lundi 28 novembre 2011

Pour de nouvelles valeurs


Je n'arrive plus à retrouver la vidéo en question, peu importe. Le président de l'Association des Maires de France Jacques Pellissard propose, pour empêcher le contrôle oligarchique du parrainage à l'élection présidentielle par les candidats des grands partis, l'alternative de deux parrainages au lieu d'un seul à l'heure actuelle. Le premier exprimerait le choix du maire, l'autre encouragerait les petits candidats à obtenir les 500 signatures nécessaires, laborieuses à obtenir quand on ne dispose pas du soutien d'un parti politique important. Jacques Pellissard intervient peut-être suite à une opération de campagne intéressée - pour sa réélection, mais, même ainsi, notre candidat ne sombre pas dans la démagogie : il cherche de nouvelles solutions. Au juste, j'ignore si sa proposition repose sur une vision régénératrice de la société ou si elle charrie une certaine utopie, mais Pellissard se fait le porte-parole du désarroi de nombreux maires de France, en particulier ceux des petites communes, villages ou bourgs, qui se trouvent frappés de plein fouet et au premier chef par la crise économique, et qui sont contraints à se révolter contre l'ordre injuste et oligarchique des grands partis politiques parisiens, ne représentant plus qu'eux-mêmes - plus certaines aspirations élitistes et fort peu populaires.
Ce que Pellissard cherche, c'est à encourager de nouvelles candidatures, non reconnues et fort minoritaires. Je pense au cas accablant pour les pratiques démocratiques de Cheminade en 1995, qui se présente à l'élection présidentielle, dénonce de manière prémonitoire le cancer financier et se retrouve ruiné par le Conseil constitutionnel, gravement calomnié dans son honneur (candidat de Saddam, fasciste/nazi, extrémiste de droite, voleur de vieille dame atteinte d'Alzheimer, gourou de secte américano-française...). Comment faire pour discréditer les idées nouvelles, qui sont accréditées par la terrible crise que nous traversons (et qui n'est pas qu'économique si on veut la traiter efficacement, pas en première couche) : en politique, le censeur est le libéralisme qui ose encore prétendre qu'il est le moins censeur et le plus libérateur des systèmes idéologiques (l'idéologique prétendant réconcilier l'économique avec le politique en réduisant le politique au commercial, déjà réduction de l'économique).
Nous nous trouvons dans une période de transition et de crise prévisible. Il est normal que les plus petites unités du maillage politique soient les plus exposées pour chercher de la nouveauté politique. Et pour trouver du nouveau politique, il faut du nouveau pas seulement politique, plus largement culturel, philosophique, en un mot plus général - religieux. Pelissard le représentant français des maires est bien placé pour répercuter le besoin de nouveauté politique, mais il le fait trop d'un simple point de vue politique, sans prendre en compte le lien entre la sphère politique et la sphère religieuse supérieure. Toujours est-il que l'on découvre par sa déclaration qui précède sa réélection et qui est l'un des thèmes-phares de sa campagne que les représentants politiques, confrontés à la terrible crise politique, institutionnelle, mettant en péril la survie des collectivités formant l'Etat-nation français, symbole des États-nations de l'Occident, dont le fédéralisme des États-Unis, cherchent des solutions nouvelles.
L'effondrement du libéralisme ne laisse place à aucune alternative dans le donné. Quand le communisme s'est effondré autour de 1989, il restait l'alternative antagoniste du libéralisme - ce que le communisme (plus largement le socialisme) appelle improprement depuis Marx le capitalisme. Vingt après, bien qu'il ait claironné qu'il restait seul en liste et qu'il triomphait de manière définitive au point d'abolir le temps, le changement et d'instaurer enfin la fin de l'histoire (pour reprendre l'expression de l'idéologue Fukuyama qui ne se prive pas de reprendre à son tour le métaphysicien Hegel en lui donnant des couleurs idéologiques), le libéralisme s'est effondré à son tour, à la suite de ce que les médias libéraux ont d'abord présenté comme une crise anecdotique des subprimes destinée à passer et à s'effacer.
La fin du libéralisme n'est pas une crise passagère, minant provisoirement la bonne santé générale du système politique - la continuité de ce qui est surplombe l'effondrement de ce qui n'est plus. La fin du libéralisme signifie qu'il ne reste plus rien après - pour le moment; car le libéralisme était non seulement l'idéologie majoritaire, mais aussi l'unique idéologie restante. Après lui, il ne reste plus rien de ce qui était, il ne reste que le spectre, la fin de l'homme - tout est à rebâtir. Si bien que la crise actuelle est la crise terminale de ce qui est et qu'il convient déjà de dénommer à l'imparfait (passé fini) autant qu'elle indique le besoin urgent et pressant de proposer du nouveau, d'inventer des formes originales et encore inconnues, formes qui ne sont pas seulement politiques, mais qui relèvent du culturel, du religieux dans un sens de plus en plus philosophique et de moins en moins révélé.
La proposition de Pellissard indique le besoin vital de nouveau autant qu'elle se révèle trop limitée au champ politique. C'est une proposition sans doute intéressante dans le débat politique sclérosé, c'est aussi une proposition qui ne peut acquérir de valeur politique que si la réforme des valeurs ne se limite pas au débat politique, mais entreprend un changement plus vaste - d'ordre culturel et religieux. Comme l'a proclamé le poète, c'est dans le péril que croît le salut. L'urgence désespérée de notre situation unique indique que le salut est plus proche que la perdition et que la crise signifie moins la perte que le gain. L'intervention limitée de Pellisard dans le champ politique, loin de témoigner de l'insuffisance d'une proposition seulement politique, nous montre le besoin réconfortant de nouveauté cardinale chez l'homme, dans le champ politique et dans les valeurs qui le fondent.
Nous ne pourrons pas nous en sortir en reprenant des valeurs passées (éculées), aussi précises soient-elles. Nous devons faire appel à du nouveau. Faire du nouveau avec des valeurs anciennes valeureuses, c'est nécessaire; mais il ne suffit pas d'en rester à des propositions recyclées ou élargies, fussent-elles non appliquées ou oubliées. L'urgence est que toutes les propositions, y compris les plus valeureuses, ont montré leurs limites. La création doit faire du nouveau avec de l'ancien signifie : élargir le domaine connu avec le recours à l'invention.

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