lundi 31 août 2009

Désilluminati

Deux écueils à éviter concernant la critique actuelle du système :
1) l'une est une anticritique radicale, qui consiste à refuser la critique ou à n'accepter comme critique moralement acceptable que la critique superficielle. L'argument-massue de cette anticritique pour ridiculiser la critique tourne autour du complotisme. Toute critique se trouve ainsi taxée de folle, paranoïaque, raciste et partiale, surtout si elle ose rappeler que les complots existent bel et bien - et que plus on se situe dans les sphères du pouvoir, plus le nombre de complots s'avère élevé.
2) l'autre est une critique véritablement complotiste. Il ne s'agit plus d'amalgamer les complots effectifs avec une mentalité tout-explicative qui se distingue par trois caractéristiques :
a) le mystère, l'incompréhensible et le vague;
b) l'humanisation forcenée et totale des évènements;
c) la causalité et le finalisme simplistes, de type mono-causal.
Ces trois critères fondamnetaux sont réunis dans le cas de la rumeur du grand complot mondial et universel orchestré par les fascinants et affreux Illuminatis. Selon ce ouï-dire insistant et galopant, les Illuminatis seraient à l'origine de toutes les catastrophes liées à la mondialisation, en particulier les complots d'État, les catastrophes climatiques et écologiques, les dépressions économiques et les meurtres de masse... Quand on découvre cette explication de facture monocausale et simpliste, dare-dare on se renseigne sur l'identité des ces Illuminatis, d'autant plus puissants qu'ils seraient inconnus.
Qu'apprend-on? Rien, trois fois rien. Fondés par un certain Weishaupt en Bavière à la fin du dix-huitième siècle, ils se seraient développés par la grâce d'on ne sait quel prodige jusqu'au point de subvertir les échelons les plus élevés de la franc-maçonnerie. Par ailleurs, ils auraient rallié la plupart des dynasties financières et industrielles d'Occident, au point que leur toute-puissance n'aurait d'égale que leur malice. En effet, la doctrine illuminati se manifeste par le diabolisme, soit le culte du Diable.
A aucun moment, on n'explique comment les Illuminatis auraient acquis cette importance exceptionnelle et inconnue dans l'histoire, ni surtout comment ils seraient passés d'un quasi anonymat au moment de leur leur fondation jusqu'à cette hégémonie invincible deux siècles plus tard. C'est cette constante disproportion qui frappe dans la description des Illuminatis : ils sont d'autant plus diaboliques qu'ils sont invincibles. Interprétation irrationaliste qui fait la part belle à l'inexplicable, soit qui agit comme un parole typique de propagande. Les Illuminatis sont parés de toutes les qualités sans aucune précision préalable.
Autre invraisemblance : d'ordinaire, les sectateurs du diable perdent toujours au final - et révèlent la faiblesse insigne du diable. au contraire, dans la mentalité complotiste, le diable n'est pas seulement l'archange du maléfice. C'est un être invincible, ce qui indique la parenté du complotisme avec le nihilisme : si le diable est invincible, c'est que le seul réel est le sensible, ainsi que l'enseigne un Rosset de nos jours. Le fantasme de toute-puissance du mal, qui prend la forme circonstancielle et provisoire des Illuminatis dans certaines rumeurs véhiculées par la Toile, découle en directe ligne d'une mentalité nihiliste et oligarchique selon laquelle l'ordre du monde est immuable.
Le monde est aussi répétitif que mauvais - rengaine proche d'un Schopenhauer qui substituerait l'absurde au mal. Cette déclaration peu amène, voire franchement pessimiste, serait gnostique, à dominante par exemple cathare, si l'aspect suprasensible de la gnose, l'aspect franchement transcendant aux accents pascaliens (Dieu s'est retiré de ce monde), n'était biffé. Nous nous trouvons bien dans un dualisme dénié de type nihiliste, où le suprasensible est remplacé par le néant.
La dénonciation virulente et définitive des Illuminatis comme manifestation du complot général est ainsi une critique complotiste qui sert les adversaires qu'elle entend critiquer. Critique anticritique d'une certaine manière, qui rejoint l'anticritique en ce que les deux confortent le nihilisme.
1) L'anticritique défend le nihilisme en amalgamant comme complotiste et dérangée toute critique de l'immanentisme.
2) La critique anticritique conforte le nihilisme en offrant sous prétexte d'intentions ultracritiques une vision du monde tout à fait nihiliste et non changeable (le devenir est nié).
J'ai entendu sur Dailymotion d'un certain Fantomas je crois des vidéos assez pertinentes sur la supercherie historique et stratégique que constitue la menace illuminati. Si la voix de Fantomas est aussi insupportable que décalée, son jugement est des plus tranchants et pertinents : non seulement l'histoire des Illuminatis, de leur domination irréfragable et incontournable, est une fantasmagorie, mais encore une telle galéjade, qui fait fi du factuel le plus élémentaire, qui attise les fantasmes les plus paranoïaques et éculés, est une opération de désinformation et de propagande instillée par les comploteurs effectifs.
La thèse de Fantomas est plus réaliste que la version improbable du Complot Illuminati : à qui profite le crime? Aux sectateurs de l'ultralibéralisme, aux atlantistes chevronnés, aux impérialistes occidentalistes, aux partisans inconditionnels du NOM, aux suppôts de la dérégulation, bref à tous les adeptes du nihilisme moderne - immanentisme. Ce sont leurs circuits de propagande huilés et expérimentés qui propagent le mythe des Illuminatis pour mieux égarer les esprits empreints de velléités contestataires vers des cibles irréelles et égarantes.
Les Illuminatis sont une fausse piste - ou un lièvre faisandé. Pendant qu'on perd son temps à courir cette information erronée et manipulée, on ne cherche pas la vérité - on s'éloigne du réel. En adhérant à une théorie complotiste simpliste, on échappe à la complexité du réel et à la vraie information. La conclusion de Fantomas est intéressante en ce qu'elle évite l'écueil opposé et tout aussi délirant de la condamnation du complotisme : si selon Fantomas les Illuminatis sont un exemple grossier de modèle complotiste ou de construction conspirationniste, au sens où l'on parle de story telling, il s'agit en décryptant et démystifiant la supercherie de ne pas donner tête bêche et aveuglée vers l'extrême inverse et caricatural - l'anticomplotisme idéologique et primaire.
Il s'agit au contraire de reconnaître que les Illuminatis, loin de n'exprimer qu'un faux problème, est l'écran de fumée qui masque le vrai problème - de fond. L'arbre qui cache la forêt. L'illusion illuminati travestit le réel problème de l'effondrement systémique de l'Occident impérialiste et immanentiste en folie furieuse et drolatique. Il est drôle de se référer à un ennemi aussi unique qu'invisible. Il est furieux de chercher un bouc émissaire auprès d'inconnus et d'absents qui n'existent pas. Pendant ce temps, les manipulateurs de l'immanentisme agissent, complotent, les mains plus libres, plus déliées - et les antagonismes interfactionnels à l'intérieur de l'impérialisme occidentaliste n'empêchent nullement que la complexité ou la nuance ne soient pas antithétiques à la possibilité du problème : l'effondrement systémique de l'Occident.

dimanche 30 août 2009

Balfour Hundred Years

Si après cette nouvelle, vous ne comprenez pas qui est Sarkozy, ni qui est son gouvernement... Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Il n'est pire illusionné que celui qui ne veut pas se désillusionner. Reste à préciser un détail pour être bien clair, bien compris et pour démentir les rumeurs plus ou moins nauséabondes, plus ou moins simplistes qui circulent sur la Toile et dont on a vu récemment l'émergence trouble et manipulée autour des discours de la liste antisioniste en France pour les élections pseudo-européennes.
Alain Soral, l'une des têtes d'affiche de cette liste, un nationaliste de gauche proche de l'humoriste de plus en plus politicard Dieudonné, n'a pas hésité à expliquer que le sionisme était l'emblème dominant de l'atlantisme. Si l'on entend réellement hiérarchiser les problèmes, ainsi que Soral l'appelle à la suite de Marx, on expliquera exactement l'inverse. Je sais bien qu'il est plus efficace d'avancer que ce sont les sionistes qui dominent le monde - que de rentrer dans la complexité historique, stratégique et intellectuelle du problème : en réalité, le sionisme est une idéologie qui découle directement de l'impérialisme occidentaliste, en particulier britannique.
Ce sont les atlantistes, la mouvance ultralibérale, qui utilisent comme cheval de Troie et marionnettes peu avisées les agents sionistes pour mettre en place, non pas l'agenda sioniste, mais le programme occidentaliste, impérialiste, atlantiste, ultralibéral. Schématiquement, le sionisme est le masque actuel le plus visible de l'impérialisme occidentaliste, qui, depuis la chute du Mur de Berlin, a pris le visage quais exclusif de l'atlantisme et de l'ultralibéralisme. Israël est l'agent de l'impérialisme britannique, qui s'est commué en factions oligarchiques et financières de type post-colonialistes.
Si l'on en doute, que l'on regarde quels sont les principaux bénéficiaires de la politique sioniste : les factions financières atlantistes issues de l'Empire britannique; et quels sont les premiers accusés de cette politique violente et prédatrice : les saumâtres sionistes. D'après des prévisions stratégiques qui ont valeur d'avertissement préventif, l'État d'Israël pourrait disparaître ou traverser de graves turbulences dans les vingt ans qui viennent. Qui en payerait le prix? Les populations israéliennes? Si le sionisme s'effondre, qui en payera le prix? Les gogos idéologues sionistes? Les derniers à subir le vent du boulet sont les premiers agitateurs, les francs tireurs cupides et manipulateurs : les factions atlantistes financières.
Ce qu'on nomme l'Empire britannique est le conglomérat d'une méthode oligarchique de domination et de prédation dont les racines sont éparses et diverses : Venise, les Pays-Bas, les Empires européens - pour la modernité... Il est très important de comprendre qu'aucun peuple ni aucun État-nation moderne ne sont responsables de cet impérialisme. Le comportement intolérable, violent, pervers, destructeur d'Israël ne doit jamais conduire à n'incriminer que ses responsables pseudo-démocratiques - ou l'idéologie qui sous-tend cet État si bizarre et instable. Quand vous voyez le sioniste crypto-fasciste Netanyahu, n'oubliez jamais que ces dernières années, le Blaireau était chargé de la Paix au Proche-Orient, sous l'égide notamment des intérêts bancaires Morgan (les vrais maîtres du faix maître David Rockefeller).
Sentez l'odeur, oubliez les couleurs! Ce sont les intérêts financiers regroupés (symboliquement) à la City de Londres qui contrôlent l'État d'Israël, ce qui fait que le sionisme n'est qu'une idéologie de plus, manipulée, comme toutes les idéologies, spécifiquement par un cartel de financiers sans scrupule. Historiquement, c'est la Déclaration de Lord Balfour en 1917, qui reconnaît l'existence d'un foyer national juif sur le sol palestinien. L'Empire ottoman (allié des Empires centraux) détient les territoires palestiniens jusqu'en octobre 1917 et les perd dans le cadre de la Première guerre mondiale au profit de l'Empire britannique.
La "reconnaissance Balfour" émane d'un aristocrate britannique qui est engagé dans la politique impérialiste au plus haut niveau. A cette époque troublée, où l'impérialisme politique s'effondre au profit de l'impérialisme financier de type libéral, Balfour est ministre des Affaires étrangères du gouvernement de David Lloyd George. Son action diplomatique vise autant à déstabiliser l'ennemi ottoman qu'à rallier à la cause des Alliés les États-Unis contre la puissance allemande. Diviser pour détruire : tient dans cet adage la stratégie finaliste de l'Empire britannique, en particulier de son aristocratie tapie dans les strates du Foreign Office.
Petit aparté : la véritable dénomination du Foreign Office est "Foreign and Commonweath Office". Ses attributions officielles sont les affaires étrangères, mais aussi la construction européenne et les relations avec les pays membres du Commonwealth. Tout un programme qui montre que la décolonisation signifie en faits le passage du colonialisme politique de type classique au néocolonialisme libéral de type économique. Quant à la référence à la construction européenne, les résultats récents de cette élaboration fédérale montrent que l'on se situe dans une vision impérialiste et oligarchique du fédéralisme, où la fédération d'inspiration atlantiste est à la botte des intérêts financiers ultralibéraux et cherchent à s'opposer à la volonté souveraine des peuples et de leurs représentants modernes les plus adéquats, les États-nations.
C'est ainsi qu'agissent les États-Unis depuis les années 1960 et c'est ainsi que leurs pendants européens entendent agir, autour des intérêts impérialistes britanniques représentés de manière emblématique par l'ECFR. Les sionistes détenaient une certaine influence, notamment sur le courant des sionistes chrétiens, dont la mouvance émane du restaurationnisme britannique. Lord Balfour était peut-être un sympathisant, mais c'est surtout un diplomate pragmatique. Sa Lettre s'adresse au véritable leader du sionisme de l'époque, Lord Lionel Walter Rothschild. C'est un banquier issu d'une famille fameuse de banquiers, dont la mentalité exprime typiquement les visées et les menées de l'impérialisme britannique et occidentaliste. Rothschild est ainsi le banquier qui supervise la création d'Israël. Cette filiation est transparente : Rothschild n'est que le devant de conglomérats financiers - plus opaques et hétéroclites.
Derrière les sionistes, voyez les affairistes, les financiers, les banquiers. Derrières les banquiers sionistes et/ou juifs, même si vous établissez sainement la distinction entre un banquier juif et un juif, entre du business et une religion, voyez l'impérialisme occidentaliste, en particulier sa mouture britannique. Enfin, n'oubliez jamais que le but de l'impérialisme réside dans la domination. Israël est l'instrument de cette domination. C'est un pantin, nullement la tête pensante.

