jeudi 24 juillet 2014

Koffi Cadjehoun vous souhaite un bon mois de vacances et vous convie pour de prochaines aventures philosophiques dès la rentrée!

dimanche 20 juillet 2014

Oraison

C'est à la raison qu'il faut s'en prendre, non pas pour lui substituer un élément d'irrationnel, ou pour lui proposer un élément complet, mais borné, comme c'est le cas de Spinoza avec son désir, mais pour comprendre pourquoi elle ne parvient depuis son temps à débrouiller la mission qu'elle s'est assignée.
L'échec de la métaphysique signe l'échec du rationalisme naïf d'Aristote, qui estimait qu'il pourrait rationaliser le monde. Rationaliser signifie que la faculté de compter peut expliquer le monde. La raison est tenue par la pensée comme la fin des facultés humaines. Ce, d'autant plus depuis l'époque moderne. Depuis Descartes, en fait.
Ce que Descartes a fait, c'est accroître l'emprise du rationalisme sur la pensée, en distinguant justement entre entendement humain et entendement divin. La raison est une faculté humaine, qui fonctionne fort bien pour y voir plus clair dans l'environnement humain - dans les préoccupations humaines. Mais dès qu'on essaye d'appliquer la raison à des préoccupations qui sortent de ce périmètre, on se heurte aux limites de la raison.
Ces limites sont de deux ordres : les limites du rationalisme pur et les limites de ceux qui ont pensé qu'ils pouvaient appliquer la raison hors de son domaine strict d'application.
Les premiers sont les nihilistes; les seconds les ontologues. Les nihilistes n'ont pas les moyens de continuer en se présentant comme tels l'apologie de la raison, car si le rationalisme vient d'eux et s'ils sont rationalistes, ils ne cherchent pas à cacher ce qui environne le domaine du rationnel.
Le rationnel désigne la faculté qui permet à l'homme de comprendre le réel dans lequel il se meut et qui se nomme être. Mais la raison ne peut débrouiller ce qui dépasse l'être. Le réel qui n'est pas l'être n'est pas une part qui serait à côté de l'être, comme si l'être était une matière dont la densité interdisait qu'elle contienne autre chose.
La présentation strictement nihiliste aboutit à rendre la représentation absurde : la raison ne peut intervenir que dans le rayon de l'être, puisque le restant lui est étranger. Cette proposition aboutit à estimer que la raison est d'autant plus opérante à comprendre l'être qu'elle manque à connaître le restant du réel (tout ce qui n'est pas de l'être).
Du coup, la métaphysique surgit comme à la fois la réponse à ce problème du nihilisme et la réponse à l'ontologie. Qu'entend faire l'ontologie? Alors que le nihilisme identifie la raison comme la faculté qui s'applique seulement à l'être, l'ontologie estime au contraire que la raison peut s'appliquer à l'ensemble du réel, et pas seulement à l'être.
Comme la raison ne peut s'appliquer au réel qui n'est pas de l'être, il convient de la transformer en Raison, soit de considérer que l'être est complété par l'Etre et que la différence entre l'être et l'Etre, tout comme entre la Raison et la raison, c'est : l'homogénéité inexplicable.
Si l'on ne peut expliquer en quoi l'Etre diverge de l'être, reste à constater que les deux relèvent de la même catégorie, et que l'un englobe l'autre. C'est la doctrine que professait Platon. La Raison permet certes de légitimer l'entreprise de connaissance, rendue possible, mais la métaphysique propose une alternative qui est plus rigoureuse (elle définit clairement le domaine d'application, tandis que l'ontologie oscille toujours entre l'Etre indéfinissable et l'être incomplet).
Ce constat, les tenants de la métaphysique 1 l'ont établi en se disant que leur entreprise de connaissance serait supérieure avec la méthode métaphysique. Descartes intervient pour renouveler cette métaphysique obsolète, ce qui indique en passant, de manière capitale, que l'être tel qu'Aristote l'avait délimité et défini devient obsolète à l'époque de Descartes (au moins) et que être et autre réalité sont intimement liés, pas voisins.
Ce que propose Descartes, et qui explique pourquoi son renouvellement de la métaphysique va faire un véritable tabac, c'est que la raison s'occupe certes de l'être, mais que le domaine inintéressant du non-être chez Aristote (qu'il évacue en début d'analyse) devient chez lui un domaine qui est celui de Dieu. On pourrait penser que Descartes a résolu le problème et qu'il concilie la rigueur rationaliste avec le complément divin (qui plus est compatible avec le monothéisme, d'obédience catholique).
Il n'en est rien si l'on s'avise que le Dieu de Descartes n'est pas compatible avec le domaine de la raison. Dieu pourrait ainsi changer de manière miraculeuse le cours de l'être régi par le physique. Dieu peut tout aussi bien lever les contradictions. L'irrationalisme de Descartes montre qu'il n'a pas réussi à lever véritablement le problème soulevé par la métaphysique 1, mais qu'il l'a enfoui.
Le rationalisme constitue l'escroquerie qui dévoie la philosophie au sens où il découle de ce rôle que la métaphysique moderne accorde à la raison. Mais l'alternative ontologique ne réussit pas à faire mieux : elle remplace certes le divin irrationnel par un divin rationnel, qu'elle baptise du nom d'Etre et non de Dieu, mais un curieux rationnel, qui se révèle également inexplicable et indéfinissable.
