dimanche 29 septembre 2013

Au connu

Ami lecteur, l’esprit conjoint au nihilisme et au transcendantalisme estime que ce qui n'est pas connu constituera toujours la part supérieure au connu. Pour mieux caractériser ce qu’est l'inconnu, la différence tient dans la distinction entre le connaissable et l'inconnaissable. Quand l’inconnu est inconnaissable, il ne peut jamais passer du côté du connu; tandis que quand l’inconnu est connaissable, la connaissance de l’ensemble du réel devient possible, bien qu’elle ne soit pas effective immédiatement. Deux courants s’affrontent. Le transcendantalisme estime que ce qui est inconnu est connaissable, mais par parties. Si le réel est connaissable, ce n'est pas dans la fulgurance de son unité et de son intégralité. Il y a une limite à l'acte de connaissance. Elle peut tendre vers le total, tout en restant toujours partielle. La reconnaissance du connaissable implique la possibilité de progression qui affecte le connaître.
Le nihilisme postule la limite radicale et indépassable entre le connu et l’inconnu - à tel point que,  s'il existe des différences de positions dans le nihilisme, son propre pencherait plutôt vers l'inconnaissable fondamental. A cet égard, Héraclite a estimé qu'il était impossible de connaître quoi que ce soit de fondamental. Dans cette optique, le connu exprime la dégradation de l'inconnu. Le connu est inférieur à l’inconnu. Le connaissable ne touche qu’une certaine partie du réel. Mais il existe une différence entre ceux qui estiment que le connaissable fini est théorisable, comme les métaphysiciens, et ceux qui estiment que la partie connaissable échappe à la théorisation, ainsi de Héraclite. Descartes relève du courant métaphysique, avec cette particularité qu’il rénove la métaphysique obsolète de veine scolastique en ajoutant Dieu au fini. Aristote ne reconnaissait pas le principe d’ordre inscrit dans le divin, et l’avait même remplacé par l’artefact absurde du Premier Moteur. Dieu est le "principe" d’irrationnel, si tant est que l’on puisse employer le terme de principe pour qualifier l’irrationnel, lui qui sert davantage à expliquer la chaîne des raisons, remarquée et délimitée par Descartes, que le Premier Moteur de facture aristotélicienne, qui constitue un prétexte intellectuel pour ne plus s’embarrasser de la question du divin (comment expliquer que le rationnel n’explique pas le réel?
Comment justifier l’arbitraire du rationalisme fini?). La décrépitude de la métaphysique 1 tient à l’absence, prévisible, de possibilité miraculeuse de remonter le pendule, d'empêcher le déclin inéluctable de son domaine d’étude, de recherche, de scientificité, et même d’existence, vu que le métaphysicien évolue dans le même domaine fini, puis sclérosé, que celui qu’il étudie. La rénovation cartésienne n’en est pas à un paradoxe près : elle explique par Dieu la persistance du physique. Outre que le recours au christianisme montre la perversion de l’augustinisme par la métaphysique, que Descartes ne fait qu’entériner, mais qu’il est loin d’initier (ce qui en dit long sur l’alliance inavouable, quoique avérée, du monothéisme et de la métaphysique, soit indirectement du transcendantalisme et du nihilisme), le cartésianisme promeut une explication anti-explicative, en ce sens que, ne pouvant expliquer quoi que ce soit, et en particulier le réel, elle n’explique rien. Descartes peut expliquer un certain domaine, à condition que ce domaine édicté et fini soit fondé par Dieu, mais Dieu n’est pas défini par Descartes, et, si l’on peut estimer que le mot Dieu est lui-même une commodité autant langagière qu’idéelle pour trouver une explication sans définition, il existe pour autant deux grandes conception antithétiques du divin, au-delà du Dieu monothéiste, qui surgit fort tard dans l’histoire des religions, et qui, s’il constitue un progrès rationnel, n’est pas une invention indépendante du polythéisme : le divin est connaissable par l’homme ou ne l’est pas.
Descartes se place explicitement dans la deuxième catégorie par de nombreux aspects, notamment quand il décrète que les desseins de Dieu sont incompréhensibles pour l’entendement humain (sa conception de la volonté recoupe cette tendance, avec une volonté humaine qui rejoint d’autant mieux la volonté divine qu’elle se résume à dire oui ou non dans une situation qui reste à entendre). Même quand on se place dans le schéma du transcendantalisme, dont est exclue la métaphysique, bien que de multiples compromis soient possibles, l’inconnu reste primordial et prépondérant au sens où la fin n’est pas définie : l’Etre de l’ontologie n’est pas défini, Platon n’y est pas arrivé, pas davantage que ses prédécesseurs comme ses successeurs (Plotin ou Leibniz pour prendre des continuateurs originaux). Ce genre de schémas, pour positif qu’il soit, considère que l’inconnaissable est supérieur au connaissable, même si l’inconnaissable reste accessible à la connaissance lente et progressive. Il existe une identité assez palpable et scandaleuse entre les deux grandes influences de la pensée, qui s'étendent bien au-delà de l’histoire de la philosophie, et qui à bon droit peuvent être tenues pour l’expression des deux grandes formes, antithétiques, de religiosité : le transcendantalisme et le nihilisme.
Cette identité s’appuie sur leur parenté consistant dans leur défaut, à ceci près que le transcendantalisme aspire à résoudre son défaut, quand le nihilisme l’accepte, s’en contente, voire le revendique (la revendication s’opère avec l’incohérence, par exemple chez les atomistes de l’Antiquité, Démocrite d’Abdère en particulier). L’Etre exprime le défaut, ce dont Heidegger se rendra compte en fin de parcours, tant de la métaphysique que du transcendantalisme. Mais l’être fini acquiesce et valide le défaut encore plus, lui qui ne se soucie pas de ce qui peut exister à côté du domaine fini qu’il édicte, sachant que tout ce qui est fini ne peut qu’être incomplet. La revendication de complétude que l’on retrouve dans l’immanentisme, qui constitue l’acmé de l’exigence de rationalité et de cohérence du nihilisme, ne s’établit en résolvant le problème de l’incomplétude du fini, mais en décrétant de manière arbitraire, tel un caprice, que ce qui est incomplet est complet. Ce miracle s’opère certes grâce au pouvoir du désir de décréter de manière arbitraire, mais à la différence du pouvoir démiurgique qui rend effectif et réel ce qu’il décrète,ile décret du désir se contente d’en rester à la représentation et de ne pouvoir accéder à l’effectivité ou réalisation.
Il convient autant de sortir du transcendantalisme que du nihilisme, même si le transcendantalisme est une forme de pensée qui mène vers une démarche de construction du réel, tandis que le nihilisme, comme son nom l’indique détruit, en revendiquant définir. Car si l’on en reste à ces deux postures au fond complémentaires, sinon parentes, l’on se condamner à réhabiliter l’un en cherchant à éviter l’autre, ce que rappelle l’alliance contre-nature du christianisme et de la métaphysique (voire de l’Islam et de la métaphysique, bien que je connaisse très mal l’histoire de l’Islam), en tout cas l’alliance attestée de la métaphysique et du monothéisme, alors qu’on aurait pu attendre plutôt que ce soit l’ontologiue qui a noué des rapprochements avec le monothéisme. Ces rapprochements ne furent que minoritaires, parce que la réunification entre la métaphysique et le monothéisme laisse apparaître l’espoir d’une réunion des qualités des deux bords sous un genre nouveau, tandis que la seule ontologie demeure encore trop lacunaire. L’observateur ne se rendra compte des accointances entre transcendantalisme et nihilisme ennemis que lorsqu'il sera passé à une autre mentalité religieuse, que j’ai baptisée néanthéisme, et qui ne peut survenir qu’une fois les réalités du transcendantalisme et surtout du nihilisme enfin observés, décrites, reconnues. Pour le moment, si le transcendantalisme est reconnu même de manière beaucoup trop réduite, le nihilisme reste confiné à l’expression d’un mouvement ultraminoritaire, caricatural et idéologique.