http://lafeuilledemanioc.20minutes-blogs.fr/archive/2009/08/28/hoffenberg-la-tres-speciale-representante-de-la-france.html

jeudi 27 août 2009

Le JF cas

Les gens ont toujours un train de retard. Les gens : les Occidentaux qui sont des occidentalistes. Entendez, entendons : des impérialistes qui s'ignorent le plus souvent. L'impérialisme fonctionne de telle manière qu'il est l'arme de domination effective qu'une minorité oligarchique utilise quand la majorité des moutons de Panurge (au sens rabelaisien) suivent en pensant souvent s'y opposer. La crédulité néo-impérialiste consiste à s'opposer à l'impérialisme en adoptant la défense de l'impérialisme : chaque fois qu'on accrédite l'immanentisme, on se montre impérialiste.
Rappelons que l'immanentisme est le nihilisme moderne et que le nihilisme se caractérise en premier lieu (toutes ses déclinaisons découlant de ce postulat fondateur) par l'adhésion au néant positif. L'impérialisme est domination quand on souscrit au nihilisme, singulièrement à l'immanentisme. Dans cette mentalité ontologique et religieuse, directement reliée à la mentalité politique de facture oligarchique, la domination est normale puisque le réel est stable et fini et qu'il côtoie le néant. Dominer ou être dominé, pas d'autre choix dans un fini immuable...
L'impérialisme moderne, dont la tête de proue est l'Empire britannique depuis au moins deux siècles, et qu'on peut faire remonter à Venise depuis la Renaissance (départ de la modernité financière et oligarchique), s'appuie sur la domination financière et bancaire, étant entendu que dans une conception finie du réel, l'économique est le substrat des échanges humains : normes écologiques si l'on peut dire. L'actuel débat sur le péril écologique s'inscrit dans cette apologie du système impérialiste dont les relents sont des fervents néo-libéraux du plus pessimiste des penseurs de l'Empire, le terne et zélé Malthus, qui était moins un économiste qu'un propagandiste impérialiste de type britannique.
La domination par l'argent étant le terreau de l'impérialisme, de l'oligarchisme et du nihilisme, penchons-nous sur ce qui est advenu à notre vingtième siècle. Nietzsche surgit non comme un philosophe un peu bizarre et exalté, mais comme un prophète : le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré. Il annonce le moyen de sortir du nihilisme : moyen nihiliste qui consiste à proposer en guise d'alternative à l'impossible l'impossible - précisément.
La mutation ontologique impossible en guise d'alternative au nihilisme du dernier des hommes. Il va sans dire que si la mutation est impossible, le seul nihilisme possible est le nihilisme du dernier des hommes, le nihilisme des idéologies, le nihilisme du libéralisme terminal. Dans cet horizon exsangue et glauque, l'argent est le maître-roi. L'argent est l'agent. L'agent de l'argent est le financier. Mais l'agent véritable, l'agent implicite et agissant, c'est le peuple démocratique qui cautionne.
Nous ne sommes pas en démocratie, mais en démocratie libérale - nuance. Les propagandistes libéraux qui expliquent pompeusement que le libéralisme/capitalisme est indissociable de la démocratie sont des menteurs. Le financier agit : il tire les bénéfices directs et immédiats de ses entreprises de piraterie et de prédation. Les peuples qui cautionnent en détournant le regard sont les vrais responsables de ce qui se produit.
Si vous avez du mal à faire entendre raison aux gens d'Occident, posez-vous la question : pourquoi refusent-ils d'entendre? Pourquoi produisent-ils des tonnes d'arguments faux et décalés? Si vous éprouvez les pires difficultés à expliquer le vrai déroulement du 911 sans vous faire traiter de fou, cinglé, malade mental, con, dégénéré, illuminé, complotiste, paranoïaque, antisémite et stupide, j'en passe et des meilleures, c'est que chacun sait. L'imbécile est le naïf qui dit tout haut ce que chacun sait au fond de lui-même. Chacun en Occident sait très bien que le libéralisme est le masque idéologique de l'impérialisme et que l'impérialisme est domination.
Selon Rosset, il n'est pire illusionné que celui qui ne veut pas se désillusionner. Illusionniste aussi. Il est aisé de cerner pourquoi les financiers refusent de comprendre. Il est plus difficile d'ajouter que seule la complicité active des populations d'Occident permet à l'impérialisme occidental de prospérer. Pas d'impérialisme sans impérialistes. Pas d'impérialistes sans soutien - de la majorité aveugle et veule. Les financiers forment au mieux une petite minorité corrompue et cupide. Les récriminations d'un Attali, représentant pseudo-intellectuel en France des cénacles bancaires comme Lazard, comportent une certaine part de vérité : la clique des financiers, banquiers et autres affidés peuvent être considérés comme des boucs émissaires au sens où ils n'ont qu'une part de responsabilité.
Il va de soi que leur responsabilité est écrasante. Pénalement, ils sont coupables de détournements, de mensonges, de vol et de destruction. René Girard note justement qu'il est deux catégories de boucs émissaires : les totalement innocents et les partiellement coupables. Dans cette affaire, il n'est que des partiellement coupables :
- les financiers sont partiellement coupables parce qu'ils organisent leur suicide par un mode de fonctionnement non viable qui se résume au pillage éhonté (sur le mode de la Grande Bouffe, c'est-à-dire un suicide dans le plaisir immédiat et gargantuesque);
- les populations occidentales sont partiellement coupables parce qu'elles laissent faire pour en retirer des bénéfices partiels et indirects, principalement le mode de vie supérieur en termes matériels et immédiats.
Dans cette affaire, l'impérialisme a croqué tout le monde : les impérialistes sont dépassés par la mentalité qu'ils croyaient maîtriser au départ et dont ils n'ont même plus, à la longue, conscience. Qui se remettra de cette bombance magistrale, de cette orgie délurée et désaxée qui emportent tout sur son passage, les mets comme les noceurs - au départ les mets, ensuite les noceurs? Nous avons fini tous les biens de consommation extérieurs, nous sommes obèses et nous commençons à nous inquiéter de cette pénurie qui n'est plus seulement qu'une menace à venir, mais une réalité tangible. Que faire?
Écouter les décroissants qui proposent de stopper la consommation, de la ralentir, voire de la diminuer? Attendre passivement que le monstre s'en prenne à ses sectateurs - à défaut de sacrifices continuels? Le problème de tous les gens d'Occident, en particulier de ceux qui veulent bien faire, c'est qu'ils ne s'attaquent pas au problème, mais qu'ils trouvent des stratégies pour différer, omettre et oublier l'essentiel : leur exigence révolutionnaire, leur exigence de changement, leur progressisme plus ou mois virulent, plus ou moins rationnel, accouchent à chaque fois du même impérialisme.
Rien de tel pour résoudre l'impérialisme que de le conforter. Rien ne sert de honnir l'impérialisme si c'est pour hennir d'impérialisme à la première occasion masquée. Occasion manquée : l'assassinat de JFK en 1963. Toutes les conditions étaient réunies pour réussir une salutaire remise en question, qui passait par le décryptage du fonctionnement impérialiste/occidentaliste de l'Occident, par les gangrènes hideuses et abjectes qui avaient pris possession du corps comme des démons, des incubes et des succubes.
Qui a protesté? Personne n'a levé la voix ou le doigt pour remettre en question l'absurdité de la version du meurtrier solitaire doté de pouvoirs magiques défiant les lois physiques. A partir de ce moment, faut-il s'étonner de la gradation dans l'horreur, de la croissance du mal impérialiste? Les populations occidentales ont tacitement accepté la chute et la mort de la démocratie sous couvert de sauver leur liberté idéologique et finie, leur liberté libérale. Toutes les objections qui se lèvent contre les critiques de la version officielle du 911 sont des pertes de temps. La vérité est connue et irréfutable depuis le commencement de ce coup de canon apocalyptique, de ce complot messianique, au sens où la religion du diable (le nihilisme immanentiste) a frappé en ce jour ensoleillé et anodin.
Qui a protesté contre la version officielle de l'assassinat de JFK? S'est-on demandé s'il était possible de mentir à ce point, de raconter des vieilles salades défraîchies, de trahir la vérité et le peuple sans que des fuites sortent au niveau des conjurés? Personne n'a rien dit, parce qu'aucun peuple d'Occident, en particulier les Américains, ne voulaient savoir. On voulait un répit, on voulait la paix, on a baissé la tête et on a consenti au sacrifice d'un représentant, à l'injustice caractérisée de ce Président mort pour avoir refusé l'impérialisme, en particulier la domination des banquiers et des financiers.
On a oublié un peu vite, parce que l'omission arrangeait, que le déni implique le retour du réel. Retour avec usure. Quand on dénie, on use. Quand on dénie, on détruit. Pourtant, l'on ne sait que trop depuis la fin des années 70 que l'assassinat de JFK est un complot qui implique les plus hauts niveaux des institutions qui ont couvert par complicité, lâcheté, bêtise et arrogance. Laissez faire! Maux de passe de la liberté libérale. Idem pour le 911 : impossible de monter pareil coup sans que les institutions américaines (et alliées) soient impliquées.
Sauf quand on adhère à la version officielle parce que c'est la version officielle, la fameuse version officielle ne tient pas la route. Sortie de route depuis le départ. La VO ne tient pas debout au sens où elle s'écroule, comme les désormais fausses autant que fumeuses Twin Towers. Pour que les médias occidentalistes se taisent au point de propager la bêtise et la soumission, il faut la complicité des populations occidentales qui sont occidentalistes. Soit : impérialistes. Inconscientes de leur impérialisme et persuadées d'être d'autant plus du côté du Bien qu'elles ignorent ce qu'elles disent.
Pardonnez-leur? Oubliez? Paressez? Il faut toujours pardonner à un mort, surtout quand il est dans sa phase d'agonie.

vendredi 14 août 2009

Réseaux pansants

La vérité est simple, pas masquée.

Le propagandiste se reconnaît à la conjonction de l'inexplicable et de la répétition.