L'ontologie est rationaliste en ce qu'elle estime que la raison constitue autant la fin de la connaissance humaine que la fin de l'intervention divine. Le nihilisme pense que la raison constitue la fin de la connaissance humaine seule, ce qui se révèle à peu près la démarche de la métaphysique 1, dont la particularité par rapport au nihilisme est de considérer que la connaissance de l'ensemble de l'être est possible, autrement dit que l'être est un domaine unique.
L'ontologie et le nihilisme révèlent leur parenté, autant que leur rivalité, à l'instar de Platon et Aristote. Leur opposition cache mal leur communauté de faiblesse : tous deux ne savent définir le réel, alors que c'est leur prétention.
La métaphysique 2 pensent que l'être est définissable par la raison et que pour le restant, si Dieu peut tout, son mode de fonctionnement est irrationnel. Cela revient à décréter que l'irrationnel est supérieur au rationnel, ce qui est une curieuse façon de considérer sa démarche comme rationnelle, mais par contre un excellent moyen d'empêcher la moindre explication de ce qui n'est pas de l'être ou du physique.
De ce point de vue, Descartes est plus nihiliste que chrétien.
Autant dire que la philosophie s'est égarée depuis le début de son apparition en édictant la raison comme la fin de sa démarche. C'est l'ensemble de la pensée depuis bien avant qui agit de même, la spécificité de la philosophie étant d'estimer qu'elle ne s'exprime que depuis la raison humaine, tandis que la pensée se déployait jusqu'alors à partir de la révélation.
La spécificité de la philosophie ferait de la philosophie une solution bâtarde de la révélation sauf si la fin de la philosophie n'a pas encore été bien comprise. De ce point de vue, ce qu'on nomme le rationalisme constitue une mauvaise compréhension de ce qu'est la philosophie et de ce qu'elle est appelée à devenir si elle comprend son véritable sens : ce à quoi mène le rationalisme.
La compréhension de ce que représente le rationalisme aboutit à se rendre compte que l'existence du rationalisme : c'est une faculté qui existe en vue d'une fin qui est extérieure à l'homme. Il faudrait s'aviser que le rationalisme tronque la philosophie et l'empêche d'exprimer sa propre identité.
La raison fait croire qu'elle peut expliquer le réel, alors que dès qu'elle est confrontée à ce qu'elle nomme l'infini, elle patine, bégaie et ne trouve comme pseudo-solution que de se réfugier derrière le négatif. Même le négatif n'est pas un élément rationnel, mais désigne un élément de réel qui est mal compris par le rationnel, et qui indique assez que le rationnel ne peut contacter certaines des dimensions de réel les plus pointues par rapport à ce que l'homme peut déjà apprendre.
Quand la raison patine, c'est qu'elle ne parvient pas à comprendre (et connaître) la fine pointe du réel. C'est donc qu'elle n'est pas la fin de la faculté humaine, sans quoi il faudrait penser que l'homme ne dispose pas des facultés pour comprendre le réel dans lequel il habite. On peut penser que l'homme ne dispose pas des facultés pour voir certaines parties inaperçues du réel, mais ce n'est pas la même chose que de tenir une faculté aussi importante que la raison pour inachevée et pourtant fin paradoxale et imparfaite de la pensée.
Si la raison est un moyen pour l'homme, le fait que la pensée ne s'en soit pas aperçue (autrement que pour verser dans l'irrationalisme) signifie que la raison suffisait à expliquer le réel tel qu'il se découvrait jusqu'à présent à l'homme. Réel dont on peut situer les frontières au monde (et auparavant à certaines de ses régions), alors qu'au moment où il s'ouvre vers l'espace, les frontières explosant, la raison semble soudain afficher ses limites.
Raison pour laquelle explose l'irrationalisme, contenu dans la métaphysique de manière fort présente dans le raisonnement d'un Descartes (Dieu est inexplicable, donc la partie du réel dite divine et majoritaire est inexplicable) et que l'immanentisme applique encore davantage en le rendant central de sa manière rationnelle de penser, de telle sorte que l'on fait de l'irrationnel le moteur du rationnel : le désir commande à la raison.
L'irrationalisme qui transparaît ici s'explique par la réaction face aux limites de la raison et du rationalisme de la métaphysique moderne de Descartes jusqu'au XIXème siècle. Les Schopenhauer, Nietzsche ou Freud (plus lointainement) sont des irrationalistes qui s'inspirent du précurseur Spinoza, disciple hérétique et radical du cartésianisme.
C'est une fausse piste, au sens où l'irrationalisme est un sentiment de réaction face aux limites du rationalisme. Mais le dépassement du rationalisme ne peut s'opérer que par la distinction et l'élection d'une faculté qui soit supérieure à la raison, mais non au sens où elle serait distincte. Au sens où sa supériorité prolonge la raison. La métaphysique autant que l'ontologie deviennent obsolètes. Le visage de la philosophie s'en trouve bouleversé au point que la philosophie acquiert une dimension cardinale. Elle n'est plus la béquille du monothéisme, ce qui ne pouvait que contenter des élitistes comme Nietzsche, mais elle est sa succession.
Qui continue et donne à la philosophie son universalité et sa religiosité propre? La créativité. La raison était une faculté qui s'attachait à comprendre l'état de ce qui est; la créativité est la faculté qui permet à ce qui est de se prolonger et plonger vers ce qui va être. Elle ne s'attache plus à l'être, mais aux conditions du changement : la malléabilité. 


