lundi 28 novembre 2011

Pour de nouvelles valeurs


Je n'arrive plus à retrouver la vidéo en question, peu importe. Le président de l'Association des Maires de France Jacques Pellissard propose, pour empêcher le contrôle oligarchique du parrainage à l'élection présidentielle par les candidats des grands partis, l'alternative de deux parrainages au lieu d'un seul à l'heure actuelle. Le premier exprimerait le choix du maire, l'autre encouragerait les petits candidats à obtenir les 500 signatures nécessaires, laborieuses à obtenir quand on ne dispose pas du soutien d'un parti politique important. Jacques Pellissard intervient peut-être suite à une opération de campagne intéressée - pour sa réélection, mais, même ainsi, notre candidat ne sombre pas dans la démagogie : il cherche de nouvelles solutions. Au juste, j'ignore si sa proposition repose sur une vision régénératrice de la société ou si elle charrie une certaine utopie, mais Pellissard se fait le porte-parole du désarroi de nombreux maires de France, en particulier ceux des petites communes, villages ou bourgs, qui se trouvent frappés de plein fouet et au premier chef par la crise économique, et qui sont contraints à se révolter contre l'ordre injuste et oligarchique des grands partis politiques parisiens, ne représentant plus qu'eux-mêmes - plus certaines aspirations élitistes et fort peu populaires.
Ce que Pellissard cherche, c'est à encourager de nouvelles candidatures, non reconnues et fort minoritaires. Je pense au cas accablant pour les pratiques démocratiques de Cheminade en 1995, qui se présente à l'élection présidentielle, dénonce de manière prémonitoire le cancer financier et se retrouve ruiné par le Conseil constitutionnel, gravement calomnié dans son honneur (candidat de Saddam, fasciste/nazi, extrémiste de droite, voleur de vieille dame atteinte d'Alzheimer, gourou de secte américano-française...). Comment faire pour discréditer les idées nouvelles, qui sont accréditées par la terrible crise que nous traversons (et qui n'est pas qu'économique si on veut la traiter efficacement, pas en première couche) : en politique, le censeur est le libéralisme qui ose encore prétendre qu'il est le moins censeur et le plus libérateur des systèmes idéologiques (l'idéologique prétendant réconcilier l'économique avec le politique en réduisant le politique au commercial, déjà réduction de l'économique).
Nous nous trouvons dans une période de transition et de crise prévisible. Il est normal que les plus petites unités du maillage politique soient les plus exposées pour chercher de la nouveauté politique. Et pour trouver du nouveau politique, il faut du nouveau pas seulement politique, plus largement culturel, philosophique, en un mot plus général - religieux. Pelissard le représentant français des maires est bien placé pour répercuter le besoin de nouveauté politique, mais il le fait trop d'un simple point de vue politique, sans prendre en compte le lien entre la sphère politique et la sphère religieuse supérieure. Toujours est-il que l'on découvre par sa déclaration qui précède sa réélection et qui est l'un des thèmes-phares de sa campagne que les représentants politiques, confrontés à la terrible crise politique, institutionnelle, mettant en péril la survie des collectivités formant l'Etat-nation français, symbole des États-nations de l'Occident, dont le fédéralisme des États-Unis, cherchent des solutions nouvelles.
L'effondrement du libéralisme ne laisse place à aucune alternative dans le donné. Quand le communisme s'est effondré autour de 1989, il restait l'alternative antagoniste du libéralisme - ce que le communisme (plus largement le socialisme) appelle improprement depuis Marx le capitalisme. Vingt après, bien qu'il ait claironné qu'il restait seul en liste et qu'il triomphait de manière définitive au point d'abolir le temps, le changement et d'instaurer enfin la fin de l'histoire (pour reprendre l'expression de l'idéologue Fukuyama qui ne se prive pas de reprendre à son tour le métaphysicien Hegel en lui donnant des couleurs idéologiques), le libéralisme s'est effondré à son tour, à la suite de ce que les médias libéraux ont d'abord présenté comme une crise anecdotique des subprimes destinée à passer et à s'effacer.
La fin du libéralisme n'est pas une crise passagère, minant provisoirement la bonne santé générale du système politique - la continuité de ce qui est surplombe l'effondrement de ce qui n'est plus. La fin du libéralisme signifie qu'il ne reste plus rien après - pour le moment; car le libéralisme était non seulement l'idéologie majoritaire, mais aussi l'unique idéologie restante. Après lui, il ne reste plus rien de ce qui était, il ne reste que le spectre, la fin de l'homme - tout est à rebâtir. Si bien que la crise actuelle est la crise terminale de ce qui est et qu'il convient déjà de dénommer à l'imparfait (passé fini) autant qu'elle indique le besoin urgent et pressant de proposer du nouveau, d'inventer des formes originales et encore inconnues, formes qui ne sont pas seulement politiques, mais qui relèvent du culturel, du religieux dans un sens de plus en plus philosophique et de moins en moins révélé.
La proposition de Pellissard indique le besoin vital de nouveau autant qu'elle se révèle trop limitée au champ politique. C'est une proposition sans doute intéressante dans le débat politique sclérosé, c'est aussi une proposition qui ne peut acquérir de valeur politique que si la réforme des valeurs ne se limite pas au débat politique, mais entreprend un changement plus vaste - d'ordre culturel et religieux. Comme l'a proclamé le poète, c'est dans le péril que croît le salut. L'urgence désespérée de notre situation unique indique que le salut est plus proche que la perdition et que la crise signifie moins la perte que le gain. L'intervention limitée de Pellisard dans le champ politique, loin de témoigner de l'insuffisance d'une proposition seulement politique, nous montre le besoin réconfortant de nouveauté cardinale chez l'homme, dans le champ politique et dans les valeurs qui le fondent.
Nous ne pourrons pas nous en sortir en reprenant des valeurs passées (éculées), aussi précises soient-elles. Nous devons faire appel à du nouveau. Faire du nouveau avec des valeurs anciennes valeureuses, c'est nécessaire; mais il ne suffit pas d'en rester à des propositions recyclées ou élargies, fussent-elles non appliquées ou oubliées. L'urgence est que toutes les propositions, y compris les plus valeureuses, ont montré leurs limites. La création doit faire du nouveau avec de l'ancien signifie : élargir le domaine connu avec le recours à l'invention.

vendredi 25 novembre 2011

Le format monothéiste


De la méontologie (suite).

