vendredi 8 mars 2019

Le blog de Koffi Cadjehoun est en transformation. Je vous préviens dès que j'ai mis au point ma nouvelle formule. D'ici là, bonne continuation dans vos diverses entreprises.

dimanche 9 décembre 2018

Les bonnes intuitions du nihilisme

Le nihilisme, une fois qu'on en a saisi le véritable sens, qui n'est ni idéologique, ni nietzschéen (car Nietzsche était nihiliste dans le moment où il ne dénonçait le nihilisme), ne peut être considéré comme un mouvement à rejeter, ne serait-ce qu'en raison de son importance, fût-elle déniée et, de ce fait, la plupart du temps non considérée. Ajoutons que le nihilisme est le mouvement premier de la pensée. Nous n'en connaissons pas la réponse. Celle que nous avons l’habitude d'entendre est celle d'ordre transcendantaliste, quelles que soient ses inflexions et variantes. Rares sont ceux, comme Démocrite ou Gorgias, qui ont osé soutenir la thèse nihiliste de manière frontale (avec des variantes, comme de juste). Ils en ont payé le prix fort, tant sur le plan de leur postérité, puisque leurs écrits ont presque disparu, que sur le plan de leur valeur, puisque la thèse qu'ils défendent ne tient pas la route et engendre l'oubli de la postérité.
Raison pour laquelle le nihilisme authentique a été si peu défendu. Par contre, avec Aristote, on retrouve ce qui sera une grande variante possible de réponse : le fait de mélanger de manière subtile et quasi indétectable le nihilisme avec l'ontologie issue du transcendantalisme. Platon a rejeté le nihilisme, comme il a rejeté les sophistes ou Démocrite. Il pensait sans doute que sa philosophie avait discrédité à jamais le nihilisme, sans se rendre compte que le nihilisme infecte dès le départ le transcendantalisme, en le poussant à n'affirmer que l'Etre en plus de l'être. Aristote pense améliorer le dispositif platonicien en énonçant au tout début de la Métaphysique que le réel est constitué d'être et de non-être, tous les deux multiples et tous les deux reliés entre eux. On ne parle jamais du fondement d'Aristote, que l'on présente comme le plus grand des rationalistes, sans ajouter, ce qui change tout, qu'il n'a été rationaliste qu'après l'avoir fondé sur le nihilisme. Ses commentateurs ne sauraient accepter que l'homme de la prudence soit en fait celui de la reconnaissance paradoxal du néant. 
Raison pour laquelle ces passages liminaires se trouvent censurés d'une manière si consensuelle qu'elle se trouve à peine remarquée. Il ne s'agit pas d'une volonté consciente, unie par-delà les générations. Il s'agit au contraire d'une manière de procéder mimétique, qui montre qu'au sein même de la pensée, on peut procéder sur de larges pans de manière irréfléchie. La position nihiliste se trouve être la position immédiate, celle que l'on choisit de manière préférentielle, non de manière consciente donc, mais  parce qu'il est normal que l'homme se pose d'emblée les questions nihilistes. Ce qui implique que les intuitions nihilistes sont des plus pertinentes.
La principale étant que le nihilisme part d'une intuition qui sera vite repoussée car l'on craint de sombrer dans le nihilisme si on la creuse : le réel n'est pas constitué que d'être. Et de fait, la réponse nihiliste n'est pas satisfaisante, et s'avère même dangereuse, puisqu'elle propose le non-être comme complément. Envisagé seul, cette position mène à la destruction. Exit le nihilisme. Mais Aristote, qui historiquement est proche des sophistes et des atomistes et qui peut consulter leurs ouvrages encore, découvre un usage tout autre du nihilisme : si on le mélange à l'être, il présente l'insigne avantage de le mieux isoler, donc d'en permettre l'analyse approfondie. On tient là la raison principale du succès de la métaphysique, et de sa réputation de rigueur méthodologique.
De ce point de vue, on peut dire que le transcendantalisme est passé à côté du problème de l'existence seule ou non de l'être, puisqu'il le congédie en répondant avec fermeté, en décrétant, d'une manière qui se veut inébranlable et qui l'est presque, que le réel est fait d'une texture homogène, seulement celle de l'être. Mais le nihilisme avait vu juste, avant de sombrer dans le mirage du néant : il y a bien une différence et une distinction au cœur du réel, et cette distinction mérité d'être approfondie. Il convient bien d'en revenir à l'histoire cachée, et volontairement, du nihilisme, si l'on veut vraiment penser la faiblesse du transcendantalisme, de l'ontologie comme de la métaphysique. 
Quant au fait de savoir pourquoi le nihilisme a répondu d'une manière si désaxée à son questionnement si courageux et original, c'est parce qu'il a fait confiance aveugle et démesurée (au sens d'ubris) à la raison. Le transcendantaliste est celui qui dit : faisons confiance à la raison, mais d'une manière modérée. Il existe autre chose que l'être, c'est de l’Être. La différence est en prolongement. La justesse du raisonnement se trouve préservée. Si la raison est défectueuse, c'est qualitativement, au sens où elle ne peut comprendre l’Être. Pourtant, elle reste performante, au sens où elle se trouve en prolongement de  l’Être, à un statut inférieur. 
Mais le nihiliste lui estime qu'il n'existe à connaître que ce que la raison peut connaître, c'est-à-dire seulement ce qui lui est immanent, l'être conçu en ce sens comme immanent. De ce fait, il peut dire que tout l'être est connaissable par la raison. On comprend dès lors qu'Aristote pensait pouvoir parvenir à tout connaître. La bonne intuition initiale du nihilisme accouche ainsi d'une erreur fatidique, qui discrédite le nihilisme et explique la préférence qui sera immédiatement accordé au transcendantalisme, à comprendre comme la réponse au nihilisme pour permettre que l'homme perdure.

