mardi 31 juillet 2012

En ternir une couche

"J'ai fait cette remarque plus d'une fois : lorsque des amis français parlaient mal de leur Président, Sarkozy, lorsque moi, un Africain, je voulais en rajouter une, la gêne était perceptible. Ils ne voulaient pas laver le linge sale hors de la famille. Parce que dans le monde entier, on sait que chaque peuple n'a que le dirigeant qu'il mérite. A leur yeux, si je disais que leur président Sarkozy était un con, c'est en quelque sorte eux et tous les Français que j'insultais de cons. Lorsqu'un Africain invoque la CPI ou le TPI pour éliminer un président africain du jeu politique, il doit se demander au préalable pourquoi les dirigeants européens ne le font pas pour Lucachenko en Biélorussie. Et peut-être comprendra-t-il un peu de Géostratégie, beaucoup mieux que de la simple stratégie."
Jean-Paul Pougala. 

Je reprends cette citations drolatique et récente du géostratège camerounais Pougala, qui contraste avec l'affirmation, tant de fois lancée par des Français (comme par hasard relevant une fois sur trois de catégories faibles intellectuellement et socialement) se piquant de dépolitisation, selon laquelle on ne peut rien faire contre les comportements dévoyés de nos dirigeants. Il existerait une coupure essentielle (sociale? ontologique? confusionnelle?) entre les élites et le peuple, qui rendrait le peuple bon, mais impuissant; tandis que les élites seraient mauvaises, mais toutes-puissantes : 
"Parce que dans le monde entier, on sait que chaque peuple n'a que le dirigeant qu'il mérite. A leur yeux, si je disais que leur président Sarkozy était un con, c'est en quelque sorte eux et tous les Français que j'insultais de cons." 
La dissociation entre les élites et le peuple est-elle justifiée? Je crains que ce ne soit un commode moyen pour les dépolitisés se prenant pour le peuple de se déculpabiliser, quand on préfère les plaisirs à l'exercice de la citoyenneté. L'argutie ressortit du registre poujadiste, à ceci près que le poujadisme découlait de revendications commerçantes, tandis que ce sont les classes défavorisées qui se montrent les plus empressées à se désengager, contre leurs intérêts, comme si le propre de la bêtise consistait à s'autodétruire avec délectation.
Chaque peuple n'a que le dirigent qu'il mérite. Cette sentence réunit les différentes couches sociales formant le peuple avec les élites, soit de rassembler le corps social et de former la volonté générale. Quand vous entendez un 2.0, plus proche du plouc que de son parent rejeté, déclarer que da sa situation d'exploité consentant, il subit les malversations de ses élites, il répercute de manière imbécile le discours de la dépolitisation, que peuvent tenir les bobos dans un autre registre, plus intelligent et intéressé (le bobo ayant accès à la culture, il a les moyens de se dépolitiser sans y perdre socialement, lui qui a financièrement les moyens, relatifs, de sa dépolitisation). 
La dépolitisation signifie la nullité de ses promoteurs, au sens où la médiocrité relève de la déresponsabilisation. Le mensonge devient la règle du jeu, le fonctionnement social est apparenté à un jeu puéril. Mentir exprime l'absence de responsabilité, de sens politique, la disparition de la vérité. Est-ce de la perversion volontaire - ou la conséquence d'une dégénérescence intellectuelle si forte que les repères moraux s'en trouvent estompés? Je crains que la confusion dans laquelle s'ébattent les tenants de la dépolitisation tienne au morcèlement mental, qui correspond à leur représentation sociale. La dissociation hallucinatoire entre les élites malfaisantes et le peuple impuissant trouve son explication dans la dislocation de cette mentalité rabougrie. 
Quand les faibles forment le soutien de la dépolitisation, les victimes soutiennent la mentalité qui les oppriment en prétendant s'y opposer. Ils reproduisent l'état qui les désavantage sans prendre la mesure de la cause : leur morcèlement aboutit à détruire la cohésion, dont ils seraient les premiers bénéficiaires. La revendication de dépolitisation au nom de la toute-puissance des élites est pathétique : les dépolitisés faibles sont les premiers responsables de leur état et de celui de leurs élites.
Ce sont les classes les plus populaires qui soutiennent les élites dont elles héritent et dont elles font mine de se désolidariser pour se déculpabiliser. Si l'Afrique va si mal, c'est que les peuples y ont entériné le colonialisme et constituent les principaux auteurs de leur malheur. L'argutie selon laquelle on ne peut rien faire pour changer l'état d'un système (comme l'oligarchie) est un mensonge qui permet à peu de frais aux opprimés de se défausser de leur responsabilité, a fortiori en démocratie. Les peuples ont les représentants qu'ils méritent. Le peuple français voit en Sarkozy le néo-conservateur ou en Hollande le libéral-démocrate l'exacte réplique de son état. 
Le constat, implacable, permet de mesurer à quel point l'interprétation du morcèlement social est dangereuse - plus que déculpabilisante. Si les opprimés se trompent plus qu'ils ne se montrent irresponsables, c'est que leur erreur provient de la contradiction initiale. L'irresponsabilité (s'amuser quand les rêves de fête s'effondrent) en découle comme d'une réaction dont l'adéquation se révèle impossible : la réaction demeurera contradictoire quels que soient les efforts pour s'y opposer. 
Pour en sortir, il conviendrait de remplacer le morcellement et la multiplicité par l'unité. Le plus difficile en application est le plus facile en théorie : la dichotomie entre le possible et l'être s'explique par l'unité entre ce qui est et ce qui peut. La réconciliation est ardue pour ces classes engoncées dans la mentalité oligarchique contre leurs intérêts mal compris, qui entérinent l'effectivité de la différence sociale. Que l'oligarque acquiesce à cet essentialisme fallacieux peut se comprendre : il en est le bénéficiaire.
Que l'opprimé le rejoigne dans le soutien, d'autant plus prégnant qu'il est inconscient, inculqué par mimétisme, s'explique par le fait que le simplisme frustre ramène à la contradiction et que la violence sociale détruit les possibilités de créativité. Si l'opprimé valide le différentialisme social, le problème est qu'il est le premier responsable de son irresponsabilité revendiquée, et de l'oppression qu'il subit. Il ne saurait en changer, puisque lui-même est persuadé du l'inéluctabilité de sa condition. Je suis un imbécile, je me dis différent. Qui revendique l'essentialisme des couches sociales, bientôt transformées en castes?
Que dit le spécialiste de l'histoire indienne? Que les intouchables sont les plus fervents soutiens du système des castes qui les défavorise. Loin de condamner cet état, il le justifiera pour des raisons de différence culturelle travestie en tolérance. Mais cette différence porte en son sein vénéneux le refus de l'universalisme. On voit qui était l'ethnologue Lévy-Strauss, une fois qu'on aura évacuer (ou presque) les fariboles de sa théorie structuraliste d'héritage positiviste.
On voit surtout quelle mentalité meut ces Indiens qu'il étudie, tel l'impérialiste ses bons sauvages (dont le matérialiste Diderot ou l'Infâme Voltaire) : si on leur donnait vraiment la parole, plus que l'attachement réactionnaire à leurs traditions, comme si elles étaient éternelles et indéboulonnables, nos Indiens d'Amérique reprendraient la rengaine défrisante des opprimés de nos sociétés libérales en crise, dans lesquelles croissent de plus en plus les serfs de la ploucitude. Ils plaideraient qu'on ne peut rien contre les élites, en l'occurrence étrangères ou collaboratrices, et qu'il convient de se résigner à son triste sort, en attendant la disparition.

dimanche 29 juillet 2012

Le début de la fin

"Seymour Hersh : - Les acteurs clef sont les saoudiens. Ce dont j’ai parlé est la réalisation d’une sorte d’accord privé entre la Maison Blanche, c’est-à-dire Richard (Dick) Cheney et Elliott Abrams, un conseiller clef de la Maison Blanche, avec Bandar. L’idée était d’amener les Saoudiens à soutenir sous couvert certains djihadistes durs, des groupes sunnites, particulièrement au Liban, qui seraient perçus en cas de confrontation avec le Hezbollah (le groupe shiite du sud Liban) comme des alliés. C’est aussi simple que cela."
Interview pour CNN, 22 mai 2007.

