lundi 20 mars 2017

Le siècle d'or de la métaphysique moderne

Descartes estime qu'il a trouvé le bon niveau de réel avec son cogito, au nom du fait qu'il a(urait) mis la main sur la certitude. Rien ne le fera plus changer d'avis. Pourtant, le fait qu'il ne parvienne pas à tisser de pont(s) avec le réel signifie que sa méthode ne fonctionne pas vraiment. 
De même, le Dieu qu’il trouve avec cette méthode n'est que le prolongement du sujet trouve, un fondement qui n'est rien de plus qu'une projection. De même, le doute n'est retenu que parce qu'il permet d'opérer une discrimination dont le mérite est de rester interne au jugement, donc confortant l'endroit dont elle vient. 
Descartes tenant bon son réel, il préfère consentir à tous les compromis, ontologiques et épistémologiques, pourvu qu'il puisse continuer à s'assurer de la conservation de sa trouvaille. Répétons en effet que la certitude est pour lui le bien le plus précieux. 
Descartes tombe dans le piège du subjectivisme qui estime que le but de la philosophie est de trouver de la certitude, puisque ce qu'elle nomme certitude est le sentiment de son identité de soi à soi. Ensuite, à partir de la certitude, cette approche s'en va chercher les fondements et claironne les avoir trouvés. 
Le schéma transcendantaliste est fondé sur l'idée selon laquelle la certitude mène à l'origine - si on trouve la certitude, on trouve par conséquent l'origine. On comprend que Descartes, après avoir localisé la certitude dans le sujet, se targue d'avoir donné à la philosophie ses lettres de noblesse. 
Ce faisant, il condamne la connaissance à des résultats faméliques et erratiques, et il empêche qu'on corrige cette erreur criante, puisque l'opération a été menée à son terme par ses bons soins. Du coup, les métaphysiciens qui suivront ne pourront échapper aux rets de son raisonnement.
Même ceux qui entendront aller à son encontre, comme Heidegger, resteront prisonniers de l'idée selon laquelle il faut partir du sujet pour découvrir. La méthode expérimentale procède en estimant que les conditions de la connaissance sont existantes, opérationnelles, qu'il n'y a pas besoin de commencer pare s'interroger sur la méthode, comme le fait le cartésianisme, pour ensuite connaître.
Pour connaître, il suffit juste de faire confiance en nos outils de connaissance et de trouver la méthode la plus fiable pour connaître. A la limite, on peut aller jusqu'à estimer sans déformer le problème que nous sommes obligés de découvrir une méthode, car nous sommes faits pour connaître. 
Dès lors, la philosophie ne peut se présenter comme une méthode cherchant à découvrir les conditions de la connaissance avant la possibilité de la connaissance, ce que fait pourtant Descartes, sans quoi aucun résultat n'est possible. En effet, cette interrogation est juste un faux problème, qui identifie une fausse identité, le cogito.
Le cogito n'existe en réalité pas, pas davantage que la métaphysique de mouture 1, aristotélicienne, ou 2, cartésienne. La différence est qu'Aristote croit encore que l'on peut connaître sans s'en poser la question.
Descartes pense renouveler l'intérêt de la philosophie en trouvant cette pseudo-exigence. Il y parvient de la plus belle des manières, car, à partir du moment où il a trouvé un faux problème, la réflexion est infinie et aucune résolution ne sera jamais possible. Raison pour laquelle il ne faut pas s’aventurer à croire qu'un problème est fondé parce qu'il est fécond. Plus un problème est illusoire, plus il est fécond. 
Ce paradoxe s'explique par le fait qu'on ne peut connaître la fonctionnement du réel, et, partant, celui de notre nature. Voilà qui implique que le réel fonctionne selon une explication qui est extérieure à l'homme et ses facultés et que l'on peut fort bien nommer Dieu. Dès lors, l'âge d'or de la métaphysique 2, ou sa renaissance historique, n'ont fait qu'accroître le projet de l'illusionnisme en général, prétendant faire de la connaissance un objectif rapidement atteignable.