mardi 24 septembre 2013

La réforme de la métaphysique

L'actuelle réforme philosophique, à laquelle nous assistons et que nous ne comprenons pas, tant elle redéfinit les contours de la philosophie, jusqu’à rompre avec toutes les options de son histoire, est avant tout la réforme de la métaphysique. La métaphysique avance que ce qui a péché depuis Aristote n'est pas la finitude du réel, que cette finitude est encore trop lâche, qu'elle mérite d'être recentrée sur la seule subjectivité (le fini subjectif mieux et plus restreint que le fini strict). La découverte de Descartes pourrait ainsi être : la raison ne concerne pas le monde, seulement individu (on comprend à partir de ce constat pourquoi Spinoza commence par suivre le cartésianisme, avant de proposer un modèle hérétique, qui fait du désir le nouveau modèle de la bonne forme, comme si Spinoza avait encore réduit Descartes du cogito au désir). 
Depuis Aristote, on se pose la question : quelle est la bonne forme?, au sens de : quel est le véritable fondement du réel? Et la métaphysique répond au fur et à mesure de son histoire avec restriction, passant du fini (qui implique que la raison se confonde avec son objet) vers la subjectivité encore plus finie. La différence entre Descartes et Spinoza : le rationalisme de Descartes côtoie l’irrationalisme de la volonté, qui exprime l’irrationalisme de Dieu, tout-puissant autant qu'incompréhensible; tandis que chez Spinoza, l'identification du désir est d’essence irrationaliste, puisqu’elle est injustifiable, autant que l’incréé (l’immanence étant une approche au fond négative et dénuée d’explication du réel et de la question de sa création). Mais Descartes est encore universaliste, alors que Spinoza annonce déjà la singularisation de la théorie, qui mènera vers l’apologie de la singularité chez Rosset le spinozo-nietzschéen (dont un livre s’intitule L’Objet singulier).
Descartes rend sa méthode singulière, au sens où elle n'est pas généralisable. La philosophie de Rosset serait seulement applicable à sa personne et surtout pas source d’inspiration pour d’autres (au sens positif, car au sens négatif, ses quelques disciples médiatiques et médiocres montrent assez la décrépitude qualitative que peut engendrer ce type de filiation intellectuelle et philosophique. Descartes estimerait ainsi, dans un bel élan d’incohérence, que l'addition des raisons singulières peut engendrer une réforme collective, davantage d'ordre métaphysique que politique : "La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues auparavant en sa créance n’est pas un exemple que chacun doive suivre" (Méditations métaphysiques). Descartes ruine la possibilité d’universalisme de la philosophie en montrant que l’universel s’incarnerait dans un drôle de singulier, qui devrait jeter les ponts pour assurer la réconciliation universelle de l’intérieur et de l’extérieur, mais n’y parvient pourtant jamais, ou de manière malaisée et peu satisfaisante (au point que Pascal déclarera Descartes inutile te incertain, ce qui n’est pas qu’une boutade).
Ce faisant, Descartes assigne à la métaphysique une spécificité singulière de plus en plus amoindrie par rapport aux objectifs initiaux d’Aristote. Aristote visait encore l’universel en énonçant qu’il n’y a de science que du général, alors que le particulier se cantonnerait dans ce raisonnement à l’existence individuelle. Le général désigne la possibilité de théoriser dans le fini, ce qui est la réfutation du singulier dans la théorie, et l’affirmation selon laquelle ce qui est singulier est une réduction de ce qui est réel et théorique, fût-il fini. La revendication d’Aristote tient à ce qu’on peut instituer du général et du théorique dans le fini. Même lui reconnaît que ce n’est pas possible avec le singulier et le particulier. Il ne s'agit pas de reprocher à Descartes, et même à Spinoza, d’avoir tenté de circonscrire l’universel fini au singulier.
C’est l’entreprise à laquelle s’astreint Rosset, et son radicalisme constitue en ce sens une gradation de Spinoza, et même de Nietzsche, pourtant spécialisé dans les outrances verbales et les envolées lyriques d’ordre postromantique (parfois même relevant de l’anarchisme de droite). Descartes n’est pas sur cette ligne extrémiste, au sens où la radicalisme (qui peut être positif) est devenu simpliste et violent (l’apologie du singulier comme fondement du réel). Descartes essaye :

