mardi 31 août 2010

Bonne nouvelle : la crise


Le retour de vacances de l'été 2010 n'est pas placé sous les meilleures augures : on nage dans l'insouciance, l'indifférence, le déni. Répétition ronronnante, quand tu nous tiens. A force de répétition, on tourne en rond dans un ronron mortifère. La plupart des Français - reflet de la plupart des Occidentaux - font comme si. Comme si la crise n'existait pas. Qu'est-ce que la crise? La crise est devenue un terme banal. On parle de la crise comme de ses chaussettes. Il ne s'agit pas d'une grippette ou d'une fièvre passagère. La crise qui est souvent comprise à l'intérieur de données économiques indéchiffrables, au cas où il prendrait envie au citoyen de comprendre ce qui se passe, n'est pas une simple crise économique.
Pour en mesurer l'ampleur, il convient de connecter la partie économique à l'ensemble de la réalité de la crise - faute de quoi l'on passe à côté du problème dans son ensemble et on le déforme en le réduisant à certains de ses sous-volets internes. Sitôt que l'on a connecté l'aspect économique à l'ensemble de la crise, on comprend qu'il s'agit d'une crise générale, soit d'une crise de type religieux. Crise du sens, crise culturelle, crise ontologique : c'est une crise qui affecte l'ensemble de la civilisation occidentale, soit une crise de culture au sens où la culture est étroitement connectée au culte - au religieux.
La crise n'est finalement pas signe de mauvaise nouvelle, du moins dans son sens ultime : tant il est vrai qu'elle indique au-delà de problèmes de mutation assez graves le passage à une renaissance et à une phase de croissance (au sens avant tout ontologique). Gageons que notre grande crise est d'autant plus une crise qu'elle indique une phase de mutation fort importante. Car ce n'est pas un simple problème financier transcendantaliste qui est en cause, au sens où il suffirait de rétablir quelques mesures (d'importance) au niveau financier - par exemple le contrôle drastique et effectif de la spéculation financière.
En réalité, la crise qui est dans son apparition la plus immédiate de nature financière touche au fond à la question de Dieu. Mais cette question révèle encore son ancrage monothéiste. Bien plus que la question pourtant considérable du divin de nature monothéiste, la crise englobe l'ensemble du transcendantalisme, soit également le polythéisme : les dieux - ou Dieu; le divin est en question.
Un des métaphysiciens les plus importants du vingtième siècle, le (passager) nazi Heidegger illustre par sa vie mouvementée la terrible crise qui se prépare. Outre que Heidegger cherche manifestement un sens qu'il n'a pas trouvé, son égarement politique (discerner dans le nazisme l'alternative au nihilisme libéral!) corrobore et recoupe son impéritie centrale, fondamentale - ontologique. Heidegger est le chantre de l'Etre et du retour à l'Etre hellène (préplatonicien) à condition que cet Etre soit indéfinissable et quasi incompréhensible.
Par cet aveu d'impuissance (corrélé à son refus de reconnaître son erreur politique de jeunesse), Heidegger illustre (de manière illustre) l'impasse d'une époque qui ne peut résoudre une crise religieuse par des considérations internes et inférieures (de type économique par exemple). Dans le cas de Heidegger, on ne résout pas une crise religieuse par des solutions ontologiques. L'échec se trouve au bout du chemin. La preuve avec ce choix réactionnaire consistant d'une part à privilégier un avatar de la catégorie de l'impossible (en l'occurrence l'indéfinissable); d'autre part en se tournant vers le passé pour subsumer une pseudo-alternative réactionnaire.
Par son choix de l'Etre préexistant et caduc, Heidegger montre qu'il s'est trompé. En choisissant le passé réactionnaire, Heidegger commet une erreur que l'on connaît bien en politique : estimer non pas que le passé présente des solutions pour l'avenir, mais que la seule solution d'avenir réside dans l'imitation scrupuleuse du passé. Si Heidegger définissait l'Etre, il pourrait à la rigueur fustiger l'oubli de l'Etre - et utiliser l'Etre comme une solution d'avenir qui ne serait certes plus seulement l'Etre, du moins l'Etre des Grecs antiques.
Mais Heidegger se contente de se lamenter après l'oubli de l'Etre - et cet aveu indique qu'il prétend seulement réutiliser une idée du passé sous une forme réactionnaire. Par cette erreur terrible, Heidegger ne fonce pas seulement tête baissée dans le nazisme abominable; il démontre à son cerveau défendant que la crise qu'il ne parvient pas à affronter (d'où ses accès de colère) n'est pas bien définie et délimitée par ses soins.
Heidegger se trompe d'identité dans la crise. La crise est religieuse bien plus que seulement économique ou même ontologique. Ceux qui escomptaient enterrer le religieux en sont déjà pour leurs frais. C'est soit de nouvelles formes religieuses; soit la disparition de l'homme. Pas d'homme sans culture : aussi bien pas d'homme sans culte. Apprécions bien la teneur exacte de la crise : c'est une crise qui concerne l'ensemble des productions humaines, d'autant plus que l'homme s'est globalisé. Soit, encore une fois : une crise religieuse.
Mais cette crise grave, la plus grave de toutes les crises envisagées depuis les débuts de l'histoire humaine, est tout aussi bien une bonne nouvelle. Si l'on comprend que la crise signale un renouveau en forme d'ascension, et si l'on se souvient que cette crise est religieuse, alors la gravité de la crise signifie que le changement va être considérable et que nous vivons en même temps qu'une ère de crise une formidable ère de positivité. Alors retenons cette dernière donne.
Bien entendu que le spectre de toute crise est de funeste augure, mais le résultat de toute crise (la destruction) ne va jamais sans son corollaire plus important encore : la renaissance et la croissance. Alors, si cette crise est religieuse, si cette crise est d'une importance fondamentale, voire la plus grave de toutes les crises, c'est que la pire nouvelle est aussi la meilleure des nouvelles. Pour parodier les chrétiens (dans son ensemble le monothéisme, dont les déniés musulmans) : la mort, la pire des nouvelles du point de vue de la vie, est aussi la renaissance vers la vie éternelle, soit vers une forme de vie parfaite (et supérieure à la vie terrestre).
On peut rappeler ce mot impressionnant de Hölderlin : "Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve". Hölderlin devait s'y connaître en matière de connexion et de proximité (parenté) entre le danger et le salut car il a aussi déclaré : "C'est quand le danger est le plus grand que le salut est le plus proche." On a tendance à estimer que le salut est l'antonyme du danger vital, alors que c'est le contraire qui est vrai : le danger (la crise) implique le salut, soit la réaction face à la destruction.
La crise est finalement une bonne nouvelle une fois entérinées les inévitables et funestes destructions qu'elle occasionne et qui sont attristantes. Car si nous vivons la pire de toutes les crises, c'est que nous vivons aussi le salut le plus grand (ou la meilleure des bonnes nouvelles). Nous allons certes beaucoup souffrir, mais la crise que nous endurons n'incline ni au pessimisme, ni au tragique : elle signe tout au contraire l'annonce de la plus grande des croissances humaines, du plus grand de ses changements, de sa renaissance la plus considérable - l'aventure spatiale. L'aventure spatiale correspond dans l'ordre physique à l'apparition de nouvelles formes religieuses dans l'ordre spirituel. Après avoir crisé, on crie : vive le spatialisme!