vendredi 9 novembre 2018

Le nihilisme de Clément Rosset

J'ai pris Clément Rosset pour le philosophe de la joie, voire du rire. Il est normal de dénoncer l'imposture quand on se rend compte que la joie telle que l'entend Rosset n'est pas la joie de vivre que tout un chacun peut ressentir et dont on se réjouit enfin qu'elle existe en philosophie, là où pullulent les esprit sérieux et un brin pédants. C'est ainsi que je finis par comprendre que Rosset n’était drôle que dans la mesure où il revendiquait une joie tragique et élitiste, qu'il qualifiait de brève et de folle. Quant à son rire, il se revendiquait comme sardonique, cruel, voire dominateur. Nous n'avons pas affaire à une joie banale.
Derrière les anecdotes savoureuses et les références inattendues et brillante, je crois qu'à la réflexion, la caractéristique principale des textes de Rosset est de réussir un exploit peu anodin : ne rien dire, en masquant le vide de la thèse sous le luxe des références tous azimuts. Qu'on prenne par exemple Loin de moi : la thèse qu'il reprend à Hume consiste à dire qu'il n'existe pas d'identité profonde, seulement sociale. Qu'on prenne le Démon de la tautologie : il s'agit d'affirmer que la seule définition du réel est  : A est A. Aucune définition du réel, qui est considéré comme indéfinissable, donc qui rend le double arbitraire, puisque s'appuyant sur l'idée qu'il vient doubler le réel indéfini puisque indéfinissable. Un irrationalisme très prégnant, qui transparaît notamment dans l'affirmation selon laquelle les philosophes qui valent sont celles qui donnent l’importance au désir sur la raison. Et je pourrais continuer les anecdotes. 
Mais c'est inutile, car je crois que l'on cernera la mentalité qui résume Rosset en rappelant cette énième anecdote de ce gentilhomme espagnol qui se fait enterrer avec tous ses titres et qui finit par leur ajouter un : "y nada" - et rien du tout. C'est ainsi qu'il est hallucinatoire d'attendre de Rosset qu'il affirme quelque chose. On comprend mieux ce qu'il fait en s'avisant qu'il dissout toutes les affirmations existantes jusqu'à ce qu'il ne reste rien, de telle sorte qu'on en arrive à la conclusion que rien ne vaut rien et que, dans ce grand bordel, seul vaut de jouer le grand jeu des quilles et d'en rire avec le détachement de la supériorité.
On pourquoi se demander pourquoi Rosset n'affiche pas son nihilisme explicitement. Il convient de rappeler que le propre du nihilisme est d'être indicible, puisqu'il estime qu'il n'est rien d'autre que le rien. Une telle affirmation revient à proférer quelque chose qui heurte la raison. Le nihilisme ne peut être qu'un discours philosophique qui en reste à l’implicite et au sous-entendu. La philosophie de Rosset est ainsi une application radicale de Schopenhauer et Nietzsche. Le mode de vie de Rosset, boire beaucoup et se moquer de tout, selon une autre anecdote canadienne dont il se targue, est un mode de vie dangereux, mais conséquent. Si rien est le secret ontologique, alors il est conséquent de profiter de l'instant, de ne pas procréer, de se foutre de tout (selon un de ses élèves au Québec), en attendant la disparition de celui qui vit de cette sorte et, à terme, celle de l’humanité. 
Raison pour laquelle Rosset cite si souvent cette citation de Lantier dans L'Oeuvre de Zola : "Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos œuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière". C'est son programme philosophique. Au passage, on constate que le nihilisme selon Rosset signifie que la vie disparaîtra, que l'homme disparaîtra, mais pas l'être, qui restera, lui, bien que ce soit d'une manière qui s'apparentera peut-être à l'ordre minéral. Car l'être ne peut disparaître pour ne laisser place qu'au chaos. 
La philosophie de Rosset est ainsi contradictoire : il s'adresse aux hommes pour leur annoncer qu'ils vont disparaître. Rien ne sert d'écrire dans ce cas, sauf que Rosset professe l'inconséquence (foutez-vous de tout!). On pourrait rire de cet écrivain qui s'adresse aux générations après lui pour leur annoncer que l'homme va disparaître tôt ou tard. Je pense qu'il convient de rappeler que le nihilisme reflète l'angoisse existentielle la plus profonde, ce qui explique qu’on se moque de tout, alors que le recours à l’alcool n'est jamais que le plus courant des anxiolytiques en France.