1) de trouver un fondement d’ordre universaliste qui sera la cogito;
2) de relier le cogito avec le monde extérieur des corps, le domaine du physique.

1) Le cogito est universaliste au sens où il est accessible à n’importe quel individu humain ayant accès à la pensée et où surtout il permet d’accéder à l’universel qui est l’ambition de Descartes : la réconciliation entre l’intérieur et l’extérieur, avec pour point de départ la certitude de disposer d’un fondement sûr et l’espérance de pouvoir connaître l’extérieur avec méthode, sinon certitude.

2) La difficulté que Descartes affronte est moins de relier l’intérieur et l’extérieur que de les relier selon la même modalité, le même degré de certitude. Descartes affirme à plusieurs reprises que la connaissance physique ne peut s’ancrer sur le même degré de certitude que l’expérience que délivre le cogito (je suis, j’existe). Du coup, si son rêve de certitude s’effondre, on peut aussi bien se demander s’il parvient à instaurer un véritable mode de connaissance ou s’il ne biaise pas avec son exigence au fond peu vérifiable d’idées claires et distinctes, en faisant des idées claires et distinctes des formes d’autant plus certaines qu’elles sont au fond peu utilisables, peu vérifiables et avec peu de lien avec le restant.
Qu’est-ce que cet extérieur à qui l’on accorde la valeur de réel et qu’en même temps on décrète inférieur? Qu’est-ce que cette connaissance qui ne parvient jamais à atteindre le degré de certitude? D’une manière générale, on pourrait se demander si le "moins réel" n’est pas tant l’extérieur incertain (seulement connaissable par les sens et l’imagination) que ce qui est frappé du sceau de la certitude et qui obéit au critère édicté par Descartes lui-même pour rénover la métaphysique et rendre la connaissance à nouveau possible suite à la sclérose de la métaphysique 1, notamment avec l’expression terminale de la scolastique. Qu’est-ce que le réel selon Descartes? C’est ce qui est certain. Descartes entend reconnaître ce qui est certain avec le cogito pour rendre certain la connaissance et ainsi rendre certain et connaissable l’extérieur du cogito. Mais le réel certain n’est pas le réel le plus réel, c’est au contraire le réel le plus étriqué qui soit. Le label certain ne s’attache qu’au réel qui est marqué par la finitude et par l’impersonnel. Descartes, pour refonder la métaphysique, entreprend de décréter comme certain ce qui fonderait la permanence tout en étant extérieur à ce critère décisif.
La certitude est le réel le plus étrange qui soit, non pas le réel le plus certain, mais le réel le plus certain car figé, indicible. Descartes pour le rendre certain l’ancre sur l’expérience (chaque individu peut ressentir que son cogito existe en réfléchissant) et sur Dieu. La singularité tendrait vers l’universel au sens où l’universalité du cogito n’est envisageable que via l’expérience la plus individuelle. Mais cette expérience n’est pas descriptible rationnellement, ce qui implique que le passage de l’individuel vers l’universel est seulement constatable empiriquement, sans être théorisable. Idem avec Dieu, qui à la fois fonderait et justifierait le cogito, et en même temps serait déduit du cogito. Mais le cogito est lui-même si peu descriptible que Dieu subit le même sort : il en devient indescriptible, ce qui fait que Descartes établit un raisonnement vicieux : l'indescriptible du cogito prouve Dieu l'indescriptible, qui lui-même fonde le cogito. Mais les deux sont indescriptibles, et le prouvé précède le fondateur, ce qui n’est pas logique. Le certain est à la fois le plus logique et le plus irrationnel, au sens où il renverse l’ordre du temps pour laisser place à la contradiction. La certitude serait ainsi moins l’incertain que le contradictoire dont on nous expliquerait qu’il est d’autant plus certain que son examen révèle quand même sa contradiction.

