samedi 5 juillet 2014

La supériorité d'Internet

Internet célèbre le remplacement de l’auteur par l’idée qu’il porte. Le virtuel présente ici son originalité : avant lui, l'édition impliquait que l'auteur passe avant le support qu'il véhiculait. Du coup : l'auteur passait avant l'idée.
Gutenberg en accroissant la diffusion des message n'a fait qu'augmenter le statut de l'auteur. Au départ, le statut de l'auteur était décent : on le valorisait pour valoriser les idées qu'il amenait, surtout quand elles étaient originales. Au fil du temps, la disproportion s'est accrue et est devenue criante.
Désormais que nous nous situons dans l'apogée commerciale de Gutenberg, qui signifie paradoxalement son déclin inéluctable (d'ici quelques siècles il se trouvera avalé par Internet et ne subsistera plus qu'en tant qu'anachronisme), nous voyons l'auteur starisé, ce qui en fait l'alter égo des égos surdimensionnés du show business.
L'auteur Gutenberg se trouve diminué à proportion qu'il est omniprésent. Il a pris la place des idées qu'il véhicule. J'allais dire : qu'il vend. Star ultralibérale, il a réifié l'idée, au point d'en donner le prix et de la réduire aux normes de son ultralibéralisme.
Il se manifeste par le genre antiinventif et anticréatif de l'autofiction, dans lequel la fiction comporte moins d'intérêt que le réel. L'inversion esthétique de la littérature ne se comprend qu'avec la starification de l'auteur. Le réel prime plus parce que la vie de l'auteur prime plus que les idées qu'il porte. L'invention par l'imagination en littérature débouche sur une conception inférieure de l'expression.
La philosophie devient au même titre un genre littéraire majeur, s'il n'est le plus grand, au motif qu'il met en avant l'auteur tout en échappant au déballage impudique de l'autofiction. Ce qui compte en philosophie sont les idées, pas les événements (ou alors à une place fort secondaire). Selon cette logique qui dénature le rôle philosophique, la philosophie ne fait que rendre compte, de manière valorisante, de l'auteur. Ce qui compte dans les idées qu'émet l'auteur, c'est l'auteur lui-même, sort de star en plus intello et insaisissable.
La différence entre l'autofiction et l'autobiographie? Derrière la valorisation de l'individualisme sous couvert de reconnaissance de l'individualisation, l'idée est diminuée quand elle s'arrête aux bornes de l'individu qui la porte. L'autobiographie place plutôt l'auteur au service de ses idées, ce qui implique que l'autofiction soit l'expression pervertie de l'autobiographie, selon laquelle
Le rôle d'Internet n'est pas seulement technologique. Internet va généraliser la diffusion des idées, en révolutionnant l'approche de l'édition. Cette dernière contient bien plus que des projets d'ingénierie. Elle va rétablir la primauté de l'idée sur l'homme, à un point jamais atteint - au point que l'idée ne pourra plus jamais être renversé par son auteur et que ce dernier passera sainement au second plan.
Sainement : car ce système de la starification de l'auteur, élitiste et inégalitariste, rendait les personnalités reconnues profondément égocentriques et perverses, au point qu'elles détruisaient la qualité des idées, craignant que leur médiocrité découverte ne soit supplantée par les idées, aussi rebattues soient-elles, qu'ils véhiculaient.
Ce faisant, Internet montre que l'idée contient ce qu'il y a de plus haut dans l'expression humaine et ce qui relie l'homme à ce que le religieux a identifié comme le divin et qu'il conviendrait de redéfinir par les temps de crise qui courent et rendent l'ensemble de nos manifestations insignifiantes : la faculté créatrice qui ne peut s'incarner en un seul homme, à l'inverse de ce que sous-entend l'autofiction. Il faudrait opposer l'idée-individualiste à l'idée infinie, au sens où un individu ne peut qu'en changer une portion et où son existence se poursuit bien au-delà d'un individu, aussi pénétrant soit-il.