vendredi 20 août 2010

Maintenant que ce blog a été réactivé (et n'est plus tenu pour un blog SPAM), Koffi Cadjehoun vous souhaite d'excellentes vacances et vous retrouvera en septembre. D'ici là, ne perdez pas le sourire malgré la crise (vous savez celle qui se clôt tous les mois) et consultez les autres blogs en lien!

dimanche 8 août 2010

De la peur

Question que je me suis beaucoup posé en constatant l'inquiétant déni, voire l'agressivité parfois disproportionnée qui accompagne la situation actuelle de crise et d'effondrement généralisé : pourquoi les gens refusent-ils le changement? Par changement, je n'entends pas tant le changement continu, que l'on ne saurait nier, et qui affecte de son coefficient ténu chaque instant de notre expérience, quand bien même il passerait inaperçu; pas davantage le changement interne qui en affectant le fonctionnement du système ne remet en aucune façon en cause l'existence du système proprement dit.
C'est au contraire un changement au sens où l'on change de paradigme - l'on change de système. Changement d'autant plus nécessaire que le système n'est pas accessoirement à changer : il l'est impérativement. C'est ce qui se produit actuellement : la période de troubles, où il semble ne rien se passer tout en accumulant les épisodes cataclysmiques (faillites d'États, renflouements bancaires abyssaux, chômage inégalé...), apparaît d'autant plus comme indéchiffrable, voire incompréhensible (d'où le renforcement des conduites désinvoltes ou désintéressées), que le problème majeur réside dans l'absence d'alternatives.
La dernière idéologie de l'immanentisme s'est effondrée. Le libéralisme avait claironné vingt ans plus tôt qu'il était désormais le dernier survivant en piste et que pouvait commencer la fin de l'histoire. En guise de fin de l'histoire, on a vraiment eu une fin de l'histoire - littéraliste. Le libéralisme, loin de lancer le refrain paradisiaque de l'éternité inespérée, n'a fait qu'imiter ceux qu'il claironnait avoir enterré. Avec la grande crise qui a commencé officiellement par les subprimes, le dogme central du libéralisme s'est montré de manière irréfutable sous un jour plus que défavorable : faux et moribond. La main invisible était une théorie fausse et simpliste, d'ailleurs conçue pour légitimer l'impérialisme commercial de la Compagnie des Indes britannique. Merci Adam, merci la clique. Dans ce grand chambardement, qu'illustre de manière symbolique et représentative l'effondrement abject des Twin towers, il est particulièrement inquiétant d'effectuer le rapprochement entre l'attitude déroutante des je-m'en-foutistes de l'heure actuelle et les suicidaires du Titanic qui choisissaient pour la plupart et suivant les moyens de leur bourse respective entre se cloîtrer dans sa cabine, festoyer en grande pompe ou décréter sur un ton expert le caractère insubmersible de leur navire high tech.
A ce compte, les Twin towers aussi ne devaient pas s'écrouler... Comment expliquer cette curieuse similitude et cette bizarre (pour ne pas dire consternante) propension à la politique de l'autruche? Comment peut-on être désinvolte au point de célébrer son suicide imminent (et immanent)? Je pense pour l'heure plus au comportement de ceux qui se montrent peu concernés que de ceux qui claironnent sans trop y croire (dans une morosité certaine) que la reprise est proche.
Comment peut-on se moquer de problèmes cruciaux, les traiter comme la cinquième roue du carrosse ou carrément décréter qu'ils ne nous concernent pas? Comment fait-on pour ne pas opérer le lien pourtant évident entre les conséquences de cette crise et notre avenir individuel? Sans doute la réponse par l'explication de l'individualisme tient-elle pour partie la route. L'individualisme n'est pas un mal qui concerne une minorité de personnes dans notre beau monde mondialisé, mais qui ronge une majorité. Et, plus sinistre encore, cet individualisme frappe en premier ceux qui font profession de le dénoncer en s'y opposant par des mesures vigoureusement individualistes.
Les premiers individualistes sont ces soi-disant anti-individualistes qui croient être des rebelles dans la mesure où ils bêlent. Savent-ils que chez Rabelais les moutons finissent à l'eau? Les moutons de Rabelais connaissent le même sort tragique que les passagers du Titanic. Leur point commun tient dans l'attitude déconcertante et incohérente qui les mène vers la noyade atroce. Mais l'explication par l'individualisme, aussi pertinente soit-elle, est insatisfaisante : en gros, les individualistes qui ont pour caractéristique croustillante de s'opposer à l'individualisme par des contre-mesures individualistes ne sont pas capables de reconnaître des problèmes d'ordre politique puisque les seuls problèmes qui les affectent sont d'ordre individualiste, personnel et - privé.
L'individualisme est une explication en partie satisfaisante, mais ce n'est certainement pas l'explication ultime. Qu'est-ce qui explique le point de non retour fondant cet individualisme? Le plus tragique dans cette affaire : la plupart des gens qui subissent les effets dévastateurs de la crise ne la comprennent pas ou présentent la curieuse propension de s'en prendre plus aux dénonciateurs de la crise qu'aux auteurs réels.
Un autre moyen de fuite (en avant) consiste à reprendre des pseudo-solutions dont le moins qu'on puisse constater est qu'elles sont datées, voire périmées. Le mal est plus pernicieux, quoique moins grave : le problème n'est plus dénié, il est même reconnu, mais cette reconnaissance s'accompagne d'une propension singulière à apporter une mauvaise réponse au problème. Pas n'importe quelle mauvaise réponse : une réponse périmée, ce qui revient à proposer l'impossible en guise de possible (le dépassé du passé pour l'avenir). C'est un peu comme si un médecin face à l'empoisonnement d'un patient proposait d'administrer un médicament notoirement connu pour son inefficacité.