Deux nouvelles d'apparence indépendantes sont à relier.
La première vient d'être publiée sur le site de Reopen News. Un ancien agent du FBI parle. C'est de la dynamite, puisque l'information concerne Oussama. Sibel Edmonds explique les opérations de déstabilisation et de guerre asymétrique que les cercles atlantistes déploient depuis trente ans en Asie du Sud-est et dans la région du Caucase. Oussama, loin du profil de Génie du Mal, est un agent de cette guerre asymétrique, qui a été utilisé, manipulé et recyclé à l'insu de son plein gré (au moins majoritaire) dans l'opération folle et désaxée du 911. Un tout petit agent. Un agent content?
Al Quaeda n'est une organisation tentaculaire que pour les zozos. En réalité, il s'agit d'une émanation de ces cercles atlantistes. On utilisait al Quaeda pour réaliser des opérations régionales/locales. Depuis le malstrom du 911, al Quaeda a acquis une amplitude qui se trouve en totale disproportion avec sa réelle stature, à l'insu de son plein gré. Les fantasmes contredisent le réel. Al Quaeda est une coquillette qui devient une coquille vide dès qu'on lui confère une stature internationale. Ses cadres improbables ou régionaux sont totalement dépassés par la puissance d'action qui leur est prêtée. Oussama est le plus emblématique et le plus manipulé d'entre eux.
Il est probable que ce doux dingue rêveur, qui pratique la théologie musulmane guère mieux qu'un footballeur, a été utilisé comme pseudo-opposant (assez sincère) des États-Unis et de l'Occident depuis la première Guerre du Golfe et qu'il n'est pas au courant du 911. Victime collatérale d'une opération impérialiste britannique, qui implique ses anciens mentors saoudiens et leurs complices atlantistes (plus haut placés qu'eux dans l'organigramme de l'Empire factieux et soi-disant dissout).
Cette information capitale, qui en approfondit d'autres, Oussama à l'hôpital militaire américain de Dubaï en juillet 2001, Oussama probablement mort quelques temps après le 911, on la recoupe de manière comique avec la lecture d'un opus déjà périmé du propagandiste BHL. Même Dieudonné le dit : BHL est la reine des comiques français. Je suis d'accord avec lui sur ce point. A chaque fois qu'un intérêt atlantiste est à défendre, BHL accourt tel un Zorro qui arborerait des allures indécrottables de zozo. BHL n'est pas seulement un sioniste inconditionnel (c'est lui qui le dit!), c'est surtout un atlantiste fieffé, toujours du côté des intérêts mondialistes, ultralibéraux et élitistes.
Du côté du manche au sens où il pense comme un poêle surchauffé. Quand on a cerné la veine dans laquelle s'inscrivait BHL, on comprend ce que signifie son appartenance au progressisme. Il serait hâtif et présomptueux de relier ce progressisme avec de quelconques valeurs de gauche. Valeurs gauches? Voire. Valeurs intéressées et fort actuelles. Notre bon élitiste pourrait difficilement se présenter de gauche s'il ne participait de la subversion ultralibérale qui parcourt la gauche et manque de la tuer. Il y rajoute sa pincée de sionisme, son brouet personnel, mais si le commerce BHL fonctionne depuis si longtemps, s'il bénéficie d'appuis si solides, c'est parce que son petit engagement minable (voir récemment ses prises de position sur le massacre de Gaza) recoupe en sous-main l'atlantisme.
D'ailleurs, si l'on regarde le parcours de BHL, que constate-t-on? Récemment, il a commis un hilarant plaidoyer pour une révolution colorée en Iran. Peu de temps après, la secrétaire d'État américaine a reconnu que les États-Unis avaient aidé les contestations électorales iraniennes. Lien de cause à effet? Cet exemple pourrait être appliqué à l'ensemble de l'œuvre de BHL, qui est un propagandiste ayant travaillé avec les propagandistes de L'Express comme le notoire Revel ou la monstrueuse Giroud. Tous des atlantistes dirigés par un milliardaire atlantiste et trouble, le sulfureux sir Jimmy. Goldsmith : tout un programme d'impérialisme contenu dès le nom.
Quand on lit les publications de BHL, on est sidéré par leur nullité abyssale. Ce n'est bien entendu pas de la philosophie, puisque aucune idée n'y figure, pas même une répétition d'idée. Lui-même se revendique en preux intellectuel et se prend pour Malraux (également d'autres figures de cet acabit). Le problème, qui indique la chute qualitative vertigineuse du système de pensée atlantiste, de la mentalité immanentiste, dont un BHL est un représentant archétypal et inconscient, c'est que BHL écrit bien plus mal que Revel, qui écrivait déjà plus mal que Sartre (autre modèle de BHL).
Quant aux idées, il est reconnu depuis belle lurette que BHL en est singulièrement dénué, dépouillé, ce qui pour un intellectuel est un paradoxe assez significatif. D'ordinaire, l'intellectuel est cet être engageant qui déploie des tonnes d'Ides politiques et engagées aux fins de se tromper presque toujours. BHL se trompe certes presque toujours, mais il ne déploie aucune idée. C'est un pur répétiteur, qui a fini par rejeter toute conceptualisation pour se concentrer sur des faits immanents.
BHL ne fait que répéter comme une girouette impénitente les idées atlantistes telles qu'elles se manifestent depuis trente ans. Il appartient à la mouvance sioniste qui est depuis Israël une sous-branche de l'atlantisme. Un directeur de journal lui aussi atlantiste, le faussaire Colombani, osa affirmer un jour de lyrisme que BHL ne s'était jamais trompé. La preuve : il s'est trompé sur tout. Il faut être atlantiste jusqu'au bout des ongles et avoir besoin de cautions propagandistes (sous couvert d'intellectuels prétentieux et goguenards) pour tomber dans le panneau.
Si l'on se focalise sur le livre consacré à l'assassinat de Daniel Pearl, l'appréciation d'ensemble est tombée depuis la parution. Elle émane de la propre femme du journaliste assassiné, qui a relevé l'enflure égotiste de l'homme (alors que son propre témoignage n'apporte pas d'éclairage plus lucide sur cette ténébreuse affaire). Pour la veuve et pour les critiques, le livre ne compte pas. Il n'a jamais compté. Ce n'était pas un livre. C'était de la littérature faisandée.
Ampoulé, narcissique, égocentrique, grandiloquent, le style de BHL a été décortiqué et ne mérite pas davantage d'attention. Disons que son bouquin consacré aux États-Unis est nettement plus drôle, nettement moins triste. Quand BHL pense le monde du terrorisme, c'est une insulte à la pensée. Quand BHL copie Tocqueville et radiographie l'Amérique en grand bourgeois ultralibéral et mondialiste, c'est un ratage à dimension inévitablement comique. Conjuguer la vanité et la nullité n'est pas donné à tout le monde. Quand BHL se prend pour Tocqueville, le ridicule est reconnu par la presse américaine dans son ensemble. Quand BHL se met à enquêter sur les réseaux islamistes en pleine guerre contre le terrorisme, le résultat est passablement plus vénéneux.
C'est aux fruits que l'on reconnaît l'arbre. C'est au travail de BHL que l'on reconnaît qu'il est un propagandiste. Une fois de plus, il reprend les positions de l'intelligentsia des experts qui se veulent atlanto-progressistes et qui émargent aux rangs des démocrates ploutocrates. Le plus emblématique de ces esprits politologues brillants et prestigieux est le conseiller attitré du Président Obama, le Gourou-Prestidigitateur Brzezinski, chantre de l'encerclement de la Russie. BHL livre la même analyse que cette mentalité dont il est le sous-produit hexagonal et ratiociné, selon laquelle l'islamisme serait le Grand Satan et le Pakistan la véritable menace.
Bizarre à quel point cette conception géostratégique colle avec la position actuelle de l'administration Obama. Bizarre qu'un sioniste déclaré travaille pour les intérêts atlantistes sous prétexte de romanquêter. Encore plus bizarre, cette manie de répandre la rumeur du Risque majeur : les forces islamistes pakistanaises auraient (raaaah!) fourni la bombe atomique à Oussama. Quand on relit l'agent Edmonds, quand on relie BHL à Edmonds, on croit rêver : ce n'est plus le même Oussama que BHL dépeint. Le Génie du Mal, le Vieux de la Montagne, le successeur de Hitler, de Staline ou de Mao s'est commué en agent véreux, manipulé et minable. L'un erratique et méconnaissable; l'autre terroriste en chef, qui non seulement a commandité avec brio et sagacité les attentats du 911, mais s'apprête à récidiver cette fois avec l'arsenal nucléaire.
Ce n'est plus Saddam, c'est Oussama. BHL accrédite totalement la thèse phobique et irréaliste d'un Oussama sur le point de s'emparer de bombes nucléaires et dont le danger pour la survie de l'humanité et de la civilisation planétaire serait mortel. Quand on lit ce genre de prose aujourd'hui, le ridicule le dispute à l'erreur. Non seulement Oussama est introuvable, mais en plus le Grand Ennemi est un pétard mouillé qui n'a jamais été capable de récidiver et qui bien entendu n'est de surcroît pas même inculpé pour les horribles attentats dont on l'affuble sur le sol américain.
Quand on veut noyer son chien, on prétend qu'il a la rage.
BHL est un propagandiste : il véhicule le message d'un camp, d'une mentalité, en particulier des peurs et des angoisses nécessaires à l'efficacité de la guerre contre le terrorisme. Loin de suivre la stratégie des néoconservateurs et autres affidés de W., il fait mine de s'y opposer au nom du progressisme. Notre dissident soutient l'atlantisme en tant qu'opposant interne. BHL se voudrait atlantiste progressiste opposé à l'atlantisme conservateur. La vérité est accablante : tout au long de son témoignage, pas une seule fois BHL n'incriminera des factions atlantistes. Il s'arrêtera toujours aux vassaux islamistes, sans jamais établir de connexion entre les deux partis et en insistant sur la puissance de l'islamisme assimilé au Mal, la menace des factions pakistanaises islamisto-nucléaires reliées à al-Quaeda et à leur chef terrible.
Contrairement au témoignage simple de l'agent Edmonds, la thèse du romanquêteur est fort simpliste : s'en tenir aux seuls Pakistanais. Plus ils sont pakistanais, plus ils sont suspects. Faire du Pakistan un immense champ nucléaire, une menace apocalyptique, l'incarnation politique du Mal... Antienne parente de la rengaine. C'est comme si face à un immeuble de trente étages, un observateur faussement objectif s'ingéniait à n'en décrire que trois. Les trois étages seraient détaillés avec un luxe de détails impressionnant, mais le foisonnement viserait à occulter l'existence. Procédé de propagande qui tend vers la diversion. On se concentre sur une partie pour oublier l'ensemble. C'est de la réduction évidente.
En l'occurrence, BHL produit une accumulation (rhétorique bien connue) inouïe de noms, d'organisations, de pistes. Au leu de clarifier un problème déjà complexe, il s'attache à le rendre encore plus obscur et incompréhensible. Telle est la stratégie de BHL : obscurcir au lieu d'éclaircir. Au final, plus rien n'a de sens. L'objectif de BHL tient à la réduction du sens vers l'inexplicable. Ne pas expliquer quand on prétend enquêter est d'un comique abyssal. Il est vrai que BHL se dédouane dès le départ puisqu'il use d'un jeu de mots grotesque et qu'il s'avance en romanquêteur.
Romanquêteur : synonyme ludique et faussement subtil de propagandiste? Un propagandiste est un intellectuel qui répète un message pour le louer et l'appuyer. Spécifiquement, l'engagement de propagandiste d'un BHL découle des travaux d'un Ellul sur la propagande sociologique, soit l'action d'intégrer des populations à certaines valeurs ou à un certain projet de société. Pour qui travaille BHL?
En apparence, il ne fait que relayer une mentalité diffuse, mais certaines de ses fréquentations sont des membres illustres de sociétés de propagande.
http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/HALIMI/15294
Je pense à ses amis du cercle néoconservateur de l'Oratoire, à Revel qui luttait contre le communisme et était membre d'un think tank comme la Heritage Foundation. BHL est plus discret ou plus informel que certains de ses amis. S'il est sincère, la constance hallucinante de ses engagements auprès des manœuvres de déstabilisation et de guerre asymétrique partout dans le monde est trop importante pour ne pas ressortir d'une manipulation.
BHL est-il un bobo gogo - ou une horrible crapule? Des journalistes d'investigation ont déjà mis en évidence ses hallucinants mensonges, comme son amitié romanesque avec Massoud, soudain paré de toutes les vertus du héros; ou ses descriptions de siège où il ne met pas même les pieds. Il suffit de visionner sa vidéo hilarante où il s'adresse à la jeunesse iranienne pour défendre les positions les plus atlantistes. Récemment ce socialiste soutien de Royal a montré quel était son engagement idéologique en appelant à saborder le Parti socialiste pour le remplacer sans doute par un social-libéralisme mondialiste et impérialiste. On pourrait gloser sur le sionisme immoral de BHL.
C'est un fait : notre Nouveau Propagandiste est progressiste dans la mesure où il est toujours du côté des plus forts. Amusant paradoxe? J'aimerais revenir sur un commentaire pénétrant de Jeffrey Steinberg, quand l'EIR met en lumière les liens entre les services secrets saoudiens et le 911 sur le sol américain. Steinberg s'en prend à un ancien collaborateur de LaRouche, un certain Webster Tarpley, qui est intervenu en tant que spécialiste (remarquable) des opérations sous fausse bannière. Steinberg reproche justement à Tarpley de participer aux théories de la conspiration au sens où il obscurcirait le problème sans jamais fournir nominalement et précisément de sources.
Tarpley serait conspirationniste parce qu'il incriminerait au final des forces aussi obscures que mystérieuses. C'est une caractéristique du complotisme en tant que démarche délirante de remplacer le sens par l'absence de sens (l'absurdité). Tarpley use de cette stratégie puisqu'après un rappel factuel fin et certaines analyses très justes, il arrête subitement l'investigation au stade des conclusions et il remplace la production de sens par un embrouillamini où l'obscur supplante la lumière.
Il en va de même pour BHL, sauf que la mauvaise foi au sens sartrien (un des modèles déclarés de BHL) y est bien plus effective que chez Tarpley. Tarpley refuse le sens final, finaliste et général parce qu'il préfère ne pas ordonner un tableau du fonctionnement systémique. Tarpley s'arrête au dernier étage pour sauver le système. Avant le dernier étage. BHL s'arrête au premier pour propager le système. BHL refuse tout effort de compréhension au nom de l'effort de compréhension, ce qui est une attitude de perversité intellectuelle et de réel terrorisme (intellectuel toujours s'entend).
Dans le cas de sa romanquête pakistanaise, LOL, c'est d'étagère qu'il s'agit au sens où étage rime avec blocage, montage et ratage. Tarpley est un cas de complotisme savant et instructif au sens où le complotisme est une théorie qui permet d'éviter le sens et la vérité en les remplaçant par l'irrationnel. BHL mérite le tampon du propagandiste au sens où le propagandiste révèle un statut supérieur ou un degré supplémentaire dans la destruction du sens.
BHL est un propagandiste au sens où après lecture de ses torves interventions, enquêtes et contributions diverses, présentées comme hautement intellectuelles et valeureuses, le sens est surtout inexplicable. Le propagandiste se reconnaît à la conjonction de l'inexplicable et de la répétition. Comment expliquer que le propagandiste produise de l'inexplicable?
L'exercice de la propagande consiste à répéter servilement un message assez vague. C'est ainsi que BHL répète le message atlantiste alors que ce message évoque surtout une certaine mentalité diffuse. Quand on répète un message, on est un répétiteur. BHL appartient à cette clique des répétiteurs de l'excellence, et c'est en quoi le prestige est l'arme indispensable de la propagande : on recrute des noms ronflants et prestigieux pour répéter servilement un message en produisant des argumentaires aussi faux qu'alambiqués. En France, Revel ou BHL ont servi ce travers. Ce sont deux Normaliens, deux agrégés de philosophie, et ils sont des symptômes de propagandistes bien plus que des erreurs ou des incongruités.
On pourrait à bon droit dresser la carte du propagandiste qui recouperait les dérives de l'excellence académique et universitaire. On se sert des diplômes officiels pour stipendier des rhéteurs qui se présentent comme intellectuels nimbés de leurs prestigieux diplômes. Tromperie universelle, qui ne fonctionne qu'un temps, puisque BHL est d'ores et déjà discrédité intellectuellement et que sa seule caution tient en fait à ses réseaux et ses relations d'argent.
Le propagandiste produit un sens affaibli, puisqu'il se meut dans la pure répétition et qu'il a abandonné dès le départ toute velléité de créativité et d'indépendance. Le travail d'investigation suppose que l'on produise la vérité des faits, souvent contre certaines versions officielles. Verser dans la propagande implique non qu'on répète un message auquel on croit, qui serait un message de vérité, mais qu'on répète un message indépendamment de sa véracité.
Le propagandiste manipule en ce qu'il détruit le sens et que son action est d'autant plus efficiente que le message qu'il défend est fragilisé ou en proie aux attaques. Dans le cas de la romanquête de BHL, l'incompréhensible ou l'inexplicable viennent directement de cette dégénérescence du sens qui culmine dans le cadre de l'enquête concernant le Pakistan. Fort mauvaise quête au demeurant : BHL se réclame des illustres modèles policiers alors qu'un détective qui apporterait des conclusions inexplicables ou inexploitables serait congédié sur le champ. C'est pourtant le résultat accablant auquel parvient BHL, qui le reconnaît lui-même en fin d'exercice.
Soit BHL est un sot, ce qu'il est sans doute partiellement, soit, explication plus plausible, il répète servilement un sens dégénéré, stéréotypé, mécanique et appauvri. BHL survient au moment où l'atlantisme s'effondre. On ne fait de la propagande dans la servilité qu'au sens où la servilité va de pair avec l'inexplicable. L'inexplicable tend vers l'irrationnel. Le 911 marque cet effondrement du sens qui signifie l'effondrement d'un système qui se voudrait totalisant et qui n'est que clos. Quand un Revel dans les années soixante-dix se lance dans la propagande atlantiste, il s'appuie sur un système qui est encore fort et qui présente de la vraisemblance. BHL est démasqué plus facilement parce qu'il défend un système sur le point de s'effondrer.
En confrontant l'action de BHL avec le témoignage d'Edmonds, on mesure ce qu'est un propagandiste : un apologète de l'inexplicable, un thuriféraire de l'insensé. Un irrationaliste. Quand on écoute une Edmonds, le sens ne s'éclaire pas seulement. Il irradie parce qu'il est simple, lumineux, évident et solide. Quasi réchauffant. C'est le résultat identique que produit la déclassification de documents factuels et irréfutables du FBI, produits par l'EIR. La vérité est simple, pas masquée. Quiconque révèle la vérité suit le chemin de la simplicité et du sens. Quiconque porte la propagande agit au nom de l'inexplicable et de l'obscurantisme. L'obscur s'agite quand il agit. BHL s'agite quand il agit. Agit'prop. BHL s'est trompé. Le mieux pour lui est de se taire. C'est pourquoi il parle tant.