mercredi 18 septembre 2013

La forme politique

La volonté générale n’est que le composé des volontés particulières - plus l’adjonction de sa forme, état supérieur et aléatoire à elles (plus fragile et plus riche). La volonté générale est plus fragile, parce qu’elle est moins physique (moins réelle au sens de moins dense en concrétude). Mais elle est plus influente, au sens où l’homme ne peut agir sans se rattacher à un corps qui excède son individualité et qui présente une panoplie fonctionnelle qui lui soit supérieure. En ce sens, le corps vaudrait plus que l’individu. Mais cette conception omet d’accorder de l’importance à l’intelligence, voire se focalise sur le mécanique. Le plus important est de reconnaître que la volonté générale excède la volonté particulière. Ceux qui nient la possibilité d’existence de la volonté générale ne font pas que nier le processus démocratique. Ils nient la société depuis ses fondements et ils agissent de la sorte pour des raisons de simplisme travesti en simplicité : de la même manière qu’il est bien plus simple de nier le réel non physique au nom du réel le plus concret, de même il est plus facile de nier la volonté générale au nom du principe de réalité qui s’en tient à la volonté individuelle. 
La volonté générale existe si l’on prend en compte qu’il existe une autre forme de réel, qui n’est pas le réel le plus dense, mais le plus efficient. Le réel gagne en efficience à mesure qu’il croît en associations d'individualités et qu’il s’éloigne de ses formes singulières, dont le caractère n’est indépassable que s’il est circonscrit aux performances physiques du corps. Quand Aristote situe le réel au niveau de la forme générale du fini, il ne se mouille guère, puisque la forme regarde tout composé de réel, que le réel est formalisation, association de formes, et que, de même que le corps singulier se révèle composé de formes inférieures, de même nos corps ne sont pas la fin du réel (il n’existe pas de fin) et composent à leur tour des formes plus vastes. Quand on constate que la volonté générale est malade, on dissocie abusivement l’état de la volonté générale de celui des volontés particulières, comme si la volonté générale pouvait être la maladie qui imposerait le retour au multiple des volontés particulières, tandis que les volontés particulières pourraient être tenues indépendantes, donc en bonne santé, à condition qu’elles en reviennent à leur état initial (comme s’il existait un fondement initial stable et définitif). L’exigence d’indépendance particulière, loin d’amorcer le progrès de la conception du réel, ou un fonctionnement plus efficace, implique le mauvais état général. La revendication d’indépendance constitue l'antienne classique de l’individualisme, et non une manifestation de rébellion. La volonté générale est non seulement un composé qui influence directement le fonctionnement politique, mais qui désigne aussi la structure du réel. Le politique représente de ce point de vue le composé non agrégé, comme si la forme politique était un état qui encourageait la formation biologique, tout en en restant à une expression intermédiaire, aussi efficace que fragile. Le composé inachevé et non agrégé de type politique permet une plus grande force, mais se révèle en même temps aisée à se désagréger, du fait qu’elle repose sur l’addition des formes individuelles, dont la particularité est de présenter elles l’agrégation biologique et dont la désagrégation entraînerait la disparition en tant que forme constituée. L’agrégation politique repose sur la forme transitoire et inachevée, qui ne peut en aucun cas constituer un agrégat ou une forme donnée, car c’est une partie qui peut l’insuffler, tandis que l’agrégation effective est biologique au sens où elle dépend du réel dans son ensemble et que les religions nomment à un degré ou un autre Dieu (ou dieux) - le divin.