Dans les deux cas, qu'on dénie ou qu'on se trompe, on manifeste un décalage irréconciliable entre la cause et la conséquence, soit en langage médical un mauvais diagnostic. L'erreur se situe moins dans un problème mécanique et figé (passé/présent en termes chronologiques) que dans une appréciation dynamique défectueuse (processus et devenir) du problème. Précisément, ce dont l'individualisme a peur, c'est du processus dynamique, soit : du changement. L'individu qui ne consent à considérer que les problèmes posés par son individualité est non seulement une identité incomplète et fragmentée, mais c'est surtout quelqu'un qui refuse le changement.
D'où la réponse à la question initiale (pourquoi les gens refusent-ils le changement?) : parce qu'ils ont peur. Si les passagers du Titanic s'adonnent à des occupations décalées, voire excentriques, c'est qu'ils ont peur. Si nos citoyens occidentaux refusent d'envisager sérieusement les conséquences prévisibles et inéluctables de la crise, c'est qu'ils ont peur. Peur de quoi? Peur du système présent appelé à disparaître. Peur de nouvel ordre qui advient. De manière irrationnelle et surprenante, les gens préfèrent s'accrocher désespérément à ce qui est caduc mais existant, qu'à ce qui est une promesse encore virtuelle.
La nouveauté fait peur au point que l'on préfère le connu fût-il moribond à l'inconnu fût-il prometteur. Cette propension à privilégier la mort connue sur le vivant inconnu engendre un comique irrésistible qu'une célèbre scène des Fourberies de Scapin de Molière retranscrit (le passage autour de la réplique : "Que diable allait-il faire dans cette galère?"). Si cette scène prête autant au sourire, voire au rire franc, c'est parce que le vieil avare Harpagon refuse obstinément, plus que de raison, et contre toutes raisons, d'accepter ce qui s'est passé. Autrement dit : il refuse le changement et s'accroche à ce qu'il tient pour une solution idéale, soit la continuation de la situation telle que son désir la façonne.
De la même manière que Harpagon par son avarice refuse le changement, dans l'épisode de la galère (dans tous les sens du terme), sa réaction outragée indique qu'il lui est impossible d'accepter le changement pourtant inéluctable et produit. Si la situation est intolérable, c'est parce que Harpagon la juge intolérable. Harpagon préférerait toutes les catastrophes du monde pourvu que la situation présente ne changeât pas. Harpagon est le personnage emblématique de la plupart des hommes d'aujourd'hui (les Occidentaux profitant de la situation impérialiste comme des victimes du monde globalisé).
Comme eux il se prétend rebelle au système dominant, puisque son avarice le conduit à s'opposer aux autres et à cacher son trésor. Comme eux, il est un pion instrumentalisé par le système, dont la spécificité ironique consiste à servir l'ordre qu'il prétend contester. Aussi irritant soit ce constat lucide, nos contre-rebelles institutionnels et conformistes sont des Harpagon. Leur vice n'est pas l'avarice. C'est la peur : ils ont peur que le système change et ils préfèrent s'accrocher à un cadavre que d'enfanter un nouveau-né.
Cette peur s'explique par le danger ressenti. Il semblerait qu'étymologiquement la peur renvoie à l'action de battre la terre pour l'aplanir. Tout aussi bien à être frappé. On est frappé du spectacle de voir battre la terre pour l'aplanir? Cette action renvoie à une possibilité des plus banales (aplanir la terre). Pourquoi aurait-on peur d'aplanir la terre? On projette sur soi-même la violence consistant à battre la terre. Telle est la peur : la projection d'une action extérieure.
Mais cette action extérieure nous enseigne sur le mécanisme de la projection : on a peur parce que l'action est aussi simple que difficile. C'est l'effort à accomplir qui nous paralyse et nous pousse à réagir par la peur. L'avènement d'un nouveau système pour remplacer le défectueux fait peur parce qu'il implique la pénibilité de l'effort visant à intégrer de l'infini dans le fini donné (définition du mécanisme du changement).
Il est très dur de changer. Raison pour laquelle tant ont peur et tant préfèrent contre la raison, contre l'évidence et contre toute bonne foi un système mort à un système vivant. Voilà qui explique l'aspect conservateur observé au centre de la nature humaine et qui pousse l'homme à privilégier le pire sur l'amélioration pourvu que le pire existât. Face à cette situation, on comprend pourquoi tant de fois dans son histoire tourmentée l'homme a préféré le pire au nouveau. Je ne prendrai pour exemple récent que le pétainisme en France préféré à la Résistance.
La peur pousse dans les bras du pire alors qu'on sait que le pire n'est pas une solution. La peur mais aussi l'échec. On embellit a posteriori l'action des résistants de tous les époques et de tous ceux qui ont concouru au changement pénible et laborieux. On raconte qu'ils vivaient de manière certes dangereuses, mais si exaltante. La vérité c'est que ces types sont des héros parce qu'ils en ont bavé et qu'ils ont compris la nécessité du changement. Pourquoi Jean Moulin a-t-il supporté l'atroce supplice de la torture sans parler? Parce qu'il avait compris d'une manière ou d'une autre que son action servait le changement et que le réel tient dans le changement.
Que le réel soit changement signifie que le réel n'est pas stable, mais que son évolution constante et indéfinie repose sur sa structure incomplète. La peur a trait avec la nostalgie : on est nostalgique quand on veut demeurer dans la peur et lui donner une apparence enjôleuse. La peur est le barrage qui empêche de passer à l'action. Cette action ne présente rien d'exceptionnel ou d'invraisemblable. Elle implique simplement un grand effort, qui peut même passer pour titanesque (insurmontable). Quant à ceux qui ont peur, qu'ils réfutent le changement ou qu'ils préfèrent détourner le regard et se préoccuper de détails, ils ne seront que les petits cousins ou les anonymes descendants des nombreuses autres générations qui ont dans leur majorité préféré se taire et ne pas comprendre.