J'apprends l'assassinat du prince saoudien Bandar ben Sultan lors d'un attentat le 26 juillet. Le Réseau Voltaire explique qu'il s'agirait d'une vengeance syrienne suite à l'attentat de Damas du 18 juillet. Le prince était surnommé "Bandar Bush" du fait de sa proximité avec G.H. Bush. Il était impliqué dans un vaste contrat de corruption Al Yamamah entre l'Arabie saoudite et la Grande-Bretagne, via la société BAE System. Alors que les observateurs mentionnent les collusions entre les Etats saoudiens, israéliens et américains, ils oublient de préciser que l'alliance fondamentale se situent entre les cercles financiers britanniques et les Etats qu'ils contrôlent, notamment leur allié saoudien.
L'oligarchie s'articule autour de factions financières et de familles, comme c'est le cas de l'Arabie saoudite, propriété de la famille Seoud. Après les attentats du 911, le prince Bandar quitta son poste d'ambassadeur à Washington et fut nommé deux ans à Londres. Les liens qui l'impliquent directement dans les attentats du 911 sont pesants. Il fait partie des notables saoudiens qui auraient dû être visés par une enquête fédérale américaine, ainsi que l'a mentionné le sénateur Graham (comme je l'expliquais dans la note précédente, ironiquement consacrée, indirectement, à l'action néfaste de Bandar).
Après 2005, il avait occupé les fonctions de directeur du Conseil national de sécurité saoudien, sur le modèle américain du NSC. Il venait d'être promu chef des services de renseignement saoudiens. Si son surnom était Bandar Bush, il était connu ces dernières années pour avoir supervisé le recrutement de dizaines de milliers de djihadistes, que l'Occident a recyclés sous la bannière trouble et lâche d'al Quaeda dans les opérations du Printemps arabe, à tel point que certains insinuent que le prince constituait une des éminences grises de cette stratégie, beaucoup plus sûrement que son compatriote déchu Oussama. 
En Libye, notamment lors de la guerre humanitaire abjecte qui aurait fait selon les dernières estimations environ 160 000 morts, la stratégie de Bandar avait fonctionné : après la chute du satrape Kadhafi, le peuple libyen endure le chaos intertribal. En Syrie, la stratégie a échoué, malgré la campagne de désinformation qui sévit dans les médias d'Occident et qui nous présente la guerre impérialiste comme l'aspiration du peuple syrien à la démocratie réprimée dans le sang depuis plusieurs mois par son régime dictatorial.
Sans rentrer dans les détails, l'assassinat de Bandar intervient comme un possible règlement de comptes avec le camp syrien, qui n'a pu s'effectuer sans le soutien de l'Iran, de la Russie, voire de la Chine. Cette vengeance rappelle l'affaiblissement de la famille Seoud, en particulier du camp des Sudeiris. Bandar passait pour une intelligence de coups tordus au service des factions financières bien plus que de l'Etat américain. Tant que ses soutiens anglo-saxons avaient la main pour imposer leur loi, il était protégé. Depuis qu'ils ont commencé à décliner, il a été liquidé.
Il ne paye pas l'attentat de Damas, mais l'ensemble de son action au service du terrorisme international. Peut-être même a-t-il été la victime de certains cercles anglo-saxons, qui lui font payer l'échec patent de cette politique, dont il était le plus fidèle représentant en Arabie saoudite. Sans doute n'était-il plus envisageable qu'un puissant soutien au terrorisme sous fausse bannière, imputé aux islamistes sanguinaires, continue à sévir. Quand on fomente des attentats en Syrie, on se crée des ennemis en Syrie, en Iran ou en Russie. Et quand on collabore à des attentats aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les ennemis qu'on s'y crée se révèlent pour l'heure plus influents. L'Arabie saoudite se fragilise, c'est une bonne nouvelle. Son allié dans la région, Israël, perd en soutiens internationaux.
On déplorera que l'on continue à analyser les relations stratégiques internationales en termes d'Etats-nations, de peuples et de volonté générale, alors que l'action vénéneuse de Bandar se trouvait placée aux services d'intérêts privés, de factions, de familles, comme les Seoud, comme les Bush, comme surtout les cercles financiers dont il était devenu une sorte de représentants dans le terrorisme. Sa liquidation ne rappelle pas seulement que l'on meurt souvent comme l'on a vécu : dans son cas, d'un attentat.
La fin violente de Bandar exprime l'effondrement du système anglo-saxon, qu'il a promu sans vergogne depuis qu'il sévit en tant qu'homme de main clé du contrat Al Yamamah : dans la région, les Israéliens auront à subir le prix de leur politique d'asservissement au système impérialiste atlantiste. Si la politique du chaos perdure pour le pire, nous assisterons à des vengeances au sein des institutions anglo-saxonnes, là où les politiques de guerres humanitaires sont intentées. L'assassinat de Bandar va de pair avec la crise systémique qui a détruit le libéralisme et son système de domination financière centré à la City de Londres.
En perdant un de ses hommes dans une région stratégique en plein remodelage, les factions de la City et de Wall Street témoignent de leur perte de pouvoir face aux protagonistes russes et chinois. La suite sera de plus en plus chaotique pour eux, mais ce n'est pas grave. L'inquiétant est que les peuples d'Occident, qui ignorent leurs manigances et qui les couvrent, sous prétexte de dépolitisation, trop souvent médiocre, en paieront le prix, comme un retour de feu : le chaos qui sévit en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan, dans de nombreux pays d'Afrique (comme le Soudan) a été soutenu et financé par les factions financières britanniques et leurs alliés étatiques, en Occident et dans la région du Moyen-Orient.
La montée en puissance des pays émergents rappelle que cette époque est révolue et que nous allons non pas vers l'harmonisation, mais vers la perpétuation de la loi du plus fort. Avec un notable bouleversement : le pouvoir est en train de changer de mains. Les Occidentaux paieront les pots cassés de la politique désastreuse de chaos, dont ils sont les complices irresponsables, et qui a conduit à des millions de morts depuis dix ans. Plus que jamais il est temps de lui opposer des projets de construction et de paix. Plus que jamais il est impératif de promouvoir des hommes d'Etat contre ces hommes-liges, qui ont dévalorisé la politique au service d'intérêts financiers - et dont l'émergence a coïncidé avec les revendications de dépolitisation, chez ceux-là même qui devraient s'engager au nom de leurs intérêts. Espérons qu'il ne soit pas trop tard pour les peuples. Pour Bandar, la fin ne fait que commencer.

vendredi 27 juillet 2012

The true false flag

L'affaire Merah ressortit de l'affaire française, dans un contexte de chaos international, alors que surviennent les élections présidentielles. Si on envisage le 911, il serait réducteur d'estimer que c'est une affaire intérieure aux États-Unis, voire, pour ses composantes internationales, une affaire circonscrite dans le temps. On peut connecter l'affaire Merah aux pratiques de l'OTAN depuis l'après-guerre. Le 911 traduit un changement majeur de stratégie internationale, qui n'implique pas seulement les États-Unis.
La stratégie de la guerre contre le terrorisme a marqué une différence d'approche. Le 911 intervient dans le contexte d'effondrement financier, que les dirigeants de marchés financiers appréhendent depuis les années 90. Il s'agit pour y parer de s'adapter à la crise qui vient. Ce sera la guerre contre le terrorisme. Pour la faire passer auprès des opinions vivant sous démocratie libérale, on invente un traumatisme : le plus grand attentat de tous les temps, story telling qui subit une médiatisation sans précédant - et entre d'ores et déjà dans les manuels d'histoire au rayon des plus sombres actes.
Les producteurs du 911 invente une histoire mélodramatique, le remake du Chef de la Montagne envoyant ses Assassins répandre la terreur dans l'ordre social. On recycle un fameux et pervers chef du terrorisme, utilisé par les services saoudiens et américains dans le cadre de la guerre irrégulière afghane contre les Soviétiques : Oussama, fils d'un important chef d'entreprise saoudien, que l'atlantisme intègre dans ses circuits les moins avouables. L'oligarchie a besoin de services de renseignements performants pour contrôler l'oppression qu'elle mett en place, en témoignent les organes redoutables de la République de Venise.
Les conséquences du 911 en tant qu'événement-prétexte justifiant la guerre contre le terrorisme sont patentes : les multiples guerres en Afghanistan, en Irak, en Libye ou en Syrie ne reposent pas seulement sur le besoin d'instaurer le chaos pour créer un arc de crise entre l'Eurasie et l'Occident, et freiner ainsi le développement du bloc asiatique, incluant Russie et Inde, tout en légitimant la paupérisation de l'Occident. Elles permettent aux forces financières, centrées autour de la City de Londres et formant un Empire financier descendant de l'Empire britannique, de poursuivre leurs entreprises de piraterie et de prédation, de telle manière qu'elles aient le temps de se reconvertir : trouver un nouvel antre à partir duquel dominer.
Sera-ce une île près de la Chine? Un paradis du Brésil? Un autre refuge dans le monde? Le 911 a été intenté pour atteindre ces deux exigences :
1) justifier la crise par un changement de stratégie;
2) permettre à l'oligarchie mondialisée de poursuivre sa mainmise tout en empêchant que cette domination ne s'effondre.
S'il est borné et réducteur de penser que le 911 est l'événement qui se révèle plus important que l'histoire depuis lors, au point se focaliser sur son déroulement exact, le 911 constitue l'événement crucial qui justifie la guerre contre le terrorisme et qui lui est plus large. L'abolition des États-nations, les guerres humanitaires, l'ingérence démocratique, le libéralisme horizon, toutes ces références remontent vers une source : l'oligarchisation, soit le processus tentant de rendre la mondialisation oligarchique, en stoppant le processus de développement aux bornes de la Terre et en empêchant l'homme de se rendre dans l'espace.
Aristote avait agi de même en fondant la métaphysique (même si le terme est posthume) : bloquer la connaissance aux bornes de sa sphère, en arrêtant l'innovation monothéiste et en empêchant que surviennent de nouvelles découvertes philosophiques et scientifiques. Malgré ses efforts, la métaphysique fut contrainte après quelques siècles d'obscurantisme de se réformer elle-même pour s'ajuster aux innovations de la science expérimentale, ce qui indique que c'est l'extérieur proche qui fomente les révolutions, mais que l'intérieur finit par s'y ajuster.
Malheureusement pour ceux qui s'accrochent désespérément aux branches pourries de la VO, de peur d'admettre que le 911 est l'événement systémique qui indique l'état du système, sa ruine, que traduit la crise; des interventions notables ces derniers mois ont permis d'ébranler encore plus l'édifice de la VO :

1) l'intervention de Bob Graham, figure du parti démocrate, président de la Commission sur le Renseignement au Sénat américain pendant le 911 (et pendant dix ans), et Bob Kerrey, sénateur démocrate et membre de la Commission 2004. Les deux élus ont mis en lumière le lien entre le gouvernement saoudien et l'organisation des attentats du 911 à partir des documents classifiés de la Commission 2004, auxquels ils ont eu un accès privilégiés :

http://www.reopen911.info/News/2012/03/05/11-septembre-deux-anciens-senateurs-us-deposent-sous-serment-et-mettent-en-cause-larabie-saoudite-video/
http://www.reopen911.info/News/2012/02/22/11-septembre-lex-senateur-bob-graham-denonce-les-dissimulations-du-fbi-documents-a-lappui/

Question de propagande médiatique : pourquoi les médias français s'osbtinent-ils à taire cette information capitale, alors qu'elle émane d'élus reconnus et qu'elle a fait l'objet d'un article explicite dans le grand journal New York Times le 29 février 2012?