Si l'on délimite une brève histoire de la méontologie, dans un sens qui serait plus large que le sens strict conféré par Démocrite à la doctrine qu'il élabore comme parachèvement de l'école des atomistes d'Abdère, il faudrait l'arrêter à Aristote en tant que parachèvement évident de la méontologie. La méontologie recoupe l'histoire du nihilisme antique telle qu'on la retrouve en Grèce, notamment chez les présocratiques. La doctrine abdéritaine concoctée par Démocrite l'érudit consiste à nier l'ontologie et à lui substituer la dimension physique pure : le vide et les atomes. Fort bien - sauf que cette explication antiontologique au sens nihiliste de physique revient à proposer du contradictoire sous prétexte de simplifier la théorie ontologique. La philosophie rapportée à un discours physique, jugé plus léger que la lourdeur de l'appareil théorique ontologique, porte en elle des contradictions insolubles qui expliquent pourquoi la doctrine de Démocrite se trouve niée : ce qu'elle résout comme problème de départ, la simplicité lumineuse de ses solutions théoriques initiales, se retrouvent bien vite comme facteur de démultiplication des erreurs et des problèmes que l'ontologie posait.
Démocrite, loin de résoudre le problème fondamental du réel, l'a complexifié, ce qui n'est pas un mince exploit. Il ne l'a pas complexifié en proposant un modèle théorique concurrent et alternatif en fait plus compliqué que le modèle ontologique qu'il entendait simplifier; il l'a complexifié au sens où il n'aborde pas les problèmes théoriques et où son système théorique simplifié d'ordre physique en n'abordant pas les problèmes les rend plus insolubles et impénétrables encore. Démocrite l'atomiste forge le néologisme de méontologie pour définir son système philosophique et suggérer fortement qu'il a forgé un système alternatif viable au système ontologique.
Ce qui le dérange dans l'approche ontologique, c'est qu'elle définisse le réel comme le plein exclusif (selon la définition qu'en propose le présocratique Xénophane en parlant de la Terre illimitée en opposition notamment à Anaximandre). Démocrite revendique cette conception du vide et estime que c'est par le néant (terme physique) que l'on peut expliquer l'être. Démocrite trébuche sur le problème de la conciliation du fini et de l'infini, soit de la limite de l'être. Pour proposer une solution viable et cohérente, il oscille de manière contradictoire entre des atomes infinis qui du coup ne sont pas conciliables avec le vide - et des atomes en grand nombre mais finis qui laisse une place cohérente au vide, mais qui rendent la définition du vide/néant ténébreuse et pour le moins obscure.
Un des problèmes du nihilisme consiste à définir la place adéquate à la simplification de la théorie au niveau du physique. Plus on est radical dans le nihilisme plus on prône le remplacement de l'ontologie par le physique (et la réduction du discours philosophique à un commentaire sur la réalité physique); plus on se montre enclin à la théorisation pour résoudre l'explication du fini, plus on propose un schéma qui admet que l'on puisse théoriser à partir de l'être fini.
Gorgias entend tout détruire avec son discours provocateur et dévastateur en expliquant que l'être est du non-être - que tout est non-être. Selon cette conception, seul mérite d'être sauvegardé le discours au niveau de l'homme, le restant passant par pertes et profits (en dehors de la sphère de l'homme comme dans la sphère de l'homme). Gorgias peut être tenu pour plus radical encore que Démocrite, car pour Gorgias la connaissance n'existe pas, tandis que pour Démocrite la connaissance existe (selon certaines traditions, l'être existe, inconnaissable pour l'homme). Les sophistes sont un mouvement dans lequel on retrouve Protagoras, qui serait ainsi moins radical que Gorgias, ou moins provocateur; mais plus radical que les atomistes de sa ville d'Abdère, puisque lui aussi réduit la connaissance au discours et à la rhétorique.
D'une manière générale, on pourrait définir les sophistes comme ceux qui nient la connaissance au profit du discours. Pour le méontologue, la connaissance existe : elle est physique. Pour le sophiste, la connaissance n'existe pas : seul le discours existe (la réalité équivaudrait au discours). L'intervention d'Aristote survient au moment où le nihilisme antique est discrédité tant d'un point de vue atomiste que chez les sophistes. Et les deux grands partis du nihilisme antique se trouvent discrédités par Platon, qui a réussi à imposer le discours le plus cohérent, non seulement à l'ontologie, mais également aux nihilistes.
Les satires virulentes de Platon à l'encontre des sophistes et le silence assourdissant autour de Démocrite sont des plus connues; on note moins que Platon entend perfectionner l'ontologie de Parménide (et des autres tenants de l'ontologie présocratique) et qu'à ce titre, en prétendant perfectionner l'ontologie qui lui précède, il la critique implicitement - de manière également virulente. Aristote est l'élève de Platon mais il vient étudier dans l'Académie en tant qu'il se montre persuadé par son rang social autant que par son éducation poussée des mérites de l'oligarchie. Le nihilisme le laisse suffisamment distant et critique pour qu'il décide de pousser ses études avec l'Académie.
Mais plus il étudie dans l'Académie, plus il se montre distant de l'ontologie platonicienne, fondamentalement sur un point précis : la question de l'Etre. Aristote ne se trouve pas en accord avec l'Etre infini qui engloberait l'être fini. Il croit en l'être fini, il rejette l'Etre infini. Son argument est simple : si l'Etre existe, pourquoi Platon ne parvient-il pas à définir l'Etre? Conclusion d'Aristote : si son maître n'y parvient pas, c'est qu'il se trompe - Aristote respecte trop son maître (voire certains de ses condisciples) pour estimer qu'ils pourraient ne pas définir correctement l'Etre si l'hypothèse était possible. S'ils n'y arrivent pas, c'est que c'est impossible; autrement dit : que l'Etre s'avère une mauvaise définition pour le réel non sensible (selon le vocabulaire ontologique).
Peut-être Aristote part-il du constat politique empirique selon lequel les inégalités indiquent que seul importe ce qui domine socialement, soit que seul importe le supérieur. Mais cette focalisation sur le supérieur exprime l'idée que seul le supérieur est conservé dans la suite de ce qui est fini et que le reste du réel fini disparaît. En conséquence, il ne sert à rien de se préoccuper de l'ensemble du réel, mais seulement de ce qui nous est proche et familier. Au passage, on comprend mieux la radicalisation de l'immanentisme autour du désir et la définition de la liberté comme augmentation de la puissance.
Mais Aristote ne s'en tient pas à cette morale étriquée et favorable à l'oligarchie. Il part de cette morale pour forger une théorie du réel qui sera si originale qu'elle se démarquera de l'ontologie comme du nihilisme : la métaphysique (même si ce terme est posthume, il rend compte de l'originalité de la démarche d'Aristote). Son fondement consiste à expliquer que l'explicable est le supérieur du fini et que le restant est inexplicable, inconnaissable et inintéressant.
Si je propose de terminer l'histoire de la méontologie et du nihilisme antique avec Aristote, c'est parce que son projet, qui sera baptisé métaphysique par ses disciples, parachève la méontologie en la rendant enfin cohérente d'une certaine manière, d'un point de vue interne - à l'intérieur de l'être fini. Aristote rejette la solution provocatrice de Gorgias consistant à proposer un nihilisme intégral. Pour lui, l'être fini est entouré de non-être indéfini et irrationnel (inabordable dans le discours et par la connaissance). Aristote entend définir le non-être à côté de l'être comme l'indéfinissable, reconnaissant qu'il existe une partie importante d'indéfinissable dans le réel. Ce qui définit et spécifie le nihiliste, c'est sa reconnaissance de la négativité comme signifiante. Le non-être se trouve définit par son préfixe négatif et négativisme.
Aristote reprend la méthode irrationaliste consistant à décréter que l'être tel qu'il est est le réel et que cette définition du réel complet s'obtient en admettant qu'il existe autre chose que le réel à côté du réel. Cet autre chose n'est pas accessible à la connaissance et se désigne de manière inconnaissable par non-être. Il s'agit de marquer que la connaissance n'a pas accès au négatif et que le négatif désigne l'inconnaissable, se traduisant par le discours. Au contraire, Platon cherche à définir le non-être et il le définit par l'autre.  Platon cherche à montrer que le discours peut résoudre le problème et le défi posés par le nihilisme, tandis qu'Aristote est persuadé que l'on achèvera la méontologie par la solution métaphysique : se concentrer sur l'immédiat fini, le condensé du donné et oublier - le reste.
On peut conclure en affirmant qu'Aristote a manifesté le génie philosophique de donner au nihilisme antique, balançant entre polythéisme et monothéisme, une cohérence supérieure, digne du monothéisme naissant. C'est ce qu'on appellera après Aristote la métaphysique. Ce n'est pas un hasard si cette métaphysique connut une fortune si prospère puis à partir du triomphe de la Renaissance un oubli si cuisant. La métaphysique est actuelle dans le monothéisme en ce qu'elle propose un format monothéiste pour le non-être obsolète du format polythéiste. Ce format est la finitude du réel.
Et ce n'est pas non plus un hasard si la métaphysique disparaît avec le monothéisme, juste avant : Heidegger pourrait être baptisé le dernier métaphysicien. Sa définition du Dasein, que l'on présente comme son innovation géniale (voir notamment les élucubrations enthousiaste à ce sujet d'un Conche), reprend mot pour mot la définition d'Aristote pour mieux perfectionner et achever Hegel : d'un réel fin on est passé au Dasein, qui est le déploiement fini de l'être nimbé de non-être (puisque Heidegger prisait tant la poésie mystérieuse, accordons-lui le plaisir d'une certaine emphase stylistique à défaut de qualité stylistique).