jeudi 8 novembre 2018

Voir double

Certains de nos jours estiment depuis Nietzsche que le double est le raisonnement qui mène vers l’illusion. Cette conception se targue d'avoir mis en lumière le principe de l'erreur, ce qui n'est pas rien et qui indique à rebours que l'on a trouvé a contrario le vrai. Le double est ce que le langage et la raison rajoutent au réel, qui lui est simple, alors que cela n'existe pas. L'idée est qu'on peut rajouter au réel quelque chose qui existe sans être réel et qui doit donc disparaître.
(Sans approfondir ici ce thème, on tient là l'explication à la légitimation de la violence politique et philosophique, du totalitarisme et des dérives comme Hegel ou Heidegger, puisque le réel n'est que ce qui doit rester au sein de ce qui existe et qui est constitué aussi d'une part non négligeable de contingent, d'accidentel, de périssable, qui de ce fait doit être éradiqué, ce à quoi appellent Hegel avant Heidegger).
Dès lors, le vrai est le simple, le simple est l'immanent, et rien de plus. Le vrai n'existe que pour l'homme, pas dans l'absolu. Surtout, il connote l'ineffable et relève de l'intuition inexplicable. Pour le comprendre, le langage s'avère limité, pour preuve sa tendance à glisser vers le double. Mais comment obtenir le simple si l'on doit se méfier de la raison? On voit qu'il ne peut venir du raisonnement, qui est accessible à tous.
Le vrai doit plutôt venir de l'intuition, qui se comprend parce qu'elle ne se dit pas. Dans cette mentalité, la compréhension est innée, elle émane des aristocrates de l'esprit, ceux qui sont bons et forts, ceux dont le jugement est sain - par opposition au vulgaire, qui, à en croire Nietzsche, recourt à la raison pour mieux ratiociner. Où l'on voit que le nietzschéisme est un innéisme implicite, dont le slogan est : "Deviens ce que tu es". N'est-ce pas un aveu limpide? On trouve ce genre de raisonnement chez un Rosset, quand il déclare qu'il y a ceux qui sont en bonne santé et ceux qui sont en mauvaise santé. C'est un donné, irréfragable. Partant, à l'en croire, on ne peut guérir que des bien-portants, puisque les malades le sont de par leur nature viciée.
La tâche de la politique est si limpide qu'elle n'a plus à être explicitée, et c'est pourquoi ce genre de pensée est si dangereux : il faut expurger tout ce qui est double et se focaliser sur le singulier, qui est le nécessaire et l'immanent. Un Rosset prône même la dépolitisation : il se lave les mains de ce que sa philosophie appelle, puisque l'affronter reviendrait à faire son Heidegger, c'est-à-dire à assumer que la pensée est nécessairement violente.
Mais l'objection principale contre ce genre de philosophie n'est pas son aspect profondément destructeur, aussi important soit cette pensée (car on peut se demander si le germe n'est pas présent dans toute la philosophie, à des doses variables, à partir du moment où la philosophie estime que le faux n'est pas réel, autrement dit qu'il existe au sein du réel quelque chose qui ne l'est pas). L'objection connexe, qui découle de cette approche dangereuse car éliminativiste de la vérité, consiste à se demander si le double ne constitue pas le propre du raisonnement. 
Non pas au sens où les nietzschéens l'entendent, soit comme illusion, mais au contraire comme ce qui permet de penser, ce qui implique que le réel fonctionne de manière duelle, et non simple. Voilà qui expliquerait pourquoi un Rosset réussit l'exploit de faire reposer toute son explication du double sur la non-définition du réel, ce qui revient à invalider son raisonnement. Parce que cette conception est aux antipodes de la vérité.

samedi 13 octobre 2018

L'éclaireur égaré

Le nihilisme peut présenter un avantage philosophique décisif : c'est de refuser qu'on parle d’Être pour qualifier le complément qui manque à la réalité. De ce fait, le nihiliste nous indique que l’Être n’existe pas, ce qui est précieux, vu que presque toute l'histoire de la philosophie prétend le contraire. Mais ensuite, plus rien ne fonctionne avec le nihilisme, car il entend que ce qui n'est pas de l'être n'existe pas. Il en vient ainsi à prétendre le plus tranquillement du monde que la définition de l'existence est incomplète, carencée, ainsi que le propose le physicien Mach (être dont le complément en miroir n'existe pas). Or c'est l'inverse qu'il faut avoir comme réaction. Non pas que, si l’Être n'existe pas, c’est parce que rien n'existe d’autre que l'être; mais que, si l’Être n'existe pas, c'est parce que la caractérisation de l’Être ne convient pas pour exprimer et désigner ce complément. De ce point de vue, le nihilisme présente un curieux profil. Il nous met sur la piste avant de nous égarer.