2) cet article de Solidarité et Progrès
http://www.solidariteetprogres.org/HSBC-les-operations-terroristes-du-Prince-Bandar-au-Moyen-Orient-et-Obama_08939
répercute les recherches antérieures sur les liens avérés entre les circuits saoudiens et l'Empire britannique. A noter que la revue larouchiste Executive Intelligence Review avait pointé du doigt les liens entre le 911 et les Saoudiens, à partir des documents classifiés de la commission 2004 (où l'on se rend compte que ceux qui proposent des articles de journalisme d'investigation ne se trouvent presque plus dans les médias dominants en Occident), par exemple :
http://www.solidariteetprogres.org/Obama-doit-enfin-lever-le-voile-sur-les-attentats-du-11-septembre_07948
L'article ajoute les liens indirects, que l'on mentionne du fait de développements connexes, entre les factions financières britanniques centrées autour de la City de Londres et les bailleurs de fonds saoudiens autour du programme de financement du terrorisme international Al-Yamamah (dont des groupuscules oscillant entre services secrets, blanchiment de la drogue et terrorisme comme al Quaeda). Les Saoudiens sont reliés aux élites financières anglo-saxonnes, interpénétration des réseaux de Wall Street et de la City, et la banque HSBC pourrait bien avoir été une banque de trafics divers plus institutionnelle que la BCCI (en faillite en 1991).
Les commanditaires du 911 n'ont pas suivi l'opération de part en part, mais ont commandité l'attentat auprès de conseillers, qui se sont chargés de manière cloisonnée des modalités de la stratégie et qui ont sous-traité leur plan auprès d'exécuteurs, comme des firmes militaires privées proches de l'armée américaine.
Le complot ne se fomente pas par des liens pyramidaux de hiérarchisation, mais par des cloisonnements épars, où il n'est pas possible de remonter aux étages supérieurs à partir de niveaux inférieurs (la théorie du complot définit la stratégie pour organiser des complots, alors que les propagandistes l'amalgament au complotisme comme interprétation paranoïaque de la société). Le complot ne fonctionne pas, parce qu'il opère de manière fragmentée et qu'il crée des morcèlements au sein de l'événement qu'il prétend introduire, en contrôlant le domaine visé. Le 911 a entériné la destruction des États-Unis, qui étaient la première puissance politique mondiale et qui sont en voie de tiers-mondisation.

Question de propagande médiatique : dans cette affaire, le plus grave est moins que certains cercles cachent le complot systémique pour protéger vainement leurs privilèges, que la confirmation selon laquelle les médias dominants, dont la liberté d'expression représentent la viabilité du système démocratique libéral, protègent au péril de leurs prérogatives la loi du plus fort en effondrement, qui prend la forme prévisible de la VO. Ce faisant, ils trahissent leur mission, expriment la dégénérescence des élites intellectuelles (dont ils font partie, bien que le journalisme soit plus de l'enquête événementielle que de l'interprétation intellectuelle) et rappellent que la propagande signe le déclin des propagandistes comme de la mentalité qu'ils soutiennent.
Le 911 signifie : bye bye le libéralisme.