http://www.reopen911.info/News/2009/08/13/une-bombe-ben-laden-a-travaille-pour-les-etats-unis-jusquau-11-septembre/

"Bombe médiatique : Ben Laden a travaillé pour les États-Unis jusqu’au 11 Septembre.

Invitée par l’animateur de l’émission radio Mike Malloy radio show, l’ancienne traductrice pour le FBI, Sibel Edmonds, a lancé une véritable bombe médiatique (audio, transcription partielle).


Sibel Edmonds

Lors de son interview, Sibel raconte comment les États-Unis ont entretenu des « relations intimes » avec ben Laden et les talibans, « tout du long, jusqu’à ce jour du 11 septembre. » Dans « ces relations intimes », Ben Laden était utilisé pour des "opérations" en Asie Centrale, dont le Xinjiang en Chine. Ces "opérations" impliquaient l’utilisation d’al-Qaida et des talibans tout comme « on l’avait fait durant le conflit afghano-soviétique », c’est à dire combattre "les ennemis" par le biais d’intermédiaires.

Comme l’avait précédemment décrit Sibel, et comme elle l’a confirmé dans son dernier interview, ce procédé impliquait l’utilisation de la Turquie (avec l’assistance d’acteurs provenant du Pakistan, de l’Afghanistan et de l’Arabie Saoudite) en tant qu’intermédiaire, qui à son tour utilisait ben Laden, les talibans et d’autres encore, comme armée terroriste par procuration.

Le contrôle de l’Asie Centrale

Parmi les objectifs des "hommes d’État" américains qui dirigeaient ces activités, il y avait le contrôle des immenses fournitures d’énergie et de nouveaux marchés pour les produits militaires. Pourtant, les Américains avaient un problème. Ils ne devaient pas laisser leur empreinte afin d’éviter une révolte populaire en Asie centrale (Ouzbékistan, Azerbaïdjian, Kazakhstan et Turkménistan), et aussi de sérieuses répercussions du côté de la Chine et de la Russie. Ils trouvèrent une ingénieuse solution : utiliser leur État fantoche, la Turquie, comme mandataire et en appeler à la fois aux sensibilités panturques et panislamiques.

Dans la région, la Turquie, alliée de l’OTAN, a beaucoup plus de crédibilité que les États-Unis ; avec l’histoire de l’Empire ottoman, elle pourrait appeler au rêve d’une plus large sphère d’influence panturque. La majorité de la population d’Asie Centrale partage le même héritage, la même langue, la même religion que les Turcs.

À leur tour, les Turcs ont utilisé les talibans et al-Qaida, en appelant à leur rêve d’un califat panislamique (sans doute. Ou bien les Turcs/Américains ont très bien payé).

Selon Sibel : « Ceci a commencé il y a plus de dix ans, dans le cadre d’une longue opération illégale et à couvert, menée en Asie centrale par un petit groupe aux États-Unis. Ce groupe avait l’intention de promouvoir l’industrie pétrolière et le Complexe Militaro-Industriel en utilisant les employés turcs, les partenaires saoudiens et les alliés pakistanais, cet objectif étant poursuivi au nom de l’Islam. »

Les Ouïghours

On a récemment demandé à Sibel d’écrire sur la récente situation de Ouïghours au Xinjiang, mais elle a refusé, disant simplement : « Notre empreinte y est partout. »

Bien sûr, Sibel n’est pas la première ou la seule personne à reconnaitre tout cela. Eric Margolis, l’un des meilleurs reporters occidentaux concernant l’Asie Centrale, a affirmé que les Ouïghours, dans les camps d’entrainement en Afghanistan depuis 2001, « ont été entrainés par ben Laden pour aller combattre les communistes chinois au Xinjiang. La CIA en avait non seulement connaissance, mais apportait son soutien, car elle pensait les utiliser si la guerre éclatait avec la Chine. »

Margolis a également ajouté que : « L’Afghanistan n’était pas un creuset du terrorisme, il y avait des groupes commando, des groupes de guérilla, entrainés à des buts spécifiques en Asie Centrale. »

Dans une autre interview, Margolis dit: « Ceci illustre le bon mot (en français dans le texte, NDT) de Henry Kissinger affirmant qu’il est plus dangereux d’être un allié de l’Amérique, que son ennemi, car ces musulmans chinois du Xinjiang (la province la plus à l’ouest) étaient payés par la CIA et armée par les États-Unis. La CIA allait les utiliser en cas de guerre contre la Chine, ou pour provoquer le chaos là-bas ; ils étaient entrainés et soutenus hors d’Afghanistan, certains avec la collaboration d’Oussama ben Laden. Les Americains étaient très impliqués dans toutes ces opérations. »

La galerie de voyous

L’an dernier, Sibel a eu la brillante idée de révéler des activités criminelles dont elle n’a pas le droit de parler : elle a publié dix-huit photographies – intitulées la "Galerie ‘Privilège Secrets d’État’ de Sibel Edmonds" – de personnes impliquées dans les opérations qu’elle avait tenté de révéler. L’une de ces personnes est Anwar Yusuf Turani, le prétendu "Président en Exil" du Turkistan Est (Xinjiang). Ce prétendu gouvernement en exil a été établi à Capitol Hill (le siège du Congrès US, NdT) en septembre 2004, provoquant des reproches acerbes de la part de la Chine.

"L’ancienne" taupe, Graham Fuller, qui avait joué un rôle dans l’établissement du "gouvernement en exil" de Turani du Turkestan Est, figure également parmi la galerie de voyous de Sibel. Fuller a beaucoup écrit sur le Xinjiang et son "Projet pour le Xinjiang" remis à la Rand Corporation était apparemment le plan pour le "gouvernement en exil" de Turani. Sibel a ouvertement affiché son mépris à l’égard de M. Fuller.

Susurluk

La Turquie a une longue histoire d’affaires d’État mêlant terrorisme, au trafic de drogue et autres activités criminelles, dont la plus parlante est l’incident de Susurluk en 1996 qui a exposé ce qu’on nommait le "Deep State" (l’État Profond : l’élite militarobureaucratique, NDT)

Sibel affirme que « quelques acteurs essentiels ont également fini à Chicago où ils ont centralisé "certains" aspects de leurs opérations (surtout les Ouighurs du Turkestan Est). »

L’un des principaux acteurs du "Deep State", Mehmet Eymur, ancien chef du contre-terrorisme pour les services secrets de la Turquie, le MIT, figure dans la collection de photos de Sibel. Eymur fut exilé aux USA. Un autre membre de la galerie de Sibel, Marc Grossman était l’ambassadeur de la Turquie au moment où l’incident de Susurluk révélait l’existence de "Deep State". Il fut rappelé peu après, avant la fin de son affectation tout comme son subordonné, le commandant Douglas Dickerson qui tenta plus tard de recruter Sibel dans le monde de l’espionnage.

Le modus operandi du gang de Suruluk est identique à celui des activités décrites par Sibel en Asie Centrale, la seule différence étant que cette activité eut lieu en Turquie il y a dix ans. De leur côté, les organes d’État aux États-Unis, dont la corporation des médias, avaient dissimulé cette histoire avec brio.

La Tchétchénie, l’Albanie et le Kosovo

L’Asie centrale n’est pas le seul endroit où les acteurs de la politique étrangère américaine et ben Laden ont partagé des intérêts similaires. Prenons la guerre en Tchétchénie. Comme je l’ai écrit ici, Richard Perle et Stephan Solarz (tous deux dans la galerie de Sibel) ont rejoint d’autres néo-conservateurs phares tels que : Elliott Abrams, Kenneth Adelman, Frank Gaffney, Michael Ledeen, James Woolsey, et Morton Abramowitz dans un groupe nommé Le Comité Américain pour la Paix en Tchétchénie (ACPC). Pour sa part, ben Laden a donné 25 millions de dollars pour la cause, fourni des combattants en nombre, apporté des compétences techniques, et établi de camps d’entraînement.

Les intérêts des États-Unis convergeaient aussi avec ceux d’al-Qaida au Kosovo et en Albanie. Bien sûr, il n’est pas rare que surviennent des circonstances où "l’ennemi de mon ennemi est mon ami." D’un autre côté, dans une démocratie transparente, on attend un compte-rendu complet des circonstances menant à un événement aussi tragique que le 11/9. C’était exactement ce que la Commission du 11/9 était censée produire.

Secrets d’État

Sibel a été surnommée "la femme la plus bâillonnée d’Amérique", s’étant vue imposer par deux fois l’obligation au secret d’État. Son témoignage de 3 heures et demie devant la Commission du 11/9 a été totalement supprimé, réduit à une simple note de bas de page qui renvoie les lecteurs à son témoignage classé. (donc non accessible, NdT)

Dans l’interview, elle révèle que l’information, classée top secret dans son cas, indique spécifiquement que les USA se sont servis de ben Laden et des taliban en Asie Centrale, dont le Xinjiang. Sibel confirme que lorsque le gouvernement US la contraint juridiquement au silence, c’est dans le but de « protéger "des relations diplomatiques sensibles", en l’occurrence la Turquie, Israël, le Pakistan, l’Arabie saoudite… » C’est sans doute en partie vrai, mais il est vrai aussi qu’ils se protègent eux-mêmes : aux États-Unis, c’est un crime que d’utiliser la classification (confidentielle, NdT) et le secret pour couvrir des crimes.

Comme le dit Sibel dans l’interview : « Je dispose d’informations concernant des choses sur lesquelles le gouvernement nous a menti… on peut très facilement prouver que ces choses sont des mensonges, sur la base des informations qu’ils ont classées me concernant, car nous avons entretenu de très proches relations avec ces gens ; cela concerne l’Asie Centrale, tout du long, jusqu’au 11 Septembre. »

Résumé

L’information explosive ici est évidemment qu’aux États-Unis, certaines personnes se sont servies de ben Laden jusqu’au 11 septembre 2001.

Il est important de comprendre pourquoi : depuis de nombreuses années, les États-Unis ont sous-traité leurs opérations terroristes à al-Qaïda et aux talibans, encourageant l’islamisation de l’Asie centrale en vue de tirer profit des ventes d’armes tout comme des concessions pétrolières et gazières.

Le silence du gouvernement US sur ces affaires est aussi assourdissant que les conséquences (les attentats du 11/9, NDT) furent stupéfiantes.

Posté par Lukey le 31/07/09 sur son blog
Traduit par apetimedia pour ReOpenNews"

jeudi 13 août 2009

Le voleur des valeurs

«Où est allé Dieu ? s'écria-t-il, je vais vous le dire. Nous l'avons tué... vous et moi ! C'est nous, nous tous qui sommes ses assassins ! Mais comment avons nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné une éponge pour effacer tout l'horizon ? Qu'avons-nous fait quand nous avons détaché la chaîne qui liait cette terre au soleil ? Où va-t-elle maintenant ? Où allons-nous nous-mêmes ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de tous côtés ? Est-il encore un en-haut, un en-bas ? N'allons-nous pas errant comme par un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre face ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne vient-il pas des nuits, de plus en plus de nuits ? Ne faut-il pas allumer des lanternes ? Ne faut-il pas dès le matin allumer des lanternes ? N'entendons-nous rien du bruit que font les fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous encore rien de la décomposition divine ?... les dieux aussi se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous meurtriers entre les meurtriers ! Ce que le monde a possédé de plus sacré et de plus puissant à ce jour a saigné sous notre couteau;... qui nous nettoiera de ce sang ? Quelle eau pourrait nous en laver ? Quelles expiations, quel jeu sacré serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte est trop grande pour nous. Ne faut-il pas devenir dieux nous-mêmes pour, simplement, avoir l'air dignes d'elle ? Il n'y eut jamais action plus grandiose et, quels qu'ils soient, ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause d'elle, à une histoire plus haute que, jusqu'ici, ne fut jamais aucune histoire !»
Friedrich NIETZSCHE, L'Insensé (Le Gai Savoir, §125).