vendredi 6 août 2010

L'insécuritarisme

On connaît la stratégie du sécuritarisme élaborée par des atlantistes et mise en place par un Giuliani à New York dans les années 199o. En gros, il s'agit de susciter un effet qu'on prétend ensuite guérir. Cette entourloupe (empoisonner pour mieux guérir) ne peut fonctionner qu'avec des populations qui comprennent peu aux problèmes, ou plutôt qui ne comprennent des problèmes que le strict immédiat ou la surface des réalités.
Stratégie du pompier pyromane. C'est parce qu'on oublie le lien de cause(s) à effet(s) que l'on peut à la fois susciter le problème et prétendre le guérir. Dans un sondage consternant du 5 août 2010 (IFOP pour Le Figaro), une large majorité de Français soutiendrait les mesures sécuritaristes proches du fascisme que le gouvernement français du président Sarkozy entend promulguer (sauf accident à court terme). Eh bien, on apprend que certains entendent s'opposer à ces mesures pour le moins extrémistes en organisant notamment une grande manifestation contre la politique sécuritaire de Sarkozy le 4 septembre.
Je passerai sur les propos d'un porte-parole politicien de Sarkozy, l'inénarrable Bertrand, qui appuie ces malpropositions et montre que nous nous trouvons dans une période proche du fascisme. C'est mauvais signe : historiquement, quand les idées nationalistes et violentes arrivent au pouvoir, c'est signe de crise. Signe des temps, cette crise est l'ultime, non des crises, mais de la grande crise générale et systémique qui va emporter l'ensemble du système immanentiste (dans lequel nous nous trouvons et que nous soutenons).
La dernière idéologie de cette ontologie nihiliste s'écroule, le libéralisme, mais derrière ce grand fracas un peu vain, c'est l'ensemble d'un système nihiliste qui est en train de sombrer. Est-ce une si mauvaise nouvelle? Pour la violence que cela créera, oui; mais on ne constate pas assez que l'opposition aux mesures de Sarkozy est la première responsable des mesure prises.
Bien entendu, il est consternant que de telles mesures recueillent un assentiment majoritaire versatile (par sondage), ce qui indique une évidence : si le système va mal, c'est que la plupart de ses membres vont mal. Si les membres se portaient mieux, alors le système se porterait mieux. Ce que l'on note moins, c'est que si le système va mal, c'est plus à cause de ceux qui s'y opposent de l'intérieur que de ceux qui le soutiennent (dans leur égarement intéressé).
On peut en discerner le symptôme dans les positions du journal Le Monde, qui est un journal de référence situé historiquement au centre-gauche. Que Le Monde répercute sans s'opposer fondamentalement ce genre de propos indique qu'il joue un jeu des plus pervers : mettre en avant une politique qu'on critique sur le bout des ongles. Il est vrai que plus le temps passe et plus Le Monde, comme la plupart des journaux de la presse consensuelle, répercute les idées des oligarchies financières britanniques.
De ce point de vue, Le Monde est de gauche comme DSK le directeur du FMI : un ultra-libéralisme de gauche qui n'est plus de gauche et qui utilise la gauche comme un masque de thèmes secondaires pour faire entrer tel un cheval de Troie des thèmes libéraux et impérialistes (de facture eux prioritaire). L'opposition d'une ligne idéologique comme celle du Monde à l'extrémisme de plus en plus voyant de la ligne atlantiste et néo-conservatrice (pragmatique) tendance Sarko &Co., c'est l'opposition entre deux camps tous deux ultra-libéraux. L'antagonisme se déroule dès lors sur des sujets tout à fait mineurs, voire hypocrites : on peut se montrer en apparence plus soft - et réaliser en réalité une politique quasiment similaire.
Obama s'en rend bien compte et s'en sert - l'un de ses principaux conseillers officieux, l'humaniste Brzezinski, l'avait théorisé. Mais tous les opposants à la politique actuellement au pouvoir ne sont pas des ultra-libéraux de gauche. Il s'en trouve même à l'extrême-gauche, mais ce qu'il y a d'important pour situer la nature d'une certaine conception politique, c'est : cette opposition est-elle interne ou externe?
Si elle est interne, elle propose des corrections à l'intérieur de fondements identiques. Si elle est externe, elle propose des changements différents. Dans un cas de figure où le système en place fonctionne peu ou prou, le changement peut se révéler néfaste. C'est l'argument de Montaigne : mieux vaut conserver ce qui fonctionne que d'empirer sous prétexte de changer. Mais quand le système est vicié, pourri, périmé, comme c'est le cas actuellement (du moins pour ceux qui ont encore le courage de regarder les choses en face, les autres se contentant de vagues promesses de reprises prochaine), il est temps d'accéder au changement.
Les réactions au changement sont souvent agressives, calomnieuses, amalgamantes. On ne comprend pas les idées de changement. On passe à côté. C'est la nature conservatrice de l'homme qui s'exprime - un sentiment entre peur et incompréhension (plus que bêtise spécifique) face à la perte ce qui existe sous une certaine forme pour retrouver on ne sait quelle nouvelle forme. Tels sont les progressistes d'un certain système ou les plus grands opposants au système.
Ils peuvent bien être de grands opposants à l'intérieur du système. S'ils sont dans cette position, ils participent du système. S'il convient de changer le système, cette opposition-là (opposition interne) non seulement ne sert à rien, mais devient perverse (opposition-soutien de nature oxymorique). Car l'on s'oppose sur des sujets accidentels pour défendre plus profondément et plus véritablement des sujets - essentiels. Ainsi de ces opposants aux mesures sécuritaristes et proches du fascisme du gouvernement sous Sarkozy : au lieu de remettre en question les fondements branlants du système, de facture monétariste, ils les adoubent et concentrent leurs attaques virulentes sur des sujets secondaires.
Ces sujets peuvent fort bien être lucides ou justifiés. Ainsi de cette opposition aux mesures disproportionnées et honteuses prises par la clique à Sarko. Mais ces oppositions sont des positions secondaires en tant qu'elles ne vont pas à la racine et qu'elles confortent les erreurs fondamentales maquillées par ces diversions souvent grossières. Dans cette affaire de montée de mesures sécuritaristes aux relents fascistes, il est hallucinant de tenir des bagatelles pour des questions premières.
Elles sont des diversions irrationnelles et incohérentes pour masquer le vrai problème politique : la crise systémique, qui n'est pas qu'économique. Face à cette crise qui promet une baisse drastique du niveau de vie des Français et une oligarchisation de la société, on agite l'épouvantail du bouc émissaire. S'en prendre aux plus faibles. D'abord aux gens du voyage (terme transparent). Puis aux étrangers. Enfin aux immigrés. De préférence de religion musulmane (minoritaire en France). Cette manière de concevoir n'est pas seulement moralement abjecte. Elle est aussi tout à fait fausse. Seul point positif : si à court terme elle sert les calculs de ses concepteurs, à plus longue échéance elle concourt à accélérer le changement.