mercredi 25 juillet 2012

La découverte du nihilisme

J'ai choisi le terme de nihilisme, déjà employé dans un sens fort restreint, pour désigner le courant, qui, dans l'histoire des courants de pensée qui la précèdent, puis coexistent avec elle, valide l'existence paradoxale du non-être. On pourra me reprocher, non d'exagérer ou d'inventer, mais d'amalgamer l'histoire du non-être avec l'idéologie nihiliste, qui explicitement est un courant mineur, circonscrit à un activisme périmé.
Pourquoi donner au nihilisme un sens plus large que celui retenu? Le nihilisme ne désignerait-il alors pas l'histoire du non-être? Le choix du nihilisme pour définir un courant plus vaste que le mouvement idéologique, au point qu'il exprime l'une des deux orientations de la pensée, se fonde sur le déni, propre au nihilisme : on dénie le nihilisme au point de le réduire à une forme mineure et périmée. Quant à l'histoire du non-être, qui n'est pas reconnue comme du nihilisme, et qui serait un excédent important, mais mineur, elle ne recoupe pas le nihilisme tel que je l'entends, au sens où elle le reconnaît comme un mouvement présocratique aboutissant à la métaphysique, puis comme un mouvement souterrain, plus important que l'idéologie défunte, mais marginal.
Il s'agit de prendre la mesure de ce qu'est le nihilisme :
1) un mouvement dénié et majeur, l'un des deux grands courants de la pensée;
2) une option qui, à l'intérieur de l'histoire de la philosophie, parcourt la métaphysique, qui est e principal courant, en termes quantitatifs, de la philosophie depuis Aristote et qui ne peut être compris si on ne le critique pas par rapport au nihilisme.
Le nihilisme ainsi compris ne désigne ni une idéologie marginale, ni un mouvement philosophique souterrain et mineur, plus justement nommé non-être, mais la manière de penser qui se définit par le désir de définir le réel et qui pour ce faire accepte que l'inconnaissable devienne de l'indéfinissable, soit que la part majeure du réel soit non pas inconnue, mais inconnaissable. On comprend pourquoi le déni caractérise le nihilisme : le mieux est de le cantonner à l'histoire de cette idéologie mortifère et restreinte, qui sévit à l afin du dix-neuvème siècle chez quelques excités.
Quand Faye et Cohen-Halimi rédigent un ouvrage sur le nihilisme compris comme cette idéologie heureusement défunte, ils reprennent le point de vue majoritaire consistant à répéter : le nihilisme, trois fois rien à en dire. Ce faisant, ils se mettent en valeur en montrant à quel point ils sont précis et pointus en histoire, au point d'accorder leur attention érudite à des phénomènes dérisoires. Jamais nos deux agrégés et normaliens d'Ulm ne se posent la question philosophique qui tranche avec leur cursus d'historiens spécialisés dans la philosophie : l'apparition du nihilisme lors de la Révolution française et son extension périmée n'ont-ils aucun lien avec le passé?
Comment expliquer que Nietzsche, dont l'apport est majeur dans l'histoire de la philosophie contemporaine, parle si explicitement du nihilisme pour à la fois dénoncer la crise qui advient et sa propre philosophie, dans un bel élan de cohérence - s'il s'agit d'un courant mineur, de nature idéologique? Comment se fait-il que le Dasein de Heidegger, grand lecteur de Nietzsche et disciple d'Aristote, soit l'Etre-là environné de néant? Comment se fait-il qu'au départ de la métaphysique, Aristote définisse l'être comme le fini environné de non-être, le lien entre être et non-être tenant à leur multiplicité commune? Comment se fait-il qu'Aristote reprenne l'héritage préplatonicien des nihilistes antiques, comme les sophistes, les atomistes et d'autres courants?
On voit se dégager un continent enfoui, qui ne se limite pas à l'histoire de la philosophie et ne se trouve remarqué par aucune histoire de la philosophie. Pourtant, peut-on continuer à ne voir dans le nihilisme que deux pôles mineurs : soit cette idéologie désuète - soit l'histoire marginale du non-être? Peut-on se contenter face à la non-reconnaissance d'un mouvement qui excède la philosophie d'un : "Circulez, il n'y a rien à voir!"? Le nihilisme est l'histoire déniée du plus grand courant de pensée qui parcourt l'histoire, premier à apparaître, puis enterré par le transcendantalisme, dont l'ontologie en philosophie, au nom du fait qu'il n'y aurait rien à dire du non-être.
Cette thèse ne remonte pas à Aristote. C'est Platon l'ontologue opposé à son brillant élève qui l'inaugure, en inféodant le non-être à l'Etre et en le définissant comme l'autre. En ne définissant pas l'Etre, Platon ne définit pas davantage le non-être. Aristote ne fait que renforcer cette propension au déni en décrétant que tout l'effort de la philosophie doit se focaliser sur l'être, sans perdre de temps à affronter la question indicible du non-être. Où l'on voit l'identité de Wittgenstein, le soi-disant fossoyeur des illusions métaphysiques : ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
Les historiens actuels de la philosophie reprennent l'antienne, montrant leur ancrage métaphysique, en oubliant de rappeler que le père de la métaphysique définissait l'être comme fini et renvoyait le problème de l'infini aux calendes grecques. La mésinterprétation de ceux qui considèrent l'histoire du non-être comme un phénomène marginal, c'est qu'ils n'en raccordent pas l'importance par rapport aux développements de la métaphysique, en particulier depuis la rénovation cartésienne, sous prétexte que les métaphysiciens modernes, si "rationalistes", n'en envisageraient pas le problème.
Si l'histoire du non-être était sans conséquence sur l'évolution de la pensée, un ouvrage d'historiens comme Le Néant suffirait à souligner un phénomène d'érudit, bien qu'il ne soit pas influent sur la pensée. Le nihilisme présente le danger de sa description : on ne le discerne pas, parce que ce qu'on en discerne concerne des manifestations superficielles. C'est ainsi que l'on peut reconnaître au vingtième siècle de sporadiques productions nihilistes, marginales et peu influentes.
Et quand on reconnaît au non-être un rôle cardinal dans l'élaboration de la métaphysique, c'est aussitôt pour adhérer au déni que la métaphysique porte : l'histoire du non-être n'existe que chez quelques ancêtres de la philosophie (comme Démocrite). La métaphysique réussit à succéder à l'ontologie et comme expression majoritaire, avec le déni pour éluder le non-être : il ne sert à rien de parler de ce qui n'est pas (ce que la tradition cartésienne, qui reprend la scolastique et la théologie chrétienne médiévale, s'emploiera à répéter jusqu'à Bergson).
La métaphysique instaure l'équilibre entre ce qui est fini et ce qui n'est pas, en reliant les deux domaines par le caractère du multiple. Peu importe que cet équilibre repose sur la faiblesse de l'irrationnel : le déni métaphysique en réconciliant à sa sauce le nihilisme et l'ontologie se montrerait plus cohérent que les contradictions atomistes. L'atomisme ne parvenait à expliquer les atomes à côté du vide par rapport à la question de l'infini : comment ce qui est infini peut-il environner de ce qui n'est pas?
La métaphysique instaure une cohérence de façade qui se trouve légitimée par la discipline qu'elle institue : l'histoire de la philosophie. La métaphysique n'est pas tenue pour nihiliste, parce qu'elle propose une définition du réel qui la fait tenir pour réaliste. Elle retient du nihilisme l'existence contradictoire du non-être, mais en lui conférant une portée théorique qui dépasse le cadre physique et lui permet de s'imposer comme le discours philosophique concurrent de l'ontologie. La métaphysique théorise l'ensemble du réel fini (et non du réel), se pose comme science des sciences en ce sens, et discoure sur l'être comme si c'était la même chose de réfléchir sur l'Etre ou l'être.
La non-reconnaissance du nihilisme se pose par rapport aux critères de notre époque et à l'histoire de la métaphysique : nous sommes dévastés par le retour d'une certaine scolastique, qui se nomme histoire de la philosophie, et qui se travestit en philosophie créative (nous tenons un exemple kitsch avec Deleuze). Il s'agit d'une expression moribonde, qui a été lancée par Descartes pour réanimer l'aristotélisme. Nous ne nous rendrons pas compte de l'importance du nihilisme au-delà de la philosophie, tant que son histoire sera prise en charge par rapport au prisme métaphysique, qui adore le kantisme et la phénoménologie comme branches prolongeant sa réforme cartésienne dans son époque moderne.
Nous nous trouvons sous l'influence de l'immanentisme terminal, étant entendu que l'immanentisme est une hérésie née de la scission avec le courant cartésien. Dur dans ces conditions de remarquer l'existence du nihilisme, d'autant que ce dernier n'est pas stricto sensu philosophique (que l'histoire de la philosophie présente comme des prolégomènes hellènes, alors qu'il parcourt l'ensemble de la philosophie, en particulier la métaphysique). Comprendre le nihilisme, c'est sortir de la métaphysique; dresser l'histoire de la philosophie ne revient pas à s'opposer à son histoire, mais à son interprétation, influencée par la métaphysique. N'est-ce pas Aristote qui lance l'histoire de la philosophie à l'aube de la métaphysique?
La prise en compte du nihilisme compris comme je l'entends (pensée première, et non forme idéologique ultraminoritaire) restaure l'histoire du non-être, non comme marginalité préphilosophique, mais comme la forme de pensée première, constitutive de l'humanité, qui excède la philosophie, qui participe à son édification, qui la travaille, la façonne, l'accompagne et s'adapte à ses linéaments modernes, puis contemporains. Quand Bergson décrète qu'il n'y a rien à dire du non-être, est-ce qu'il entend que ce dernier est l'illusion d'autre chose (au sens platonicien) ou que le faux signale l'existence paradoxale du non-ête (au sens d'Aristote, travestissant grossièrement la doctrine platonicienne pour légitimer l'aristotélisme)? Malgré son déni répété autour de l'innovation durative, il suit la ligne métaphysique, qu'Aristote a initiée, que Descartes a rénovée et qui se poursuit jusqu'à lui.
A la limite, le débat est dépourvu d'intérêt, puisque l'on ne peut parler que de l'être. Les philosophes, dont les historiens, se focalisent sur l'être comme s'il évoquait la totalité du réel et l'on oublie que l'histoire de la métaphysique depuis le départ est construite sur un postulat aberrant : l'être serait fini; le non-être existerait de manière contradictoire à côté de l'être. La théorisation de réel par Aristote est partiale, puisqu'elle revendique la finitude parcellaire : l'être fini n'est pas le réel.
Les métaphysiciens obtiennent de l'être à partir du non-être. Cet être est un succédané qui, en termes de temps, se nomme l'instant. Les métaphysiciens agissent comme des chimistes, qui concoctent un précipité impliquant que l'homogène se crée à partir de l'hétérogène et que l'on crée quelque chose à partir du contradictoire. Cette manière de procéder se révèle éphémère sur la durée, au sens où la méthode scientifique prend en compte de l'objet, mais réfute l'infini.
Le contradictoire est une méthode inférieure, qui ne tient compte que d'une certaine part de réel, qu'elle identifie comme la phase fondamentale, initiale et finale, alors qu'il ne s'agit que de la réduction à sa phase de contradiction artificiellement définie comme initiale. Le nihilisme exprime la méthode de réduction atavique, au sens où il ne retient du réel que sa dimension contradictoire en l'expurgeant de sa dimension créatrice et infinie.
Le contradictoire désigne le fini. Tout ce qui est fini ne semble non-contradictoire que si on le prend dans son instant. La reconnaissance de l'histoire du nihilisme n'est possible que si l'on sort de l'histoire de la philosophie telle qu'elle est pratiquée à l'heure actuelle, et si l'on sort des deux temps de l'histoire de  la métaphysique : l'aristotélisme, comme les péripatéticiens et la scolastique; et la réforme, avec le cartésianisme, puis le kantisme et la phénoménologie comme forme adjacente.
Nous vivons une époque où pour prolonger la métaphysique moribonde, ses représentants mélangent en guise d'innovation ses formes terminales, fort du principe selon lequel la métaphysique n'invente rien. La méthode de Heidegger entend améliorer la phénoménologie. La philosophie analytique recourt à la logique pour ce faire. Dans ce fatras amalgamant, on réconcilie l'ontologie avec la métaphysique, oubliant que la métaphysique s'est constituée contre l'ontologie. On fait comme si la métaphysique avait depuis toujours (Aristote? Descartes?) englobé l'ontologie : la métaphysique engloberait le discours sur l'être dans la théorisation des sciences, y compris la science de l'être.
Tant que l'on ne sort pas de l'influence métaphysique transformant le nihilisme en discours sur l'être fini, on ne peut rencontrer le nihilisme. Du coup, il ne peut être perçu, tant en philosophie que dans la pensée. Les termes néant, vide, non-être (et consorts) sont des synonymes peu définis, qui renvoient à l'histoire du nihilisme. Il s'agit de la définition déficiente (négative) d'un pan de réel mal appréhendé, qui enclenche le processus destructeur. Tel est ce que l'on nomme le néant et qu'on présente comme réalisme ou concrétude. Le projet qu'il porte et dont il se garde bien de rappeler l'issue aboutit plutôt à la destruction contenue dans le terme de nihilisme. Ce dernier sacrifie la continuité à l'isolement, au sens chimique d'une solution de réalité éphémère (un précipité).
Le nihilisme se révolte contre la difficulté à connaître : c'est que la connaissance n'est pas adossée à l'homogénéité du réel. Au lieu du constat de l'hétérogénéité, le nihilisme déduit l'antagonisme, afin de sauvegarder la possibilité d'omniconnaissance, dont le synonyme serait l'immédiateté. C'est l'exigence de départ du nihiliste : non le néant, mais l'urgence à connaître. Le nihiliste ne part pas du nihilisme en tant qu'exigence initiale, mais de l'exigence de connaissance immédiate pour façonner le nihilisme.
L'inquiétude qui taraude l'homme : comment se fait-il qu'il ne puisse connaître immédiatement? Par rapport à cette question lancinante, le débat oscille entre deux points de vue : ceux qui veulent connaître de suite et à tout prix, quitte à se détruire; et ceux qui acceptent la difficulté ardue à connaître, espérant ainsi sauvegarder la possibilité de connaissance. La connaissance signifie pour l'homme la pérennité du réel : s'il peut connaître, c'est qu'il y a sa place.
L'homogénéité cherche à sauvegarder le réel sans expliquer le possible, ni son statut : le possible est ce qui garantit la pérennité. Celui qui adhère à l'homogénéité sauvegarde la connaissance sans expliquer sa possibilité. Il place la connaissance devant la structure du réel qu'implique la difficulté à connaître. Le danger qui guette l'homme est sa disparition. Si le nihiliste perd la partie, c'est parce que ce qu'il propose n'est séduisant que dans l'immédiat. Sur la durée, la destruction provoque le rejet.
Le partisan de la connaissance l'emporte, parce que ce qu'il propose est viable, pas parce qu'il parie sur l'homogénéité. Il ne peut prouver son engagement autrement que de manière pragmatique (paradoxe pour l'idéaliste) : ce qu'il propose se révèle en pratique viable. L'histoire n'évolue plus, tant que dure le polythéisme. Les idées sont en place, le débat ne change pas. Quand survient la querelle antique qui donne lieu à l'affrontement quasi familial entre Platon et Aristote, l'évolution des termes signe l'avènement du monothéisme. C'est un changement profond dans le transcendantalisme. Platon propose l'ontologie, avec la définition innovatrice de l'autre comme non-être.