Le créateur des valeurs. Rien que ce titre devrait suffire à instiller le soupçon : dans la mentalité classique, c'est le dieu, Dieu ou les dieux, le dépositaire de la création. L'homme est créature, supérieure peut-être, mais créature. Dieu est le Créateur. On met une majuscule par piété et reconnaissance. Il nous a créés. Nous avons été créés.
Nietzsche appelle explicitement à retourner toutes les valeurs : dans son schéma limpide, c'est désormais l'homme qui crée les valeurs. Dieu est mort. Précision : la vérité selon Nietzsche, c'est que Dieu a été assassiné par un groupe d'hommes. Dieu assassiné par l'homme, c'est un acte d'une grande violence, qui pose un vrai problème : si Dieu est Dieu, il ne peut mourir. On ne peut que le dénier - pas l'assassiner. L'annonce grandiloquente de Nietzsche, qui est d'époque, puisque Hegel l'avait déjà anticipée, est par conséquent mensongère et incohérente.
Il est vrai que c'est un fou qui fait cette annonce. On oublie un peu trop souvent que les fous ne sont porteurs de sagesse que dans les légendes. Dans la réalité, dans l'immense majorité des cas, ils délirent. Au fait, comment Nietzsche a-t-il fini? Fou? Délirait-il ou était-il sage? Ceux qui pensent qu'il était sage et que sa folie est le gage de sa sagesse sont les épigones modernes d'un courant bien particulier, qui est le courant du déni et que Nietzsche a porté de sa plume extatique : l'immanentisme. Nietzsche était le prophète de la phase tardive et dégénérée de l'immanentisme.
Ce grand nihiliste a essayé de sauver le nihilisme de sa fin programmatique en prétendant éviter le nihilisme dénoncé par l'adjonction massive de nihilisme. Effectivement, dit comme cela, le schéma peut paraître quelque peu incohérent, c'est malheureusement selon ce mode qu'il faut interpréter l'action nietzschéenne. La folie nietzschéenne. Quand un type vous dit de but en blanc que Dieu a été assassiné et que le Surhomme sera le créateur des valeurs, comment réagit-on?
Déjà, le Surhomme, l'Éternel Retour, la Volonté de puissance, tous ces concepts fumeux, sont les buts de la mutation ontologique de Nietzsche : créer ses propres valeurs, un projet qui paraît très humaniste. Examinons la démarche. Déjà, est-ce possible? Pendant des dizaines de milliers d'années, l'homme a jugé que ce programme répercutait la démesure. En quoi la donne a changé au point que notre bon Nietzsche, mû par des idéaux désintéressés, appelle l'homme à créer ses valeurs?
Si l'on accepte d'affronter l'évidence, on se rend compte que la démarche de Nietzsche est typiquement diabolique. Bien entendu, Nietzsche répondra que le diable n'existe pas et que ce sont des points de vue religieux. Néanmoins, outre que le projet nietzschéen n'a rien de novateur dans l'histoire des idées, mais qu'il répond en tous points à ce que le transcendantalisme a nommé le diabolisme, soit à l'homme prenant la place de Dieu, il convient au surplus de comprendre que le déni du diable ou du mal répond au besoin de mettre en avant la tragédie.
Le Surhomme n'est pas celui qui domine la tragédie, mais celui qui l'accepte. Il est ce héros qui est capable d'accepter la nécessité, la souffrance et la douleur. En atteste la forme de l'Éternel Retour. Jankélévitch, qui examine la tragédie, propose cette définition : "Il y a tragédie chaque fois que l’impossible au nécessaire se joint." Rosset, qui fut l'élève de Jankélévitch, reprend à son compte cette définition dans le programme de l'immanentisme, preuve que Jankélévitch parle ici au nom d'un courant qui excède de loin la tradition stricte à laquelle il se rattache (filiation de Bergson).
Cette définition de la tragédie a le mérite d'énoncer l'essentiel de l'immanentisme : l'impossible. Le nihilisme se reconnaît à l'impossible. Bien entendu, c'est au nom de multiples valeurs positives qu'il édifie cet impossible, comme la lucidité ou la vérité (dans un sens antimétaphysique). Le plus intéressant est le concept de nécessité. La nécessité en régime nihiliste remplace le divin. Le divin a été assassiné, ne l'oublions pas.
Que signifie la nécessité? Non cedens renvoie à ce qui ne cède pas. Le nécessaire donc ne cède pas. On voit mal en quoi la nécessité pourrait vraiment remplacer le divin. La nécessité semble davantage une simplification qui se voudrait une alternative. Le divin est compatible avec l'idée de liberté, quand la nécessité interdit la liberté dans son acceptation classique. Au mieux, elle la subvertit. La nécessité est une forme dégénérée de l'idée de divin. Alors qu'on pourrait estimer que la nécessité rend enfin cohérent le débat entre le possible et le nécessaire, le résultat pratique auquel aboutit le nihilisme est de rendre le réel impossible.
Spinoza, le fondateur de l'immanentisme, avait cru révolutionnaire de lancer que la liberté, c'était l'accroissement de la puissance. Pourtant, loin de clarifier le problème, ou de le résoudre, la nécessité ne fait que l'amplifier. On comprend que le transcendantalisme ait privilégié l'alliance d'une certaine nécessité avec la liberté classique (libre-arbitre). La liberté est fondamentale dans le transcendantalisme. Si l'on prend le monothéisme le plus emblématique, qui est l'Islam, on assiste à une union du destin et de la liberté.
Ce n'est pas que les choses soient écrites d'avance au sens humain. C'est que Dieu dans Son infinie sagesse décide du cours des choses. L'homme n'a qu'à se soumettre devant le cours parfois incompréhensible de la création. Cependant, la conception de la création implique que toute créature conserve une certaine liberté, qui à partir du moment où elle est liberté est totale et infinie - expression de l'absolu. Il est évident que la liberté n'est jamais totale et que l'homme en tant que partie est contraint de reconnaître ses limites. Mais l'idée que d'une manière ou d'une autre l'homme possède une certaine liberté, qui ne soit jamais sous la coupe de la nécessité, est un dogme qui n'est pas compatible avec aucune approche nihiliste.
L'absence de liberté signe la fin du transcendantalisme, soit l'idée que le néant n'existant pas, il faut bien que les créatures possèdent quelque liberté d'entreprendre et de créer. L'acte de création est ainsi laissé en partie aux créatures, sans être entièrement assumé par le Créateur, tandis que la négation de Dieu et son remplacement par la nécessité supprime la liberté et instaure la nécessité de la nécessité.
Dans le système qui reconnaît la positivité du néant, la nécessité du réel/sensible est telle qu'il est nécessaire que cette nécessité dépasse de toutes parts les limites de l'objet créé. De ce point de vue, la création, en particulier continue, est un acte aberrant, qui est remplacé par l'irrationalisme. Dans l'acte de création, le rationalisme du créateur ressurgit d'une manière ou d'une autre dans les actes de la créature. Dans la négation de la création, l'impossibilité de remonter à une compréhension fondamentale ou première des choses aboutit à éviter la question du problème de la différence et à verser dans l'irrationalisme.
Si l'on prend de cas d'un philosophe comme Aristote, qui est un oligarque sans rompre tout à fait avec le platonisme de son maître, la notion de Premier Moteur permet de couper la poire en deux, soit de proposer un compromis qui ne résout rien et compromet tout le monde. Aristote est une tentative prudente (phronésis) de réconciliation entre le sophisme purement nihiliste et le platonisme - réaction au nihilisme sophiste sans rompre vraiment avec le nihilisme. Aristote prouve dans cette filiation que le platonisme est lui-même corrompu par le nihilisme.
Aristote est la preuve que l'engagement philosophique dès son origine est contaminé par le nihilisme et que l'effort de Platon pour sortir du nihilisme n'est pas définitif. Le fait que la pensée soit désormais coupée du divin par l'action exclusive de la raison humaine condamne l'homme au nihilisme. Si l'on poursuit sur la route crescendo du nihilisme, l'on aboutit au saint père de l'immanentisme, le marrane Spinoza, qui professe un irrationalisme débridé déguisés en atours putrides du monisme baptisé spinozisme.
Par maints aspects la formation de Spinoza se fonda sur l'enseignement de Descartes. Comme les vrais élèves, non les moutons académiques, mais les créatifs qui tuent le père pour mieux l'adorer, il commença par s'opposer à la doctrine cartésienne. Si l'on examine le cartésianisme, on trouve que Descartes se présente comme l'Aristote postscoliaste : sans être ouvertement nihiliste, il pose un compromis qui annonce l'immanentisme tout en demeurant dans les limites de la saine critique religieuse (en l'occurrence du catholicisme).
Dans le cas de Descartes, c'est le mécanisme qui annonce le nihilisme partiel et ambigu. Pour demeurer un métaphysicien compatible avec les dogmes chrétiens, soit avec le transcendantalisme, Descartes postule son deux ex machina, auquel il croyait dur comme fer. Le point intéressant chez Descartes, c'est qu'il refuse d'affronter la vraie difficulté de son système, qui est : si l'univers est mécanique, comment rendre cette belle mécanique compatible avec un Créateur?
Par ailleurs, la vraie question ne se situe pas à l'intérieur de cet univers, mais à l'extérieur, ce qu'indique l'expression deux ex machina, qui ne rétablit le Dieu qu'à l'extérieur de la machine/univers. Malgré l'ambigüité ontologique de Descartes, qui ne poursuit pas l'œuvre de Platon, mais les travaux d'Aristote, Spinoza présente une ontologie qui est un radicalisme d'obédience cartésienne. Alors que Descartes oscillait entre nihilisme et transcendantalisme, Spinoza rompt avec le deux ex machina et impose un univers conçu à l'image de son Éthique, soit more geometrico. Spinoza est un extrémiste qui ne rompt avec le système qui le précède que pour mieux l'accroître.
L'immanentisme est une radicalisation de la métaphysique d'inspiration aristotélicienne, soit de la tendance ambigüe de l'ontologie.
Tendance ambigüe : désigne la coexistence de l'univers fini avec l'infini, qui est extériorisé et qui de ce fait devient une entité aussi indécidable que mystérieuse. C'est en ce sens qu'on peut parler d'un irrationalisme de l'aristotélisme, du cartésianisme et de toutes les pensées métaphysiques ambigües, au premier rang desquelles le kantisme.
Tendance radicalisée immanentiste
: le réel est décrété intégralement fini, c'est-à-dire qu'il est considéré comme explicable au moyen de l'enchaînement des causes. Spinoza d'ailleurs a conçu son maître-ouvrage sur le mode explicite du géométrique. Pour Spinoza, la géométrie est conçue non comme le domaine de la dynamique et de la découverte, mais comme celui de la nécessité et de l'irréfutable.
C'est dire que Spinoza place les vérités géométriques de type mathématique/immuable au point de départ du réel, sans expliquer ce que signifie l'existence de lois irréfutables et éternelles dans l'univers. D'où viennent-elles? Qui les a créées? Autant de questions auxquelles Spinoza se garde bien de répondre. Le point culminant de son ontologie dévoyée réside dans le subterfuge extrémiste de la substance, qui est considérée comme incréée. Wait a minute, comme dirait l'anglophobe : quel sens recouvre l'incréé?
Dans le transcendantalisme, l'incréé qui désigne le divin est une catégorie claire : c'est le Créateur, d'où découle la Création. Mais dans un univers de nécessité, où la liberté est exprimée par la puissance, l'Incréé est une catégorie absurde ou irrationnelle. On comprend la parenté contigüe de Schopenhauer avec Spinoza. La différence est que Schopenhauer ne s'embarrasse pas d'explications sur le caractère absurde de l'univers; quand Spinoza prétend expliquer par sa géométrie, qui est une conception antigéométrique de la géométrie, une conception antidynamique et statique du réel.
L'immuable est rarement le signe du réel. Si l'on y regarde de près, l'irrationalisme ne désigne pas une démarche qui s'oppose à une démarche rationnelle, mais le finalisme de cette démarche. Est irrationnel non ce qui est dénué de rationalité, mais ce qui omet de poser le problème du fondement. Le rationnel est la démarche qui explique la chaîne des raisons par sa subordination au divin, geste qui implique que le fini soit toujours déjà pénétré d'absolu. Au contraire, l'irrationnel est moins l'illogique au sens d'enchaînement contradictoire entre deux faits que la reconnaissance de l'absurde.
L'irrationnel est le refus d'expliquer le fini par une continuation logique et rationnelle vers l'absolu. L'absolu est arationnel au sens où il prépare la rationalité de type finie. L'irrationnel s'oppose à l'arationnel en ce qu'il fait du rationnel et du fini des manifestations inexplicables et mystérieuses. Le rationnel est transcendantaliste en ce que le transcendantalisme explique le réel et le rende cohérent. L'irrationnel penche du côté du chaos.
Le nihilisme est l'expression archétypale de l'irrationnel. Il est tout à fait éclatant qu'un Spinoza, maître de l'immanentisme, se réclame au nom de la géométrie la plus rationaliste et rigoureuse de l'immanentisme. De même, les positivistes et autres scientistes sont bel et bien des irrationalistes dans leur culte étriqué et fanatique de la science dite rationnelle. C'est que tous ces irrationalistes ont exclu de leur rationalisme surchauffé le lien avec la part de réel qui excède le fini.
