lundi 31 août 2009

Désilluminati

Deux écueils à éviter concernant la critique actuelle du système :
1) l'une est une anticritique radicale, qui consiste à refuser la critique ou à n'accepter comme critique moralement acceptable que la critique superficielle. L'argument-massue de cette anticritique pour ridiculiser la critique tourne autour du complotisme. Toute critique se trouve ainsi taxée de folle, paranoïaque, raciste et partiale, surtout si elle ose rappeler que les complots existent bel et bien - et que plus on se situe dans les sphères du pouvoir, plus le nombre de complots s'avère élevé.
2) l'autre est une critique véritablement complotiste. Il ne s'agit plus d'amalgamer les complots effectifs avec une mentalité tout-explicative qui se distingue par trois caractéristiques :
a) le mystère, l'incompréhensible et le vague;
b) l'humanisation forcenée et totale des évènements;
c) la causalité et le finalisme simplistes, de type mono-causal.
Ces trois critères fondamnetaux sont réunis dans le cas de la rumeur du grand complot mondial et universel orchestré par les fascinants et affreux Illuminatis. Selon ce ouï-dire insistant et galopant, les Illuminatis seraient à l'origine de toutes les catastrophes liées à la mondialisation, en particulier les complots d'État, les catastrophes climatiques et écologiques, les dépressions économiques et les meurtres de masse... Quand on découvre cette explication de facture monocausale et simpliste, dare-dare on se renseigne sur l'identité des ces Illuminatis, d'autant plus puissants qu'ils seraient inconnus.
Qu'apprend-on? Rien, trois fois rien. Fondés par un certain Weishaupt en Bavière à la fin du dix-huitième siècle, ils se seraient développés par la grâce d'on ne sait quel prodige jusqu'au point de subvertir les échelons les plus élevés de la franc-maçonnerie. Par ailleurs, ils auraient rallié la plupart des dynasties financières et industrielles d'Occident, au point que leur toute-puissance n'aurait d'égale que leur malice. En effet, la doctrine illuminati se manifeste par le diabolisme, soit le culte du Diable.
A aucun moment, on n'explique comment les Illuminatis auraient acquis cette importance exceptionnelle et inconnue dans l'histoire, ni surtout comment ils seraient passés d'un quasi anonymat au moment de leur leur fondation jusqu'à cette hégémonie invincible deux siècles plus tard. C'est cette constante disproportion qui frappe dans la description des Illuminatis : ils sont d'autant plus diaboliques qu'ils sont invincibles. Interprétation irrationaliste qui fait la part belle à l'inexplicable, soit qui agit comme un parole typique de propagande. Les Illuminatis sont parés de toutes les qualités sans aucune précision préalable.
Autre invraisemblance : d'ordinaire, les sectateurs du diable perdent toujours au final - et révèlent la faiblesse insigne du diable. au contraire, dans la mentalité complotiste, le diable n'est pas seulement l'archange du maléfice. C'est un être invincible, ce qui indique la parenté du complotisme avec le nihilisme : si le diable est invincible, c'est que le seul réel est le sensible, ainsi que l'enseigne un Rosset de nos jours. Le fantasme de toute-puissance du mal, qui prend la forme circonstancielle et provisoire des Illuminatis dans certaines rumeurs véhiculées par la Toile, découle en directe ligne d'une mentalité nihiliste et oligarchique selon laquelle l'ordre du monde est immuable.
Le monde est aussi répétitif que mauvais - rengaine proche d'un Schopenhauer qui substituerait l'absurde au mal. Cette déclaration peu amène, voire franchement pessimiste, serait gnostique, à dominante par exemple cathare, si l'aspect suprasensible de la gnose, l'aspect franchement transcendant aux accents pascaliens (Dieu s'est retiré de ce monde), n'était biffé. Nous nous trouvons bien dans un dualisme dénié de type nihiliste, où le suprasensible est remplacé par le néant.
La dénonciation virulente et définitive des Illuminatis comme manifestation du complot général est ainsi une critique complotiste qui sert les adversaires qu'elle entend critiquer. Critique anticritique d'une certaine manière, qui rejoint l'anticritique en ce que les deux confortent le nihilisme.
1) L'anticritique défend le nihilisme en amalgamant comme complotiste et dérangée toute critique de l'immanentisme.
2) La critique anticritique conforte le nihilisme en offrant sous prétexte d'intentions ultracritiques une vision du monde tout à fait nihiliste et non changeable (le devenir est nié).
J'ai entendu sur Dailymotion d'un certain Fantomas je crois des vidéos assez pertinentes sur la supercherie historique et stratégique que constitue la menace illuminati. Si la voix de Fantomas est aussi insupportable que décalée, son jugement est des plus tranchants et pertinents : non seulement l'histoire des Illuminatis, de leur domination irréfragable et incontournable, est une fantasmagorie, mais encore une telle galéjade, qui fait fi du factuel le plus élémentaire, qui attise les fantasmes les plus paranoïaques et éculés, est une opération de désinformation et de propagande instillée par les comploteurs effectifs.
La thèse de Fantomas est plus réaliste que la version improbable du Complot Illuminati : à qui profite le crime? Aux sectateurs de l'ultralibéralisme, aux atlantistes chevronnés, aux impérialistes occidentalistes, aux partisans inconditionnels du NOM, aux suppôts de la dérégulation, bref à tous les adeptes du nihilisme moderne - immanentisme. Ce sont leurs circuits de propagande huilés et expérimentés qui propagent le mythe des Illuminatis pour mieux égarer les esprits empreints de velléités contestataires vers des cibles irréelles et égarantes.
Les Illuminatis sont une fausse piste - ou un lièvre faisandé. Pendant qu'on perd son temps à courir cette information erronée et manipulée, on ne cherche pas la vérité - on s'éloigne du réel. En adhérant à une théorie complotiste simpliste, on échappe à la complexité du réel et à la vraie information. La conclusion de Fantomas est intéressante en ce qu'elle évite l'écueil opposé et tout aussi délirant de la condamnation du complotisme : si selon Fantomas les Illuminatis sont un exemple grossier de modèle complotiste ou de construction conspirationniste, au sens où l'on parle de story telling, il s'agit en décryptant et démystifiant la supercherie de ne pas donner tête bêche et aveuglée vers l'extrême inverse et caricatural - l'anticomplotisme idéologique et primaire.
Il s'agit au contraire de reconnaître que les Illuminatis, loin de n'exprimer qu'un faux problème, est l'écran de fumée qui masque le vrai problème - de fond. L'arbre qui cache la forêt. L'illusion illuminati travestit le réel problème de l'effondrement systémique de l'Occident impérialiste et immanentiste en folie furieuse et drolatique. Il est drôle de se référer à un ennemi aussi unique qu'invisible. Il est furieux de chercher un bouc émissaire auprès d'inconnus et d'absents qui n'existent pas. Pendant ce temps, les manipulateurs de l'immanentisme agissent, complotent, les mains plus libres, plus déliées - et les antagonismes interfactionnels à l'intérieur de l'impérialisme occidentaliste n'empêchent nullement que la complexité ou la nuance ne soient pas antithétiques à la possibilité du problème : l'effondrement systémique de l'Occident.

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