mardi 22 novembre 2011

Rumeurs de guerre


http://fr.rian.ru/world/20111117/192011216.html

Il ne faudra pas se plaindre. Nous nous trouvons face à un risque de conflit mondial à dimension nucléaire. Non, ce n'est pas de la mauvaise science-fiction apocalyptique utilisant l'arme nucléaire comme avatar de menace, c'est de l'information réaliste, répétée par les grands journaux d'Occident et du monde. A ceux qui se demandent stupéfaits quelle guerre peut bien survenir dans ce monde si pacifié et calme, depuis leur naissance au moins, on peut désormais répondre : le risque de la troisième guerre mondiale opposerait la zone atlantique à la zone pacifique.
Ne retardez pas d'une guerre, cessez de bégayer, de zézayer et ouvrez les yeux : nous risquons une guerre mondiale dont le péril serait nucléaire. Quelle serait la zone de fracture? Comme LaRouche l'a expliqué dans sa mise en garde stratégique, contrairement aux grandes muettes fort actives sur le terrain, le Moyen-Orient a remplacé les Balkans des deux guerres mondiales précédentes (en particulier la Première guerre mondiale). La déstabilisation intervient dans le Moyen-Orient, dans le cadre des prémisses de l'affrontement entre la zone transatlantique en effondrement virulent et la zone transpacifique qui essaye de prendre la place de la zone transatlantique d'un point de vue oligarchique.
La guerre contre le terrorisme se trouve close depuis la mort médiatique d'Oussama. Notre programme de guerre contre le terrorisme consistait à lutter contre un ennemi invisible désigné sous le nom d'al Quaeda. En réalité, cet ennemi fantasmatique cachait une autre identité, moins avouable et plus effective : la menace transpacifique. Cette menace ne désigne pas le haussement du niveau de vie général dans cette zone. Il s'agit d'une oligarchisation du monde qui affecte tant la zone transatlantique que la zone transpacifique. Face à l'effondrement transatlantique (en cours), la zone transpacifique jusqu'alors exploitée par la zone transatlantique entend supplanter sa rivale d'un point de vue oligarchique - substituant seulement à l'ordre oligarchique transatlantique un ordre alternatif transpacifique tout aussi oligarchique, et même plus, forcené et bien implanté dans certaines mentalités hindoues ou asiatiques.
Pour sortir de cette rivalité, il ne convient pas de lutter contre la tentative de suprématie oligarchique de l'une des deux zones, la transatlantique si l'on vit en Occident, mais contre l'oligarchie en général, qu'elle soit transatlantique ou transpacifique. Dans une mentalité républicaine, où chacun se développe de l'intérieur vers l'extérieur, les deux zones ont leur place dans un développement qui mène vers l'espace et non dans le repli d'une guerre fratricide et inutile entre les deux sphères prétendant à l'oligarchie. La troisième guerre mondiale exprimerait le parachèvement de la guerre oligarchique totale, avec ceci de particulier, de plus historiquement, que la mondialisation comme suite s'est substituée à l'internationalisation en place après la Seconde guerre mondiale.
La guerre oligarchique mondiale serait l'expression de la fin du mondialisme comme fin de l'internationalisation et de la mondialisation (fin de l'histoire selon un Fukushima en tant que terme de l'oligarchie). Raison pour laquelle les élites promeuvent la guerre totale : l'oligarchie sortirait à tous les coups vainqueur de ce conflit généralisé, alors que les peuples en seraient les grands perdants. C'est ce qui s'est déjà produit en Libye, où l'Occident impérialiste a tiré la leçon des révolutions arabes réellement populaires, notamment en Tunisie et en Egypte. Non seulement les révoltes populaires du Golfe ont été réprimées avec force et massacres, notamment par l'Arabie saoudite, mais encore depuis les phénomènes populaires et spontanés de Tunisie et d'Egypte, les États occidentaux relayés par leur appui local l'Arabie saoudite (et ses satellites périphériques) ont lancé des contre-révolutions amlagamantes et amalgamées, une particularité que Meyssan a documentée et qui consiste en gros à renverser des régimes en place (fussent-ils dictatoriaux) comme en Libye ou en Syrie pour renforcer le contrôle impérialiste et occidental déclinant et substituer à un certain ordre local (aussi dictatorial soit-il) le chaos sous couvert d'ingérence démocratique.
Cette stratégie qui entérine la fin de la guerre contre le terrorisme et son remplacement par la politique du chaos utilise les mercenaires d'al Quaeda en alliés instrumentalisés de l'Occident et de sa force militaire l'OTAN, sur le modèle de la guerre de Yougoslavie (et du conflit spécifique de Bosnie). Dans ce cadre, la guerre de Libye a été légitimée (vendue) aux populations aveuglées et individualistes d'Occident comme une guerre d'ingérence démocratique (voire humanitaire) consistant à évincer un dictateur sanglant et violeur (le Colonel Kadhafi, assassiné sauvagement, suite à un lynchage prévu) en appuyant une révolte qui n'avait rien de populaire, mais qui émanait de groupes minoritaires d'islamistes et de grands bourgeois acquis aux exigences de l'ultralibéralisme d'Occident. L'OTAN a soutenu des factions minoritaires autochtones par des moyens militaires d'envergure, des flottes aériennes considérables plus des troupes au sol en nombre (plusieurs milliers de mercenaires étrangers, du Qatar ou des pays de l'OTAN, des loufiats d'al Quaeda et des islamistes autochtones). Cette stratégie se reproduit sur le même modèle en Syrie, dans des proportions différentes (et que je connais mal). Il n'est pas question de légitimer les dictateurs façon Kadhafi ou sauce Assad, mais de constater que la reprise en main contre-révolutionnaire des révoltes populaires du printemps arabe sert la stratégie globale oligarchique de déstabilisation politique du Moyen-Orient (au sens large) aux fins de lancer la guerre totale et chaotique sous prétexte de lutter contre la montée en puissance du la zone transpacifique aux dépens de la zone transatlantique, avec cette précision que les deux zones sont interconnectées et que l'effondrement de la zone transatlantique aura un impact fort sur le niveau de vie de la zone transpacifique.
Si le chaos s'installe dans la zone transatlantique, la succession de la zone transpacifique s'opérera d'une manière oligarchique (et chaotique), avec un niveau de vie moyen faible pour les peuples de cette zone et un inégalitarisme forcené, que certains adoubent d'ores et déjà dans cette zone : l'idéal républicain sera abandonné au profit du rêve oligarchique. C'est vers cette voie que l'on se dirige et à laquelle les guerres contre-révolutionnaires du Moyen-Orient nous préparent et nous convient. Le but de ces guerres pour le moment locales (localisées en Orient) est d'accélérer le processus d'oligarchisation via l'effondrement transatlantique et l'effondrement de l'idéal républicain en Occident (en particulier aux Etats-Unis de la tradition F.D. Roosevelt) et de préparer la succession de l'hégémonie transatlantique par le rival transpacifique avec ce remplacement final de l'idéal républicain par l'idéal oligarchique. Il ne s'agit pas par la guerre d'empêcher la menace de la zone transpacifique aux dépens de la transatlantique; mais de permettre que cette tension rendue constante s'établisse au profit de l'oligarchie et aux dépens des peuples.
Dans l'idéal républicain, la montée de la zone transpacifique serait une bonne nouvelle pour la zone transatlantique, car elle annoncerait l'élévation du niveau mondial moyen et la disparition progressive des élites de type oligarchique. Les peuples de la zone transatlantique n'ont pas à pâtir du développement intérieur des peuples de la zone transpacifique. Au contraire, le développement mutuel est le propre de l'idéal républicain.
Par contre, le propre de l'idéal oligarchique est d'instiller et d'encourager la scission et l'inégalitarisme, avec une tactique constante : toujours opposer deux blocs de manière antagoniste et irréconciliable de préférence. L'opposition de la zone transatlantique à la transpacifique recoupe l'opposition Est/Ouest de l'époque Guerre froide, avec ceci de particulier qu'il ne s'agit plus d'obtenir un immobilisme plutôt favorable aux intérêts des peuples de l'Ouest que d'accélérer le processus d'oligarchie à la faveur de l'effondrement de l'Ouest. Le propre du raisonnement républicain est de considérer que les richesses sont suffisantes pour tous les hommes, à la faveur de sa faculté unique dans le règne animal de créer de nouvelles richesses. Le propre du raisonnement oligarchique est au contraire de considérer que les richesses sont limitées et qu'en conséquence le seul moyen de s'adapter à cette limitation décroissante consiste à adouber l'inégalitarisme de répartition.
Pour ce faire, il convient de créer une opposition politique externe qui diffère de l'opposition sociale interne entre les classes sociales jugées comme des différences qualitatives irréconciliables. Cette opposition externe est la conséquence de l'opposition interne. Elle est une illusion suite à l'erreur de raisonnement interne. L'affrontement entre les zones transatlantique et transpacifique répond à cette illusion de légitimer l'oligarchie au niveau mondial. Il faut un prétexte pour lancer la guerre mondiale qui serait la raison idéale et manipulatrice pour précipiter le phénomène d'oligarchie : le prétexte coïncide avec la région en conflits du Moyen-Orient, qui connaît des soubresauts liés à son statut de région colonisée par l'Occident hégémonique, mais dont l'influence réelle sur le globe se limite à sa dimension symbolique : en tant que région musulmane colonisée, elle constitue l'indicateur du soulèvement des peuples face à l'effondrement impérialiste de la zone transatlantique mondialement hégémonique.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle le monde risque de s'embraser non plus dans les Balkans, mais dans le Moyen-Orient. Un petit pays comme la Syrie est stratégique du fait de son système d'alliance avec la Russie et avec l'Iran, lui visé en définitive après la Libye et la Syrie par l'Empire britannique via Israël et son dirigeant notoirement pro-britannique Netanyahu. On pourrait parler pour le cas syrien de pivot dont l'importance stratégique est inversement proportionnelle à l'importance politique mondiale. Et la Libye, qui s'est trouvée renversée à la faveur de ce rééquilibrage mondial, n'a pas été défendue à l'ONU par la Russie ou la Chine parce qu'elle ne disposait pas d'un système d'alliance avec les puissances de la zone transpacifique.
Du coup, on l'a renversée pour précipiter le conflit entre la zone transatlantique et la zone transpacifique - plus que pour accélerer la colonisation de l'Afrique (déjà effective) ou la réorganisation de la Méditerranée. La Libye jouait le jeu indirect du développement transpacifique au détriment de l'hégémonie traditionnelle de la zone transatlantique (et de l'Empire britannique, auquel le clan Kadhafi servait de courroie de transmission régionale). La Libye dans ce dispositif empêchait la montée en puissance de la guerre mondiale. Elle s'est trouvée bombardée et détruite pour permettre non pas tant la colonisation accrue de l'Afrique (objectif secondaire lié) que l'affrontement Ouest-Est dans la stratégie plus générale d'oligarchisation du monde.
La Libye fonctionnait sur un monde oligarchique prononcé, avec ce fédéralisme intertribal qui fonctionnait sur la redistribution de la rente énergétique et l'absence de doute industralisation du pays. La Libye intertribale favorisait l'oligarchie de la zone transpacifique; ce qui dérangeait est qu'elle bloquait ainsi la possibilité de l'affrontement entre la zone transatlantique et la zone transpacifique et qu'elle empêchait la possibilité d'une mise en place de l'oligarchisation mondiale jouant sur cette dimension de guerre et de chaos. La Libye promouvait plutôt un ordre d'oligarchies régionales s'opposant à la stratégie d'oligarchie mondiale.
La stratégie d'oligarchie mondiale s'appuie sur la guerre et le chaos généralisés, d'où émergeront des élites dont la spécificité sera de ne plus être régionale, voire à portée internationale, mais mondiales au sens restreint et connoté de mondialistes. Il existe un projet original d'oligarchie mondialiste qui entend réussir la pérennisation du modèle oligarchique là où les précédents modèles régionaux sont échoué : ils étaient trop limités dans leur dimension régionale, alors que le mondialisme permettra une stratégie unique et un affrontement bipolaire - non plus multipolaire. Le clan Kadhafi libyen pèse dans cette stratégie mondiale d'une manière marginale, comme un poids superplume. Par contre, le sort libyen funeste annonce le passage du satrape inadapté et dépassé à l'oligarque mondialiste dont la source de profit principale repose sur la guerre de tous contre tous, constat de nature d'un Hobbes qui, loin de se trouver circonscrit au niveau de l'Empire britannique des limbes, se trouve étendu au niveau mondial unique et propose que le modèle du Léviathan désigne ces factions oligarchiques mondialistes dominant le chaos généralisé et la relative hégémonie de la zone transpacifique.
Pour que l'ordre oligarchique perdure, il convient que la guerre généralisée soit la constante historique et que le conflit radical contre le peuple libyen devienne la constante régulant l'ordre mondial tel que l'entend le Nouvel Ordre Mondial. La catastrophe qui est survenue en Libye est la menace qui pèse sur l'humanité en cas de guerre mondialiste : guerre généralisée, incessante et antagoniste au profit d'oligarchies qui quelles que soient leur taille et leur influence agissent toujours au profit de la stratégie mondialiste et des oligarchies de taille mondialiste. La Libye se retrouve ainsi au carrefour stratégique entre la cause et la conséquence de la menace de guerre mondiale. Cause : il fallait détruire la Libye pour déstabiliser la région et lancer une possible attaque régionale contre l'Iran, prélude à une guerre mondiale. Conséquence : si cette guerre se déclenchait pour pallier à la crise financière terminale et insoluble, elle prendrait la forme de la guerre de tous contre tous et de l'établissement d'un Léviathan mondialiste et final.

jeudi 17 novembre 2011

Négatif

De la méontologie (suite).