Le statut de l'idée jusqu'à présent tendait à considérer qu'elle pouvait être révélée de manière finale par un homme, à preuve la révélation religieuse de type monothéiste, comme c'est le cas avec le christianisme ou l'Islam. L'analyse de l'idée doit au contraire révéler à quel point cette dernière est le flux ou le processus qui est infini (soumis au malléable).
Un individu, aussi novateur et profond soit-il, ne peut changer le cours de l'idée. La tentative se heurte au fait que l'idée est dotée d'un autre mode d'existence que l'individu. D'une certaine manière, l'idée n'est pas physique, mais a des retentissements, des implications et des imbrications physiques.
L'individu est un ensemble qui fonctionne dans le réel physique est qui se trouve balancer enter deux contextes : l'être physique et le monde idéel, qui ne peut fonctionner que parce qu'il est lui-même un composé. Comment comprendre que le réel soit composé de deux grande natures et d'espaces intermédiaires, sans retomber dans l'erreur de Descartes, qui isole des états et ne parvient plus à expliquer leur unité?
Pour ce faire, il faut recourir au dédoublement. Le double fut condamné à juste titre par Nietzsche et à la suite par la cohorte des immanentistes terminaux, parce qu'il exprime le moyen de sortir d'un état tautologique ou moniste pour expliquer pourquoi le réel ne peut se réduire à la description d'un état, fût-il complexe, comme l'être.
Le double n'est pas le dédoublement d'un état vers un autre, mais l'entreprise du malléable qui crée un dédoublement dynamique, non statique  toujours projeté vers l'accroissent. Évidemment, l'entreprise pour figurer le double sur un schéma géométrique ne peut faire apparaître cette dimension, vu que le malléable ne peut se figurer depuis l'être seulement (l'être peut exprimer le malléable, mais en creux, de manière non pas négative, comme l'estimait Descartes, mais avec la possibilité de décrire quelque chose de l'extérieur et de descriptible néanmoins, car à la fois imbriqué plus qu'extérieur).
Internet est le véhicule technologique du dédoublement. La technique suit un cheminement qui l'amène de plus en plus à relier le physique au malléable. L'idée tant qu'elle est véhiculée par des techniques physiques tend à en rester à une individualisation de l'idée, au sens où l'ire est perçue comme étant la propriété de l'auteur. L'expression Gutenberg en reste à ce stade, sa libéralisation n'ayant rien arrangé.
L'avènement d'Internet se trouve violemment combattu par les intérêts Gutenberg, pas seulement pour des questions commerciales (aussi importantes soient-elles), mais parce que Gutenberg en reste au domaine du physique, quand Internet tend à élever le physique vers l'idéel. Internet suggère la malléabilité. L'approche des arts et des idées va subir ce changement.
L'artistique va se trouver de plus en plus subordonner à l'idée, ce qui en changer le statut actuel : l'art est au service de l'idée et véhicule l'idée dans le physique, alors que l'idée exprimée de manière rationnelle peine à s'exprimer de façon directe (elle serit presque en sous-régime).
Internet véhicule le plus grand changement de statut de l'idée depuis l'apparition de l'homme, qui est le vrai détenteur de l'idée dans le règne des créatures connues. Internet va permettre de retrouver une  hiérarchie saine dans laquelle l'idée prime au point que ses animateurs humains, aussi créatifs soient-ils, pourront vivre dans un anonymat relatif, loin de l'effervescence médiatique qui bruit autour des écrivains reconnus et médiatiques et qui tend à les détruire au pont que leur identité souffre des mêmes maux que les rock stars.
La qualité de leur production s'en trouve aussi affectée. Ce qui compte n'est pas que l'auteur disparaisse, mais que l'auteur soit au service de l'idée, et non l'inverse. Son ego ne s'en portera que mieux, et sa créativité s'en trouvera décuplée. Il s'agit de créer pour servir l'idée, et on de créer pour se servir soi, ce qui engendre une perte de la créativité avec la démultiplication de l'égo, soit en termes spinozistes la suprématie du désir sur l'intelligence (programme toujours gênant).

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