Nietzsche rapprochera le platonisme du christianisme : la philosophie est le grand changement de l'Antiquité. Elle apparaît pour amorcer le monothéisme sous la forme rationnelle. Elle trouve son expression la plus achevée avec l'ontologie de Platon, qui tente de définir le monothéisme comme l'Etre et d'inféoder le non-être comme l'autre. La métaphysique surgit pour contrecarrer l'ontologie et faire en sorte que le nihilisme enter en philosophie, puis dans le mouvement monothéiste plus large. Le nihilisme provient de la pensée, qui ne se limite pas à la philosophie, qui lui est antérieure et qui lui est bien plus large. Le monothéisme s'exprime plus sous la forme théologique que philosophique. L'ontologie tient en philosophie le rôle dynamique, mais inférieur quantitativement.
C'est la métaphysique qui est majoritaire et qui ne se trouve adoptée par le monothéisme que parce que le monothéisme n'a pas réglé la question du non-être. Le nihilisme transparaît dans le monothéisme et la philosophie parce qu'il excède le monothéisme et la philosophie et tient à la pensée depuis son origine. Tant que la pensée ne résoudra pas le problème consubstantiel au transcendantalisme, elle en pourra reconnaître ni affronter le nihilisme. Pratiquement, c'est en se rendant dans l'espace qu'elle y parviendra. Théoriquement, c'est en cherchant une suite innovante au transcendantalisme, par ce que j'ai appelé le néanthéisme.
La métaphysique n'innove rien par rapport au monothéisme, à la philosophie ou à l'innovation. Elle s'adapte à ce qui est et essaye de clore le progrès de la connaissance. Son succès s'explique parce qu'elle adapte le nihilisme polythéiste au monothéisme. Elle définit le non-être comme le faux, en rendant compatible le divin unique dans le fini. Ce sera le Premier Moteur, qui n'est pas plus expliqué que le non-être ou le multiple. La métaphysique isole des morceaux de réel. Elle restaure le contradictoire. Le réel métaphysique est de texture contradictoire. Par opposition aux nihilismes préplatoniciens, Aristote retarde le délitement, du fait de la théorisation qu'il instaure sur l'ensemble de l'être. La reconnaissance que l'être fini se trouve environné de non-être établit un système de contradiction plus viable que le nihilisme présent au berceau de la philosophie. Le réel métaphysique aboutit à sa destruction.
Il est important de mettre en perspective l'issue du nihilisme avec le débat qui s'est produit à l'aube du polythéisme. Si l'homme se trouve aujourd'hui confronté à sa plus terrible crise, c'est parce qu'il doit se débarrasser de la métaphysique et identifier que l'une des composantes, le nihilisme, ne tient pas seulement au non-être initial, voire à la destruction qui parcourt l'histoire de la métaphysique, mais à la pensée en général, au-delà du monothéisme et de la philosophie. La rénovation moderne de la métaphysique a contribué à ralentir le processus de délitement : à partir de Descartes, la métaphysique accroît le procédé de déni s'enferme dans l'irrationalisme du divin en tant que la partie indéfinissable qui complète l'être fini (physique et mécanique).
L'histoire du nihilisme permet de comprendre l'histoire de la pensée, puis de la philosophie (qui n'est ni la pensée en général, ni la pensée depuis son apparition, mais une forme de pensée particulière, innovante et rationaliste), et de sortir de la métaphysique, en la distinguant l'ontologie. La métaphysique ramène la spécificité de la philosophie à l'irrationalisme théorisable. L'on remarque l'histoire du nihilisme quand l'on sort de la métaphysique. L'ontologie l'avait inséré dans son système en la redéfinissant, mais l'autre présente l'inconvénient d'inféoder le non-être à l'intérieur d'un ensemble non-défini. L'infini est reconnu définissable (l'Etre), sans être défini.
Le nihilisme, constitutif de la pensée, accompagne la philosophie, mais ne peut se révéler dans son histoire que lorsqu'elle sortira de sa phase métaphysique, qui consiste à mixer le nihilisme avec l'ontologie. Si la métaphysique moderne est morte depuis Heidegger et si son hérésie immanentiste s'éteint en ce moment, on ne peut compter sur les historiens de la philosophie pour exhumer le principe nihiliste, puisqu'eux-mêmes sont formés dans la tradition métaphysique. Les analytiques n'ont rien rénové - sous couvert de sortie pompeuse de la métaphysique. Ils n'ont fait qu'appliquer ses principes à la logique, ce qui ne change rien, puisque la logique est une faculté finie, qui ne s'applique qu'à des éléments d'être.
Appelons plutôt l'histoire de la philosophie histoire de la métaphysique, avec son amalgame criard entre la métaphysique et l'ontologie. Les historiens présentent Aristote comme le philosophe antique de même stature que Platon. Leurs différences seraient internes à la philosophie, Aristote et Platon théorisant l'être tous deux. Mais est-ce du même être qu'il s'agit? Il suffit de regarder la typologie pour s'aviser de la différence entre être et Etre. L'Etre renvoie à l'infini; l'être est défini comme fini. Les deux s'opposent d'autant plus qu'Aristote fut l'élève de Platon : la querelle n'est pas que théorique. L'opposition n'est pas interne à la philosophie, mais c'est le courant de la philosophie monothéiste qui se scinde entre religieux et compromis nihiliste.
Si, comme le proposent les historiens selon leur formation (poussée), on réunit les deux courants à l'intérieur du même moule en les rendant compatibles, on occulte le problème du nihilisme et on adoube la domination de la métaphysique sur l'ontologie, cette dernière servant de correcteur pour assurer la continuation philosophique. La mort contemporaine de la métaphysique indique qu'il est temps de mettre à jour le nihilisme présent inscrit aux fondements et au coeur de la pensée, la philosophie n'apparaissant en Grèce qu'avec l'avènement du monothéisme.
Bien plus qu'à la fin de la métaphysique ou, plus largement, du monothéisme, nous assistons à la fin du transcendantalisme, le courant englobant les deux sous-ensembles, qui s'est constitué contre le nihilisme, pour rappeler que la connaissance est possible, y compris ardue. L'erreur provient de l'homogénéité conférée à la structure du réel. L'ontologie est qualitativement minoritaire depuis Platon, mais elle est qualitativement supérieure à la métaphysique, au sens où elle se confronte à la question de l'infini.
Elle produit une définition qui est inadéquate, mais qui a le mérite de rendre pérenne le réel en affrontant l'infini. Voilà qui indique que l'infini est un principe de malléabilité extrême, puisque même sa définition inadéquate permet de lui prêter une forme, quand bien même elle serait lointaine. L'ontologie est le premier problème à résoudre dans la philosophie. La métaphysique est une réaction postérieure : si l'ontologie avait résolu la lacune en définition, jamais la métaphysique n'aurait ressuscité la controverse ontologie/nihilisme, en cherchant à résoudre les contradictions des abdéritains et des sophistes.
C'est le problème de l'ontologie qu'il faut affronter prioritairement dans la philosophie. Ce problème recoupe le problème du monothéisme et plus largement du transcendantalisme : jamais il ne s'est monté capable de définir ce qu'il entend par la pérennité de la connaissance. L'Etre n'est qu'une interprétation, une désignation évaluative, qui n'apporte rien par rapport à l'être polythéiste, dont on nous explique qu'il serait en lien avec l'infini, sans jamais prendre la peine d'accorder les violons.
L'articulation polythéiste entre les dieux et le dieu suprême se trouve plus rigoureusement exposée dans le monothéisme, où l'Etre apparaît, mais l'innovation connaît une limite insoluble : la philosophie comme formalisation tendant vers la rationalisation monothéiste est le prolongement de l'inspiration transcendantaliste originelle. Côté positif : la connaissance est poursuivie; coté négatif : l'Etre ne définit pas l'indéfinition de l'être multiple, même s'il améliore l'articulation entre l'être suprême et les êtres.
Au passage, Aristote n'a-t-il pas repris, pour adapter l'être au non-être, la multiplicité de la tradition polythéiste? La métaphysique s'en serait-elle plus inspirée que du nihilisme, en cherchant à empêcher que le monothéisme soit une innovation transitoire? Aristote s'est échiné à ce que cette phase philosophique soit la dernière étape dans laquelle il puisse endosser le rôle de philosophe définitif possédant l'intégralité du savoir et clôturant l'entreprise de connaissance. La métaphysique aboutit à l'attente du nihilisme.
Aristote a estimé qu'il était parvenu à l'acmé de la synthèse : le père de la synthèse tant louée de nos jours dans les grandes écoles françaises remonte au-delà de la tradition des jésuites et des scoliastes. Mais si l'on ôte les erreurs de la métaphysique, dont les erreurs scientifiques furent si manifestes qu'elles durent être corrigées par la métaphysique moderne, tentative de s'adapter à la méthode scientifique expérimentale, le problème de fond tient dans le formatage transcendantaliste, précédant le monothéisme.
L'erreur initiale du transcendantalisme ne peut être résolue à l'intérieur du transcendatalisme. Ce qui explique que ni le monothéisme religieux, ni l'expression de l'ontologie n'améliorent le problème de fond, quand bien même le monothéisme est plus rigoureux que le polythéisme; et que l'ontologie constitue l'expression la plus rationnelle du monothéisme. La philosophie oscille entre l'expression métaphysique corrigée d'ontologie et l'ontologie qui ne peut se suffire à elle-même.
En témoigne la tentative moderne de Leibniz de proposer le perfectionnement moderne à l'ontologie platonicienne. L'ontologie ne peut être réformée. Dès le départ elle contient l'erreur fondamentale : l'indéfinition de l'Etre. Et la définition du non-être que propose Platon, l'autre, est d'autant plus profonde qu'elle possède une carence de fond : l'Etre ne se trouve pas plus défini, ce qui aboutit à amoindrir l'innovation de l'autre. L'on prend la mesure de ce qui manque à l'ontologie : la lacune définitoire de l'Etre s'explique par l'irrésolution originelle du non-être
Dès le départ, le transcendantaliste a arrangé le problème définitoire en masquant l'absence de définition de l'être (pluriel) par la justification de sa validité pratique. La limite du pragmatisme réside dans sa faiblesse théorique et dans son obscurantisme : en refusant la théorisation, il se condamne à la faiblesse de sa valeur, bientôt la nullité de son action. L'articulation entre polythéisme et monothéisme, c'est que la plus grande rigueur accordée à l'Etre souffre de sa constante indéfinition. La philosophie s'est engouffrée dans la brèche du rationalisme, que libère le passage au monothéisme : la pensée peut innover autour d'une partie de son expression en philosophie, parce que l'exigence de rationalisme découle de l'Etre, dont le caractère absolu et unique concorde avec l'individualisme et permet la connaissance singulière.
La philosophie lie le singulier avec l'universel, dont la rationalité est l'expression attitrée. Cette exigence se retrouve dans les monothéismes comme le christianisme (le filioque) ou l'Islam (la lecture métonymie de la connaissance). La spécificité de la philosophie consiste à estimer que l'Etre est accessible par la raison, tandis que les religions parlent de Dieu en tant que révélation. La récupération par la métaphysique coupe le lien entre l'Etre et la raison pour ne conserver que la raison et remplacer l'Etre par le définitif Premier Moteur.
L'influence métaphysique a permis à la philosophie de sortir de son lien essentiel : le lien avec l'Etre indique la possibilité pour la raison d'avoir une valeur non immanente, une valeur qui soit religieuse, au sens où Platon entendait que l'ontologie rationalisée par ses soins recèle une valeur religieuse pour la cité gouvernée par les philosophes. Le philosophe n'est pas métaphysicien, mais le passeur entre l'individu et l'Etre - via la raison. L'indéfinition de l'Etre engendre des répercussions sur le statut de la philosophie, qui ne peut se commuer en expression religieuse du monothéisme et n'en devient qu'une forme particulière - avec l'ontologie.
La métaphysique propose un usage profane de la philosophie, qui prolonge l'approche du nihilisme, en tant que religion atavique du déni religieux. C'est-à-dire un usage fini, qui apparaît dans les statuts métaphysiques et qui font que la métaphysique est l'antithèse de l'ontologie. L'ontologie ne parvient pas à atteindre un statut religieux, au sens où la transcendance est mal posée : elle amène au-delà du fini, sans qu'on sache bien où.
La philosophie dans sa nouvelle acception, débarrassée de sa gangue métaphysique, possède une une dimension religieuse prioritaire, qui se trouvait pressentie par l'ontologie. La métaphysique conçoit le religieux comme son déni et utilise l'expression rationalisante comme le moyen de contrecarrer le monothéisme. Le futur nécessaire de cette forme provient de ce que la tentative platonicienne fut avortée, parce que l'ontologie lacunaire ne peut aboutir à la définition de la transcendance qu'elle pose. Pour abolir la métaphysique, il convient de réformer l'ontologie. La métaphysique n'est pas l'élément prioritaire à réformer, d'autant qu'elle est mrte. L'ontologie attend sa réforme en tant qu'elle affronte l'infini.
Platon avait manifesté la même réaction face à la mutation monothéiste et à l'avènement de la philosophie, dont il constitue le maillon le plus important et le plus religieux, à ceci près qu'il a mal posé le problème avec son choix demeuré inféodé au trancendantalisme (il ne disposait pas des armes pour changer l'ontologie vers une forme supérieure, lui qui réforma l'ontologie en lui adjoignant le problème du non-être défini comme l'autre). Pour lui, il ne servait à rien de s'attaquer frontalement au nihilisme, parce que le moyen de l'éradiquer consiste à proposer en lieu et place du rien quelque chose. Platon a cru qu'il avait annihilé le nihilisme. Comme il n'a pas défini l'Etre, sa définition de l'autre n'a pas empêcher la réaction métaphysique.
Aujourd'hui que la métaphysique est morte, il convient de remplacer l'ontologie pour que la philosophie accède à sa mission première (dévoyée par la métaphysique) : devenir l'expression attitrée du religieux succédant au transcendantalisme. La métaphysique ne doit pas être remplacée. Qu'elle finisse de sa fin programmatique. L'ontologie affronte la question de l'infini. Elle cherche la pérennité du réel. Elle mérite d'être supplantée en reprenant son questionnement sur le transcendantalisme, comme tentative de définir l'infini, et en le remplaçant par l'enversion. L'infini s'en trouve redéfini, notamment par le remplacement de l'homogénéité par l'hétérogénéité - et la définition du faire comme domaine de complément de l'être.
Le nihilisme sera-t-il éradiqué par l'innovation néanthéiste? Il s'engouffrera dans les domaines inconnus, mais la définition du non-être comme le faire - et la conquête spatiale en tant qu'application physique de la théorie néanthéiste - repoussent le nihilisme vers sa prochaine frontière : le faire, justement, soit le domaine de l'enversion. Le prochain nihilisme touchera à l'enversion et cherchera à instaurer cette limite dans la connaissance pour empêcher son développement. La frontière de l'ontologie est caduque en tant que Dieu est mort (comme Hegel le métaphysicien tardif et Nietzsche l'immanentiste dégénéré l'ont annoncé). En langage ontologique, l'Etre est périmé. Pour innover et aller dans l'espace, il convient de remplacer l'Etre par le faire, qui explique l'hétérogénéité, tout en lui conférant le lien et l'unité.