Quand Aristote claironne qu'il a trouvé le principe de non-contradiction comme résolution de la logique et de la philosophie, il ne blague pas. Il ne s'agit pas pour lui d'une simple subversion de la doctrine ontologique selon laquelle seul l'infini permet de résoudre la contradiction. Aristote estime avoir trouvé de manière antiontologique et métaphysique le couronnement de la doctrine nihiliste et philosophique au sens où il détiendrait le principe fini de non-contradiction - la non-contradiction finie. Une fois de plus, Aristote fait preuve d'un irrationalisme fondamental et forcené, lui qui passe pour le grand rationaliste de son temps (et de l'Antiquité) : outre qu'il peine à définir le non-être (alors qu'il explique l'être fini par le non-être), il parle de non-contradiction, ce qui est un terme négatif pour désigner le principe de fonctionnement positif de l'être.
Aristote parle de non-contradiction parce qu'il estime avoir résolu la contradiction intenable propre au nihilisme, en particulier chez Démocrite l'atomiste d'Abdère. Qu'Aristote nomme son principe viable au niveau de l'être fini "non-contradiction"est une manière décisive de reconnaître que selon lui le négatif en tant que nommé par la négation existe (si tant est que ce qui n'est pas peut être) : selon la théorie bancale et branlante d'Aristote, les éléments viables au niveau de l'être sont reliés au non-être, ce qui constitue la principale innovation aristotélicienne, et qui vaudra à son auteur comme à sa démarche appelée de manière posthume métaphysique la gloire écrasante (congelée avec la scolastique). Justement, l'innovation d'Aristote consiste à expliquer la multiplicité de l'être fini par la multiplicité du non-être.
Le principe de non-contradiction se situe au coeur de l'innovation d'Aristote, qui par le truchement de disciples fameux baptise métaphysique sa démarche philosophique, parce qu'il a réussi le compromis qu'il estime viable entre l'ontologie et le nihilisme. Le problème du nihilisme est de présenter une doctrine qui se voudrait réaliste et concrète (sensible au souci du réel), mais qui se révèle vite contradictoire. Le nihilisme aussi séduisant soit-il par son réalisme est intenable, promis à l'effondrement, parce que le réel immédiat (fini) se  révèle entouré des brumes du non-être. La doctrine de Démocrite l'érudit du nihilisme est sur ce point limpide. Démocrite ne parvient pas à relier ses atomes avec le vide dans une doctrine physique qui débarrasserait la philosophie (comme théorie du réel) de sa prétention ontologique :
1) Démocrite peine à définir les atomes comme finis, en grand nombre, ou infinis, hypothèse ce qui rendrait leur cohabitation inexplicable avec le vide;
2) Démocrite ne définit pas le vide bien qu'il essaye visiblement de lui conférer une connotation et une orientation physique non ontologique et rapportée exclusivement aux atomes;
3) Démocrite n'explique pas le lien entre le vide et les atomes, en particulier l'existence de ces atomes qui étant inexpliqués ne se montrent guère crédibles et tendent à réhabiliter l'ontologie plutôt qu'à la discréditer en la dépassant et en indiquant le caractère illusoire de son discours.
La non-contradiction signifie que le néant existe et qu'il existe en plus du néant un être qui tout en procédant du néant et en reconnaissant le néant se révèle cohérent. Le principe de non-contradiction empêche la conjonction de p et -p en même temps et sur le même point. La non-contradiction reconnaît implicitement l'existence de la contradiction dans un domaine qui n'est pas celui de l'être. Le principe de non-contradiction est ainsi fini et relatif, subordonné à la contradiction, comme l'être l'est au non-être. Car que claironne Aristote avec son principe de non-contradiction, surtout si l'on se souvient que l'être d'Aristote est fini?
Qu'il a enfin trouvé la cohérence qui échappait au nihilisme. Bien entendu, Aristote ne veut pas en rester au nihilisme, mais dépasser l'opposition nihilisme/ontologie. L'être fini est cohérent du fait qu'il se trouve soumis au principe de non-contradiction. Quant au non-être, s'il se trouve assujetti au principe de contradiction, il joue le même rôle qu'entre l'être multiple et fini et le non-être du même tonneau : moins qu'expliquer de manière inexplicable, il sert surtout de débarras à problèmes. La non-contradiction s'obtient au prix de la contradiction, tout comme l'être s'obtient par le non-être. Mais comment expliquer l'être - et le non-être? Vous ne trouverez aucune explication chez Aristote. Donc l'être d'Aristote qui passe pour cohérent et rationnel du fait qu'il est soumis au principe de non-contradiction, repose selon son auteur sur l'irrationnel.
Ce qu'Aristote a trouvé, c'est un moyen de poser un être fini, avec un prix exorbitant : la destruction de tout ce qui est non-être, théorisée par la contradiction, qui est le synonyme de la destruction; puis la destruction de l'être. Le système théorique d'Aristote détruit : pour preuve : il fige le savoir à son niveau en décrétant qu'il est parvenu à la fin de la connaissance, et cette prétention, largement avalisée par la scolastique, se trouvera pourtant démentie par les découvertes scientifiques à partir de la Renaissance. Puis l'aristotélisme pousse à la rénovation de la destruction avec la poursuite de l'aventure métaphysique dans la modernité : Descartes sert de caution à cette prolongation typique avec son deus ex machina.
Il renouvelle l'irrationalisme métaphysique, dont la spécificité consiste à se targuer de son rationalisme dans l'être en se débarrassant de l'irrationalisme dans le non-être. La réforme cartésienne permet de donner une certaine définition au non-être, en le définissant comme le domaine du divin miraculeux. L'être est soumis aux lois physiques et mécaniques les plus nécessaires et inchangeables; tandis que  le non-être devient le Dieu miraculeux en termes monothéistes chrétiens. Heidegger loin de parachever la métaphysique et de l'achever de manière aristotélicienne avec son annonce hégélienne de la fin de la philosophie ne propose rien d'autre que l'enterrement du programme métaphysique. Son Dasein essaye péniblement de contextualiser l'être fini du Dasein dans le temps et ainsi de conférer une définition nouvelle à un divin qui n'est plus métaphysique mais qui serait à chercher quelque part entre le langage philosophique poétique des présocratiques et la poésie moderne mystique (dont Heidegger fait grand cas dans un élan de mysticisme pour le coup irrationaliste et désespéré).
L'héritage d'Aristote consiste ainsi à rendre cohérent l'être en se débarrassant des problèmes irrationalistes dans le non-être contradictoire (noeud de contradictions). La réforme cartésienne consiste elle à définir le non-être comme le lieu du Dieu miraculeux. Aristote claironne qu'il a trouvé le parachèvement de la philosophie (plus que du nihilisme) qui consiste à associer le nihilisme et l'ontologie pour former la métaphysique. L'innovation d'Aristote consiste à reprendre l'exigence de cohérence de l'ontologie et l'idée de non-être entourant l'être fini du nihilisme. Il pense être parvenu à la cohérence en forgeant un être fini cohérent expliqué par un non-être prenant la place de l'infini dans l'ontologie (l'Etre) et ayant pour particularité l'incohérence totale. L'être cohérent se forge au moyen du non-être qui sert de fourre-tout et de débarras.
Quand Aristote claironne qu'il est parvenu à la fin de l'histoire, il ne s'agit pas de rodomontade grandiloquente, mais d'un constat qu'il dresse selon son système métaphysique : car l'être fini peut être assez rapidement connu, ce dont il escompte la paternité; et le non-être n'est pas connaissable. Le problème, c'est que ce principe de non-contradiction n'est principe que dans le domaine de l'être fini et qu'un principe qui ne concerne qu'une partie du réel n'est pas un principe en ce qu'il instaure une coupure épistémologique dans l'être. Le principe logique n'est pas logique ne ce que la logique implique non pas l'application dans le domaine fini de l'être, mais l'application universelle.
Aristote confond le caractère provisoire du principe à vocation universelle avec le caractère définitif du principe à vocation finie, relative et singulière. Son système s'effondre à partir de son fondement puisque si la cohérence est obtenue dans le domaine de l'être, il ne s'agit pas de l'être immuable et éternel (dont l'éternité demeure inexpliquée), mais de l'être donné au moment où Aristote l'antique rédige ses oeuvres scientifiques et philosophiques (dont l'entreprise de logique). Cette carence spécifique à la conception de l'être, carence historiquement attestée par le progrès scientifique, notamment dans la modernité (suite à l'abolition de la scolastique péripatéticienne), recoupe la carence sémantique du non-être, puisque le négatif indique la différence mais ne la définit pas, et plus grave, refuse de la définir - la définit comme indéfinissable.
C'est une fuite en avant que le système métaphysique, qui fournit une cohérence donnée à condition que le problème nihiliste de l'incohérence ne se trouve pas résolu, mais dénié, renvoyé aux calendes grecques (c'est le cas de le dire) dans la poubelle philosophique du non-être. Le non-être est un débarras au sens de placard. Mais les cadavres qu'on y entrepose continuent à pourrir et finissent par vicier et détruire l'atmosphère de la chambre. Le caractère fini et relativiste du principe de non-contradiction indique ses limites et son vice de forme : cette non-contradiction est contradictoire puisqu'elle n'est non-contradictoire que dans le domaine de l'être fini et qu'elle tolère (au sens où l'on tolérerait des maisons de tolérance) le contradictoire à ses côtés pour combler la béance laissée vacante par le caractère fini de l'être.

mardi 15 novembre 2011

Egarement oligarchique : le déformatUeur



Miracle de l'ingérence démocratique : en massacrant des dizaines de milliers de civils, l'OTAN et ses alliés en l'air et au sol auront empêché le régime libyen de Kadhafi de massacrer des centaines d'innocents présumés...

http://www.leparisien.fr/international/bernard-henri-levy-bachar-al-assad-est-le-prochain-sur-la-liste-13-11-2011-1717131.php

Vous assistez au discours décalé et irréaliste d'un représentant de l'oligarchie française. Notre gagman serait grand comique par son discours saugrenu s'il n'était un propagandiste coupable de cautionner de nombreux meurtres de par le monde. La propagande contredit le principe des snuff movies (plus largement de la pornographie) : faire coïncider la fiction (sanglante) avec le réel - l'on observe un décalage important et croissant entre ce que BHL dit (son discours) et ce que BHL fait ou cautionne (ses actions). C'est d'ailleurs une bonne définition de la propagande : l'on fait l'inverse de ce qu'on dit, si bien que le discours est dénué de toute valeur et sert à rendre crédible pour un faible instant des actions réalisées pour le très court terme - des actions dignes de la spéculation financière.
La fiction permet d'influencer sur le cours du réel en donnant à un moment donné des éléments d'anticipation sur les tendances qui adviennent. La fiction présente un rôle qui n'est pas premièrement d'anticipation (malgré la mode de la science-fiction), mais plutôt d'influence, si l'on comprend que le réel n'est pas une texture donnée à l'avance qui pourrait être devinée, mais une forme malléable et une, sur laquelle le présent peut avoir une influence décisive dans la conformation de son processus.
Si l'on donne la parole dans les médias français à BHL alors que son discours suinte le mensonge et le faible intérêt, c'est parce qu'il propage le discours du grand capital français allié officiellement à la City de Londres depuis le retour de l'entente cordiale en 2009. Les journalistes qui lui donnent avec complaisance la parole savent qu'il parle de sujets qu'il ne maîtrise guère et pour lesquels il propage un discours de déformatueur notoire. Ils se rendent complices de cette mascarade qui symbolise la mascarade de l'impérialisme occidental et de tout type de domination en tant que valeur frauduleuse.
Les deux dernières questions de l'interview donne un aperçu du décalage entre le discours typique de BHL et la réalité, dont l'accélération dernière rend encore plus loufoque et démasquée son imposture intellectuelle (selon le titre d'une lucide biographie pour qualifier ce disqualifié). On se souvient que BHL le partisan de l'oligarchie progressiste soutient de manière forcenée ses alliés atlantistes dans son inclination étrange à soutenir le progressisme oligarchique, la subversion du progressisme politique authentique qui encourage le progrès général alors qu'il s'agit de favoriser le progrès d'une élite aux détriments de la majorité - et à provoquer l'effondrement général.
BHL commence par défendre son ami l'innocent DSK, sioniste comme lui, ultralibéral de gauche comme lui, atlantiste comme lui :

"Que vous inspirent les dernières révélations sur DSK?
BHL : - Je suis scandalisé par le voyeurisme et l’obscénité de la presse. Scandalisé par cette atmosphère de chasse à l’homme. Scandalisé par la façon qu’on a, maintenant, de vouloir fabriquer un monstre. Et puis, franchement! DSK n’est plus, que je sache, candidat à la présidence de la République. Alors, en quoi ses SMS nous regardent-ils? Et au nom de quoi nous autorisons-nous à aller fouiller dans sa vie privée et celle de sa femme?"