 

samedi 5 juillet 2014

La supériorité d'Internet

Internet célèbre le remplacement de l’auteur par l’idée qu’il porte. Le virtuel présente ici son originalité : avant lui, l'édition impliquait que l'auteur passe avant le support qu'il véhiculait. Du coup : l'auteur passait avant l'idée.
Gutenberg en accroissant la diffusion des message n'a fait qu'augmenter le statut de l'auteur. Au départ, le statut de l'auteur était décent : on le valorisait pour valoriser les idées qu'il amenait, surtout quand elles étaient originales. Au fil du temps, la disproportion s'est accrue et est devenue criante.
Désormais que nous nous situons dans l'apogée commerciale de Gutenberg, qui signifie paradoxalement son déclin inéluctable (d'ici quelques siècles il se trouvera avalé par Internet et ne subsistera plus qu'en tant qu'anachronisme), nous voyons l'auteur starisé, ce qui en fait l'alter égo des égos surdimensionnés du show business.
L'auteur Gutenberg se trouve diminué à proportion qu'il est omniprésent. Il a pris la place des idées qu'il véhicule. J'allais dire : qu'il vend. Star ultralibérale, il a réifié l'idée, au point d'en donner le prix et de la réduire aux normes de son ultralibéralisme.
Il se manifeste par le genre antiinventif et anticréatif de l'autofiction, dans lequel la fiction comporte moins d'intérêt que le réel. L'inversion esthétique de la littérature ne se comprend qu'avec la starification de l'auteur. Le réel prime plus parce que la vie de l'auteur prime plus que les idées qu'il porte. L'invention par l'imagination en littérature débouche sur une conception inférieure de l'expression.
La philosophie devient au même titre un genre littéraire majeur, s'il n'est le plus grand, au motif qu'il met en avant l'auteur tout en échappant au déballage impudique de l'autofiction. Ce qui compte en philosophie sont les idées, pas les événements (ou alors à une place fort secondaire). Selon cette logique qui dénature le rôle philosophique, la philosophie ne fait que rendre compte, de manière valorisante, de l'auteur. Ce qui compte dans les idées qu'émet l'auteur, c'est l'auteur lui-même, sort de star en plus intello et insaisissable.
La différence entre l'autofiction et l'autobiographie? Derrière la valorisation de l'individualisme sous couvert de reconnaissance de l'individualisation, l'idée est diminuée quand elle s'arrête aux bornes de l'individu qui la porte. L'autobiographie place plutôt l'auteur au service de ses idées, ce qui implique que l'autofiction soit l'expression pervertie de l'autobiographie, selon laquelle
Le rôle d'Internet n'est pas seulement technologique. Internet va généraliser la diffusion des idées, en révolutionnant l'approche de l'édition. Cette dernière contient bien plus que des projets d'ingénierie. Elle va rétablir la primauté de l'idée sur l'homme, à un point jamais atteint - au point que l'idée ne pourra plus jamais être renversé par son auteur et que ce dernier passera sainement au second plan.
Sainement : car ce système de la starification de l'auteur, élitiste et inégalitariste, rendait les personnalités reconnues profondément égocentriques et perverses, au point qu'elles détruisaient la qualité des idées, craignant que leur médiocrité découverte ne soit supplantée par les idées, aussi rebattues soient-elles, qu'ils véhiculaient.
Ce faisant, Internet montre que l'idée contient ce qu'il y a de plus haut dans l'expression humaine et ce qui relie l'homme à ce que le religieux a identifié comme le divin et qu'il conviendrait de redéfinir par les temps de crise qui courent et rendent l'ensemble de nos manifestations insignifiantes : la faculté créatrice qui ne peut s'incarner en un seul homme, à l'inverse de ce que sous-entend l'autofiction. Il faudrait opposer l'idée-individualiste à l'idée infinie, au sens où un individu ne peut qu'en changer une portion et où son existence se poursuit bien au-delà d'un individu, aussi pénétrant soit-il.