L'exigence d'hyperrationnel va de pair avec l'irrationalisme. L'accusation d'irrationalisme que les nihilistes opposent aux transcendantalistes s'explique autant par l'exclusion de l'absolu au nom de l'illusion et par la fierté de cette hyperrationalité qui se déploie sous les atours de la rationalité la plus rigoureuse. En ce sens, la nécessité de type nihiliste est le crédo le plus irrationaliste qui soit. Rien de moins lucide que le translucide immanentiste, qui à l'instar d'un Rosset se targue de sa lucidité pour fourbir les armes de l'illusion la plus destructrice.
Il est vrai que le dogme nihiliste repose sur l'erreur de la reconnaissance du néant et que l'erreur est l'expression privilégiée de l'irrationalisme. La nécessité semble au premier abord rendre impeccable le cours des choses avant qu'un examen un peu approfondi montre à quel point le concept de liberté au sens classique rend mieux compte de la complexité du réel, en particulier de sa logique et de sa cohérence. La liberté est mille fois plus cohérente que la nécessité. Pas de nécessité sans reconnaissance du néant. La seule évocation de la nécessité est à relier au néant.
La nécessité en tant que principe directeur et substitut de la liberté est le principe le plus rationaliste qui soit. Effectivement, c'est le principe qui ne cède pas. Il ne cède pas à quoi? Au dogme nihiliste qui instaure et institue le dualisme véritable sensible/néant. La nécessité est l'alliance avec le possible. Cette meilleure définition de la tragédie rend possible la complexité, mais empêche radicalement le simplisme d'obédience nihiliste. De ce point de vue, le nihilisme est un simplisme et l'alternative fallacieuse de la liberté est un simplisme qui ne tient pas compte du réel.
On ne peut postuler la nécessité comme le fait le fat Spinoza, et comme le fera plus tard Nietzsche, puis pour finir le terme Rosset, qu'en accréditant des thèses qui ne sont lumineuses que si l'on oublie de leur adjoindre la cohérence. Incohérence du néant = inconsistance de la nécessité. L'idée d'un néant positif est incompatible avec l'existence. L'idée connexe et adjointe de la nécessité, soit que rien ne cède face au destin, est littéralement impossible, ainsi que l'entrevoit Jankélévitch, philosophe bavard et mineur.
A chaque fois il s'agit d'occulter ce qui est au-delà du sensible, qu'on le situe avant ou à côté. On postule le néant pour occulter le problème fondateur de l'ontologie. On postule la nécessité pour occulter précisément la conséquence du néant positif - ce qui soit dit en passant fait de la nécessité un sous-problème relié au nihilisme originel. La nécessité déterministe n'est possible qu'avec le préalable du néant positif.
Nietzsche ne discute plus du problème et se contente de s'émerveiller de son ancêtre Spinoza, quand il ne lui reproche pas des vétilles farfelues. Spinoza ne perd pas son temps en reproches atrabilaires et réjouissants : c'est un saint. Il identifie la nécessité à la puissance. Accroître sa puissance, telle est la liberté. La liberté est ainsi reconnue quand elle est négation de sa propre définition - ou de son existence.
On s'avise rarement que l'idée de création n'est compatible qu'avec l'existence. Pourtant, sans cette connexion, pas de création possible : la seule création qui vaille implique un créateur qui transcende sa création et qui laisse le soin à ses créatures de poursuivre au moins pour partie l'œuvre de création qu'il a amorcée et qu'il continue bien entendu à instiller. Reste le débat de savoir si le créateur poursuit sa création en plus de ses créatures ou si lesdites créatures poursuivent seules cette création.
J'opte pour le premier choix, même vague et vaste. Outre que le fonctionnement du réel serait particulièrement pervers (littéralement sens dessus dessous), ce qui en soi ne fonde pas un argument digne de ce nom, la création est incompatible avec le postulat du nom et implique dans sa conception l'idée d'existence. Pas de création sans que quelque chose d'unilatéral et d'infini ne soit. Pas de nécessité sans néant en contrepartie.
C'est dans le système nihiliste qu'on ne cède pas. Le système de la création implique au contraire qu'on cède une part de son pouvoir à la créature en créant, sans quoi la créature n'est plus issue de l'acte de création, mais d'un acte ex nihilo. Littéralement : à partir de rien. En fait l'idée que c'est du néant que sort le réel rend l'acte inexplicable, alors que dans la création, c'est d'un créateur que sortent les créatures.
Cette distinction essentielle rappelle que le donné n'est pas créé, soit que l'acte de création est incompatible avec ce qui est constitué une bonne fois pour toutes. Quand on crée, on ne crée jamais tout d'un coup, sans quoi la création s'apparente à un geste inutile : quel besoin de créer continuellement ce qui est donné déjà? Dans la nécessité de Spinoza, qui se confond avec la liberté, le problème est rayé : la puissance s'obtient par la découverte de ce qui est ou de son désir véritable.
Cependant, l'hypocrisie de Spinoza tient à la définition qu'il donne de la réunion de la nécessité et de la liberté. Pour être libre selon Spinoza, il suffit d'exprimer ce qu'on est véritablement, soit d'exprimer son être; de s'intégrer dans la nécessité de sa nature propre. Mais cette expression n'est possible que par la domination. Il est rigoureusement impossible d'accroître sa puissance sans contraindre d'autres désirs. Spinoza répondra-t-il que ces désirs contraints sont après tout des désirs qui suivent d'autres natures que leur nature propre?
Il n'empêche que la libération de ces désirs par l'accroissement de leur puissance implique l'asservissement des désirs environnants. Dans ce système de nécessité définie comme liberté, le désir complet est celui de l'Incréé. Les créatures ne sont que des fragments qui se rapportent à des modes finis et infinis, qui eux-même se rapportent à des attributs infinis, qui se rapportent enfin à la substance.
La liberté est de trouver sa place adéquate, car la nécessité nous assigne à chacun une place. Soit nous estimons que tout ce qui est est complet; soit que l'incomplet est réel. Dans le second cas seulement, nous avons la puissance de changer le réel par nos actions. Dans le premier cas, ce que Spinoza nomme la contrainte est le lot de la majorité des désirs. L'hypocrisie de Spinoza est patente, à moins de considérer que le réel est extensible.
Accroître sa puissance signifierait que l'on accroît le domaine du réel. Or l'on ne peut accroître ce qui est déjà donné. Le problème chez Spinoza tient à cette ambivalence du mode, qui ne peut être fini et infini. Spinoza oublie que dans la définition moniste qu'il produit du réel, la complétude est forcément l'attribut de l'Incréé et que toute créature est incomplète. La complétude n'est que l'expression de la nécessité de toute créature de tendre vers l'infini.
On est seulement libre chez Spinoza de retrouver sa place donnée. Soit on l'accepte, soit on se montre triste ou inadéquat. Le visage monstrueux du spinozisme s'exprime dans cet élitisme forcené et implicite qui refuse de reconnaître que la contrainte est consentie dans son système de nécessité/liberté. Le réel selon Spinoza n'est ainsi que le donné brut présenté en accroissement possible et hyperrationnel de la puissance du désir. Baratin de barré.
Le mensonge de Spinoza consiste à laisser entendre que chaque désir peut tendre vers la complétude et l'indépendance, alors qu'en réalité rien n'est plus faux. La liberté est seul l'apanage de l'Incréé. La puissance selon Spinoza est en fait la domination travestie en joie et en puissance. Mais le point capital consiste à demander si l'accroissement de puissance est possible pour tous les désirs. S'il ne l'est pas, ce serait notablement gênant pour la conception du changement du désir chez Spinoza.
Au vu de la définition de la substance présentée par Spinoza, c'est rigoureusement impossible concernant les désirs. Si l'infini est unité, l'Incréé étant infini est stable. Cette stabilité entraîne de facto la stabilité des attributs et des modes, en particulier quand ces modes sont finis. Resterait à rappeler que l'énigme du morcèlement n'est nullement résolue par Spinoza, qui se contente d'accroître le problème avec ses distinctions qui plus est peu stables. La liberté définie en nécessité et opposée à la contrainte n'est nullement résolue par Spinoza.
L'arnaque spinoziste consiste à éluder ce problème ou à laisser entendre que cet accroissement est possible. Comment associer l'accroissement à la stabilité et à l'Incréé? Seul le changement de domination l'autorise dans un tel système. Nietzsche et surtout Rosset se montreront plus explicites sur ce point. Spinoza étant le départ, il se permet plus d'espoir et d'hypocrisie dans le véritable problème pratique de son éthique. A moins de jouer sur les mots et de signifier en fait que l'accroissement renvoie à l'acceptation, l'examen étymologique simple suffit à désigner qui est qui. C'est la création qui permet d'accroître. La nécessité se relie au nihilisme. Effectivement, le nihilisme ne cède pas sur le point (capital) du dualisme antagoniste (réel/néant). Dualisme impossible et rigoureusement fou.
Le nihilisme est l'ontologie qui promeut au plus près la répétition. Schopenhauer a le mieux exprimé cette conception latente et hypocrite dans son allégorie de la mouche : selon le philosophe misanthrope, c'est toujours la même mouche derrière les individus qui se succèdent. Le nihilisme promeut une stabilité entre le néant et le réel/sensible. Bien entendu, cette stabilité repose sur l'erreur puisque le statu quo perdurerait quelque temps avant de laisser place à l'effondrement.
Effondrement qui toucherait davantage l'homme que le réel, puisque le nihilisme est une représentation humaine et que le premier intéressé est l'homme. Voici une autre affaire. Il est certain que Nietzsche est contraint de se montrer plus explicite et radical que son maître Spinoza sur les mêmes questions. L'immanentisme est déjà au pouvoir et s'effondre, quand Spinoza était l'initiateur et l'espoir de l'immanentisme.
Le vocabulaire tardif de Nietzsche est confus et dangereux, comme la Volonté de puissance. Surtout, les concepts plus clairs, plus précoces, au milieu de l'œuvre si l'on peut dire, comme le créateur des valeurs, ne sont enthousiasmants que si on s'arrête à l'enthousiasme immédiat et superficiel. La création immanentiste est l'inverse d'une création classique.
Au lieu de la dynamique créatrice spécifique à la création, on a en fait affaire à un donné qui ne dira vraiment son nom que dans les œuvres de jeunesse de Rosset. Stabilité et répétition sont les maîtres-mots de cette création qui est en fait de la virtuosité savante. De l'anticréation présentée sous le terme de création. Nous avons un aperçu actuel de ce que peuvent être des perroquets savants avec nos chers experts et autres brillants académistes qui pensent d'autant plus mal qu'ils sont emplis d'une masse impressionnante de savoirs gelés voire congelés.
Ouvrons le frigo des idées nihilistes périmées et décomposées. A l'intérieur, on n'aperçoit pas seulement un contresens de la pire espèce, soit digne de la mauvaise foi : les valeurs ne veulent tout simplement rien dire. La valeur renvoie explicitement au fort. Le créateur des valeurs est ainsi moins celui qui crée des idées ou des sens pertinents que celui qui impose sa force. Le créateur des valeurs renvoie au droit du plus fort. Ce créateur n'en est pas un. Même si cette force-là n'est pas physique, même si Nietzsche la déguise en atours esthétiques ou en attraits symboliques assez vastes/vagues, il n'empêche qu'elle est dans l'immédiat fort dangereuse.
On ne peut que comprendre pourquoi les nazis récupèrent grossièrement l'œuvre de Nietzsche. Non que Nietzsche fût nazi, mais qu'il était un parent évident de cette manière de penser qui donne le privilège à la domination : domination qui chez Nietzsche n'est pas racialiste, mais qui repose sur la distinction ontologique - entre les nihilistes et les classiques. Ceux qui auront accès à l'immanentisme pourront muter en Surhommes. Yo. C'est cette mutation que Nietzsche a en vue derrière son expression séductrice et masquée de créateur des valeurs. Faux créateur de fausses valeurs.
Au lieu de la morale classique, que Nietzsche abomine, au lieu des distinctions de Platon, Nietzsche propose de rétablir le droit du plus fort cher à Calliclès et Associés. Il y ajoute le masque de l'esthétique ou de l'art et hop! Roule ma poule! Emballez c'est pesé! L'arnaque n'est pas seulement le résultat inégalitaire et destructeur. L'erreur propre à toute la chaîne nihiliste se retrouve spécifiquement dans ce terme de créateur des valeurs, qui ne crée rien et qui ne fait que répéter le droit du plus fort à user de sa supériorité. La force : au lieu d'une force bestiale, voire sociale, Nietzsche essaye de définir cette force par une légitimité incontestable.
Il n'y arrivera jamais et se contentera de botter en touche, en invoquant les mânes postromantiques et posttragiques de l'artiste, de la musique, de la danse et d'autres fumisteries joyeusement associées à la clique des billevesées perverties. L'impéritie et l'incohérence de Nietzsche sont pourtant faciles à mettre en évidence. Si le contemporain n'y arrive pas, en particulier la clique des commentateurs zélés et systémiques, c'est tout simplement parce que l'immanentisme terminal éprouve les pires peines à critiquer son ancêtre l'immanentisme tardif et dégénéré. Après tout, Nietzsche parvenait encore à écrire et penser, même mal, alors qu'aujourd'hui c'est le constat de l'impuissance créatrice et de la morosité répétitive. Constat qui précède les périodes de stérilité et d'aridité. Pétition du principe de répétition.