BHL, héroïque dans sa propension à se tromper de Callas en défendant les causes de ceux qui expriment leurs remords juste après, avait trouvé le moyen de soutenir le cas consternant de Polanski le réalisateur qui a fui la justice californienne pour une histoire de viol il y a trente ans (il n'aurait jamais pu réussir cette cavale officielle sans de nombreux soutiens institutionnels en Occident, au motif de son statut d'artiste exceptionnel). Polanski a depuis lors eu l'occasion d'exprimer ses remords dans cette sordide affaire, ce qui rend nulle l'intervention de BHL (et celles de ses acolytes, comme Finkielkraut, encore un sioniste notoire qui pourrait lui plus aisément émarger dans les rangs des propagandistes de la cause sioniste).
De même, BHL a jugé opportun de défendre la cause de l'oligarque de gauche DSK, qui comme lui a le privilège d'être nommé selon des initiales cathodiques. PPDA, BHL, DSK... les peoples se reconnaissent notamment à ce mésusage abusif des initiales. Quand BHL a pris la défense de DSK, c'était lors de l'affaire Diallo, pour laquelle DSK a été accusé de viol puis jugé libre par la justice américaine de manière inexplicable (l'innocence de DSK prête à rire si l'on examine le dossier d'accusation, notamment le rapport médico-légal). Depuis DSK a été accusé par une Française de tentative de viol et reconnu coupable d'agression sexuelle (accusation prescrite, mais qui discrédite l'intervention de défense de BHL à l'égard de DSK). Désormais DSK se trouve également accusé d'accointances nauséabondes dans des affaires de  proxénétisme international et toute la défense de BHL s'effondre dans le ridicule et révèle la mauvaise foi patente de BHL l'imposteur.
Plus croquignolesque, DSK, via ses proches, reconnaît désormais, contre le jugement partisan de BHL donc, sa maladie - nommée érotomanie :
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/DSK-maladie-et-speculations-353017/
Cette affaire DSK est grave pour vérifier l'état de moralité des élites françaises, car elle révèle l'incroyable compromission de ceux qui se sont tus parce qu'ils savaient et ne voulaient pas avoir d'histoires (la majorité, dont les journalistes influents) et de ceux qui se sont tus en pensant à leur carrière (la minorité, dont les proches de DSK, certains journalistes influents comme Chazal ou Levaï). BHL appartient à cette deuxième catégorie. Il pensait faire avancer la cause de l'atlantisme de tendance sioniste et il se retrouve à avoir énoncé des sornettes en défendant l'innocence et la bonne foi de DSK, alors que ce dernier est pris en flagrant délit de mensonges et de manipulation criminels.
Avec ces deux affaires Polanski et DSK, suite aux mensonges anciens d'Aghanistan et plus récents de Géorgie, à l'opération Botul, que vaut la parole de BHL? C'est quelqu'un qui défend le sophisme dans le discours et dont la vérité (à laquelle il ne croit pas) se borne à énoncer la considération mesquine de son intérêt. BHL entérine la vérité de l'oligarchie, donc il défend les oligarques qui se retrouvent pris la mains dans le sac en train d'user de violences illégales, notamment sur le plan sexuel, ce qui est une issue prévisible et historiquement vérifiée selon le prisme de la loi du plus fort. On se croit tout permis jusqu'au jour où l'on perd son statut de plus fort et où les vengeances rétroactives commencent à s'exercer. DSK en sait quelque chose.
Mais pourquoi le peuple de France entérine-il les billevesées d'un menteur professionnel qui a déjà été démasqué et que l'on autorise à poursuivre ses boniments d'escroc de propagande - comme l'on serait de contrebande? C'est que le cas est grave et que nous avons tous cautionné le mensonge au nom de la loi du plus fort. Le drame est que quand la majorité cautionne le droit du plus fort, comme c'est le cas en Occident, on assiste à la tragédie de majorités qui cautionnent l'antagoniste de leurs intérêts : les premiers à payer leur soutien à la loi du plus fort seront les majorités d'Occident, pas les propagandistes de cliques élitistes comme BHL l'atlantiste. Il s'agit d'un soutien non seulement aveugle, mais encore contre-productif : ceux qui se croient les plus forts sont des faibles destinés à se retrouver opprimés par leur choix défectueux.
En Libye, Kadhafi a été lynché et abattu comme un mafieux et le peuple libyen massacré par dizaines de milliers : il s'agit d'un cas patent d'oppression oligarchique. Le cas est d'autant plus révoltant que ce sont des populations civiles qui payent le prix lourd pour des réagencements stratégiques à visée oligarchique (impérailiste). Dans une cruelle interview du début du mois de juin 2011, le propagandiste BHL fait encore une fois l'étalage de sa mauvaise foi et de sa manipulation de l'information en expliquant qu'il est persuadé que la chute de Kadhafi est une question de jours ou de semaines. 
http://www.youtube.com/watch?v=8jre2VAfE3s&feature=player_embedded#!
Il est toujours intéressant de réduire le pouvoir d'un État à un dirigeant, fût-il un autocrate fort critiquable comme l'était Kadhafi. Toujours est-il que le pouvoir de Kadhafi s'effondrera fin août suite à la chute de Tripoli, qui constitue, rappelons-le, le plus grand crime de guerre de ce siècle tout frais, une boucherie sans nom qui occasionna la mort de milliers de personnes en quelques jours à peine. BHL ment allègrement en compagnie du dirigeant politique israélien Livni, une modérée dont le pedigree se trouve dévolu à l'avènement du sionisme intégral, le Grand Israël, au point que l'on murmure qu'elle serait un ancien agent secret des services israéliens du Mossad.
A la fin de l'interview déjantée, possiblement outerview, que BHL donne au Parisien pour appeler à l'effondrement suivant du régime syrien, BHL n'explique jamais pourquoi en Libye l'OTAN est intervenu militairement au sol et dans les airs afin de renverser le régime de la Jamahiryia et son leader Kadhafi, alors qu'en Syrie, on attend et on se contente d'exhortations diplomatiques couplée à des déstabilisations timides au sol par des mercenaires étrangers soutenant des activistes autochtones fort minoritaires. On comprend que le peuple syrien n'ait pas envie de subir le sort funeste du peuple libyen condamné sous prétexte de démocratie à retourner à l'âge de pierre et à supporter la colonisation de ses ressources énergétiques.
Mais la légitimation de l'ingérence démocratico-humanitaire s'explique par la conception qu'on propose de l'homme. Il faut être oligarque virulent pour poursuivre dans cette voie suicidaire alors que tous vos efforts sont condamnés au chaos (comme en Afghanistan). BHL s'entête, s'enferre et montre pourquoi il continue à être consulté dans les médias alors qu'il se trouve rejeté par l'insigne majorité du peuple français (il suffit pour s'en convaincre de consulter les réactions des lecteurs de cette interview : si BHL continuait à défendre ce genre de positions, il risquerait le lynchage d'excités français, sans défendre en aucune manière cette réaction injustifiable?).
On a accusé BHL de ne pas être de gauche, de défendre des problèmes sociétaux qu'il qualifie de progressistes. C'est le vice auquel est condamné un oligarque progressiste, car le progressisme en oligarchie pousse à défendre les points de vue minoritaires au nom de l'élitisme. BHL tombé au mauvais mo-ment se trouve confronté à la terrible crise terminale du libéralisme qui touche en particulier la zone atlantique. Cette crise pose encore plus le problème de la pertinence d'une intervention militaire en Libye : non seulement on massacre, mais ne risque-t-on pas de prétendre résoudre un problème grave (la fin de notre système libéral) par un prétexte fantasmatique (la fin de la dictature en Libye)? Il est vrai qu'en matière de fantasmes et de propagandes, notre BHL en connaît un rayon. Voici sa réponse, tout aussi désaxée que quand il livre son avis dérisoire sur la question libyenne en ce moment :

"Pour vous, la France va mieux ou plus mal qu’il y a cinq ans?
BHL : - Mieux. A cause de cette histoire libyenne. C’est très important l’image de soi que peut avoir un peuple. Il y a des gens qui, comme les fripouilles du Front national, sont fiers d’être français quand on jette un immigré dehors. Et puis il y a ceux qui sont fiers d’être français quand on fait l’inverse et qu’on aide un peuple arabe à se libérer. Eh bien, c’est ce que nous venons de faire. Nous, c’est-à-dire une coalition glorieuse et improbable où il y avait Sarkozy; la chef de l’opposition de l’époque, ; des militaires valeureux ; des reporters de guerre et de journalistes. C’est ça la France quand elle se hisse au-dessus d’elle-même, à hauteur de ses vraies valeurs."

Outre que BHL réactive des amalgames superficiels à la gloire de Sarko son ennemi politique, ou contre le FN l'ennemi (secondaire alors) des Français, BHL le véritable ennemi des Français en tant qu'il personnifie le discours oligarchique de gauche proche du discours oligarchique conservateur tenu par Sarko son allié en Libye, notre BHL montre à quel point il a perdu tout sens de la réalité et des valeurs : il considère qu'en plein désastre économique, en Occident, alors qu'elle souffre d'un endettement record et d'un chômage exponentiel, la France va mieux grâce à son intervention en Libye au sein des forces de l'OTAN et aux côtés du CNT.
La cause : la guerre en Libye. La conséquence : l'amélioration de la situation de la France. Bien entendu, il n'existe aucun lien entre une coûteuse intervention militaire et l'amélioration de la situation économique et politique. On pourrait même discerner une tactique d'échappatoire consistant à faire diversion : la catastrophe libyenne ferait diversion pour éclipser la situation politique et économique de l'Occident, singulièrement de la France. Loin d'améliorer quoi que ce soit, l'intervention libyenne aura empiré la situation française, ce qui est un juste châtiment, non pour le peuple français, mais pour ses élites - qu'il laisse agir avec des méthodes de prédateur.
C'est un raisonnement typiquement oligarchique que développe BHL, qui se prend pour un brillant agent de propagande capable de convaincre n'importe qui de la pertinence de son baratin atlantiste : la France va mieux, parce qu'elle a amélioré d'un point de vue oligarchique sa situation en accroissant ses inégalités et en détruisant ses classes moyennes. En fait, le discours de BHL perd en folie si on l'écoute avec le prisme et la logique de l'oligarchie : selon de tels critères, BHL a raison de défendre la guerre en Libye et toutes les guerres impérialistes, raison de défendre l'oligarque DSK qui reconnaît sa maladie comme Polanski regrette sa pulsion, raison de se placer du côté du plus fort en enfonçant le plus faible. BHL a raison sur le court terme. 
Là où notre propagandiste commence à ne plus avoir raison, c'est quand on se rend compte que sa logique de loi du plus fort mène non pas à une domination élitiste, inégalitaire, mais pérenne (une domination durable sur le modèle du développement durable), mais à la destruction extérieure du domaine unique et limité qui finit forcément par l'autodestruction. Il faudra l'exposer à Carla Bruni, la femme de Sarkozy, qui incarne mieux qu'un long discours l'alliance terminale du parti des oligarques de  gauche avec les oligarques de droite, elle qui en symbolise la dimension strass, quand BHL illustre le côté rhéteur : dans les deux cas, l'on cherche à séduire le parti des conservateurs et l'on en devient péripatéticien plus dans le domaine moral que philosophique.

samedi 12 novembre 2011

Confessions atlantistes


"Trop indépendant. Trop jaloux de ma liberté et trop persuadé, aussi, que c'est comme ça, en ne dépendant que de moi-même, que je peux, peut-être, parfois, servir à quelque chose."
BHL,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/bhl-c-est-kadhafi-qui-a-choisi-la-guerre_1049282.html?xtor=x

Cet extrait émane de la confession (bourrée de remords?) de l'ancien ministre libyen du CNT Jibril, agent atlantiste patenté :
http://www.come4news.com/lybie-jibril-cnt-kadhafi-execute-par-une-force-etrangere-250304
notamment cette remarque :

"En tout cas, celui qui a ordonné (son exécution) voulait la mort de Kadhafi pour éviter qu'il dévoile des secrets après son arrestation".