jeudi 27 septembre 2018

Le défaut de Descartes

Le problème de Dieu est très simple : si Dieu est parfait, comment peut-il tolérer de l'imperfection? Quels que soient les arguments que l'on trouvera pour justifier de l'existence de l’imperfection en régime de perfection, par exemple expliquer pourquoi Dieu a créé un monde imparfait, s'Il est parfait et s'Il n'avait pas besoin de le créer, le résultat est que l'on est confronté à quelque chose qui nous dépasse. Certes, on peut recourir à l'irrationalisme, selon lequel la raison ne peut fournir les raisons pour lesquelles l'être est imparfait alors que Dieu est parfait, mais il n'est pas certain que cette position soit admissible, vu que la raison est la faculté humaine de la réflexion, dont l'homme ne peut se passer. C'est d'autant moins possible si l'on adopte une position rationaliste, ce qui est le cas de Descartes. Dans les 2 cas, le fait d'accepter que du défaut existe dans une configuration où Dieu existe pose problème (par Dieu, j'entends le Dieu de la Bible). 
Pour ce qui concerne Descartes, sa position est intenable. D'un côté, il estime que la raison peut connaître la vérité physique et métaphysique, ce qui implique que Dieu fonctionne de manière rationnelle pour ce qui concerne l'homme et son monde, puisqu'il permet la connaissance; de l'autre, il introduit l'existence du défaut dans son système philosophique, ce qui est incompatible avec sa position épistémique et l'épistémologie qu'il défend. Mais il se rend compte de la faiblesse de sa position, qui contient une contradiction si béante. D'un point de vue rationnel, impossible, en postulant l'existence du Dieu chrétien, fût-il métaphysicisé, d’accepter qu'il existe du défaut dans le réel. Descartes va proposer comme solution et résolution que le défaut soit situé dans le langage. De la sorte, il pense circonvenir le problème. Mais ce n'est qu'un sophisme, qui gâte son bel édifice philosophique. Descartes sur ce point a repris l'erreur constitutive du transcendantalisme, qui n'a jamais résolu le problème et qui a accepté d'introjecté le néant dans son système en ne définissant jamais ce que l’Être. 
Mais il lui a donné une inflexion particulièrement habile. Il propose que le défaut existe dans le domaine du langage, pensant sans doute que le langage étant un domaine particulier qui appartient au réel sans y appartenir vraiment, il arrive ce faisant à réduire le problème. En effet, le langage peut être tenu pour un domaine extérieur au réel, puisqu'il parvient à l'évaluer. Or, cette argutie ne réussit qu'à masquer le problème et à le reporter, ce qui revient après tout à reprendre la stratégie transcendantaliste en l'aménageant et en la rendant encore plus cachée, donc moins accessible à la révolution expérimentale, qui entend abolir la méthode métaphysique. Mais peut-on tenir cette position sur le plan rationnel? Bien entendu que non. Aussi "à part" soit-il, il n'en demeure pas moins que le langage est un domaine réel comme les autres. 
