mercredi 8 mars 2017

La révélation incommensurable

Le problème de la révélation de type transcendantaliste est d'expliquer pourquoi elle survient de manière aussi inégalitaire, ce qui est une autre manière de se demander ce qu'elle est ou ce qu'elle signifie. Dieu ne se révèle qu'à quelques initiés, de manière qui plus est arbitraire et incompréhensible (la question : pourquoi eux et pas d'autres? devient tout aussi bien : comment se peut-il que ce soit eux qui soient retenus comme prophètes, devins, etc., tellement ils se montrent parfois inconséquents et peu reconnus, voire rejetés).
C'est que la révélation porte en elle une différence incommensurable avec la manière ordinaire de se comporter des hommes. Dieu révèle, non pas les valeurs que l'homme expérimentent ordinairement, mais la valeur la plus haute, au sens où la valeur des valeurs excède le domaine d'expérience usuel de l'homme. Quelle est la teneur si unique et singulière de la révélation pour qu'elle occupe cette position qui après tout ne va pas de soi - certains penseurs n'estiment-ils pas que l'immanentisme suffit pour expliquer le réel, comme Spinoza ou Nietzsche?
La révélation peut être dite différente et unique en ce qu'elle apporte la créativité à l'homme, alors que son comportement est tenu pour radicalement borné au mimétisme (c'est la démarche que synthétise René Girard dans son anthropologie chrétienne). Cette conception ultramajoritaire, qui prime dans l’ordre de la pensée humaine, estime que la créativité n'est pas humaine. Du coup, elle ne peut lui être montrée que de l'extérieur et c'est ainsi qu'il peut ensuite l'appliquer - d'où le mimétisme.
Voilà pourquoi Dieu peut choisir les élus au hasard (selon la compréhension que l'homme a de la providence) : la condition à respecter est que la révélation s'effectue de manière ultrasélective, et le meilleur moyen d'y parvenir est de privilégier l’arbitraire (sans quoi la créativité serait prise pour l'expérience banale du mimétisme). 
L'inégalitarisme divin signifie que Dieu opère une sélection au sein du réel qu'il a créé. Si l'argument selon lequel nous ne pouvons pas expliquer les intentions divines tient, il présente pour inconvénient majeur d'échapper à tout critère de vérification humain : il n'y a ainsi plus de difficultés, et tout devient possible (ainsi de l'argument de Descartes, selon lequel Dieu peut même commettre l'impossible).
Du coup, le fait que Dieu se comporte de manière inégalitaire va de soi si l'on est certain que c'est de Dieu dont il s'agit. Mais si l'on veut, comme c'est le cas de l'augustinisme dans le christianisme, que la raison s'en mêle, peut-on décréter que la raison va s'occuper de donner le plus de raisons qu'elle peut à partir de la révélation, en sachant que le choix de cette dernière repose en définitive sur l’indécidable?
Dans ce cas, cela signifie que la raison est un auxiliaire dont le choix porté est aveugle et arbitraire. Cette fois, c'est plus gênant que dans le cas du choix de Dieu. Car Dieu étant doté de tous les attributs possibles de perfection, son omniscience peut s’accommoder d'une certaine dose d'arbitraire.
Mais l'homme n'en a pas les moyens. Donc il accorde son choix à l'arbitraire, ce qui ne peut se concevoir que si on en vient à supprimer le rationalisme humain pour estimer que tout découle du choix de Dieu.
Le religieux dans sa continuité transcendantaliste, depuis les origines ne peut assumer son choix inégalitaire autrement qu'en accordant une confiance en Dieu aveugle et totale, ce qui n'est pas une option délirante, mais qui est incompatible avec le rationalisme religieux - l'idée selon laquelle il n'est pas de pratique sans l'apport décisif de la raison humaine sur la révélation divine. Le transcendantalisme se trouve ainsi soumis à une tentation irrationaliste inhérente à sa propre expression.

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