Le bon Jibril a été récemment remplacé par un autre agent atlantiste patenté, salarié par les compagnies pétrolières dominantes (ENI, Total ou la BP). Notre article de Come4news cite la réaction contradictoire de l'allié BHL, qui est pris en flagrant délire de mensonge, un tic récurrent chez lui :
"Pour sa part, Bernard-Henri Lévy a indiqué à L'Express (selon le lien consultable en premier, NdA) qu'il ne croyait pas que les Kadhafi puissent détenir des secrets : « Je crois que personne n'avait d'intérêt à faire taire Kadhafi. Je sais qu'il y a des théories qui fleurissent sur la Toile et qui évoquent des redoutables secrets dont il aurait été dépositaire et qu'il aurait rendu publics s'il avait comparu devant une cour pénale. Allons ! Ne pensez-vous pas qu'il avait mille fois le temps de le faire pendant les huit mois de guerre ? Croyez-vous qu'il se serait privé, s'il avait disposé de ces terribles "dossiers", de s'en servir comme d'une arme de guerre ? »
Outre que les affirmations de Jibril contredisent la version de BHL l'imposteur, la première phrase est grotesque quand on connaît le parcours de Kadhafi, ses collusions depuis quarante ans avec les services secrets communistes, occidentaux, ses liens avec des organisations nationalistes panarabes, ses accointances avec les milieux néo-nazis, ses compromissions avec des milieux d'affaires troubles, ses dernières amitiés avec l'inénarrable Blair... Il n'est plus besoin de démentir BHL, dont chacun sait qu'il est un propagandiste atlantiste, pas un intellectuel engagé (pour le côté philosophe, le blanc blafard a pris le dessus depuis longtemps). 
BHL essaye ensuite de se moquer du conspirationnisme de manière très maladroite et réactionnaire, ce qui rappelle son appartenance ubuesque pour le système qui s'effondre (l'atlantisme et sa variante le sionisme). Tout occupé à démontrer que Kadhafi aurait eu le temps durant les huit mois de guerre livré par l'OTAN/CNT pour livrer ses secrets, ce qu'il a d'ailleurs fait au moins en partie, passons sur cette nouvelle déformation, notre propagandiste échevelé BHL en oublie qu'il défend le droit d'ingérence démocratique, en Libye comme partout dans le monde depuis quarante ans, avec comme principale argutie qu'il ne s'agit pas d'imposer depuis l'extérieur la démocratie par la violence de la guerre, mais de soutenir des révoltes populaires majoritaires et massives contre des minorités dictatoriales par le moyen d'aides militaires sporadiques et ponctuelles :
"Il me semble que ce qui se passe à l'autre bout du monde nous concerne, vous concerne, me concerne. S'il se produit, au Bangladesh ou en Libye, en Bosnie ou au Darfour, au Rwanda ou au Sud-Soudan, un massacre, un génocide, une violation flagrante des droits de l'homme, si nous en sommes alertés, si nous avons les moyens de l'empêcher et si nous n'en faisons rien - alors nous perdons notre âme. C'est ça, l'ingérence. Et que l'Europe ait inventé ce concept, puis qu'elle l'ait appliqué, là, en Libye, pour la toute première fois, il y a tout lieu, en effet, d'en être fier." 
Oups. BHL est pris la main dans le sac, comme un mauvais propagandiste qui se coupe, alors que l'on attendrait de notre normalien agrégé de philosophie qu'il brille des feux de la rhétorique à défaut de production philosophique. Cruauté vengeresse de la vérité quand on ment : focalisé à défendre l'innocence des chefs d'Etat occidentaux en Libye, dont son opposant politique Sarko, BHL reconnaît que les démocraties occidentales sous la bannière de l'OTAN et leurs divers alliés étrangers ou autochtones ont livré "huit mois de guerre" en Libye. C'est la reconnaissance qu'il ne s'agit pas d'un soulèvement populaire majoritaire et même massif contre un clan dictatorial, réalisant un génocide ou un massacre désaxés conter des populations innocentes et pacifiques, mais d'une guerre impérialiste et colonialiste massive travestie en ingérence démocratique.
Ca, on le savait - de nombreux témoignage ne cessent de nous l'indiquer, de nous le rappeler :
"Tous comptes faits, avec sa prétendue « no-fly zone » et son intervention humanitaire, l’OTAN a clairement fait la guerre à un gouvernement pour le compte d’une faction insurgée. Point. C’était l’intention de départ, et l’entreprise a réussi."
Rick Rozoff, interview avec John Robles
http://lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.skynetblogs.be/archive/2011/10/26/la-curee.html

Mais ce qui est intéressant dans cet aveu édifiant sur la guerre véritable et l'absence d'ingérence démocratique verueuse, c'est de constater que BHL le sait aussi, ment de façon éhontée au point de descendre au niveau de la contradiction (le pétage de plombs). Il vend la mèche de son baratin quand il est présenté comme le grand manitou de la diplomatie internationale ayant sonné le tocsin de l'ingérence et ayant le carnet d'influence pour lancer les Etats derrière l'OTAN dans l'aventure de la guerre pour la démocratie en Libye et pour le peuple libyen. En fait, BHL est un pantin utilisé en France comme une marionnette par des intérêts politiques et financiers autrement plus puissants que sa verve de cabotin. Il le sait, comme il sait les résultats affligeants en termes de démocratie et de prospérité pour les peuples de l'ingérence démocratique, en Libye, en Géorgie ou en Afghanistan : l'ingérence renvoie à une invention impérialiste (Grotius) qui sert à cautionner l'impérialisme en le travestissant en démocratie. L'ingérence et la démocratie sont des oxymores. 
Il ne sert à rien de parler de BHL philosophe ou intellectuel. C'est une imposture patente et parente. Mais de BHL propagandiste, il convient de considérer le cas, au moment où l'atlantisme s'effondre. BHL ne travaille pas directement pour les intérêts de l'oligarchie britannique affiliée à l'Empire britannique, ni pour la City de Londres. On susurre qu'il serait un espion à la solde des Israéliens ou du sionisme (quel courant?). Je pencherais pour une troisième hypothèse : BHL travaillerait pour les intérêts du capitalisme français, non pas en tant que salarié direct d'un organisme ou d'une fédération, mais en tant que membre du cénacle de ce grand capitalisme français dont il n'est qu'un faible milliardaire, mais dans lequel il est entré par son rôle de porte-parole actif et engagé. Il serait rémunéré par la prospérité de ses placements boursiers issus de la fortune familiale (engrangée de manière démocratique par l'exploitation du bois en Afrique) et ses multiples tribunes dans les médias dominants français de ses amis actionnaires (Pinault, Lagardère, Arnault...).
Après le gag Botul ou les mensonges de Géorgie, BHL pète les plombs. Il serait temps que ses employeurs directs ou indirects le fassent rentrer dans le rang de l'anonymat, y compris en France, car le voilà qui sous prétexte de défendre l'ingérence démocratique en devient contre-productif pour la cause qu'il sert. Il s'empêtre dans ses valeurs revendiquées ou vérifiables au point où il confesse crûment l'impérialisme en lieu et place de la démocratie : huit mois de guerre, c'est beaucoup plus qu'uen iade ponctuelle, beaucoup trop pour seulement aider des populations nombreuses et autochtones à se débarrasser d'un horrible dictateur sénile et paranoïaque. Et puis, on pourrait demander à notre chevalier de l'ingérence démocratique française pourquoi il n'appelle pas à renverser le régime saoudien, qui pratique la dictature et qui est bien davantage haï de sa population que Kadhafi ne l'était en Libye ou Ahmadinejjad ne l'est en Iran.
Ne rêvez pas, BHL veut bien défendre la démocratie à condition que ce soit chez les faibles dictateurs - contre des dictateurs faibles. BHL a défendu la démocratie en Afghanistan contre les communistes dégénérés et en voie de disparition, et pour les atlantistes. Rebelote en Yougoslavie où il était déjà du côté de ceux qui arment al Quaeda, contre des régimes proches des anciens communistes. En Libye, aussi, BHL soutient des atlantistes cette fois en position de dégénérescence drastique contre un étrange dictateur socialiste-islamiste proche des défunts régimes communistes et lui aussi attaqué par les mercenaires d'al Quaeda (entre autres mercenaires étrangers et sans compter les mercenaires locaux).