vendredi 20 juillet 2012

La Renaissance spatiale

http://www.express.be/business/fr/economy/661affb610e9d53e98c13e2fd8fe503f-501/171459.htm

http://www.afrik.com/article25798.html

Ces deux liens illustrent une tendance profonde de l'Occident en crise : l'inversion symbolique, encore timide, des flux migratoires. Jusqu'à présent, les Occidentaux restaient chez eux, confortés par le meilleur niveau de vie du monde. Le reste des peuples essayaient de réaliser leur rêve d'une vie meilleure, en tentant par tous les moyens de rejoindre les anciennes métropoles coloniales. Le système impérialiste n'avait pas changé, les eldorados demeuraient les anciennes métropoles et l'Afrique symbolisait le continent de l'esclavage, de la pauvreté, de l'oppression.
Avec la crise qui frappe depuis quelques années, symboliquement 2009 (afin de faire coïncider la chute du libéralisme britannique 20 ans après celle du Mur de Berlin), les échanges sont en train de s'inverser. Ce n'est pas bon signe ... pour l'Occident? Le positif serait que ce dernier conserve sa prospérité et que le restant du monde gagne en prospérité. Ainsi, chacun vivrait dans le bien-être et pourrait se consacrer, non à l'immobilisme, mais au développement conjoint vers l'espace.
L'homme aurait un projet qui serait en mesure de le rassembler dans son universalité, sans le diviser en factions internes impérialistes, croyant diviser pour mieux régner, alors que la division engendre l'affaiblissement général. Mais tel n'est pas le cas. Le niveau de vie s'effondre en Occident, les peuples se paupérisent, le chômage explose, la précarité s'accroît. La situation n'est pas nouvelle.
Elle ne fait qu'augmenter depuis le début des chocs pétroliers et la fin des Trente glorieuses (avec la fin des accords de Bretton Woods en 1971). Nous sommes arrivés au terme de cette période de crise, dans sa phase terminale, depuis ce 2009 symbolique (que les observateurs font remonter à 2007/2008). Et nous assistons au renversement du phénomène migratoire : ce ne sont plus les immigrés du restant du monde qui viennent s'agglutiner pour un peu de prospérité en Occident; ce sont les Occidentaux qui amorcent le chemin inverse et qui, confrontés à l'effondrement de leur niveau de vie, sont contraints de s'exiler en Afrique.
Les Portugais, le premier Empire moderne, symbolisent ce renversement de situation, eux qui s'exilent dans leurs anciennes colonies africaines pour quelques devises. Ce n'est pas que la situation en Afrique soit devenue soudain et miraculeusement florissante. L'Afrique se développe d'autant plus que l'effondrement de l'Occident sonne le glas de son impérialisme. Du coup, les peuples d'Afrique sont promis à une renaissance salutaire, un peu comme les peuples d'Europe se sont vus renaître quand ils ont écarté la gangue des oligarchies qui les enserraient et les empoisonnaient, à l'image de l'action des dynasties Habsbourg et Associés. Alors que les Empire européens arrivent en fin de parcours, ils retournent contre leurs propres peuples les méthodes impérialistes et prédatrices qui ont caractérisé leur action dans le restant du monde, sans que les peuples des démocraties libérales ne jouent leur soi-disant rôle de citoyens critiques et ne s'offusquent de la situation avant de la subir.
L'exemple des États-Unis est édifiant : ils ont vaincu l'Empire britannique lors de la guerre de Sécession; et ceux qui ont vu le parti britannique, anglophile et oligarchique (dont les Agrarians de Nashville représentent une bonne illustration) les incruster de l'intérieur, les dévorer tel un Alien sardonique et devenir la puissance invisible pour la majorité, qui n'aborde la politique qu'en termes d'Etats-nations et qui ne discerne pas la présence des factions financières tapies derrière l'Etat fédéral - et trop heureuses de profiter de leur impunité pour mieux détruire ceux qui les accueillent et qu'ils exploitent. L'histoire américaine indique comment réagir face à l'impérialisme : les Pères fondateurs, l'opposition des Confédérés dans la guerre de Sécession à l'esclavage et en faveur du progrès, l'esprit de pionniers dans la connaissance, les Présidents fameux pour leur action républicaine (au sens étymologique).
Quelle sera la situation des immigrés européens en Afrique ou dans le monde? Étranglés par leur situation désespérée, ils connaîtront le même drame que les immigrés d'Afrique en France : ils seront exploités, méprisés, sous-qualifiés, étrangers, rejetés. Mais dans un second temps, il est plausible que les pays d'Afrique ne soient pas des sociétés exploitant la majorité et profitant de leur croissance pour rejouer la même erreur que l'Europe : vivre au nom du progrès pour l'individu dans l'individualisme, l'autodestruction et l'arrogance.
L'Occident exploitait l'Afrique en profitant des avancées technologiques, notamment des armes militaires, que la Renaissance lui avait apportées. La Renaissance africaine ne peut s'appuyer sur cette exploitation interhumaine et devra viser la conquête spatiale pour substituer au colonialisme la colonisation spatiale, dont la meilleure approche n'est pas la domination, comprise dans l'impérialisme, mais l'expansion, le développement, la croissance, tous remèdes à notre crise libérale (et non finale), qui n'existent pas sur Terre, dans le monde de l'homme, et qui ne peuvent que se trouver dans l'exploration spatiale, tout comme l'homme s'est lancé dans l'exploration de la Terre.
On passe de systèmes finis au système infini, ce qui rend caduc l'attrait de la domination. Dans l'infini, ce qui compte, c'est la valeur du progrès et de la connaissance, la créativité; alors que dans un système fini, qui ne peut qu'être pluriel, la domination est la fin de l'ordre. La domination est la dernière marche; tandis que dans l'infini, la notion de commencement et de fin n'existe pas et abolit les valeurs prédominantes dans l'impérialisme et le colonialisme. Voilà qui clôturerait le règne intellectuel de la métaphysique et notamment de ce Premier Moteur, qui ne peut être valable que dans une mentalité où l'on se meut dans un univers fini et multiple (en termes scientifiques contemporains : multidimensionnel).