Dans tous les cas, le système philosophique que construit Descartes comporte un vice caché, et d'autant plus vicieux qu'il est caché.Ce vice n'est pas une mauvaise conception métaphysique ou ontologique. Ce problème, c'est  qu'il a voulu résoudre la crise née de la révolution expérimentale. Descartes était un novateur dans le conservatisme, et non pas un innovateur comme on le présente trop souvent. La nuance est importante. On passe à côté du geste de Descartes si on ne le comprend pas comme tel. En science, Descartes, qui était grand mathématicien, voulut là aussi être le premier scientifique de son temps. Mais sa méthode consista à accommoder la méthode expérimentale à sa conception de la métaphysique, selon laquelle c'est la raison qui décide sans vérification extérieure. 
Cela explique qu'il échoua sur toute la ligne, car aujourd'hui on sait qu'il ne suffit pas de se montrer rigoureux pour obtenir la vérité sur le plan physique (au sens large). En métaphysique, le problème est plus épineux, car on ne peut vérifier à l'intérieur du réel que la conception de l'ensemble du réel est bonne. il faudrait pouvoir bénéficier d'un point de vue extérieur au réel pour y parvenir. comme ce n'est pas le cas, en tout cas pour le moment, nous nous situons dans un indécidable assez fort. Raison pour laquelle Descartes n'est pas discrédité, alors que ses mérites insignes sont entachés par des errances coupables. Je ne me montre pas sévère en disant cela, Descartes l'admirable philosophe n'a réformé la métaphysique scolastique déclinante qu’en la rendant encore plus indécidable, c'est-à-dire en la soustrayant à toute possibilité d'être réfutée. 
Aristote fut réfuté scientifiquement par la méthode expérimentale. Craignant que cette réfutation mette également en danger la métaphysique de l'Autorité philosophique du Moyen-Age, Descartes intervient pour rendre la métaphysique indécidable. Mais on constate après coup, et avec la netteté que confère le recul de 4 siècles environ, que le problème de la philosophie de Descartes, c'est qu'elle a encore plus introjecté le néant que les autres démarches philosophiques avant elle. Et le problème ne s'est pas amélioré depuis, puisque la philosophie moderne fonctionne sur le cartésianisme, quelle que soit les critiques intentées contre lui. Il convient donc d'isoler le défaut central et fondamental de Descartes. Et ce défaut, c'est donc que le néant existe dans le langage, et donc existe dans le réel et vient détruire l'ensemble du système organisé de la manière la plus cohérente et admirable.
Dès lors, tout ce que Descartes considère comme positif n'existe pas. La certitude n’existe pas, la clarté pas davantage. Qu'est-ce que Dieu? Rationnellement parlant, quelque chose cloche, un virus qui a insidieusement contaminé tout le réseau philosophique, de telle sorte que le non-être contamine tout l'être et toutes les valeurs de l'être. Raison pour laquelle au final on ne sait pas bien ce que Descartes a connu; on ne sait pas bien ce qu'il appelle la lumière naturelle; et on ne sait pas bien s'il a réussi à réconcilier la connaissance physique avec la connaissance métaphysique. Mais ce qu'on devrait plus savoir, c'est que Descartes a réussi le miracle de dissoudre la connaissance dans l'indéfinissable, de telle sorte que tout ce qu'il peut dire, c'est que l’Être comprend du néant. C'est un terrible aveu d'échec métaphysique.