Bref : BHL se trouve pris la main dans le sac à raconter n'importe quoi (ne le savait-on pas depuis le départ, avec notamment les critiques de Castoriadis, Deleuze ou Vidal-Naquet?), mais en plus il se contredit dans la même interview de manière grossière. Il s'agit d'un comique qui manie l'humour sur un sujet tragique (des dizaines de milliers de morts, un pays dévasté, de la torture, des assassinats, de l'impérialisme) et qui a décidé de nous faire rire jusqu'au bout - en soutenant la cause aveuglante de l'impérialisme atlantiste. Si l'on en doute, une dernière preuve, avec l'avis mesuré et lucide de BHL sur le sujet iranien : 

"En revanche, que l'Iran soit sur le point d'avoir des armes de destruction massive, qu'elle en ait l'intention et qu'elle soit au bord de réaliser son programme, ça, c'est à peu près sûr, personne de sérieux n'en doute."
Gentil BHL, il serait temps de prendre des vacances, par exemple avec ta nouvelle dulcinée, l'héritière irlandaise Daphne des brasseries Guiness, fille de sir Moyne, si ma mémoire est bonne. Car non seulement de nombreuses personnes doute que l'Iran veuille acquérir le nucléaire militaire, première inexactitude, mais encore le rapport même de l'AIEA confirme la précaution élémentaire de réflécjir avant de se lancer en guerre : selon le paragraphe 53 du rapport actuel, indexé sur le rapport NIE américain de 2011, les soupçons de l'existence de nucléaire militaire en Iran remontent à 2003 et depuis lors ne reposent sur aucun indice factuel probant. Une fois de plus, BHL divague et trahit son positionnement idéologique atlantiste au service de la cause du libéralisme français, illustrant cette course folle vers l'alliance avec la City de Londres - la nouvelle entente cordiale nouée en 2009.

vendredi 11 novembre 2011

La caricature de l'humour

Dans l'affaire de Charlie-Hebdo, un média récidiviste en matière de caricatures libres dirigées contre l'Islam et le prophète ultime de l'Islam (non le seul, Jésus/Issa occupant une place primordiale) Mohamed (que tous en Occident nomment de manière déformée et révélatrice Mahomet, ce qui a un sens péjoratif et orienté), on entend parler à tort et à travers du droit à l'humour en tant que droit élémentaire affilié à la liberté d'expression. Qu'un journal se prévale de la liberté d'expression en démocratie laïque, rien à redire, mais ces caricatures sont à l'encan des caricatures précédents reprises au journal néo-conservateur danois Jyllands Posten : de bonne foi, elles ne sont pas drôles.
Se réclamer du droit à l'humour en la matière relève de l'imposture et insulte le goût des lecteurs de Charlie Hebdo tout comme de l'ensemble de la population française. L'humour consiste à montrer que toute réalité représentée est éphémère et transitoire, que le donné n'est pas le réel. C'est le choc entre le donné et le réel qui constitue le terreau de l'humour, le donné se trouvant submergé et dépassé par le réel. En l'occurrence, l'humour très orienté de ces caricatures consisterait plutôt à se moquer d'un donné déformé (le turban de Mahomet) au nom d'un autre donné alternatif. Désolé, on ne se situe pas dans l'humour, mais dans un no man's land flottant à la dérive entre la propagande et le prosélytisme (convertir les musulmans à la la laïcité entendue non comme garantie de pluralisme religieux, mais comme religion déniée et supramonothéiste).
Les caricatures n'ont pas à être poursuivies au nom de la liberté d'expression, à condition qu'on reconnaisse qu'elles se trouvent au service d'une certaine propagande et n'ont pas valeur première à l'humour, nié au nom de principes balourds comme la propagande ou le moralisme laïcard à connotation très orientée (en gros le néo-conservatisme). Pourquoi Charlie-Hebdo, un hebdomadaire libertaire au départ, est devenu depuis dix ans un support récurrent et reconnu pour la doctrine néo-conservatrice et ses relents jouant sur l'islamophobie, depuis l'intermède Val en particulier? La subversion du libertarisme par les plus vilaines formes de néo-conservatisme, dont le libertarianisme des actuels républicains à tendance soi-disant Tea party, s'explique par l'absence d'alternative positive du libertarisme au moment où son sujet de contestation cardinal, le libéralisme, s'effondre.
Rien pour le libertaire à opposer à l'effondrement de son ennemi-allié libéral (en termes marxistes capitaliste). Rien d'antilibéral/anticapitaliste chez le libertaire classique. Du coup, les plus extrémistes du camp libéral s'emparent du libertarisme pour le subvertir et lui donner une apparence de contestation au service du libéralisme qui s'effondre et qui s'en prend à l'Islam comme ennemi fantasmatique et déformé. L'hebdomadaire français Charlie-Hebdo était mort depuis longtemps suite à sa récupération idéologique par Val et sa transformation insidieuse en organe de propagande. Depuis le départ de Val, vidé de sa substance, il n'a pas réussi à retrouver une identité, exsangue. Du coup, il accumule les pertes budgétaires historiques, ce qui prouve que malgré ses sujets grossiers et contestables il ne se vend plus et que le public libertaire ne se reconnaît plus dans ce journal satirique qui véhicule des relents jouant sur l'islamophobie au nom de l'humour.
Si l'on reconnaît enfin que Charlie-Hebdo est balourd et n'est plus drôle, plus provocateur, plus subversif, qu'il essaye de manière minable et mesquine d'augmenter ses tirages en jouant sur des sujets qui font parler, la vraie question n'est pas de savoir qui a fait cet attentat stupide et abject, mais plutôt comment expliquer qu'un journal satirique sacrifie son humour à un thème faux et stupide. On pourrait relever qu'il existe peu de chances que ce soient des musulmans qui aient perpétré cet attentat décérébré et inutile, mais là n'est pas la question. Si Charlie-Hebdo se vautre dans la fange la plus obvie de l'antithèse à l'humour, du balourd et du grossier, rien d'étonnant à ce que les lecteurs ne suivent pas, mais - pourquoi cet acharnement éditorial? Pourquoi après les sinistres années Val où l'hebdo subit de la censure, de la médiocrité et le ravalement de son identité libertaire à la subversion proto-néo-conservatrice poursuivre avec cette ligne qui nuit à la qualité éditoriale de Charlie Hebdo et qui contredit sa propension à se moquer des plus forts?
Pourquoi se moquer des plus faibles en reproduisant la caractéristique principale de la moquerie des plus forts, procédé bien connue dans la cour de récréation de la part des plus grands à l'encontre des plus petits : la calomnie et l'usage consternant de la bêtise en lieu et place du discernement et de l'esprit critique? On n'attaque pas le faible, le blessé, le calomnié. Laissez Kadhafi tranquille; laissez les musulmans en paix, d'autant plus que les attaques destinées à augmenter le sentiment d'insécurité et la peur des musulmans se fondent sur une définition décérébrée de l'Islam et des musulmans. Ce n'est pas parce qu'on vient de pays musulmans qu'on est musulman, qu'on connaît l'Islam et qu'on pratique l'Islam.
A titre d'exemple, en France, combien de musulmans répertoriés pratiquent l'Islam et connaissent l'Islam? Combien ne s'en tiennent-ils pas plutôt à des traditions et à des rites qu'ils sont incapables d'expliquer et qu'ils appliquent pour se donner une identité fragile et souffreteuse? Si vous voulez attaquer l'Islam, commencer par connaître l'Islam, la complexité de ses interprétations théologiques, la richesse de son histoire si diverse. Et par pitié, cessez de ranger les Arabes et les immigrés d'Occident venant de pays à majorité musulmane dans la catégorie automatique des musulmans. S'ils sont musulmans, tant mieux. S'ils pratiquent l'Islam, tant mieux. Le vrai problème de l'islamisme radical tient à la méconnaissance des principes de paix et d'amour de l'Islam.
Avant de critiquer l'Islam, accédez à la polysémie des identités : l'identité du musulmans est fort polysémique; l'identité de l'Arabe est polysémique - et pas forcément musulmane; l'identité du Français musulman et arabe est polysémique. Et pour les musulmans non arabes? Et pour les musulmans blancs? Ces questions rappellent que l'Islam est grossièrement déformé par certaines tendances extrémistes occidentales, qui l'instrumentalisent à des fins de stratégie impérialiste, pour prolonger la durée de vie d'un impérialisme de toute manière condamnée. Qu'un journal satirique comme Charlie-Hebdo s'engouffre dans cette brèche et prétende faire de l'humour avec de la douleur est affligeant. Pour moi qui ne suis pas musulman, je n'aurai que cette réaction : vive l'Islam, vive la paix, vive le prophète Mohamed, vive la critique, vive la nuance.