jeudi 19 juillet 2012

L'amour créatif

L'amour serait inexplicable, irrationnel, coup de foudre, l'on ne pourrait rien faire contre sa survenue. Si l'amitié repose plus sur la complémentarité que sur la ressemblance, du fait qu'elle s'exprime par le dialogue, quand l'amour exprime la fécondité, le caractère inexplicable de l'amour vient sanctionner la volonté de ne pas comprendre. L'obscurantisme émane de la personne amoureuse, qui ne veut pas (au sens de la volonté) prendre la mesure de la personne aimée - en particulier quand cette personne diverge des critères du bien, et aussi quand, malgré une certaine chance, on fait reposer l'amour sur l'irrationnel.
L'amitié n'est pas préférable à l'amour, car l'amour est fécond, quand l'amitié repose sur des qualités intellectuelles figées. Quand Platon définit l'amour, passionnel et charnel, comme manque, il y discerne le désir sexuel qui est coupé de la vision du Beau (de l'Etre). Le manque renvoie à l'incompréhension de ce qu'est l'Etre et le non-être. Tant l'un que l'autre dénotent une mauvaise définition de ce qui existe en complément de l'être (le sensible).
L'Etre instaure la viabilité du réel, mais produit une définition en homogénéité. Le non-être perçoit confusément que le réel n'est pas formé de manière homogène, mais il produit une non-définition, qui avoue son insuffisance : le non-être est le préfixe qui ne dit rien, disant ce qui n'est pas. L'insuffisance définitoire recoupe le manque. On confond plusieurs réalités, regroupées (abusivement) derrière l'amour.
De même, on amalgame plusieurs réalités derrière le non-être. La confusion vient du fait qu'on ne les hiérarchise pas. Le clarification consiste à hiérarchiser les causes, en dégageant la principale et en montrant que l'unité du réel s'appuie sur l'unicité causale. Dans le non-être, on confond des synonymes comme : vide, non-être, néant, voire vacuité. Si certains termes présentent une signification vague, le seul un tant soit peu clarifié est : le vide, qui désigne un problème physique, de ce fait pas compatible avec le non-être (Pascal reconnaîtra le vide dans un système platonicien).
Le non-être clarifié dégage l'idée hiérarchisée de faire hétérogène. L'amour clarifié distingue la passion, l'amour courtois et la nouvelle forme que discerne le néanthéisme dans l'amour : la créativité. L'amour  abusif (comme polysémie) implique que soit démasquée la passion, qui est la norme-étalon de ce que l'on nomme (très rapidement) l'amour libre, par opposition aux mariages arrangés. L'amour libre l'est au sens où le libéralisme promeut la liberté. Il aboutit aux catastrophes prévisibles que l'on connaît, avec de nombreux divorces. Les amoureux se rencontrent sur des critères physiques, leur relation adolescente reposant sur le jeu, le divertissement et la frime - ah, paraître...
Il est normal que la passion conduise si fréquemment à des échecs, puisqu'elle repose sur la partie la plus friable du réel. La passion n'est pas l'amour, elle désigne l'amour libéral, dont la particularité est de promouvoir la liberté libérale en opposition à la forme classique, soit la domination d'une élite sur la masse. La démocratie libérale recoupe cette domination, avec un cinquième de la planète qui vit sous ce régime et qui asservit le restant.
On retrouve la définition chez Aristote : « Aimer, c’est se réjouir ». Spinoza s'inspire d'Aristote pour nous proposer sa version de l'amour. La correspondance entre le père de la métaphysique et le fondateur de l'immanentisme est d'autant plus frappante que l'immanentisme agit comme une hérésie gradatoire de la métaphysique, et surgit au moment où le cartésianisme en propose la deuxième mouture, essayant de la conformer avec la révolution de la science expérimentale.
Quant à Descartes, dont Spinoza est le disciple hérétique, il n'hésite pas, dans son denier traité cardinal, Les Passions de l'âme, à promouvoir le sujet conscient, en lui donnant le pouvoir de mieux connaître et de dominer les passions, qui ne seraient pas mauvaises si elles étaient rendu conscientes. Descartes théorise la propension à dominer et relie la conscience aux passions, non en élevant l'homme vers la conscience, mais en rabaissant la conscience au niveau des passions conscientisées. Le lien entre Descartes et Spinoza coule de source, même si Descartes sauvegarde la conscience comme faculté suprême de connaissance - Spinoza inféodant la conscience au désir.
L'idéologie postule que l'intelligence peut agir dans la transformation du monde de l'homme : elle constitue la plus pertinente application de la pensée à l'action. Elle serait l'extension du spinozisme, dans le sens où Spinoza prône le libéralisme. Elle se présente comme amélioration du spinozisme quand elle propose une idéologisation progressiste, avec l'idée que la réduction de l'éthique à l'idéologie permet ce progrès. Les revendications progressistes s'opèrent à partir de la métaphysique de mouture hégélienne, à la suite du cartésianisme; alors que le spinozisme constitue la réduction du cartésianisme : la morale devient l'éthique.
Son application (le libéralisme hollandais) n'est pas idéologique, mais penche vers une forme philosophique, dans laquelle le politique est inféodé à l'éthique. Le spinozisme contribuera à donner naissance au libéralisme, comme une expression philosophique participe à une application idéologique. L'amour est l'expression sentimentaliste de la privatisation libérale, selon laquelle l'instabilité prime et la domination l'emporte. La plupart des "amours" expriment la domination minable et débouchent sur l'instabilité, la séparation et la souffrance. Le pire est le spectacle de ces enfants vivant dans des foyers déchirés, qui sont voués à des existences chaotiques et des constructions morcelées.
L'alternative de Platon à la proposition métaphysique, condamnant la plupart des amours à dégénérer en passions éphémères, puis en souffrances durables, c'est l'amour courtois : privilégier dans la relation amoureuse le Beau. La proposition tend à nier la dimension sexuelle, ce qui aboutirait à faire de la reproduction le corollaire au service de la relation intellectuelle. Ce premier danger recoupe un second inconvénient : l'amour courtois est une expérience rarissime, une relation d'élus, qui ne peut se développer dans nos sociétés, et qui ne s'épanouirait qu'à condition de rappeler que l'idéal de Platon n'est pas applicable.
Soit l'on en arrive au modèle pratique de la passion, que défend Aristote et que reprend l'amour libéral, soit l'on opte pour des modèles supérieurs, mais peu appplicables. L'amour oligarchique frappe par son défaut de réel au nom de sa revendication de réalisme. Ce dernier peut s'énoncer comme suit : isoler une portion de réel à court terme, sans prendre en compte la viabilité de la méthode. Le nihilisme fonctionne parce qu'il produit du réel : il se réclame du pragmatisme efficient.
L'amour libéral, reposant sur la passion, et non sur l'innovation contemporaine, ne peut fonctionner. Il sanctionne les comportements de la majorité opprimée, comportements vulgaires, décérébrés, reprenant l'adage : "L'amour est irrationnel", tout comme, pour légitimer son impéritie, l'oligarchie profère le contradictoire : "Nous sommes tous différents". La passion est autodestructrice : la destruction ne fait que détruire son cercle.
Le mariage arrangé est une création pragmatique pour échapper au mariage passionnel (dont on voit le résultat dans le délire aristocratique que se portent Tristan et Iseut). Le mariage arrangé n'a fonctionné aussi longtemps que parce que la passion est une proposition pire encore, la seule par ailleurs qui soit - pas parce qu'il constituerait une technique positive. Et la proposition d'amour courtois repose sur le mythe et sur l'impossibilité, tout comme son Être n'est pas définissable (il ne le définit pas). L'amour courtois implique un idéal qui ne peut advenir si on ne lui confère pas une dimension applicable, qui passe par l'innovation idéale.
Il s'agit de parler d'amour créatif, au sens où l'amour implique que la reproduction sexuelle soit connectée à la dimension créatrice dont l'homme est capable dans ses productions culturelles, ne lien avec la dimension intellectuelle. L'homme créatif est celui qui développe son environnement, tout comme l'enfant qui naît se développe et croît. La croissance économique va de pair avec la croissance religieuse et culturelle. L'amour relié au développement humain par la croissance empêche la passion isolationniste et rend applicable l'idéal courtois. En démasquant la passion hallucinatoire, il convient de relier la reproduction à la création.