dimanche 9 août 2009

I Dionysos

Je lis une interview d'Alain de Benoist sur Nieztsche.
http://blog.ifrance.com/nietzscheacademie/post/696403-alain-de-benoist
Il est drôle, Alain de Benoist. Ce penseur qui vient de l'extrême-droite (et qui se présente maintenant comme un sincère opposant au totalitarisme ou au racisme, un penseur au-dessus des lignes politiques actuelles) fait un usage de Nietzsche assez problématique et radical : il déclare lui préférer Heidegger. Grand bien lui fasse. Outre l'intérêt nourri que Heidegger porta à Nieztsche, tant Heidegger que Nieztsche sont des penseurs qui, à tort ou à raison, ont eu des liens (volontaires ou non) avec l'extrême-droite (fascisme et nazisme). Serait-ce la raison de leur fascination auprès de l'omnipenseur Benoist?
Sans doute pour prouver son sérieux spécifique de commentateur, peut-être pour se dédouaner d'accusations d'extrémisme politique justement, notre homme à tout penser établit la distinction entre le Surhomme nietzschéen et les contresens que ce terme a pu produire dans les idéologies politiques de type extrémiste et violente - le plus dramatique étant la déformation nazi du terme. Juste une question en passant : si Nietzsche n'a rien à voir avec le fascisme, comment expliquer que tant de sympathisants du fascisme, certains avec le nazisme, se reconnaissant dans son oeuvre?
Cette question ne signifie en rien que Nietzsche soit nazi ou fasciste, pas plus que Benoist soit dit en passant, mais simplement que le Surhomme contienne quelques ferments politiques extrémistes palpables. En distinguant le Surhomme nietzschéen des usages politico-oniriques qui en découlent, Benoist apporte la précision suivante, capitale à ses yeux : le Surhomme n'est ni le dépassement politique de l'homme, ni un Superman. Benoist dixit : le Surhomme authentique est celui qui surmonte l'homme, non celui qui le dépasse. Pour le reste, pas plus que le Surhomme, nous ne saurons ce qu'est l'Eternel Retour, bien que le concept soit pour Benoist la clé de la pensée nietzschéenne.
Cette manière de se moquer du monde en produisant des définition absconses et des distinctions peu évidentes n'est pas une caractéristique de Benoist. A vrai dire, c'est l'ensemble des commentateurs contemporains qui ont versé dans ce travers, dès qu'il s'agit pour eux de légitimer les concepts de leur auteur favori. Le Surhomme permettrait-il de légitimer la domination en la fondant non pas sur une norme politique fausse, mais sur une valeur indéfinissable?
Dès que ça dérange, c'est ailleurs. Dès que ça irrite, c'est indéfinissable. Avec cette méthode de la fuite en avant ou du déni, il est impossible de critiquer qui que ce soit, puisque pour critiquer il faudrait être en mesure de critiquer l'incompréhensible et l'absence de sens clair. C'est au nom du reél que l'on légitime l'ailleurs, puisque c'est au nom du réalisme antimétaphysique que l'on justifie le reél et la bonne manière de voir (bonne au sens surmoral n'est-ce pas). Mais toutes ces notions sont indéfinissables et indéfinies. Nietzsche ne les a jamais définies. Ses commentateurs ultérieures ne les ont jamais définies! Faut-il dès lors s'étonner de faux sens et de contresens, notamment politiques, quand on s'avise que l'indéfinissable donne lieu à tous les sens et à toutes les récupérations?
Si l'on se concentre sur la distinction que produit Benoist entre dépasser et surmonter, on constate une fâcheuse évidence : la différence de sens ne saute pas aux yeux. Et comme Benoist ne la définit pas... D'après le TLF, le sens premier consiste à "enlever une chose de l'endroit où elle était passée". Le sens usuel revient à "aller au-delà de quelque chose ou de quelqu'un, le surpasser; prendre le pas, l'emporter sur quelque chose ou quelqu'un". Au sens philosophique, il s'agit de "surmonter une difficulté, une contradiction en se plaçant à un niveau où les oppositions s'effacent"; ce que résume assez bien une conception ancienne : "Aller au-delà d'un point fixe dans le temps".
Dépasser contient l'idée de transgression, mais c'est sans doute plutôt le fait que le dépassement est associé à la démarche dialectique hégélienne qui effraye Benoist. Il distingue ce dépassement fallacieux de l'action de surmonter. Voyons les distinctions. Le premier sens de surmonter signifie : "Franchir un obstacle matériel en l'escaladant, en passant par dessus". Puis, il est question de "vaincre une réaction impulsive, un sentiment qui met en cause la maîtrise de soi ." Enfin, selon un sens du douzième siècle, surmonter indique qu'on se se place au-dessus de.
Ce n'est pas tout. Le TLF indique explicitement comme synonyme premier le verbe... dominer! C'est dire que la distinction qu'opère Benoist est des plus ténues, pour ne pas dire inexistante. Cette distinction sémantique contestable n'est pas anodine. Les mots ont un sens. Elle recoupe et illustre la distinction illusoire et peu effective dans la pensée de Nieztsche.
Si les commentateurs, dont Benoist est un symbole exacerbé du fait de son parcours intellectuel (qui excède de loin le commentaire philosophique ou politologique), ne parviennent pas à distinguer dans l'ontologie de Nietzsche entre une option et une autre, osons une question : ne serait-ce pas, tout simplement, parce que la distinction n'existe pas? Le raisonnement est imparable : soit on peut définir, soit on ne peut pas. Si l'on ne peut définir, si c'est indéfinissable, c'est que ça ne se définit pas! La précision à apporter et que la rhétorique connaît bien, sous le terme pro-platonicien de sophisme, c'est cette capacité à définir l'indéfinissable sous le générique de l'ailleurs. La diversion consiste à rendre compliqué ce qui ne peut se définir.
Et pour cause : si le reél n'est pas définissable, s'il n'est pas défini, sans bonne foi, avec mauvaise, l'on peut toujours s'en sortir grâce à un tour de passe-passe ténébreux : l'ailleurs est la catégorie enchanteresse qui valide le faux puisque pour distinguer le vrai du faux, il faudrait définir le reél. Tant que l'on n'aura pas défini le reél, l'argutie de l'ailleurs fonctionnera comme un mécanisme qui est typiquement nihiliste et que l'on retrouve présent chez ceux des sophistes qui prétendaient définir tout et son contraire.
Cette prétention s'appuie sur l'idée que la vérité n'existe pas, soit que les valeurs n'existent pas. Le mot de Protagoras (l'homme mesure de toute chose) explique cette pensée, qui est comme par enchantement la pensée de référence du philologue helléniste Nietzsche. Maintenant que l'on a caractérisé l'ontologie de Nietzsche en nihilisme (spécifiquement de forme moderne immanentiste), on peut rappeler la correspondance entre le nihilisme et l'oligarchie en régime politique. Les formes d'oligarchie varient et il est certain que l'oligarque Nieztsche, qui appelait explicitement à l'élection d'une aristocratie de Surhommes créateurs de leurs propres valeurs, n'était pas un nazi, soit une forme particulièrement exacerbée d'oligarchie.
Nieztsche était cependant un oligarque patent et c'est en quoi les autres oligarques se réclament de lui. Pour le dire précisément, Nietzsche était avant tout un nihiliste, soit un penseur qui se plaçait sur le terrain de l'ontologie. C'est de ce côté que gît sa violence farouche et tout effort de transposition n'est pas aisé. Il est certain qu'on ne peut transposer un travail ontologique en une forme de militantisme politique. Il est encore plus évident que déduire du nihilisme de Nietzsche son nazisme est une grossière déformation.
Par contre, à la lumière de ces correspondances et filiations, il coule de source que le rapport entre la pensée de Nietzsche et le nazisme n'est pas inexistant, ténu ou hasardeux, même s'il est indirect et qu'il implique des médiations incertaines. Il est une figure que Benoist ne cite pas dans son entretien et qui a le mérite de ne pas appartenir à la série des concepts de fin de lucidité de la pensée nietzschéisme. Rosset lui-même, dont Benoist note qu'il est l'héritier le plus conséquent du nieztchéisme contemporain, compliment qui constitue en même temps un terrible désaveu, Rosset l'immanentiste terminal notait que les concepts que Nietzsche a développés avant la folie sont peu clairs et qu'il vaut mieux aborder Nietzsche avec la critique de la morale, l'affirmation de l'affirmation, de la joie et de la musique.
Il est une figure qui parcourt l'oeuvre de Nietzsche, c'est celle de Dionysos. Benoist note que Nietzsche est ce philosophe qui est plus philosophe que les philosophes dans la mesure où il est également autre chose qu'un pur philosophe à la Kant. Rosset note aussi que Nietzsche bénéficie d'un statut particulier chez les philosophes : on lui reproche soit d'avoir mal pensé, soit de n'avoir rien pensé du tout.
Clarifions ces intuitions : Nietzsche était certes doté d'une solide formation philosophique, même s'il ne faut pas exagérer comme Benoist le fait dans la continuité des commentateurs pour qui Nieztsche serait au moins autant un génial historien qu'un génial penseur (et tout à l'encan en matière de génie). Si Nietzsche est perçu comme un penseur qui ne serait pas vraiment philosophe, c'est parce qu'il n'est qu'il n'est pas philosophe - avant tout. Il pense? Réponse : c'est un penseur religieux, une figure de prophète, sauf qu'il annonce des prédictions d'une religion fort particulière, qui est le nihilisme, plus exactement l'immanentisme - forme moderne du nihilisme atavique.
Nieztsche est le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré, dont la particularité en tant que résurgence nihiliste est de se présenter comme la religion du refus de la religion, soit la religion du déni. Rien d'étonnant à ce que Nietzsche affectionne autant le masque : pour être immanentiste conséquent, il faut avancer masqué. Le masque et la plume : Nietzsche est un penseur, mais c'est un penseur religieux. L'ambigüité prolongée tient au fait qu'il se flatte d'avancer masqué : s'il était un théologien ou un prophète d'une religion conventionnelle, de type transcendantaliste, on l'aurait reconnu depuis belle lurette.
Le malentendu vient de ce qu'il condamne sans cesse les religions instituées, en particulier le christianisme. Quand on condamne les religions, on en saurait être religieux! Sauf que notre religieux n'appartient pas au bord reconnu des religions, qui tournent toutes autour du transcendantalisme. C'est un nihiliste. Le nihilisme est une forme au moins aussi vénérable que le transcendantalisme en matière de religiosité, mais comme il est la religion du déni de la religion, on ne le considère pas comme une religion.
Et on ne considère pas Nietzsche comme un penseur prophétique et religieux au motif qu'il aurait composé L'Antéchrist et qu'il serait l'ennemi déclaré et emblématique du christianisme, du monothéisme - et de toute forme de religieux, au fond. Maintenant que l'on a démasqué Nieztsche, geste qu'il aurait peu apprécié, lui le penseur du masque comme d'autres arborent casquettes ou barbes, que l'on se reporte à la figure tutélaire qu'il invoque.
Dionysos. Il s'agit moins d'un concept philosophique que d'une figure religieuse. Pas n'importe quelle divinité. Dieu de mythologie polythéiste, Dionysos a pour particularité d'être un dieu mort, un dieu dépassé, un dieu enterré : un dieu que Nieztsche aurait ressuscité. Derrière l'invocation polythéiste, qui laisse entendre que Nieztsche réclamerait un retour vers d'antiques traditions, Nieztsche subvertit le polythéisme et le passé. Il les pervertit aussi, dirais-je, car il les utilise pour donner corps au nihilisme.
Impossible pour un nihiliste d'en appeler au néant comme divinité. Il est évident qu'il faut trouver des références plus crédibles et plus authentiques. Quoi de mieux que d'en appeler à un dieu mort pour le ressusciter à sa guise, lui faire dire ce qu'on veut et le manipuler? Il est plus facile de faire parler les morts que de s'en prendre aux vivants (vérifiez la constatation avec le cas Oussama)... Nieztsche utilise une énième fois sa stratégie de l'impossible. Impossible en l'occurrence de démentir ce qui est ailleurs et ce qui est passé.
Impossible : au lieu de chercher à prouver, Nietzsche s'en tient à ne pas être réfuté. Il met en place toutes les stratégies pour ne pas avoir tort à défaut d'avoir raison. Dans le fond, Nieztsche poursuit le but d'instaurer une mutation ontologique. Mais pour comprendre ces figures de mutation que sont le Surhomme ou l'Eternel Retour, il convient d'examiner l'identité de Dionysos. Privilégions une figure religieuse présente dans l'ensemble de l'oeuvre à des concepts plus obscurs en fin de lucidité!
Dionysos est le dieu méditerranéen de l'ivresse et la transe mystique. Sa spécificité le rend plus complexe que sa dégénérescence romaine sous les traits de Bacchus. Selon Wikipédia, "dans le panthéon grec, Dionysos est un dieu à part : c'est un dieu errant, un dieu de nulle part et de partout. À la fois vagabond et sédentaire, il représente la figure de l'autre, de ce qui est différent, déroutant, déconcertant, anomique. « Le retour de Dionysos chez lui à Thèbes, s'est heurté à l'incompréhension et a suscité le drame aussi longtemps que la cité est demeurée incapable d'établir le lien entre les gens du pays et l'étranger, entre les autochtones et les voyageurs, entre sa volonté d'être toujours la même, de demeurer identique à soi, de se refuser à changer, et, d'autre part, l'étranger, le différent, l'autre. »" Citation de l'historien Jean-Pierre Vernant.