mardi 11 septembre 2018

La limite de l'être

Pourquoi a-t-on perduré pendant si longtemps dans le transcendantalisme? Je ne saurais donner de datation précise quant à l'apparition du transcendantalisme, puisqu'on ne sait au juste quand l'homme est apparu. Mais disons que le transcendantalisme est la mentalité atavique que l'homme défend depuis ses "commencements". Autrement dit, il n'est pas possible de répondre à la question des origines, peut-être tout simplement parce qu’elles relèvent du fantasme. Mais il est possible, et c'est l'essentiel, de se demander pourquoi le transcendantalisme n'a pas changé. Le problème que cette question suscite, c'est : pourquoi une conception si déficiente a perduré? 
La réponse serait qu'elle a perduré, parce qu'elle n'avait contre elle que le nihilisme et que le nihilisme était plus déficient encore. Ce ne serait pas dans l’absolu que le transcendantalisme témoignerait de sa valeur, mais en fonction du nihilisme. Son avantage serait qu'il se montre pérenne, quand le nihilisme se montre destructeur et autodestructeur. Mais cela ne signifierait pas pour autant, et tant s'en faut, qu'on ne peut améliorer le transcendantalisme. Pourquoi n'a-t-on jamais cherché à l'améliorer? Parce que le transcendantalisme signifie qu'on reste en terrain connu, alors que toute tentative d’amélioration implique qu'on sorte de cette sphère rassurante.
Nous nous trouvons confrontés à la peur de sortir de l'être. Raison pour laquelle le nihilisme a perdu : parce que sa sortie de l'être était inacceptable. Encore proposait-il seulement qu'on sorte de l'être en envisageant qu'existe en plus le non-être, c'est-à-dire qu'on n’envisageait de sortir que négativement de l'être. Le nihilisme restait assujetti à la borne indépassable de l'être. La sortie de l'être signifie la sortie positive de l'être, l'idée selon laquelle il existe un élément positif  qui n'est pas de l'être. Dans ce cas, ce qui va changer n'est pas la connaissance qu'on se fait de la réalité, entendue, non comme le réel au sens étymologique, mais comme notre expérience de l'existence, excédât-elle l'être. 
Ce qui change, c’est notre conception de l'existence, notamment de la mort. Autrement dit, c'est une pense religieuse qui vient corriger la pensée atavique du transcendantalisme. Elle porte sur l'idée qu'il faut envisager autrement l'existence après la mort. Ce qui change ainsi, c'est la connaissance métaphysique. Nous ne pouvons plus envisager une vie inutile, où l'être redouble sans raison l’Être, alors qu'il n’existe que de l'être, mais il faut accepter l'idée selon laquelle l'être coexiste constamment avec cette réalité qui est autre.