mardi 8 novembre 2011

Snuff démocratie

L'assassinat de Kadhafi selon sa version la plus probable actuelle : Kadhafi part des environs de Syrte dans un cortège d'environ soixante-dix véhicules, avec plusieurs personnalités de l'ancienne Jamahiryia, protégés par des mercenaires sud-africains employés par des sociétés militaires privées britanniques (proches du MI-6). Grâce à une trahison, le convoi est bombardé par des avions, puis attaqué au sol par des commandos de l'OTAN. Les mercenaires sud-africains sont abattus quand ils ne sont pas déjà morts. Kadhafi est toujours vivant, mais blessé et hagard (à cause des gaz utilisés et de la violence de l'attaque). Avec quelques gardes du corps, ils trouvent refuge dans des bouches à égout. L'OTAN a prévenu des combattants de Misrata de les y attendre. Les quelques dizaines de combattants des hordes estampillées CNT se montrent surexcités, sans doute drogués, incapables de réaliser une action militaire conséquente. Nos individus, des islamistes de la tribu Misrata, ne sont pas capables de livrer un combat contre les quelques mercenaires sud-africains.
Ils sont juste bons à se vautrer dans la barbarie lamentable du lynchage de Kadhafi. Pour ceux qui doutent encore de l'éventualité, la mise en scène est entérinée par le commandement de l'OTAN, même si selon certaines versions, de nombreuses réticences pour le lynchage d'un chef d'Etat en exercice  existaient dans les rangs atlantistes (et du fantoche CNT). La suite en dit long sur le monde dans lequel nous vivons. Un monde de violence sociopathe. Les rebelles de Misrata sont des mercenaires qui ont été payés (promesse pas toujours tenue) pour réaliser leur besogne sordide. Que des factions de Misrata agissent seuls indique que les factions de Benghazi ont refusé le discrédit qui s'en suivra et se méfient de l'ingérence militaire étrangère, notamment la tribu des Obeïdi, qui s'était soulevée contre Kadhafi, mais qui est devenue hostile au CNT trop islamiste et manipulé par l'OTAN depuis l'assassinat par égorgement du général Younès, leur représentant le plus haut placé dans le CNT.
Quant aux islamistes de Tripoli ou aux rebelles berbères du Djebel Nefoussa, les premiers sont en guerre avec l'OTAN au sujet de revendications politiques (la place de l'islamisme); les seconds sont de plus en plus mis de côté du fait de leurs revendications nationalistes. Loin de ces considérations politiciennes, Kadhafi groggy commence par être sodomisé par un "combattant" avec un objet contondant qui le blesse au point de le faire saigner. Le symbole hideux et hautement distingué se passe de commentaires. Bien que le vieil homme de presque soixante-dix ans éprouve de grandes difficultés à marcher, il est tabassé par de nombreux individus qui hurlent des probants "Allah Akbar!" en le lynchant. L'Islam se trouve lynché par ces soudards stupides alors que le recours à la violence gratuite est interdite par toute loi islamique.
Le couronnement du courage : ils sont plusieurs dizaines contre un homme blessé de presque soixante-dix ans. Chapeau, les artistes. Ensuite, Kadhafi est hissé sur un pick-up, où les humiliations continuent, notamment les coups. Puis, les images disponibles disparaissent, mais Kadhafi continue à être battu, bien qu'il soit blessé et en danger de mort. Enfin, il est admis dans une ambulance, dont on se demande ce qu'elle faisait là. Encore la preuve que tout est orchestré et que des gens de l'OTAN ont donné leur accord pour ce crime de guerre qui en dit long sur la nature de l'intervention démocratique et humanitaire. Et quelle est l'identité des avisés qui manifestent soudain la présence d'esprit de cesser le lynchage pour administrer les premiers soins vitaux au prisonnier? En tout cas, le calvaire de Kadhafi ne s'arrête pas là : alors qu'il est déjà inconscient et que la violence des sévices qu'il a subis est passible de nombreux crimes, dans l'ambulance, Kadhafi est froidement liquidé de deux balles, l'une à la tête et l'autre au ventre (poumon).
Qui étaient les ambulanciers? Pourquoi ont-ils laissé faire? S'agit-il d'un règlement de comptes d'un énième excité - plutôt de l'oeuvre de professionnels missionnés par l'OTAN pour terminer la besogne et empêcher que le vieux chef libyen ne continue à vivre? Kadhafi meurt abattu à l'image de ce que fut la guerre en Libye : beaucoup de morts, beaucoup de mensonges, beaucoup de propagande. Parmi la propagande atlantiste à caractère démocratique, on trouve l'idée selon laquelle Kadhafi le dictateur assassin de nombreux Libyens, violeur, tortionnaire, n'a eu au fond que ce qu'il mérite. Si l'on partage cette légitimation de la violence et de la haine, l'on ne se situe plus dans des principes de droit, alors que le droit international est si malaisé à mettre en place, mais dans la loi du plus fort, qui encourage à tuer et maltraiter les dirigeants vaincus, du moment qu'ils sont en situation de faiblesse.
Le fait que l'on diffuse en boucle et sur Internet, le nouveau média dominant, les images du lynchage de Kadhafi indique la volonté politique de l'OTAN de mettre en scène l'apologie de la violence brute et pure, violence désaxée et gratuite, avec deux effets directs : causer des traumatismes dans les esprits des spectateurs-voyeurs; faire peur en montrant la cruauté de la scène et la puissance de ceux qui ont commandité cette opération et qui ne sont pas les pauvres types ravalés à l'état de pathétiques tortionnaires.
Le culte de la violence est une caractéristique de nos sociétés occidentales et libérales en fin de règne : il se trouve encouragé par les jeux vidéos violents, par les émissions télévisées perverses et par les scènes de vidéo de meurtres et autres assassinat que l'on peut admirer sur Internet. Souvent ces vidéos sont détournées de leur mobile : tel meurtre n'a pas été commis pour le visionnage voyeuriste, mais pour des motifs crapuleux, militaires ou politiques.  Le meurtre abject de Kadhafi obéit à d'autres intentions : les vidéos amateurs ont été envoyées sur le Net parce que le lynchage d'un dictateur célèbre est facteur de succès. Facteur de leçon oligarchique, tant ceux qui considèrent cette fin atroce s'en trouvent édifiés, un peu comme Aristote prêtait à la tragédie des vertus cathartiques. La pendaison de Saddam obéissait à cette logique édifiante, à ceci près qu'Hussein conserve une certaine dignité dans sa mise à mort, alors que le lynchage de Kadhafi indique que nous nous trouvons en présence d'intention cruelles et virulentes typiques de la mentalité oligarchique.
Qu'est-ce qu'un snuff movie? C'est le degré de la violence le plus haut dans le cinéma, au point que ces films sont interdits et que nous disposons de témoignages qui indiquent qu'ils existent - que de riches pervers les achètent sous le manteau pour jouir de la cruauté des mises à mort. Ce ne sont pas forcément des films pornographiques, même si c'est souvent le cas. Les acteurs qui jouent les scènes présentent la particularité de faire coïncider le réel avec le fictif, puisque la mise à mort des victimes est effective. Ces films sont interdits par les législations au nom de leur aspect plus que violent : criminel. Le crime qui s'y produit y est passible de poursuites; et l'appel au crime pousse le spectateur à jouir de l'acte de tuer, voire à tuer à son tour. Dans tous les cas, la violence réduit les relations humaines à la guerre de tous contre tous qui serait l'état de nature chaotique selon Hobbes.
Voyons à quel résultat noble la guerre humanitaire a abouti en Libye : le lynchage médiatique de Kadhafi correspond en tous points à un snuff movie. La dimension pornographique pourrait sembler absente de ce règlement de comptes militaire, mais la sodomie sanglante de Kadhafi contredit cette première version et indique que la métaphore sexuelle du lynchage aboutit à la destruction identitaire du dictateur libyen. Cette première dimension est la moins connue - on le comprend. Les autres renvoient en tous points aux critères du snuff movie. Mais alors, quelle est cette société démocratique et libérale qui pratique non pas les lois de la démocratie mais les règles les plus perverses et désaxées? Et qui sont les citoyens de ces démocraties pour accepter qu'on leur impose de manière obscène et hideuse le spectacle d'un dictateur déchu lynché selon l'esthétique du snuff movie?
Bien que nous n'approuvions pas la représentation du crime effectif, nous sommes tombés bien bas pour trouver un tel spectacle banal, tolérable et normal, à moins de considérer que notre norme de valeurs se situe dans la courbe de l'oligarchie terminale et que nous sommes à l'image du snuff movie : de petits monstres individualistes qui à force de vivre selon leurs désirs immédiats en viennent à cautionner des actes monstrueux et criminels pourvu qu'ils se situent loin de leurs terres et qu'ils soient commis sur des personnages critiquables, voire calomniés (dans le cas de Kadhafi, ses crimes irréfutables se trouvent largement déformés et grossis depuis la campagne médiatique et propagandiste de février 2011). Le fait que si peu de dirigeants occidentaux aient critiqué cette action pourtant atroce et symptomatique est corroboré par le corolaire selon lequel la plupart des citoyens occidentaux se fichent des conséquences du drame qui s'est produit, comme ils se fichent des conséquences de la crise systémique que nous endurons. Il est vrai que lorsqu'on vit dans le monde du désir, on est habitué à se mouvoir dans un univers dépourvu de causalité et de conséquences, à l'image de la philosophie d'un Hume : nos chers citoyens sont irresponsables au premier sens du terme, dans le sens où ils ne pensent pas aux conséquences.
Si je me fiche de la crise financière, elle risque pourtant de me laisser exsangue; si je me fiche de la guerre coloniale en Libye, je risque d'en subir les risques de déstabilisation proche; si je cautionne le meurtre raffiné de Kadhafi, je risque de détruire le fragile et imparfait droit international et d'y substituer la loi du plus fort. Dans tous les cas, pour accepter de visionner, même forcé et passif, le film du lynchage de Kadhafi, il faut souscrire à la mentalité du psychopathe (voire du sociopathe) : les spectateurs de snuff movie cultivent comme particularité morbide d'être riches et pervers. Exactement les caractéristiques des citoyens d'aujourd'hui en Occident par rapport au restant du monde, avec cette précision qu'ils seraient riches et pervers à force d'être lâches et hédonistes (inconscients dans le sens le plus mesquin et déstructuré).
Le raisonnement recoupe le clivage propre au héros du roman le plus fameux d'Ellis (et le meilleur, de loin) : American Psycho. Patrick Bateman est un brillant golden boy dans la journée, un abominable tueur en série la nuit. Ellis reprend la légende de Docteur Jekyll et Mister Hyde, en l'adaptant aux goûts de son époque (les années 80). Ellis avait senti dans les effluves pestilentielles en provenance de Wall Street et des valeurs consuméristes de New York - à quel point le spéculateur incarnait la figure de la domination désaxée plus que folle. Le clivage se trouve aussi récurrent dans la théorie géopolitique de l'Empire britannique telle que Cooper nous la présente : à l'intérieur de l'Empire (la fédération européenne), les règles de vie démocratiques; à l'extérieur, la loi du plus fort - l'adaptation au système tribaliste archaïque, comme en Libye.
Le psychopathe est clivé de manière psychopathologique à l'instar de l'oligarque. Ainsi de Bateman capable de mener deux vies de front. L'Occident vend à l'intérieur de ses frontières le havre de la paix quand il procède en Libye à des exactions sanglantes dont le sort réservé à Kadhafi n'est que le symptôme métonymique. Le clivage oligarchique repose sur le même moule et subit le même destin : de même que le psychopathe est certain de voir son système intérieur s'effondrer, le plus souvent par une arrestation policière; de même le régime politique oligarchique est certain de s'écrouler, suite à un renversement politique (comme dans le cas de la chute progressive de l'Empire romain, bien que certains spécialistes de l'histoire romaine comme le foucaldien Veyne osent avancer que le déclin n'existe pas et que la vérité n'existe pas davantage sur ce moule relativiste et fallacieux).
Le rapprochement entre le snuff movie, l'assassinat atroce de Kadhafi et les méthodes impérialistes occidentales travesties en ingérence démocratique et autres billevesées meurtrières conduit, par le biais du clivage, à comprendre que la violence la plus forte est synonyme, non de toute-puissance maléfique et durable, mais de faiblesse, d'effondrement imminent. Comme si un moribond sur son lit de trépas en venait à agonir d'insultes et de menaces ses proches, alors que c'est lui qui va disparaître de l'existence sensible ne tant que forme vivante. Le clivage conduit à l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur. On prend l'intérieur pour le tout, quand l'extérieur se trouve nié. Le clivage crée les conditions de la contradiction destructrice, où les forces intérieures se retournent contre l'ordre qui n'est plus connecté avec l'extérieur.
Dans le snuff movie, les bourreaux qui assassinent leur(s) victime(s) pourraient s'estimer toutes-puissantes et impunies; alors qu'elles annoncent leur prochaine disparition par l'assassinat le plus sauvage de l'innocent. Le spectateur pervers de cette distraction cruelle et sardonique est un pauvre type en souffrance et en rémission, qui se trouvera à son tour châtié. Quand on recourt aux méthodes les plus violentes et les moins légales, comme pour le lynchage de Kadhafi ou pour l'assassinat ciblé des enfants des dignitaires libyens, cas interdit depuis plusieurs siècles, ce n'est pas le signe de la toute-puissance pérenne, mais de la fin imminente d'un état terminal.