Il est intéressant que Dionysos soit le dieu de l'impossible et qu'il illustre la mutation ontologique en transcendant les catégories classiques et transcendantalistes du même et de l'autre, reprises notamment par Platon. Dionysos est ainsi le symbole dont Nietzsche a besoin pour illustrer le nihilisme : il est le dieu de l'impossible, ce que confirme les rituels qui lui sont associés autour de la mort et de la renaissance. Dionysos deux fois né. Dionysos est le dieu mutant qui rend possible l'éternité : qui rend possible l'impossible. Selon Wikipédia, "Dionysos, dieu de l'ivresse et de l'extase est celui qui permet à ses fidèles de dépasser la mort. Le vin, comme le soma védique, est censé aider à conquérir l'immortalité".
Nieztsche l'a popularisé dès La Naissance de la tragédie comme le père de la comédie et de la tragédie. Au passage, l'étymologie de tragédie permet de comprendre la tragédie, alors qu'on la rend mystérieuse et incompréhensible. Issue du grec τράγος, le bouc est l'ancêtre de la tragédie. Nietzsche se réfère ainsi au dionysiaque comme à une force chaotique de mutation ontologique. L'apollinien renvoie en complément à la pulsion divine qui permet l'incarnation sensible. Pour résumer, Dionysos serait le chaos - et Apollon le sensible.
Nous retrouvons le véritable dualisme qui plus tard sera présenté comme le monisme réconciliateur de Spinoza, dont est issu l'héritier Nieztsche. En fait, il s'agit d'un dualisme exacerbé et qui montre que l'unité nihiliste repose sur le véritable dualisme néant/sensible, quand le dualisme platonicien reproché par Nietzsche est en fait la reconnaissance du dualisme permettant seule la réconciliation. La dimension complémentaire des deux principes dionysiaque et apollinien se traduit par le symbole de Dionysos dieu chthonien de l'hiver, complémentaire ou opposé à l'Apollon solaire.
L'hiver représente la forme de survie à l'été. La vie sensible est définie par Apollon, quand la mutation est personnifiée par Dionysos. Dionysos est un dieu de la terre et des Enfers, quand Apollon renvoie au principe solaire. Mais l'aspect complémentaire des deux divinités ou des deux forces indique que nous nous situons dans un système où le néant est reconnu sous les traits de l'enfer ou du chaos. Nous tenons là une première préfiguration de Dionysos en tant qu'incarnation du diable ou de la figure de Satan.
Quelles sont les origines de Dionysos? Il est symptomatique que Nietzsche ait choisi un dieu qui n'est pas grec, mais dont l'identité est assez méconnue. Wikipédia nous explique que "les Grecs considéraient Dionysos comme une divinité étrangère, ainsi que l'indique l'attribut du bonnet phrygien, qu'il partage avec Mithra. On a parlé d'une origine indienne et mésopotamienne." Intéressant : Dionysos vient de Mésopotamie. Et quand on sait que la culture de Mésopotamie est pour une large part issue de l'Inde chère à Dumézil... Je reviendrai sur ce fait. Wikipédia ajoute que "le culte égyptien d'Isis est proche de ce celui-ci".
Avant de revenir sur l'identité ou l'origine de Dionysos, qui est un dieu grec dans la mesure où le Panthéon grec a repris le syncrétisme polythéiste de Mésopotamie et d'autres régions de l'Inde (en précisant que les cultures dravidiennes proviennent bien évidemment des cultures africaines largement méconnues), j'aimerais m'attacher à la notion essentielle de mystère. Selon Wikipédia encore, "il semble qu'à l'époque pré-olympienne, son culte soit à rapprocher des cultes agro-lunaires et chthoniens". Vieille tradition méditerranéenne, dont les mémoires ont perdu la trace précise. Wikipédia insiste sur "l'important culte secret, représenté par des Mystères, comportant des cérémonies initiatiques".
C'est une information capitale, développée comme suit : "Le culte privé avait lieu entre initiés, c'est un Culte à Mystères. Le regroupement de ces initiés porte le nom de thiase. Les thiases pratiquaient un culte caché et initiatique, souvent dans des cavernes et la nuit, au cours desquels on initiait les nouveaux membres du thiase, et qui officiaient dans la dimension ésotérique de la résurrection du dieu deux fois-né. On manque de sources pour savoir ce qui s'y passait exactement, mais ces cérémonies secrètes et nocturnes ont perduré jusque sous l'empire romain. Elles comportaient des sacrifices, mais aussi des délires dus à l'ivresse ou à la consommation de drogues végétales, et des excès de toutes sortes, notamment sexuels. Un scandale retentissant a fait interdire ces cultes par un sénatus-consulte en 186 av".
Selon Wikipédia, "J.-C. Eusèbe de Césarée, auteur chrétien, a évoqué des sacrifices au cours desquels on dépeçait la victime vivante (d'où l'épiclèse d'Omadios : qui aime la chair crue) pour la consommer". La cruauté du secret s'explique par ce que l'initiation suppose : le dévoilement du chaos, du néant, dont les manifestations culminent dans des paroxysmes de violence. Rien d'étonnant à ces mythes. Par contre, Dionysos est un dieu qui est le dieu de la violence. C'est sans doute par l'explosion de violence que Nietzsche escomptait parvenir à la mutation ontologique.
Nietzsche passe beaucoup de temps à décrire de manière poético-lyrique l'avènement de cet Hyperréel qui aurait achevé sa mutation, mais à aucun moment il n'indique comment y parvenir clairement. On comprend son masque : c'est par la maîtrise de la violence, dont les mystères dionysiaques offrent un aperçu saisissant, que la mutation s'opère. Maîtriser la violence, tel est le programme que garantit Dionysos, qui de ce point de vue est le dieu bizarre, insaisissable et méconnu, dans la mesure où il renvoie à des puissances qui n'ont pas droit de cité dans le polythéisme florissant et qui n'existent qu'à l'état de minorités maîtrisées.
Dans la situation de l'impérialisme méditerranéen qui culminera et s'achèvera avec l'impérialisme romain, le polythéisme est en pleine mutation et subit la grande transformation qui amènera le christianisme comme première mouture véritable du monothéisme (je considère le judaïsme comme un monothéisme à cheval entre le polythéisme et le monothéisme plus que comme un monothéisme véritable). Le christianisme est le moment où le monothéisme met fin à l'impérialisme polythéiste. Nietzsche se saisit ainsi d'une figure déstabilisée par la mutation monothéiste et en exacerbe les traits principaux pour le faire revenir comme dieu principal (première déformation) et pour lui conférer une tradition qui n'est pas la sienne.
Dionysos est ainsi le dieu du chaos ou de la violence pure, alors qu'il n'est originairement qu'une forme d'ivresse et d'extase intégrée à des forces et des influences supérieures et protectrices. Il n'est pas possible sans déformer gravement le culte dionysiaque d'en faire le dieu suprême, si bien que finalement le polythéisme de Nietzsche devient suspect : non de choisir un dieu premier, ce qui est le cas de tous les polythéismes, mais d'exclure quasiment les autres dieux en les inféodant à Dionysos.
Il serait comique de poser la question du monothéisme inversé de Nietzsche, qui choisit Dionysos contre le Christ. On comprend en fait que le nihilisme de Nieztsche déforme profondément Dionysos jusqu'à le rendre divinité nihiliste. Dionysos n'est pas compatible avec le nihilisme. Par contre, il est inconséquent de couper radicalement Dionysos des interprétations nietzschéennes. De la même manière que les nazis n'ont pas recopié Nietzsche par hasard, mais parce qu'ils avaient trouvé une correspondance, même déformée (c'est le cas); de la même manière Nieztsche n'a pas invoqué Dionysos par hasard.
Nietzsche n'est pas nazi? Dionysos n'est pas davantage nihiliste ou nietzschéen. Mais Dionysos n'est pas Jésus. Si Nietzsche déteste autant Jésus, s'il en fait le symbole du ressentiment, qui selon Rosset renvoie plus à l'impuissance qu'à la haine active, c'est tout simplement parce qu'il reproche au Christ son refus quasi définitif de la violence. Le christianisme condamne la violence. Les cultes initiatiques de Dionysos exacerbe cette violence pour servir une mutation qui s'apparente à la mort surmontée (hein, Benoist?).
Selon un passage du Pouvoir de Raison de LaRouche, on apprend que la culture harappe de l'Inde dravidienne est le berceau du culte originaire de Shakti-Civa. Ce dernier "gagna le Proche-Orient par le bais des colonies "harappes" comme Sumer et, dans l'Éthiopie actuelle, le royaume de Saba, où Shakti prit de nouveaux noms tels Ishtar, Astar, Astarte, Vénus, Cybèle et Isis, tandis que Civa reçut ceux de Satan, Belzébuth, Lucifer, Osiris, et Dionysos. Le culte d'Apollon à Delphes et à Rome, ainsi que le culte de Mithra, sont des manifestations de ce courant. Le gnosticisme et la théosophie modrene en sont aussi des produits."
Il est fascinant de constater que dans cette interprétation, Dionysos est exactement rapproché des dieux du mal dans les dogmes monothéistes. Malgré les divergences entre ces différents cultes, il est patent que Dionysos présente des analogies avec le mal par le culte de la violence qu'il entretient et par sa prétention à promettre une vie supérieure, à l'instar de celle que Méphistophélès garantit à Faust - pour mieux lui voler son âme.
Sans discuter de la pertinence de cette généalogie, il est patent que Dionysos tel qu'il se présente possède de nombreux liens, notamment avec Mithra et Isis, et que le culte initiatique et ésotérique dont il bénéficia incline à le rapprocher des divinités du mal et de cultes qu'on qualifierait de nos jours de sataniques. Nieztsche choisit ainsi implicitement Satan (ou ses avatars) contre le Christ et Dieu. La violence contre l'amour, pourrait-on résumer.
Dans les bribes de mythologie hindoue que j'ai collectée, moi qui avoue volontiers mon ignorance du sujet, j'ai relevé cette phrase dans Wikipédia : "Civa représente la destruction mais celle-ci a pour but la création d'un monde nouveau". C'est exactement le rôle de Dionysos et c'est exactement la mission que Nietzsche assigne à sa philosophie - et la raison pour laquelle il s'entiche de Dionysos.
Créer un monde nouveau correspond en tous points au programme de Nieztsche, à ceci près que le rôle de Civa consiste à renouveler le monde en le détruisant, alors que Nieztsche conçoit la mutation comme le passage du monde sensible actuel vers un monde radicalement supérieur, différent et autre, qui puisse enfin satisfaire au programme immanentiste. De ce point de vue, on peut se demander si Nietzsche ne veut pas surmonter le dualisme nihiliste en façonnant un nouveau reél où le néant aurait été surmonté par l'Hyperreél.
Quoi qu'il en soit, la conception cyclique du temps présente dans l'hindouisme se heurte à ce que Benoist nomme lui-même la conception sphérique du temps chez Nietzsche. On voit mal cependant la profonde différence entre le cycle et la sphère : Benoist encore une fois se garde bien de la définir. Comprenne qui pourra. Evidemment, la différence entre le cycle classique (qui renvoie au cercle) et la sphère se manifeste par une question de dimensions ou de profondeur.
Je ne suis pas persuadé que la différence soit (une nouvelle fois) si pertinente et que Nietzsche ait découvert une forme de cycle plus profonde que la forme étymologique. J'ose cependant une hypothèse critique : que la différence tienne au fait que l'Eternel Retour est toujours nouveau, alors que le cycle antique fait effectivement revenir le même. Le Même chez Nietzsche subit une inflexion. Il suppose l'inclusion de la différence, qui se manifeste surtout par la mutation. Sans doute cette différence renvoie-t-elle au néant, ce qui implique que la mutation soit le fait de surmonter le néant.
En tout cas, il est édifiant que Nieztsche ait choisi la figure religieuse de Dionysos, étant entendu que nous nous opposons à la conception de Benoist selon laquelle le thème central de Nietzsche tient à l'Eternel Retour. Il est bien plus pertinent de réfuter l'idée que Nietzsche fonctionne par concepts ou par thèmes philosophiques et de comprendre qu'il privilégie les figures et les évocations poétiques. Selon la méthode nietzschéenne, le choix de Dionysos correspond en tous points au choix du diable.
Je parle spécifiquement du Dionysos nietzschéen, qui est une exacerbation du Dionysos historique et qui devient une figure religieuse du nihilisme. Les connexions historiques entre la figure de Dionysos et le diable sont déjà nombreuses. Mais avec Nietzsche elles crèvent l'écran! Il importe pour finir de remarquer que ce faisant, Nietzsche ne parvient nullement à une innovation radicale, à une originalité foudroyante, à un renversement de toutes les valeurs, pour reprendre sa propre expression (saisissante). Tout au contraire, il ne fait qu'hypostasier et universaliser une manifestation de divinité maudite et inférieure. Chez les monothéistes, Lucifer est ainsi l'ange déchu, le premier des anges qui s'est révolté contre Dieu et qui est réputé le prince des ténèbres alors qu'il renvoie à la lumière et à Vénus. Je ne rentre pas dans des distinctions ésotériques pour savoir si Lucifer se distingue de Satan ou d'autres formes de dieux devenus démons dans les conceptions monothéistes.
Constatons plutôt : Nietzsche n'a rien inventé. Il a au mieux fait du neuf avec de l'ancien, c'est-à-dire qu'il a tiré le diable (par la queue) de sa chute et qu'il l'a renversé en puissance suprême. L'homme adorait Dieu? Il adorera le diable et il lui donnera le nom de Dionysos ou de volonté de puissance. L'homme adorait l'Etre? Il adorera le sensible nommé réel. La faillite de Nietzsche ne s'ancre pas seulement dans les résultats qui le verront promouvoir le nihilisme au nom de le combattre et de lui trouver une alternative viable (j'ai déjà analysé cet aveuglement et cette mauvaise foi tragique au sens de Rosset). Elle est déjà patente dans le projet de Nieztsche, qui n'est que la reprise du programme nihiliste sous des atours immanentistes. Une démarche plutôt simpliste. Une caricature de Dionysos?