mardi 3 août 2010

La liberté du protectionnisme

Pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Question philosophique plus qu'économique. C'est en substance la question que pose le démographe Emmanuel Todd sur un plateau de télévision, lui qui se réclame du protectionnisme en tant qu'antidote à l'omniprésent libre-échange, bien qu'on lui reprochera de ne pas mettre sur la table des éléments de protectionnisme qui le rende réellement incisif, novateur et dangereux (pour l'hégémonie libérale écrasante quoiqu'à l'agonie).
Todd est reconnu comme un protectionniste non extrémiste ou non nationaliste dans la mesure où il propage une conception du protectionnisme qui se révèle peu incompatible avec le dogme incontesté (quoique des plus contestables) du libre-échange. La réputation sulfureuse du protectionnisme vient d'un amalgame entre protectionnisme et nationalisme(s). Du coup, les libéraux ont beau jeu d'expliquer benoîtement que d'une manière ou d'une autre seul le libre-échange est applicable.
Pourtant les références au protectionnisme ne manquent pas. Todd ne les cite jamais. Ni List, ni les Carey père et fils, ni le grand Leibniz, ni LaRouche à l'heure actuelle. Pourtant, tous ces partisans du protectionnisme sont aux antipodes de tout nationalisme (contrairement à certaines calomnies, touchant en particulier LaRouche). Pour l'explication à ces affabulations, rien de plus simple : les partisans du libre-échange n'ont que trop intérêt à calomnier et à dénaturer le rival sérieux - en mesure de proposer une alternative à leur système économique.
Dans le système capitaliste, l'alternative est duelle : soit l'on se montre libéral, soit protectionniste. Autre hypothèse : on sort du capitalisme, mais ce n'est pas les idéologies découlant de Marx qui sont parvenues à le faire : le communisme chez Marx est la société terminale et idéale d'un système fixe qui reprend dans ses postulats (implicites) les canons de l'École de la Compagnie des Indes britanniques développés par Smith et consorts.
A l'heure où les États font faillite et où la crise systémique promet (chut) des baisses de niveau de vie drastiques ramenant les démocraties occidentales vers des seuils plus dignes du Tiers-monde actuel (tout niveau est relatif), en tout cas vers des sociétés inégalitaristes plus dignes du principe oligarchique, il est urgent de se tourner vers de nouvelles idées. Les idées ayant cours à heure actuelle sont si périmées (ainsi des formes libérales) que même d'éventuelles formes concurrentes internes ont périclité (ainsi des communismes). Continuer à prôner le libéralisme revient à instaurer un suicide obstiné et lent.
La variante est tout aussi suicidaire : pratiquer la politique de l'autruche en jouant la carte de l'individualisme et de la dépolitisation. C'est un choix consternant qui explique pourquoi les cultures s'effondrent sans réaction et comment les dictatures réussissent à prendre le pouvoir politique : un Hitler a été élu par des Allemands en pleine déconfiture (les moutons choisissent plus leur bâton que leur berger). L'exemple des calomnies que subit un LaRouche (Cheminade en France) s'explique surtout parce qu'il refuse l'unicité du dogme du libre-échange.
On connaît la chanson-rengaine : qui refuse le libre-échange est nationaliste. A ce compte les calomnies déversées contre les larouchistes ne sont pas étonnantes, mais détonantes. Il est hallucinant de constater qu'à l'examen (ce que si peu entreprennent, bel exemple d'esprit critique) aucune n'est juste : ni l'antisémitisme (terme impropre), ni le nazisme, ni l'extrémisme, ni le sectarisme dévoyé, ni ce genre de brouet infâme. Là où les esprits conformistes et mimétiques courbent l'échine et passent leur chemin, certains caractères plus curieux et sans doute plus lucides trouvent de véritables pépites.
Non seulement il existe des solutions à la crise, mais ces solutions sont discréditées de manière mensongère et délibérée. Bien entendu, Todd qui devrait dresser l'apologie du protectionnisme n'en souffle mot comme il se contente de poser sa question : pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Puisqu'il indique que c'est une question plus philosophique que purement économique, nous allons en expliciter la raison : c'est dans le cadre étriqué d'un schéma purement libéral que l'on professe (de manière aussi pompeuse qu'incompréhensible) le sabir selon lequel l'économie est une science ultime, en tout cas déconnectée d'autres réalités (éventuelles) - quelque chose comme une science immanentiste.
Dans un schéma classique, l'économie est englobée dans le politique, qui lui-même se trouve englobé dans l'ontologie (une variante rationaliste du religieux). La philosophie consiste à donner une vision rationaliste du réel quand l'économie limite la question à une norme familière (littéralement et étymologiquement, l'économie désigne l'administration d'un foyer, de la maison). Pourquoi ne peut-on penser le protectionnisme? Cette question émane d'un protectionniste - il convient de le noter.
On ne peut le penser en tant que protectionnisme tant que la pensée qui régit le protectionnisme est rigoureusement (dans un sens fixe et restreint, réducteur) économique. Cette manière de concevoir se montre d'autant plus de mauvaise foi qu'elle fait la part exclusive au libre-échange. Selon les propres termes énoncés par les pères du libéralisme, le fait de concevoir une théorie économique selon une conception seulement économique conduit presque exclusivement au libéralisme explicite.
Marx qui a engendré les marxismes divers était philosophe versé en économie, pas économiste. D'ailleurs, la science économique enseignée est à une très large majorité de facture monétariste, un euphémisme pour qualifier des libéralismes radicaux (souvent de l'ultra-libéralisme en nos jours). En tout cas, la réduction de l'économie à une pure finalité économique, en un horizon total et totalitaire, empêche de penser le protectionnisme.
Cette manière de penser se révèle fixe, mais d'une fixité si radicale qu'elle empêche toute évolution à l'intérieur même de la finitude définie. Dans le processus marxiste, on constate une évolution à l'intérieur d'un processus fixiste, en gros de sociétés esclavagistes initiales vers le communisme. Alors que le dogme du libre-échange ne souffre aucune contestation (comme les extrémistes, ceux qui montrent leur faiblesse). Accepter des théories divergentes, c'est ruiner l'unicité de ce dogme en sortant du postulat faux selon lequel tout horizon se produit à l'intérieur de la sphère exclusivement économique.
Mais c'est là que d'un point de vue philosophique le protectionnisme est impensable : justement parce que le penser philosophiquement, c'est sortir de la sphère totalitaire que le libéralisme érige et qui érige tout réel en cette unique dimension. Quand je dis tout réel, encore convient-il de préciser que c'est tout réel humain, et plus exactement tout désir : tant il est certain que la ruse immanentiste revient à ne considérer comme réel que ce qui est complet - et peu importe qu'il existe du réel quantitativement infini qui soit extérieur à cette complétude.
Le fait que le désir soit complet suffit au bonheur des préoccupations humaines. Autrement dit, l'exclusivité de la question économique (presque des rapports commerciaux) plus l'idée que le monde de l'homme tourne autour du libre-échange indique que le le libéralisme ne se veut exclusif qu'en tant qu'il refuse toute possibilité de changement. On ne peut penser le protectionnisme parce que le protectionnisme est la théorie économique qui permet de penser le changement.
Scandale des scandales. Le protectionnisme est certes invoqué par les nationalismes comme une arme de domination et de cloisonnement (identitaire), mais c'est opérer la réduction ad hitlerum que d'amalgamer protectionnisme et nationalisme sous prétexte que les nationalismes peuvent invoquer le protectionnisme. Ce n'est pas parce que Hitler aimait bien Mozart que Mozart était nazi. Ce n'est pas parce que les nationalistes peuvent invoquer le protectionnisme que le protectionnisme est nationaliste. Tant s'en faut.
Si le protectionnisme implique d'être englobé dans la dimension politique et de ne pas rester dans le monisme totalitaire (pléonasme?) du seul donné économique, c'est qu'il ouvre vers un problème politique qui est brûlant et qui suffit à ruiner une bonne fois (une mauvaise foi) pour toutes la puérilité du postulat immanentiste : que le monde de l'homme est complet. Le libre-échange empêche l'idée de changement. La ruse du libéralisme consiste à faire adhérer à son projet non seulement les partisans déclarés du libéralisme, mais encore ceux qui s'y opposent tout en prônant les mêmes principes (divergeant sur quelques conséquences vénielles alors qu'on se rattache aux mêmes fondements essentiels).
