'étrange proposition que fait Aristote au début de sa Métaphysique posthume, en expliquant que l'être multiple est relié au non-être multiple, sans nous expliquer comme s'opère et s'explique cette mystérieuse alchimie. 
Reste à accorder que le faux ferait partie de cette catégorie des possibles. Il serait la possibilité qui ne s'est pas incarnée parce qu'elle contient au moins une contradiction qui lui interdit l'accès à l'existence. C'est une faculté qui ne se manifeste pas en tant qu'être et qui n'existera jamais autrement que sous cette forme dont on peut parler, sans qu'elle accède autrement à l'être. 
Cette explication est plus probante que celle que propose Descartes, qui n'hésite pas à affirmer que le néant existe dans le langage, pas dans la réalité, ni en Dieu.  Dans ce cas, comment parvenons-nous à dire ce qui est faux s'il n'est pas? Peut-on dire quelque chose d'inexistant, de non-corrélé à l'être?
Si le faux ne saurait relever de la catégorie de l'être, l'on ne peut pour autant tenir ce qui n'est pas pour ce qui ne saurait relever d'une catégorie de l'existence. Sinon, on sombre dans la contradiction dans laquelle s'obstine Descartes.
Selon Descartes, le réel n'étant constitué que d'être, il n'est pas possible d'admettre une autre issue que l'existence langagière. Il est dommage qu'il n'ait pas poussé plus loin les prémisses de son intuition, car son hypothèse est exacte : le faux ne relève effectivement pas de l'être. 
Mais la conclusion qu'en tire Descartes ne tient pas la route, à trop reprendre le sillage métaphysique : le faux ne faisant pas partie de l'être, il n'existe pas. Autant dire que Descartes illustre l'aberration vers laquelle la métaphysique est entraînée, du fait de son refus d’abandonner l'hypothèse du réel comme seul domaine connaissable. Mais cette aberration exprime vers quelle faillite mène le transcendantalisme : la volonté que l'être soit complet et total mène vers des positions qui concilient l'inconciliable.
Pour autant, la difficulté est de séparer le faux de celui qui l'exprime et le porte. Celui-ci n'est pas le faux, parce que le faux ne peut pas être. Sinon, celui qui se trompe disparaîtrait. S'il ne disparaît pas, c'est parce qu'il est un être. 
Le faux l'amène à stagner, au sens où l’erreur empêche de changer, d'aller de l'avant; elle fige, sclérose. Le faux peut être utilisé par l'être, mais l'être n'est plus du possible, tout comme le possible ne peut la plupart du temps pas accéder à l'être.
Le faux qui se trouve utilisé par un être indique que l'être recourt au domaine du malléable, ce qui confirme l'hypothèse platonicienne selon laquelle le non-être, c'est le changement. La malléabilité explique le changement, alors que l'hypothèse de l’Être ne le pouvait pas. La malléabilité est bien une faculté, pas un donné (le malléable), en ce qu'elle permet de.
Les possibles entrent en concurrence pour s'actualiser, jusqu'à ce que le plus performant réussisse, ce qui évoque la course pour la vie, telle qu'on représente la course des spermatozoïdes. En réalité cette course se situe déjà dans l'être. Elle n'est que la fin d'un marathon, dans lequel les possibles se sont affrontés jusqu'à retenir la forme épurée qui parvient jusqu'à l'être.
Quand nous disons que nous avons une grande chance d'être là ou que la vie est un miracle, nous ne croyons pas si bien dire : chaque forme d'être est le résultat de cette sélection impitoyable des possibles, ce qui fait que nous ne pouvons attendre une cause initiale, mais que nous devons distinguer l'unification à partir du multiple, de telle sorte que l'infini existerait comme l'innombrable au départ, sous la forme de myriades de parcelles contradictoires. 
Nous inversons la cause et l'effet, prenons le multiple pour le fini, l'infini pour la fin et ne parvenons à en comprendre la définition. Le terme "infini" est un terme négatif, qui en reste à signifier : "ce qui n'est pas fini". C'est une expérience que le faux permet de faire. Plus encore, il donne une représentation de ce qu'est l'autre.
Platon avait bien compris que l'existence du faux remettait en question le schéma ontologique, ce qui explique qu'il soit obnubilé par une explication qu'il ne parvient à produire dans le Sophiste - le faux ne pouvant se comprendre qu'en dehors de la doctrine de l’Être. Dans la mentalité transcendantaliste, dont l'ontologie est une expression sophistiquée, la cause importe plus que la fin - alors que l'on ne voit pas pourquoi le réel existerait sous forme d'être, avec un déroulement temporel, si la fin valait plus que la suite. Si l'origine est parfaite, ainsi que le déclare Descartes, qu'est-il besoin d'y adjoindre la suite?
Comment peut-on vouloir revenir à des origines parfaites si elles sont inatteignables de ce fait? Que le réel aille se perfectionnant est bien plus conséquent; qu'il n'ait pas de terme cadre avec cette imperfection originaire qui implique que la perfection soit indéfinissable autrement que négativement; la perfection serait un idéal, dont on ne comprend pas le sens si on lui donne une possibilité d'existence. L'idéal est ce qui permet à l'être d'avoir un sens et donne à notre représentation un caractère d’adéquation avec l'être, contrairement à ce que pensent Montaigne ou des irrationalistes plus affirmés comme les sophistes - ou des partisans de la théologie négative.
Ce qui bloque notre compréhension, c'est cette différence, non que l'intelligence ne peut penser, mais qu'elle pense avec difficulté, car elle est calibrée pour comprendre des états d'être et elle patine dès qu'elle sort de cette dimension. Raison pour laquelle elle a tant versé dans ce genre de fantasmagories.

mardi 20 septembre 2016

Le nouveau et le fini

Rentrée scolaire rétroactive pour Koffi Cadjehoun!

Quand on considère la naissance, on se pose la question de savoir d'où vient l'être nouveau. Le fait que des êtres disparaissent ne suffit pas à expliquer que de nouveaux viennent prendre leur place. Ils pourraient fort bien ne pas être remplacées et que la disparition succède à l'être. 
Le même mystère n'explique pas la naissance, comme il n'explique pas la mort. Si l'on pose question : "qui apporte le nouveau?", on peut y répondre de manière physique. Ce sont d'anciens spécimens qui portent le nouveau, par la reproduction. 
Mais cette explication en reste à l'indéfini si on recherche la cause originelle et qu'on finit pas proposer le Premier Moteur. L'explication n'en est pas une. La raison ne peut fixer l'origine sans que se pose la question de son antériorité.
Qu'y avait-il avant l’œuf? Si l'on répond la poule, c'est le cercle vicieux. La régression à l'infini indique que l'on doit chercher un complément au fini et que la logique finie tourne en rond si elle cherche à sortir du raisonnement physique.
La question est de savoir quelle est la forme de ce complément. La tradition l'a nommé transcendant et infini. Mais rien n'indique qu'il le soit. En particulier, ce qui devrait mettre la puce à l'oreille est que l'infini n'est pas positivement défini.
D'une manière générale, on peut observer qu'on en reste au négatif dans toute la tradition de la pensée, puisque la propre du transcendantalisme est de ne pas définir Dieu et de dire ce qu'il n'est pas (les définitions comme l'amour chez les chrétiens sont des analogies, recourant aux sentiments humains). 
La philosophie est incapable d'expliquer le nouveau, parce qu'elle en reste à l'infini. Son défi est de considérer à quelles conditions le nouveau peut être fini tout en étant le complément de l'être lui aussi fini.