samedi 14 septembre 2013

La réforme du donné

Dans le Deuxième Discours de la méthode, Descartes propose que "pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre un bonne fois pour toutes de les en ôter, afin d'y remettre par après ou d'autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison."
Commentaire de l'édition : "Cette admirable formule ("ajustées au niveau de la raison") marque bien aussi l'un des traits de la réforme cartésienne qui vise moins l’acquisition de vérités nouvelles que la conquête méthodologique d'une certitude où les vérités anciennes apparaîtront, en quelque sorte, dans une lumière nouvelle."
La méthode de Descartes est une réforme du donné, l’ancien, qui considère qu'il faut remettre en ordre ce qui existe déjà, que la nouveauté ne consiste pas à ajouter du nouveau au donné, juste à le réagencer par la réforme de la raison. Descartes resserre à l’individu le projet de réforme, au motif que le cadre politique est trop important et inadapté : "Elles (les opinions) sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement."
Descartes par sa réforme entend découvrir le vrai, entendu comme l’expression de ce qui existe déjà. Tout son projet envisage le réel comme un ensemble stable, assez vaste pour qu’on puisse prendre pour du changement ce qui est de l'étendue. La question à poser avec Descartes : le changement existe-t-il? Par rapport à Aristote, Descartes reprend la configuration fini/infini, en modifiant la méthode aristotélicienne, ayant dégénéré en scolastique. Ce qu'il faut changer, c'est la méthode, pas le réel. Le réel demeure inchangé, d'où le conservatisme de Descartes, qui est métaphysique, et non seulement politique (ou pédagogique). Si le réel ne change pas, le souci de méthode estime que le réel ne se donne pas de manière automatique, d’emblée, en première intention, de manière immédiatement rationnelle (définition de l’intuition philosophique?), mais qu’il convient de trouver une méthode fondée sur la raison (l’ordre des raisons) pour déterminer dans le réel ce qui relève du certain et de l’incertain. Et si l’incertain n’est pas l’illusoire, l’illusoire existe avec Descartes : c’est l’erreur certes, mais cette dernière se trouve adossée sur le défaut ou le manque, soit l’idée qu’il existe paradoxalement, pour légitimer l'existence de l’erreur dans la mentalité métaphysique, du néant à côté du réel. Mais y a-t-il au sein de ce qui est du certain et de l’incertain, ou au contraire faut-il considérer que le réel côtoie le néant? C’est vers al seconde option que s’oriente Descartes, à ceci près qu’il n’explique pas pourquoi l’erreur côtoie le réel (surtout si Dieu est parfait et tout-puissant). L’on touche du doigt le défaut du système cartésien, et le défaut de la réforme métaphysique que lance aux débuts de la modernité Descartes : comment expliquer l’erreur si l’erreur ne peut être intégrée à Dieu le tout-réel? Si tout ce qui est relève de Dieu, comment peut-il y avoir du ce qui n’est pas (du non-être, du néant, du défaut, du manque)? Comment peut-il y avoir de l’erreur, si tant est que l’erreur soit, puisque Descartes prend soin à plusieurs reprises de préciser que l’erreur ne saurait être? Chez Platon, Platon s’est attelé à la difficulté, en redéfinissant le non-être par rapport à Parménide. Parménide entendait que ce qui est est, et ce qui n’est pas n’est pas. Platon se rend compte de la difficulté : comment ce qui n’est pas peut-il être en n’étant pas? Il y aurait là une contradiction qui viendrait singulièrement affaiblir le système envisagé (en l’occurrence, celui de Parmnéide). Platon redéfinit donc le monisme strict de Parménide en estimant dans le Sophiste que ce qui n’est pas est d’une certaine manière, qu’il n’est pas comme ce qui est pleinement, mais qu’il est un peu, ou moins que ce qui est. Du coup, ce qui n’est pas est aussi, sous la forme du changement. Ainsi, le non-être est intégré à l’Etre, dans un système dont le défaut récurrent demeure l’indéfinition de l’Etre. Descartes reprendrait-il l’erreur de Parménide? Loin de se placer dans le sillage de l’ontologie, l’influence de Descartes est tournée vers la métaphysique. Il est nourri à l’école (et même l’Ecole) de la scolastique issue de la métaphysique. Il renouvelle la métaphysique en corrigeant sa sclérose donnée, mais en conservant son principe fondamental, voire son postulat indémontrable : loin de chercher à définir le réel, ce qui pose le problème de sa limitation, te de ce qu’il y aurait à côté (du néant? Rien?), le métaphysicien depuis Aristote s’emploie plutôt et plus modestement à définir du réel. Peu importe que du réel soit une certaine part du réel, pourvu qu’il en soit la part la plus certaine. En cela, Aristote avait cru qu’il suffisait pour appliquer sa trouvaille conceptuelle de chercher du fini (et de se défier de l’infini, quitte à adouber le non-être, sans chercher pour autant à l’élucider - quelle importance?). Descartes prend acte des erreurs de la métaphysique 1, en rétrécissant son champ d’investigation à ce qu’il prend soin explicite de nommer le certain et le clair, et qu’il intègre au fini : le fini peut être certain comme incertain; tandis que le non-être si obscur (car indéfini) se trouve évacué au profit d’une définition irrationaliste de Dieu (Dieu étant parfait, il ne saurait être défini). C’est ainsi que Descartes le rationaliste si rigoureux fonde son système sur l’irrationalisme et sur une pirouette, évacuant le non-être au profit de l’indéfinissable. C’est ainsi que cette erreur réapparaît justement dans le statut si étrange qi est accordée à l’erreur : l’erreur est d'autant plus reconnue qu’elle ne serait pas.