L'erreur de la complétude se retrouve dans l'erreur du libre-échange - l'erreur ontologique dans l'erreur économique et commerciale. Le mythe de la main invisible (liberté des échanges commerciaux) est aussi hypocrite que le mythe de la complétude (du désir). Maintenant, nos tenons la réponse à la question de Todd. Que Todd qui se présente comme protectionniste contre les abus du libre-échangisme mondialisé pose la question indique qu'il ne détient pas la réponse.
Qu'en conséquence son protectionnisme revendiqué est purement négatif (s'opposer aux abus prévaricateurs incontestables du libéralisme mondialisé tout en n'y opposant rien de précis et de positif). Certaines formes de protectionnisme sont dévoyées. Je pense aux formes nationalistes qui enferment le protectionnisme dans une gangue réactionnaire de repli sur soi.
Mais tout dépend de la définition qu'on accorde au protectionnisme : le protectionnisme nationaliste indique qu'il ne s'oppose pas fondamentalement au libre-échange et que les oppositions qu'il formule comme décisives sont en réalité secondaires. Raison pour laquelle il repose sur l'erreur et pour laquelle il engendre la violence (politique notamment). Mais ce n'est pas ces formes dévoyées de protectionnisme qui empêche de penser le protectionnisme. D'ailleurs, ces formes violentes sont tant et si bien pensée que dans un effort de propagande les idéologues pour le moins partiaux du libéralisme ne viennent à amalgamer tout type de protectionnisme avec ses formes dévoyées.
Si du côté du libéralisme on refuse tant de penser le protectionnisme, c'est parce qu'en son processus historique, le libre-échange n'est pas réactionnaire et replié sur soi. Il suffit de lire LaRouche de nos jours qui à la suite de ses maîtres modernes (depuis Leibniz comme figure cardinale et philosophique). L'idée selon laquelle le protectionnisme représenterait une alternative (quelque peu utopique de surcroît) au libéralisme à l'intérieur des mêmes limites figées (et finies) est tout à fait fausse.
La menace que représente le protectionnisme est d'ordre dynamique (au sens platonicien puis leibnizien) : le protectionnisme représente le modèle économique (commercial spécifiquement) qui est à même de casser le modèle figé et fini que prône le libéralisme avec le libre-échange. Contre le protectionnisme d'obédience nationaliste, le protectionnisme véritable et historique n'instaure pas de suprématie entre les États, mais réglemente les échanges commerciaux et économiques. Cette conception de l'échange commercial ne peut intervenir que dans un processus qui rétablit l'infini en lieu et place du fini et le dynamique en lieu et place du statique (figé ou fixe).
Quelle est la grande proposition d'avenir des protectionnistes? C'est celle formulée notamment par LaRouche et ses associés : se rendre dans l'espace - quand le libre-échange ne propose en lieu et place qu'une réduction idéale de la croissance (plus ou moins baptisée décroissance) ou de manière plus réaliste, selon le bon vieux droit du plus fort, un déplacement brutal de la croissance vers la zone pacifique. En fait, on ne peut penser le protectionnisme en termes de fixité et de stabilité. Raison pour laquelle le protectionnisme est soit diabolisé (galvaudé), soit dénié (tu).
Todd a sa réponse, qu'il ne cherche sans doute pas. Car le protectionnisme dont il se prévaut n'est certes pas un protectionnisme réducteur et nationaliste, rétrograde voire réactionnaire, violent et mortifère. Mais c'est un protectionnisme de salon, qui sera considéré par ses adversaires libéraux du même tonneau (mondains et gourmés) comme un OINI (Objet Intellectuel Non Identifié) farfelu et hilarant, mais en tout cas guère sérieux et irritant.
On ne s'énerve que de la production de nouveauté face au connu (fût-il sclérosé). Alors on se trouve déstabilisé, en terrain inconnu. Le changement... Donner le change! Mens! Le libéralisme ment parce que son dogme fondamental de la main invisible est une escroquerie dont on se rend de plus en plus compte - tellement qu'elle est périmée et qu'il faut trouver de nouvelles théories que le libéralisme. Le libéralisme est l'idéologie qui réduit l'homme à l'échange commercial et à la théorie économique pure. Mais derrière le libéralisme, c'est l'immanentisme (terminal) qui s'exprime.
Le protectionnisme est impensable tout simplement parce que le penser sérieusement (c'est-à-dire hors de ses caricatures notamment nauséabondes) implique rien moins que la destruction radicale et définitive du libéralisme et de l'immanentisme qu'il sous-tend. Le projet libéral prospère à partir du moment où il proclame que le monde dans lequel il s'épanouit est fini, figé, inchangeable (immuable). Le protectionnisme est inacceptable parce qu'il montre que cette définition est tout simplement fausse et qu'une coopération entre États-nations souverains (sous sa forme actuelle) débouche vers l'agrandissement du monde humain et de ses horizons.
Alors que le libéralisme promeut le mondialisme, soit l'idée que le monde de l'homme est borné aux limites de la Terre, le protectionnisme défend la conquête spatiale (le spatialisme). Bien entendu, le protectionnisme est une idée dynamique (pléonasme) qui évolue avec le temps, ce qui fait que le protectionnisme que l'on connaît ne sera pas le protectionnisme de l'espace (tout comme le protectionnisme du passé est moins étendu que le nôtre). Peut-être même que ce que l'on nomme protectionnisme ne sera plus appelé tel.
Par un curieux effet de la perversion sémantique, le libéralisme passe pour l'apôtre de la liberté, quand le protectionnisme exprimerait l'enfermement et la peur (l'irrationnel). Mais cette liberté explicitement affirmée dans l'expression de libre-échange n'est pas la liberté au sens classique (faire ce que l'on veut dans la mesure où l'on respecte les limites imposées par autrui). Cette liberté-là revient à imposer l'impérialisme (la domination) dans la mesure où elle promeut le fait de faire ce que l'on veut (le plus fort fait ce qu'il veut). Du coup, on est confronté à un antagonisme, non entre la liberté et la protection, comme les deux noms pourraient l'indiquer, mais entre l'absence de limites et la limite.
Protéger, c'est couvrir selon l'étymologie. C'est aussi dans un sens religieux protéger du mal. D'où l'importance de la protection : il est reconnu dans ce terme de protection que le réel diffère du monde de l'homme et que l'homme sans protection est ouvert à toutes les agressions. Le monde du libéralisme n'est pas seulement un monde dangereux, tel qu'il est décrit par l'impérialiste Hobbes. C'est un monde d'absence de liberté, où la liberté signifie la domination du plus fort. Quant à la protection du protectionnisme, elle signifie la limite.
L'absence de limites est un problème tout à fait philosophique, qui exprime l'immanentisme. Où l'on voit que la totalité confine au totalitarisme. Le totalitarisme est possible quand le monde est considéré comme fini et fixe. La fameuse société ouverte des libéraux est une société qui est ouverte à l'intérieur d'elle-même. Mais en tant que société, elle est le tout et elle n'est pas extensible indéfiniment. Elle s'arrête aux limites de la Terre. Le tout devient une sacrée fumisterie.
Alors que les sociétés protectionnistes peuvent passer pour fermées, voire pour porteuses d'idées haineuses, leur ostracisation par la majorité libérale s'explique assez lumineusement : c'est que le protectionnisme porte en lui, bien moins que des solutions inférieures justifiant de rétorsions et de punitions (comme c'est le cas, depuis le silence jusqu'à l'agacement, puis l'irritation franche), le moyen, évident, de saper les fondements du libéralisme. Taire le protectionnisme est une nécessité pour le libéralisme. Si l'on prenait le protectionnisme au sérieux, le libéralisme tiendrait une saison, à commencer par notre époque si significative, qui traduit un effondrement irrémédiable et définitif des valeurs libérales (qui plus est sous leur forme ultra).
Il suffirait d'aborder le problème sous sa forme politique ou sous sa forme (ultime) philosophique (en tant que la philosophie est une variante rationaliste du religieux) :
- politique : l'espace;
- philosophique : l'infini.
Et pour répondre en un mot à Emmanuel Todd : si l'on ne parle pas du protectionnisme, c'est qu'on juge tabou le problème du fini et de l'infini du point de vue dominant. Libéral. Osons le mot : immanentiste. Tant il est vrai que l'immanentisme prospère à l'ombre de son déni et que ses plus efficaces applicateurs à l'heure actuelle agissent dans l'ignorance des principes (nihilistes et ataviques) qui les meuvent.