Le statut de l'idée jusqu'à présent tendait à considérer qu'elle pouvait être révélée de manière finale par un homme, à preuve la révélation religieuse de type monothéiste, comme c'est le cas avec le christianisme ou l'Islam. L'analyse de l'idée doit au contraire révéler à quel point cette dernière est le flux ou le processus qui est infini (soumis au malléable).
Un individu, aussi novateur et profond soit-il, ne peut changer le cours de l'idée. La tentative se heurte au fait que l'idée est dotée d'un autre mode d'existence que l'individu. D'une certaine manière, l'idée n'est pas physique, mais a des retentissements, des implications et des imbrications physiques.
L'individu est un ensemble qui fonctionne dans le réel physique est qui se trouve balancer enter deux contextes : l'être physique et le monde idéel, qui ne peut fonctionner que parce qu'il est lui-même un composé. Comment comprendre que le réel soit composé de deux grande natures et d'espaces intermédiaires, sans retomber dans l'erreur de Descartes, qui isole des états et ne parvient plus à expliquer leur unité?
Pour ce faire, il faut recourir au dédoublement. Le double fut condamné à juste titre par Nietzsche et à la suite par la cohorte des immanentistes terminaux, parce qu'il exprime le moyen de sortir d'un état tautologique ou moniste pour expliquer pourquoi le réel ne peut se réduire à la description d'un état, fût-il complexe, comme l'être.
Le double n'est pas le dédoublement d'un état vers un autre, mais l'entreprise du malléable qui crée un dédoublement dynamique, non statique  toujours projeté vers l'accroissent. Évidemment, l'entreprise pour figurer le double sur un schéma géométrique ne peut faire apparaître cette dimension, vu que le malléable ne peut se figurer depuis l'être seulement (l'être peut exprimer le malléable, mais en creux, de manière non pas négative, comme l'estimait Descartes, mais avec la possibilité de décrire quelque chose de l'extérieur et de descriptible néanmoins, car à la fois imbriqué plus qu'extérieur).
Internet est le véhicule technologique du dédoublement. La technique suit un cheminement qui l'amène de plus en plus à relier le physique au malléable. L'idée tant qu'elle est véhiculée par des techniques physiques tend à en rester à une individualisation de l'idée, au sens où l'ire est perçue comme étant la propriété de l'auteur. L'expression Gutenberg en reste à ce stade, sa libéralisation n'ayant rien arrangé.
L'avènement d'Internet se trouve violemment combattu par les intérêts Gutenberg, pas seulement pour des questions commerciales (aussi importantes soient-elles), mais parce que Gutenberg en reste au domaine du physique, quand Internet tend à élever le physique vers l'idéel. Internet suggère la malléabilité. L'approche des arts et des idées va subir ce changement.
L'artistique va se trouver de plus en plus subordonner à l'idée, ce qui en changer le statut actuel : l'art est au service de l'idée et véhicule l'idée dans le physique, alors que l'idée exprimée de manière rationnelle peine à s'exprimer de façon directe (elle serit presque en sous-régime).
Internet véhicule le plus grand changement de statut de l'idée depuis l'apparition de l'homme, qui est le vrai détenteur de l'idée dans le règne des créatures connues. Internet va permettre de retrouver une  hiérarchie saine dans laquelle l'idée prime au point que ses animateurs humains, aussi créatifs soient-ils, pourront vivre dans un anonymat relatif, loin de l'effervescence médiatique qui bruit autour des écrivains reconnus et médiatiques et qui tend à les détruire au pont que leur identité souffre des mêmes maux que les rock stars.
La qualité de leur production s'en trouve aussi affectée. Ce qui compte n'est pas que l'auteur disparaisse, mais que l'auteur soit au service de l'idée, et non l'inverse. Son ego ne s'en portera que mieux, et sa créativité s'en trouvera décuplée. Il s'agit de créer pour servir l'idée, et on de créer pour se servir soi, ce qui engendre une perte de la créativité avec la démultiplication de l'égo, soit en termes spinozistes la suprématie du désir sur l'intelligence (programme toujours gênant).