mardi 10 septembre 2013

La connaissance possible

Le transcendantaliste dit qu'on peut connaître le réel, mais que la connaissance est différente du savoir donné. La représentation est différente du réel, mais la connaissance est rendu possible par l'expérimentation et la recherche.
L'immanentiste dit que le réel = la représentation. Ce qui importe dans l'immanentisme, c'est que le réel soit constitué d'un fondement, peu importe qu'il soit arbitraire, non de principes, qui ruinent l'idée de donné, donc de fondement palpable. Voilà qui implique que le réel repose sur des structures qui ne changent pas; tandis que dans l'immanentisme, le réel change tout le temps à condition (fumeuse) qu'il soit réel.
Raison pour laquelle Nietzsche affirme que la prière du métaphysicien consiste à débusquer du stable : la critique contre la métaphysique implique que lui s'estime plus radical, en tant qu'immanentiste, et rejette la métaphysique comme recherche des certitudes (finies) au sein de l'incertain (l'être est tenu pour théorisable au milieu du chaos). Nietzsche rejoint la position du nihilisme, selon laquelle il est compatible d’avancer que l'être est changeant, mais que le changement est ce qui permet à l'être de perdurer; tandis que le principe implique que le changement soit inférieur à ce qui demeure et ce qui demeure soit inexplicable. Nietzsche renvoie lui aussi au mystère de l'être, entendu comme variété du non-être.
La méthode de Socrate selon Platon exprime l’ontologie : partir du petit pour retrouver le grand, en montrant que le recours à la raison peut élucider le problème de l’immédiat, mais que le rapport instauré ne coule pas de source. Calliclès, qui représente le parti du plus fort, estime que les choses arrivent intuitivement, en embrassant d'un coup arbitraire et inexplicable le champ général du réel. Tandis que Socrate prône qu'il existe une disjonction entre l'être et l'Etre, dont la reconnaissance vérifie la connaissance, sans parvenir à l’expliquer pour autant. On obtient le lien par la raison en postulant qu'il faut que le réel soit unique, cohérent, lié, mais sans expliquer ce lien. La méthode socratique ne définissant pas ce qu’est l’Etre patine, alors qu’elle prétend parvenir à son objectif.
Le transcendantalisme est une méthode empirique qui suit l’idéal de la pérennité du réel, bien qu'il ne puisse l’expliquer, tandis que le nihilisme est une exigence qui sacrifie la pérennité à l'obtention du réel. Le nihilisme proclamerait : le bien le plus précieux est le réel, le plus important, réussit à délimiter du réel, fût-il précaire - et non le réel. Le reproche que le nihilisme adressera au transcendantalisme est de ne pas identifier de réalité cernée, de dissoudre le réel dans l’idéalisme indéfini. Cette définition est irréelle et illusoire.

vendredi 6 septembre 2013

Tranches de réalité

Comment se fait-il que l’organisation d’un complot s’effectue selon des associations et des complicités venant de groupes qui ne se sont pas entendus explicitement entre eux (ou alors de manière minoritaire)? Quelle logique suivent-ils si ce n’est la concertation de nature consciente? Comment dans le 911 expliquer que des groupuscules militaires d’extrême-droite aient collaboré avec des circuits financiers d’un point de vue délibéré (conscient)? Constat : les alliances troublantes que suppose un complot d’importance, surtout s’il s’agit d’un complot d’Etat, s’effectuent sur un mode qui n’est pas délibéré, prémédité. Mais alors, sur quoi repose la connivence?


Le mimétisme n'est pas conscient. Comme il faut un niveau de conscience inférieur qui s'exprime dans l'inconscience, ce niveau est utilitariste (utilité matérielle), quand le mimétisme lui est supérieur, au sens où il relève de l'irrationalisme, selon lequel le rationalisme n'est qu'une variété fort rare de l'irrationalisme, produite par la contradiction comme lieu de l'équilibre, lieu au sens de porte étroite et singulière où il existe un équilibre dans la contradiction. L'utilitarisme s'insère dans l'irrationalisme. Le fondement explicatif de l'irrationalisme et du mimétique réside dès lors dans le mythe de la stabilité, selon lequel le schéma déployé accroît l'instabilité en lieu et place de la stabilité recherchée (et d'autant plus que la demande surgit en période de crise, d'instabilité, voire de chaos).