dimanche 1 août 2010

Grandeur et décroissance des courtisans

http://www.egaliteetreconciliation.fr/Dehors-les-comiques-3815.html

Dans cet article qui se voudrait une juste attaque contre les autoproclamés comiques, on part du bon sens et l'on en arrive aux délires. Le bon sens : nous nous trouvons dans une crise systémique dont on ne pourra sortir que par le changement (adjonction de nouvelles idées à celles actuelles, obsolètes, sclérosées, voire discréditées). Les délires : la promotion du nationalisme via les éloges amphigouriques de l'Iranien Ahmadinejad et du Vénézuélien Chavez. Il est vrai que Soral est un penseur du nationalisme le plus progressiste, voire avant-gardiste, au point qu'il se targue de prôner une forme de néo-nationalisme ou d'alter-nationalisme. Il a fondé une association qui milite pour la réconciliation des valeurs de droite et de gauche au sein de l'extrême-droite.
Le sujet central de ce billet soralesque réside dans la réfutation du genre comique incarné par le cultissime Coluche (figure célèbre pour un demi siècle) et, depuis, par la flopée de suiveurs mineurs dont les sujets de prédilection se bornent aux thèmes sociétaux assez neutres, dépolitisés et rebattus (les travestis, les homosexuels, les blondes...). La mode suicidaire de l'époque (la dépolitisation en tant que désertion) pousse la plupart des gens à adorer les comiques comme des boussoles intellectuelles, en particulier ce Coluche au fond trivial, qui exprime plus la vulgarité de l'époque qu'il ne verse dans la vulgarité comique.
Mais ce papier bienvenu et à contre-courant (quelle est cette époque qui révère des médiocres creux et sinistres?) commence à se fendre d'erreurs grossières avec l'apologie du nationalisme. Proposer le nationalisme (sous quelque forme que ce soit) pour parer aux problèmes actuels d'ordre systémique, c'est comme proposer un poison encore plus violent pour soigner un malade mortellement atteint.
Mais ne revenons pas sur le vice de pensée d'un Alain Soral : en gros, proposer plus de destruction pour parer à la destruction constatée - ou plus de violence pour endiguer la violence dénoncée. Sa diatribe contre les comiques (sur le fond fort juste) se fissure quand notre contestataire ose soutenir que le comique Dieudonné serait quant à lui, à la différence des autres, un artiste majeur appelé à rejoindre toutes affaires cessantes notre panthéon inoubliable de grands hommes français.
Couac. Soral oublie de mentionner que comme par hasard Dieudonné compte parmi ses amis, ce qui constitue un éloge des plus suspects. Mais surtout comparer Dieudonné au grand écrivain François Villon (si c'est bien de lui qu'il s'agit) manifeste un manque de goût assez détonnant. Quels que soient ses mérites au comique, Dieudonné reste un comique. Ce n'est pas parce que ce comique aurait défendu d'une manière fort alambiquée Le Pen ou rendu visite à un stand du Front National qu'il vaut soudain mieux que quelques autres du même tonneau. Soral manifeste sans doute une mauvaise foi des plus critiquables.
Là n'est pas le pire de la part de quelqu'un qui assimile le grand Villon avec un obscur écrivain anarchiste justement oublié par la mémoire littéraire. Cette salutaire amnésie sera fort probablement son cas, comme c'est l'échéance qui attend son complice littéraire d'obédience ultraanarchiste Nabe. Mais il y a encore pire. Soral a décidé avant de resservir un extrait de son indémodable abécédaire de dresser l'apologie inconditionnelle de la décroissance! Cette fois, le masque tombe.
Notre brillant analyste se lance dans une critique des comiques qui serviraient d'autant plus le système qu'ils dénoncent (constat lucide) que cette critique se retourne en premier lieu contre lui-même : le secret de ces nationalistes avant-gardistes qui se présentent avec fougue et enthousiasme contre le système dominant actuel (du libéralisme de plus en plus ultra), c'est qu'ils servent le système qu'ils dénoncent. Le servent-ils explicitement ou sciemment? Nullement. Ils se chargent de reprendre les idées les plus contestataires et radicales à condition que ces idées restent bien sagement dans le moule systémique soi-disant honni.
Ainsi de Soral et de sa décroissance. Il est hallucinant qu'un intellectuel engagé en politique se présente comme opposé au système (politique surtout) dominant et qu'en fait il révèle par son choix en profondeur qu'il ne s'y oppose qu'en superficie. Verdict : la mouvance alter-nationaliste d'un Soral s'oppose d'autant plus au système en place qu'elle souscrit à ses postulats fondamentaux. C'est tout à fait fâcheux pour un mouvement qui pourrait trouver une certaine crédibilité au moment où le système en s'effondrant perd justement de sa crédibilité.
Qu'est-ce que la décroissance? C'est la solution terminale du système libéral qui s'effondre. Qu'est-ce que le nationalisme? Contrairement à une certaine idée couramment admise pour tenter de sauver le système libéral (peine perdue et éperdue), le nationalisme (et ses formes dérivées comme les fascismes historiques) n'est pas l'antithèse du libéralisme (ou une forme incompatible et antagoniste). C'en est une extension terminale, quand le système libéral qui est voué à l'effondrement est sur le point de s'effondrer.
Du coup, aucun débat ne peut avoir lieu car dès qu'on essaye de trouver des solutions qui ne correspondent à l'un des deux partis en place, le conservateur de plus en plus virulent et le progressiste de plus en plus récupéré, l'on se trouve violemment contredit, quand ce n'est pas par les deux partis en même temps. C'est alors que les solutions nationalistes peuvent s'avancer comme des possibilités d'alternative crédible. C'est ce qui s'est produit avec le cas historique de Heidegger. En France notamment, on éprouve les pires difficultés à ne pas osciller entre deux extrêmes : soit l'heideggerrisme idolâtre, soit l'antiheideggerrisme viscéral et passionnel.
Pourtant, il ne me semble pas inexplicable d'analyser le comportement d'un Heidegger, dont il est intéressant de souligner qu'il était l'un de esprits les plus brillants de son époque. Comment cet esprit si brillant (et il ne fut pas le seul, tant s'en faut) a pu adhérer à une idéologie non seulement fausse (car l'on peut se tromper), mais propageant une vulgate violente, simpliste, raciste et confusionnelle (pour ne pas dire stupide quand on lit par exemple Mein Kampf)? Soit l'on répond par l'incompréhensible, soit l'on comprend que le nazisme (comme sous-forme exacerbée du fascisme et du nationalisme) est un prolongement par temps de crise du libéralisme.
Heidegger a vu tel un mauvais voyant que le libéralisme était une idéologie nihiliste, menant à l'anéantissement inéluctable de ses thuriféraires. Du coup, pour parer à ce nihilisme que Nietzsche avait annoncé, Heidegger a opté pour l'accomplissement cataclysmique et apocalyptique du nazisme. Même pour un temps. Heidegger a refusé jusqu'à la fin de ses jours de reconnaître une erreur (le nazisme) qui est trop énorme pour ne pas être remarquée.
C'est qu'il se trouvait totalement désespéré (abasourdi) par l'échec du nazisme et l'absence d'alternative qu'il lui laissait : Heidegger après le nazisme ne veut plus évoquer un sujet qui est pourtant capital pour lui. Trop douloureux. Il est morose et s'enferme dans le mutisme. C'est qu'il ne distingue plus d'autre issue que le naufrage. L'issue programmatique qui attend le nihilisme n'est autre que le néant. Nietzsche s'était déjà distingué par sa curieuse propension (d'expression maniaque) consistant à opérer une distinction diabolique entre ce que l'on projette négativement et ce que l'on propose positivement (en opposition).
En gros, Nietzsche propose contre le nihilisme le nihilisme. Peut-être est-ce la raison métaphysique de son effondrement physique final. Le nihilisme l'aura mené vers l'anéantissement de son identité d'homme. Nietzsche duplique entre la solution qu'il propose (la mutation ontologique dans ce réel) et le nihilisme qu'il entrevoit dans l'avenir (et qui correspond plus encore au libéralisme qu'au communisme). Heidegger admire tellement l'œuvre de Nietzsche qu'il en fait l'un des maîtres de son dépassement de la métaphysique par le retour à une ontologie que lui-même finira par incarner (toujours la modestie proto-hégélienne à l'ouvrage...).
Mais Heidegger a souscrit au projet nietzschéen, au point que dans son aveuglement empressé (sa naïveté intellectuelle?), il identifie (amalgame) le projet ontologique de Nietzsche avec le projet politique des nazis. Les commentateurs libéraux (qu'ils soient marxistes ou non) et académiques s'empresseront de pousser des cris d'orfraie en distinguant pompeusement entre Nietzsche et les nazis. Nietzsche n'était pas nazi, la preuve : il était virulemment contre les antisémites (terme impropre).