mercredi 8 mars 2017

La révélation incommensurable

Le problème de la révélation de type transcendantaliste est d'expliquer pourquoi elle survient de manière aussi inégalitaire, ce qui est une autre manière de se demander ce qu'elle est ou ce qu'elle signifie. Dieu ne se révèle qu'à quelques initiés, de manière qui plus est arbitraire et incompréhensible (la question : pourquoi eux et pas d'autres? devient tout aussi bien : comment se peut-il que ce soit eux qui soient retenus comme prophètes, devins, etc., tellement ils se montrent parfois inconséquents et peu reconnus, voire rejetés).
C'est que la révélation porte en elle une différence incommensurable avec la manière ordinaire de se comporter des hommes. Dieu révèle, non pas les valeurs que l'homme expérimentent ordinairement, mais la valeur la plus haute, au sens où la valeur des valeurs excède le domaine d'expérience usuel de l'homme. Quelle est la teneur si unique et singulière de la révélation pour qu'elle occupe cette position qui après tout ne va pas de soi - certains penseurs n'estiment-ils pas que l'immanentisme suffit pour expliquer le réel, comme Spinoza ou Nietzsche?
La révélation peut être dite différente et unique en ce qu'elle apporte la créativité à l'homme, alors que son comportement est tenu pour radicalement borné au mimétisme (c'est la démarche que synthétise René Girard dans son anthropologie chrétienne). Cette conception ultramajoritaire, qui prime dans l’ordre de la pensée humaine, estime que la créativité n'est pas humaine. Du coup, elle ne peut lui être montrée que de l'extérieur et c'est ainsi qu'il peut ensuite l'appliquer - d'où le mimétisme.
Voilà pourquoi Dieu peut choisir les élus au hasard (selon la compréhension que l'homme a de la providence) : la condition à respecter est que la révélation s'effectue de manière ultrasélective, et le meilleur moyen d'y parvenir est de privilégier l’arbitraire (sans quoi la créativité serait prise pour l'expérience banale du mimétisme). 
L'inégalitarisme divin signifie que Dieu opère une sélection au sein du réel qu'il a créé. Si l'argument selon lequel nous ne pouvons pas expliquer les intentions divines tient, il présente pour inconvénient majeur d'échapper à tout critère de vérification humain : il n'y a ainsi plus de difficultés, et tout devient possible (ainsi de l'argument de Descartes, selon lequel Dieu peut même commettre l'impossible).
Du coup, le fait que Dieu se comporte de manière inégalitaire va de soi si l'on est certain que c'est de Dieu dont il s'agit. Mais si l'on veut, comme c'est le cas de l'augustinisme dans le christianisme, que la raison s'en mêle, peut-on décréter que la raison va s'occuper de donner le plus de raisons qu'elle peut à partir de la révélation, en sachant que le choix de cette dernière repose en définitive sur l’indécidable?
Dans ce cas, cela signifie que la raison est un auxiliaire dont le choix porté est aveugle et arbitraire. Cette fois, c'est plus gênant que dans le cas du choix de Dieu. Car Dieu étant doté de tous les attributs possibles de perfection, son omniscience peut s’accommoder d'une certaine dose d'arbitraire.
Mais l'homme n'en a pas les moyens. Donc il accorde son choix à l'arbitraire, ce qui ne peut se concevoir que si on en vient à supprimer le rationalisme humain pour estimer que tout découle du choix de Dieu.
Le religieux dans sa continuité transcendantaliste, depuis les origines ne peut assumer son choix inégalitaire autrement qu'en accordant une confiance en Dieu aveugle et totale, ce qui n'est pas une option délirante, mais qui est incompatible avec le rationalisme religieux - l'idée selon laquelle il n'est pas de pratique sans l'apport décisif de la raison humaine sur la révélation divine. Le transcendantalisme se trouve ainsi soumis à une tentation irrationaliste inhérente à sa propre expression.

mercredi 1 mars 2017

Les limites du cadre transcendantaliste

L'histoire biblique est emblématique de ce que la pensée rationnelle peut proposer de mieux pour expliquer la condition incompréhensible de l'homme sur Terre, lui qui ignore ce qu'il fait là, pourquoi il vit, qui se doute qu'il y a autre chose que ce qu'il voit ou que ses représentations sont à peu près justes quand il s'agit de mener son existence, mais qui se montrent défaillantes dès qu'on entend définir ce qu'est le réel. 
Tout juste le débat actuel entre réalisme et constructivisme ne fait que reprendre une vieille question de débat, consistant à savoir ce qui existe indépendamment de nos représentations (s'il existe quelque chose, comment le formuler, sachant que nos représentations sont incapables d'envisager précisément ce que le terme réel peut cacher, autrement que par des approximations qui gagnent sans doute en précision dans le temps, mais avec lenteur, et sans qu'on puisse en déterminer la fin, puisque cette idée ne se conçoit pour le moment que dans la représentation de l'être. Or si le réel ne se résume pas à l'être, nous nous trouvons dans l'impossibilité de trouver un début et une fin, donc nous estimons que nous avons perdu toute boussole). 
L'imagination est le véritable fondement de la pensée rationnelle, contrairement à ce qu'on considère le plus souvent, parce que la raison est une faculté qui ne peut s'épanouir que dans le calcul et les opérations stables, ce qui nécessite qu'elle est obligée de trouver une faculté complémentaire qui lui permette de rester dans le cadre du réel, dont le propre est de ne pas être stable.
Le problème est que le rationalisme triomphe dans une conception où le réel se limite à de l'être. Or il faut tout au contraire apporter au réel, et pas seulement aux fondements, des contours qui, parce qu'ils flottent, rendent explicable sa vision d'un début et d'une fin. En effet, la vision d'un début et d'une fin ne vaut que dans l'être.
L'imagination n'est pas la véritable faculté qui dirige l'homme et qui permet de comprendre le réel au-delà de sa dimension d'être. Ce qu'on nomme imagination relève en fait de la capacité d'innovation ou de créativité, mais il faut donner alors à ce dernier terme une dimension qui est propre à l'homme, et pas seulement, comme on le fait aujourd'hui, réservée à une élite d'artistes, dont Nietzsche a cru se faire le promoteur.
Si l'on a jusqu'à présent reconnu l’imagination comme une faculté importante pour l'homme, capable de créativité, c'est parce qu'elle est reconnue comme inférieure à la raison et qu'elle la sert avec efficacité, a point qu'on estime qu'en philosophie elle n'existe pas. Il est vrai qu'on en reconnaît l’aspect décisif en littérature.
Mais jamais on a cherché à approfondir l'imagination autrement que comme une faculté connexe et inférieure de la raison. Or on voit bien que la raison, quand elle est seule, présente comme inconvénient pour le moins fâcheux de ne pas être capable de changement. Elle divise avec une rigueur impressionnante, mais elle aboutit à force de rigueur et d'application à l’appauvrissement, puisqu'elle est incapable de changement.
Donc la pensée humaine ne peut fonctionner sur la raison, sans quoi cela signifierait que l’homme a un fonctionnement qui est inapplicable avec le réel - ce qui n'est pas possible, au nom du principe selon lequel ce qui demeure une période importante dans le réel est conforme au moins avec une approximation fiable avec le fonctionnement du réel, ce qu'on pourrait appeler le principe de