Ami lecteur, je recherche une explication au complot qui n’exprime pas la dégénérescence du complotisme. La faille du complotisme rigoureux (à ne pas confondre avec celui propagandiste) consiste à expliquer le fonctionnement du social par le désir conscient. Les désirs complets sont omniscients, capables d’agir sur la réalité et de la transformer à leur guise. Une première contradiction : comment expliquer que nos désirs dominants modèlent le social s'ils sont obligés d’intenter des complots? Parce qu’ils maîtrisent le social, pas le réel? Parce qu’ils reconnaissent que le social n’est pas le réel? Parce qu’ils estiment que le complot constitue le correctif qui leur permettra de résoudre l’inadéquation entre le social et le réel? Qu’est-ce que le complot s’il peut résoudre cette inadéquation? Le complot serait-il la reconnaissance que l’insuffisance du désir sur le réel provient d’un manque en mal? Faut-il nuire et détruire pour dominer? Qu’est-ce que ce réel qui aurait besoin de détruire pour se perpétuer? Serait-ce que le réel est constitué du couple antinomique être/non-être et que le réel pour perdurer éprouverait le besoin de détruire? Mais alors, qu’est-ce que la texture du réel s’il repose sur un mode d’organisation diabolique et destructeur? Quel rôle accorder au complot? Comment se fait-il que le réel soit expliqué par le hasard (anti-explication qui veut tout et rien dire, puisqu’elle repose sur l’indéfinition)? Le complotisme est une interprétation relevant de l’immanentisme, et de catégorie inférieure, qui estime que le désir est mauvais, et peut exercer sa puissance sur le social, selon une influence plus importante que l’individuel. Cette puissance n’est-elle pas toute-puissance aux yeux du complotisme, puisque les complots sont destinés à réussir et les comploteurs à dominer par le recours aux complots. 
Une deuxième contradiction, plus générale : comment peut-on estimer que le complot découlerait d’une intention claire, exprimée par plusieurs individus, à l'intérieur d’un groupe, d’une faction? Comment croire que la structure d’un complot pourrait fonctionner de cette manière rare, alors que le complot effectué, ses dégâts se révèlent si impressionnants pour l’environnement? Exemple : si le 911 fut l'oeuvre d’une faction, comment expliquer que le restant des institutions aux États-Unis, en Europe, en Russie, en Chine, et partout dans le monde, soit resté les bras ballants à couvrir ce crime? D’autres factions rivales hésiteraient-elles à dégommer une faction comploteuse, rivale et source de danger, sachant que l’oligarchie se décline au pluriel, que les oligarchies sont férocement antagonistes, prêtes à tout pour détruire le pouvoir de concurrents potentiels, contrairement à l’image d’Epinal d’obédience complotiste, qui tendrait à faire accroire que l’oligarchie est un petit groupe qui domine de manière irrationnelle et surnaturelle (d’où les reptiliens?), au point de perpétuer sa domination sur plusieurs siècles et avec des ententes fonctionnelles et efficaces entre des clans (comme les Rockefeller et Rothschild, sur fond d’entente entre le sionisme et les WASP)?
Cette vision obéit à des schémas contradictoires, simplistes, inapplicables. Les oligarchies seraient à comparer aux caïmans dans un marigot, peut-être prêts à s’allier pour une entreprise, mais tout autant prêts à toutes les vengeances en cas de concurrence, y compris de trahisons. Dans cette mentalité, seul compte le résultat. Pour autant, si la crise fait apparaître des mentalités dégénérées comme le complotisme (ou le millénarisme, une explication qui recoupe le complotisme), c’est qu’il existe un principe à l’oeuvre derrière le complotisme, derrière l’apparition des complots, et qui ne dépend pas d’une faculté de conscience (que ce soient la volonté ou le désir). Le mécanisme reste à subsumer, ce qui contredit l’idée selon laquelle une théorie nouvelle naît de ce qui n’est pas vu, mais qui existe et est visible à condition que l’on y accorde de l’attention. Au contraire, le complotisme comme tentative théorique inconsistante signale que le caché existe. Le théorique consiste autant à s’attaquer au visible non vu qu’au caché; la tâche de la pensée s'attacherait à subsumer le caché, comme l’y invite l’enversion.
Il faudrait identifier la faculté qui produit les complots de manière non consciente, je n’emploie pas inconscient, du fait de sa connotation psychanalytique, contre laquelle s’oppose ma tentative de théorie, qui s’intéresse à l’infini et qui cherche à sortir du piège du domaine complet (dont l’inconscient, le désir...). Ce ne peut être ce qui manifeste l'intentionnalité directe, comme c’est le cas de la volonté ou du désir. L’intelligence renvoie à des formes de conduite assez variées. J’avais proposé, sur le modèle de Girard, le mimétisme. L’intelligence mimétique serait une intelligence inférieure à l’intelligence créatrice, mais relèverait de l’intelligence. Le mimétisme présentait l’avantage d’être un mécanisme comportemental et réflexif aussi courant qu’inconscient. Seule faiblesse, de taille : le mimétisme étant un mécanisme, il n’est actionné par personne. 