C'est vrai, mais - le fait que Nietzsche ne soit pas nazi n'empêche nullement Nietzsche d'être nihiliste. Et les nazis sont nihilistes (primates). A la limite, on peut dire que le nazisme est une réaction (au sens nietzschéen) englobée dans le nihilisme que Nietzsche prévoit - sans remarquer que l'alternative qu'il propose contre le nihilisme nazi est du nihilisme par excellence. Du nihilisme ontologique. Le déni porte le nom du masque. Heidegger a tenté de trouver une identification politique au nietzschéisme et les commentateurs (encore eux) éprouveront les pires peines à expliquer que Heidegger (que par ailleurs ils révèrent le plus souvent) a lui aussi amalgamé Nietzsche et nazisme.
Cette propension est-elle seule coïncidence? En tout cas, le désespoir de Heidegger après l'échec irrémédiable et définitif du nazisme indique qu'il ne conçoit pas d'autres alternatives et qu'il est contraint piteux d'avouer son échec : il s'est trompé sur le nazisme salvateur et régénérateur (un mythe d'avant-guerre) et il ne possède aucune solution de rechange. Du coup, il comprend que le nihilisme qu'il discernait dans le libéralisme (et le communisme) triomphera, mais pas de manière définitive (à la manière d'un Fukuyama), mais de manière destructrice et suicidaire (le triomphe précédant de peu l'enterrement).
Cette constante quasi physique : nazisme = fin du libéralisme (au sens où la fin signifie l'extrême) est à appliquer à la décroissance. Il convient de préciser en préambule que les formes historiques reviennent en fonction des principes, mais qu'elles ne reviennent pas de manière identique. En conséquence, le fascisme historique ne revient pas sous des formes proches des fascismes européens par exemple. Il revient sous de nouveaux avatars contenant les mêmes principes.
Ces principes sont : l'effondrement du libéralisme; la violence comme solution aux problèmes; le racisme et son moteur la haine - de l'homme; le nationalisme, dont l'idée de domination satisfait l'impérialisme mais s'accommode d'arrangements souvent hypocrites entre les différents nationalismes (ce qui implique que l'alter-nationalisme ne diffère guère quant au fond du nationalisme d'un Maurras ou de devanciers comme de Maistre).
Si l'on regarde, nous nous situons dans un effondrement du libéralisme plus violent encore qu'avant la Seconde guerre mondiale - le processus ayant été poursuivi dans sa course folle vers l'abîme. Par ailleurs, si la décroissance n'est pas un mouvement nationaliste, mais un mouvement né dans des cercles de gauche, voire d'extrême-gauche, il convient de remarquer que la décroissance se fonde sur le postulat erroné selon lequel le monde est fini et que la décroissance est bien la solution idéale et postlibérale aux problèmes du libéralisme terminal.
Dans un schéma théorique, la décroissance permet de résoudre la crise du libéralisme en diminuant de manière harmonieuse la croissance des capitaux afin de respecter les limites de la Terre indépassable - en particulier les ressources naturelles (préoccupation écologique). Outre que c'est nier la faculté humaine à changer et à innover, outre que c'est nier l'infinité du réel, la décroissance idéale cache en fait la légitimation abominable de l'impérialisme, puisque l'idéal de la décroissance harmonieuse existe encore moins que l'idéal des sociétés de type marxien.
C'est ici que l'on comprend pourquoi les mouvements nationalistes peinturlurés en avatars avant-gardistes se sont emparés de la décroissance : tous deux sont dans le fond des idéologies au service de l'impérialisme. Le nationalisme est au service de l'impérialisme en ce qu'il encourage une certaine domination (quand bien même cette domination est de type national, politique et non économique), quand la décroissance est au service de l'impérialisme en ce que la redistribution des richesses qu'elle propose se faisant à l'aune de l'adaptation aux limites écologiques ne peut que favoriser encore davantage les actuels nantis (en premier lieu l'impérialisme occidental de facture britannique).
La revendication (récupération?) de la décroissance par certains courants nationalistes trahit leur véritable appartenance : ils sont certes des cercles aux franges du système, mais ils servent le système qu'ils prétendent combattre. Si cette revendication nationaliste de la décroissance devait pousser à réfléchir sur la réelle identité de cette décroissance, la question de savoir qui revendique cette décroissance suffit aussi à discréditer le nationalisme soi-disant anti-système.
Car les principaux soutiens à la décroissance ne se trouvent pas dans les rangs gauchistes de l'écologie malthusienne, mais bel et bien, scandale des scandales, dans l'ultra-libéralisme financier et monétariste. Telle est la véritable identité de la décroissance - contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire avec la cohorte des intellectuels de gauche prestigieux et labellisés. Tel est aussi le véritable maître du nationalisme, l'ultra-libéralisme - ce qui suffit à indiquer que des porte-voix comme Soral ne sont pas du tout des contestataires qui proposent un changement rendu nécessaire par la faillite du système, mais de la violence légitimant la faillite du système.
Récemment, en parcourant la Toile, je suis tombé sur un débat entre Alain de Benoist et un économiste portant sur le thème de la décroissance. Soral admire beaucoup Benoist et l'identité de Benoist est frappante. Au départ, c'est un idéologue qui relève de mouvances d'extrême-droite que l'on qualifiera de païennes et occidentaliste (comme le GRECE). On peut fort bien, au vu de leurs productions et de leur héritage, les rapprocher de circuits fascistes, avec une connotation intellectualiste assez forte. Depuis quelques années, Benoist se réclame de plus en plus d'une certaine gauche, ce qui est le parcours de nombreux politiciens et intellectuels de l'extrême-droite.
Ce brouillage des cartes (dont participe le nationaliste-marxiste Soral) s'explique certes par le fait que la gauche historique (celle d'un bon siècle) a perdu de la netteté dans ses positions, ce qu'illustre le parcours d'un Mitterrand. Pas seulement. Soral vient de la gauche communiste et illustre le rapprochement frappant entre gauche et droite alors que le système qui les contient s'effondre : cette unification loin de signifier la progression vers la perfection (l'Un) atteste au contraire de la dégénérescence du système, qui en s'effondrant perd de plus en plus de ses facultés de divergence et se réduit comme peau de chagrin.
Dans ce processus d'autodestruction, le parcours de ces nationalistes qui oscillent désormais entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite, en passant par le centre, ne signifie nullement que ces nationalistes ont évolué et ont abandonné leurs prétentions aux revendications extrémistes et violentes. Au contraire, ils trouvent un accommodement dans certaines valeurs de gauche. On pourrait également remarquer que le national-socialisme, mélange tout à fait incohérent de nationalisme et de socialisme, de gauche et de droite si l'on veut, surgit suite à la crise libérale des années d'avant-guerre et produit déjà ce curieux mélange des contraires au sein d'une doctrine si violente qu'elle en est désaxée.
Dans cette alliance inattendue, mais nullement exceptionnelle, entre nationalisme et décroissance, telle que la revendique Soral ou son compère Benoist, tant le nationalisme que la décroissance se démasquent : ils travaillent pour ce qu'ils prétendent combattre avec le plus d'acharnement, le libéralisme, ce qui indique qu'ils sont soit hypocrites, soit incohérents (sans doute des deux). Il est vrai que la forme dominante actuelle du libéralisme a suivi le processus d'extrémisation de toute forme (politique ou non) qui incohérente se dirige vers la destruction et l'anéantissement : c'est désormais l'ultra-libéralisme qui règne, soit une forme extrême et virulente de libéralisme (promue notamment par Hayek, von Mises et leurs disciples).
Dans ce jeu de dupes, si la décroissance est l'adaptation du malthusianisme correspondant à l'effondrement du système libéral unique et globalisé, le nationalisme a historiquement promu le libéralisme le plus virulent, le plus soumis aux forces du monétarisme. Le fascisme de Mussolini était au départ en accointance avec le libéralisme et jusqu'à son effondrement se trouva soutenu par les forces vénitiennes (déjà reconverties à la City de Londres). Il ne sera besoin que de citer pour ce haut fait le comte Volpi di Misurata, dont le surnom était le dernier doge de Venise. Un oligarque fasciste ou libéral. En ce moment, il se pourrait que d'autres soient les derniers ducs de Londres et que les plus opposants à l'impérialisme américain et à l'orthodoxie ultra-libérale associée (selon eux) en soient les inavouables défenseurs.