C’est la faille du désir de ne pas proposer d’auteur à sa démarche, ce qui recoupe le mythe du hasard fondateur : ne pas expliquer le surgissement des choses, ce qui impliquerait que le raisonnement humain ne puisse comprendre le fonctionnement du réel et que l’irrationalisme soit la seule issue, par dépit. La justification au choix du rationalisme contre l’irrationalisme, de l’explication sur l’obscurantisme (inexplicable) réside dans deux constats : l’homme perdure et le réel fonctionne. Sans expliquer, on constate? Le rationalisme serait adossé sur le postulat, sur la pensée axiomatique? Cette pérennité du réel couplée à celle de l’homme rend difficile l’hypothèse de l’inexplicable fondamental. La preuve que la connaissance est possible tient à l'absence d’omniscience et la connaissance en progrès : si le réel n’était pas connaissable, l’homme connaîtrait tout ce qu’il a connaître tout de suite (le modèle métaphysique implique un progrès de la connaissance fini, qui rejoint cette conception, du fait que la connaissance une fois achevée, le réel demeure englué dans sa fixation inconnaissable et irrationaliste), alors que l’homme ne peut connaître qu’en progressant. La connaissance existe d’autant plus qu’elle est un work in progress au sens où l’homme est une partie du réel et, plus original, où il n’est tel qu’en impliquant que ce qui n’est connaissable que par tâtonnement et progression relève d’une autre structure, qui explique qu’il ne soit pas connaissable directement. Le raisonnement d’Aristote est sur ce point impeccable : si le raisonnement se tient sur le même plan que le réel, il est normal que le réel soit connaissable et qu’en même temps, il ne le soit pas, au sens que la connaissance à acquérir est soit inexistante, soit vite dépassée. Tout connaître revient à ne rien connaître, puisque l’omniscience (ainsi relative) dans une conception finie désignerait le fait que le réel est borné de néant. Descartes se trompe quand il qualifie Dieu d’omniscient. Si l’omniscience existe, elle implique la néantisation. La structure du réel pour être pérenne est hétérogène par opposition à l’homogénéité. Si l’homme peut connaître, selon la définition progressiste du réel, alors le réel perdure. La connaissance est liée à la possibilité de réel. Si la connaissance n’était pas possible, le réel serait soumis à la disparition, sauf à recourir à sa sauvegarde par miracle, option que proposera Descartes pour sauver la métaphysique (mais ni la connaissance, ni le réel). 
La faiblesse du mimétisme, de ne reposer sur rien, implique qu'il soit déclenché par une force explicable et fondamentale. Peu importe que ce fondamental ne soit pas ultime, puisque l’ultime se déploie au sein du fini. Le propre du réel est de ne pas suivre cette logique. Le mimétisme doit être expliqué par une inclination consciente dans chaque sujet, mais qui dans l’interrelation entre individus conscients échappe à cette conscience. Conscience individualisante en ce que le passage vers le collectif entraîne la mutation du conscient vers la non conscience - vers le mimétisme. C’est une conscience qui se déploie selon la trame de l’individualité, ce qui implique que le mimétisme ressortisse de la manifestation inférieure et collective au sens de diffus.
L’infériorité du mimétisme se traduit par son caractère diffus et inconscient, quasi insaisissable. Car si cette diffusion inconsciente peut sembler une supériorité par rapport à la conscience, au sens où elle agit sans la connaissance de la conscience, elle se révèle en fait inférieure au sens où sa diffusion établit un mode de réalité inférieur à la réalité telle que la conscience en a connaissance. La réalité mimétique s’ancre sur un donné qui est une représentation inférieure de la réalité en ce qu’elle affaiblit sa reproductivité, tandis que la forme consciente et individuelle se montre supérieure, en ce qu’elle renforce la pérennité et la perpétuation du réel. Ce qui passe pour supérieur (l’échappatoire) est inférieur. L’inférieur pourrait à la limite se passer de la référence au divin (quelle que soit la définition qu’on accorde à ce terme au fond général et commode). C’est vers cette option qu’aboutit Aristote dans son système que la postérité a baptisée métaphysique : un système qui se passerait de Dieu, mais qui ne parvient pas à substituer à Dieu une autre explication. Le Premier Moteur se révèle un subterfuge irrationnel, qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. L’infériorité est réelle, mais présente des problèmes de fonctionnement qui ne sont pas résolubles dans son schéma théorique. Paradoxalement, l’infériorité a besoin de ce qui lui est supérieur pour réussir à fonctionner, sans quoi elle se désagrège et ne peut continuer à agir. L’inférieur a besoin du supérieur, soit de l’élément qu’elle rejette. Cela signifie que le réel est formé selon une structure par tranches et qu’il donne toujours l’impression qu’il est formé d’un certain nombre de tranches. Mais ce n’est pas la réduction par exemple de trois à deux tranches dont il est ici question, mais le fait que le réel supérieur est celui qui reconnaît la possibilité de l’accroissement - peu importe le nombre de tranches, autrement dit le donné existant. Tandis que l’inférieur n’aperçoit pas la partie accroissement et ne retient du réel que le donné. Peu importe en fait le nombre de tranches, à partir du moment où l’on se rend compte que l’existence d’un certain nombre de tranches n’est pas l’intégralité du réel, seulement une partie. On ne trouvera jamais le nombre exact de tranches de réel, de même qu’il est faux d’estimer que l’observateur revendique être passé à côté de l’ensemble du réel au motif qu’il n’aurait perçu ou retenu qu’un nombre insuffisant et réduit de tranches. Au contraire, quel que soit le nombre de tranches retenu et entendu comme réelles, le réel ne peut jamais se limiter à ce type de réel, mais pour être complet doit être complété par la partie accroissement. Peu importe le nombre de tranches, elles ne seront jamais qu’insuffisantes, en tant qu’elles sont une certaine partie seulement du réel. D’où la leçon de ce constat : peu importe le nombre de tranches que l’on retient, elles ne font que décrire un certain donné, aussi bien qu’une partie du réel. Quelle que soit l’amplitude de ce donné, il ne correspondra jamais qu’à une part du réel, et tant qu’on ne lui adjoindra pas la part accroissement, on passera à côté de ce qui fait le réel. L’illusion consiste à traquer le nombre de tranches comme si le manque d’une ou deux pouvait entraîner l’incomplétude.