lundi 16 juillet 2012

La fosse sceptique

Montaigne se montre proche de la position de Démocrite : "Nous n'avons pas accès à l'Etre". Montaigne serait-il sceptique au sens où le scepticisme se rapporte à la position abdéritaine, même s'il ne partage pas avec lui l'atomisme et se signale par une position négativiste plus que prudente (dans un sens plus prononcé que l'éthique aristotélicienne)? Montaigne veut faire de la philosophie une réflexion moraliste, au sens que l'on donne aux moralistes français.
Les questions dernières ne seront plus traitées. Seule l'ontologie posait la question de l'Etre, du Bien, de l'Un, du Beau. La métaphysique concurrente évacue ces sujets en les traitant de manière allusive et rapide : Aristote explique de manière peu cohérente que l'être fini et multiple est engendré par le non-être multiple. Comment le sait-il? Comment explique-t-il l'irrationalisme?
Montaigne embrasse le scepticisme comme le moyen de répudier des sujets indécidables et inconnaissables. Le scepticisme considère que face à un problème, il convient de s'en débarrasser. En ne le résolvant pas, on amplifie sa portée et on le rend destructeur. Le problème renvoie à un domaine proche, qui menace le domaine résolu du monde de l'homme. Résoudre un problème engendre le changement : accroissement du domaine connu, critères de connaissance modifiés par des règles supérieures.
Le partisan de la loi du plus fort n'a pas intérêt à promouvoir le changement : le propre de la force est de dominer dans un domaine. Le changement engendrerait une modification du rapport de forces, qui ne peut se montrer favorable au dominant d'un moment. L'oligarque est le bénéficiaire et le promoteur de la loi du plus fort, comme on le voit à Athènes à l'époque de Platon. Les oligarques se partagent entre les propriétaires fonciers et les marchands, les politiciens et les guerriers, les intellectuels, dont les rhéteurs (un Gorgias symbolise l'intellectuel oligarchique, en précisant que l'oligarchie est un groupe morcelé et antagoniste, que son identité est différante et que personne ne dirige une oligarchie).
Montaigne intervient en pleine guerre de religions et joue un rôle politique de premier plan en province. Il se comporte comme le récent aristocrate qu'il est par son père, et il n'hésite pas à vivre caché et à gouverner comme un notable, fervent supporter de l'ordre oligarchique. Quand un problème est trop important, il part en voyage et déteste s'embarrasser avec les difficultés. La fuite est son mode d'évitement. Il recoupe la position sceptique expliquant que l'on ne peut savoir la vérité qui existe.
Le sceptique tend moins vers le savoir (comme les métaphysiciens), vers l'excellence rhétorique (comme les sophistes) ou vers la quête du plaisir (comme les cyrénaïques), que vers la reconnaissance que seul importe le monde singulier dans lequel il vit, monde qu'il convient de distinguer du monde de l'homme, et dont la singularité engendre la reconnaissance des castes sociales. Le sceptique juge que l'interrogation du domaine est inutile.
Les accointances entre le scepticisme et l'immanentisme sont prégnantes, mais le sceptique est plutôt un prudent qui essaye de vivre tant bien que mal dans le chaos tout en acceptant la situation, pour lui peu améliorable, qu'un théoricien qui propose une vision du monde fini dans lequel il se meut. Montaigne propose une sagesse qui soit la fin de la philosophie, et qui prétende que cette fin réside dans l'horizon pratique, sans jamais connaître l'ensemble du réel (selon l'ontologie), voire l'ensemble de l'être fini (selon la métaphysique).
Les sceptiques dont Montaigne vont plus loin que les métaphysiciens : ils réfutent la validité de la science, non en tant qu'obscurantistes, mais en prenant acte que la fin de la philosophie réside dans la sagesse et que les sciences modernes, de préférence morcelées, ont quitté du fait de leur modernisation la sphère philosophique, n'en déplaise aux métaphysiciens de dernière mouture, comme les scoliastes. Montaigne est sceptique, au sens où il cherche à vivre dans le chaos et à échapper aux contingences étrangères à son pouvoir.
Il refuse la théorisation et s'en tient à des remarques singulières, dont le mérite est de clarifier des sujets de discorde, sans chercher la systématisation. Le systématisme pose les questions dernières, la méthode sceptico-moraliste s'en tient à l'éthique au sens spinoziste et à une considération sociale oligarchique (par opposition aux marxisme). Quand on lie chez Montaigne l'intelligence au refus du systématisme, on met en exergue son refus de la théorisation, au service de sa conception oligarchique. La théorie en accroissant le domaine de connaissance favorise le changement de domination et l'intérêt général.
Montaigne n'a pas intérêt à changer de domination et ne propose pas une méthode pour que la majorité soit heureuse, comme le vantent certains historiens de la philosophie recyclés dans la sagesse, mais une méthode pour que les dominateurs soient heureux. C'est une sagesse oligarchique, pas une sagesse en faveur du peuple. Et c'est un modèle qui ne fonctionne pas, qui est une sagesse pour supporter le chaos et se satisfaire du momentané. Montaigne aurait pu intituler ses Essais : comment être heureux avant le tsunami.
Le propre de Montaigne fut de s'accommoder des coutumes de son temps, soit de se mettre du côté des dominants, quitte à ce que les valeurs soient chrétiennes. Montaigne mourut en chrétien. C'était pour sacrifier aux usages, non par hypocrisie, mais parce qu'il se montre favorable aux usages relatifs de son temps. Pour lui, la loi du plus fort est compatible avec les valeurs chrétiennes, ce que rappelle l'importance de la métaphysique dans le déploiement de la théologie chrétienne. L'amour du prochain est compatible avec un système de domination finie, dans lequel la charité désigne la philanthropie libérale : les oligarques aident les plus défavorisés, à condition que le système continue à leur profiter et que l'inégalitarisme se perpétue.
Les valeurs républicaines sont compatibles avec l'oligarchie : leur adaptation au format fini implique leur péremption. L'illusion de Montaigne : son système qui permettrait de vivre dans le chaos présente l'inconvénient de n'être pas viable (ou dans l'éphémère). Montaigne pense qu'on peut connaître la vérité en partie et que la vérité existe? Il se montre un sceptique selon lequel la vérité renvoie à l'inconnaissable. Le négatif exprime le non-être. La vérité n'est pas connaissable, parce qu'elle se révèle en grande partie négative pour ceux qui croient à l'être fini des atomes, plus tard au fini impulsé par le Premier Moteur. Et si l'on peut connaître la vérité partielle, c'est qu'on peut connaître l'être fini, sans l'antagoniste, le non-être.
Montaigne n'est pas un rationaliste qui croit la connaissance progressive possible, mais un oligarque qui croit la connaissance limitée. Croit-il que la vérité peut être connue par progrès? Non seulement il ne le croit pas, comme Aristote estimait qu'il avait fait le tour de la connaissance de son temps et que le savoir fini s'achevait avec lui (on a vu le résultat); il va d'une certaine manière plus loin, estimant que l'être est si morcelé et multiple qu'il convient seulement de s'intéresser aux préoccupations qui nous concernent. Mais qui peut s'intéresser à ses seules préoccupations personnelles? Qui présente l'otium de se pencher sur son existence? Qui dispose de l'éducation, du savoir pour réfléchir et créer?
Dans la société en guerre civile a fortiori, l'inclination de Montaigne est limpide : le profil (dont il fait partie!) correspond à l'oligarque. Seul l'oligarque peut forger une sagesse qui est le propre de la philosophie et qui est contre l'esprit de système. La sagesse populaire est dénuée de valeur - dans tous les sens du terme. L'exposition de Montaigne vaut parce qu'il dispose du vécu, de la culture, de l'intelligence pour rendre intéressants ses jugements. Le manant, le paysan, le valet ou même n'importe quel bourgeois de son temps n'ont pas la capacité de produire l'écriture Montaigne.
Et si l'exception confirmait la règle, comme pour Epictète, la contre-illustration de Molière au siècle suivant montre qu'une nouvelle classe arrive au pouvoir et qu'elle se trouve annoncée par l'avènement de bourgeois-écrivains. Montaigne est le dernier représentant du scepticisme précédant la Révolution française. S'il n'a pas su prévenir le changement qui s'annonçait, en oligarque aveuglé par le conservatisme, sa conception du réel annonce la possibilité de destruction de la société, à force de croire que l'horizon se limite, plus encore qu'au social, aux dominants.
L'observation cardinale de Montaigne possède de la force pour qu'on l'ait retenue. On avance même qu'elle symboliserait l'esprit dans les guerres de religion. Montaigne se montre sceptique, parce qu'il pense que sur les sujets essentiels, nous n'en savons rien. Montaigne joue sur du velours : Platon n'a rien défini des valeurs cardinales de son ontologie, même s'il le connaît par ouï-dire. Les sceptiques ont le mérite d'aller plus loin que les métaphysiciens en proposant que sur des sujets comme la vérité ou l'Etre, on ne puisse se prononcer; il ne s'agit pas de prétendre comme les sophistes que l'être fini n'est pas théorisable et qu'on peut s'en tenir à théoriser des sujets épars et morcelés, comme le domaine rhétorique.
Dans la période que Montaigne affronte, le scepticisme permet de vivre avec le chaos. La métaphysique nécessite qu'on résolve le chaos et qu'on crée un être fini et pacifié. Montaigne s'est penché sur la méthode qui lui permettait de vivre dans la guerre. Mais il vit de manière égoïste, rivé à son existence et en sachant que son monde peut s'effondrer d'un moment à l'autre. Le problème est que la guerre exprime l'acmé de la crise et sa résolution prochaine. La méthode de Montaigne fait du particulier le général en estimant que l'universel s'obtient par l'observation de son singulier.
Puis il estime que le scepticisme est plus adapté par temps de chaos que le cynisme ou l'hédonisme, qui sont des morales avant le déluge. Montaigne aurait pu choisir l'atomisme et son successeur modifié l'épicurisme. L'épicurisme surgit aussi dans une période troublée et entend vivre de manière paisible et retirée, à l'abri des troubles. Montaigne mâtine son scepticisme d'épicurisme, preuve qu'il trouve une certaine inclination à la doctrine d'Epicure l'atomiste postabdéritain. Ce qui importe à Montaigne, c'est de perpétuer, non le chaos, mais la sagesse adéquate pour vivre dans le chaos.
Le scepticisme offre la sécurité pour donner le sentiment (trompeur) qu'il perpétue l'oligarchie dans le chaos. En rendant indécidable ce qui sort de l'expérience moraliste, le scepticisme se met au service du chaos. On mesure la définition que revêt l'irrationalisme : le chaotique. Mais c'est une option qui est fausse : les autres sagesses antiques permettent soit d'attendre que la crise se passe (épicurisme), soit de dominer dans un système encore pérenne (les hédonistes en sont le reflet parfait, les sophistes font de l'argent avec leur savoir). Il n'est pas possible de vivre dans le chaos en n'étant pas affecté par le chaotisme en tant que morale afférente.
La proposition de Montaigne ne se révèle efficace que pour dominer dans le chaos. De ce fait, alors que nous endurons une période de crise naissante, la sagesse de Montaigne ne peut nous être d'aucune aide, à moins que nous décidions d'appartenir à l'oligarchie - et surtout que nous ne fassions partie par la naissance et les honneurs, ainsi que Descartes définissait les gens de pouvoir. L'erreur de Montaigne consiste à considérer que le chaos est positif, ce qui revient à signifier que le négatif est positif. L'hétérogène se transforme en contradiction. Montaigne passe à côté de la considération qui l'aiderait à amender son scepticisme : l'hétérogénéité du réel ne se rapporte pas à l'être seul, mais au - malléable. En d'autres termes : que philosopher, c'est apprendre à décider.

samedi 14 juillet 2012

La cerfitude volontaire

Quelle est la différence entre une racaille et un oligarque? La racaille est frustrée, l'oligarque est dominateur. L'oligarque est l'héritier qui a réussi en poursuivant l'héritage. Il a suivi un brillant parcours  académique et il applique sa réussite dans le champ social en dominant outrageusement. Les BHL, Lagardère, Seillière sont des représentants de cette mentalité, qui ne se fixe pas à quelques individus stables, mais prolifère de manière mimétique et antagoniste. La figure de lord Jacob Rothschild est emblématique de l'état oligarchique terminal : fils de la dynastie de financiers de la Couronne britannique, il se trouve à la tête de l'entreprise de destruction du Bretton Woods et de désindexation du dollar avec l'étalon-or.
L'une des rengaines à la mode est populiste dans son sens le plus nauséabond, poujadiste dans un sens qui exprime trop de ressentiment frustre pour cerner le sens qu'elle exprime : l'on entend rappeler que l'oligarque serait une racaille en col blanc, ce qui n'est pas forcément faux, à ceci près que ce n'est pas la même chose d'être une crapule de haut vol et un petit voyou dénué de complicité. 
Là n'est pas le problème. Le problème réside dans la légitimation de la crapulerie de bas étage au nom de son équivalent dans les élites. La dénonciation des élites se révèle poujadiste. C'est un moyen commode pour celui qui rate sa vie, qui se montre faible intellectuellement, qui fait partie des médiocres sociaux, de légitimer sa vulgarité par la responsabilisation des élites, définies de façon frustre par leur fortune. Les "diaboliques élites" sont parées de la toute-puissance - d'autant plus qu'elles constituent le rempart pour excuser les échecs et les compromissions.
Si l'on scrute le comportement des élites, elles se révèlent par temps de crise critiquables, cupides et désaxées, coupées des réalités et de la compagnie de la majorité qu'elles asservissent, mais la responsabilité principale incombe plus à la majorité qui se laisse asservir qu'à la minorité qui exploite. La décomposition des élites est représentative de l'état de faillite de la majorité. Plus les gens relèvent des couches sociales les plus défavorisées, plus ils baignent dans l'inculture et l'asservissement, et plus il se révèlent moutonniers et jaloux. Le plouc atavique est l'exemple de cette faillite qui touche moins les élites que la majorité. La faillite des élites indique la faillite de ceux qu'ils représentent.
Il n'y a pas dissociation entre la majorité et l'élite : l'élite est à l'image de la majorité. Quand l'élite révèle son impéritie et sa cruauté, c'est le signe qu'elle représente des masses en effondrement généralisé. Plus l'inégalitarisme grimpe, plus la majorité tend vers la nullité. C'est alors qu'intervient la phase de déculpabilisation, émanant de mentalités frustres, tendant à rendre la médiocrité positive et l'excellence critiquable. Dans la vision de faibles, on n'est plus excellent du fait de ses mérites, selon la conception oligarchique classique, exprimant le point de vue des dominateurs, mais du fait d'une vision oligarchisée simpliste, exprimant le point de vue paradoxal des opprimés soutenant à leur insu, par leur rébellion négative, l'oligarchie, dans laquelle les qualités ne sont que des prérequis donnés par la naissance, non plus des acquis obtenus par l'éducation ou les études.
En validant la thèse de l'oligarchie inévitable, subie et mauvaise, les médiocres se revalorisent et légitiment, à défaut d'expliquer, leur médiocrité : si les élites sont médiocres, les médiocres sont les valeureux. Les critères de la valeur sont faux! Cela tombe bien, ils ne correspondent pas à la valorisation des médiocres. D'ordinaire, on valorise l'intelligence, la réussite scolaire, professionnelle, sociale, l'expression artistique, la connaissance culturelle... Il convient de changer de critères et de mesurer que les critères étiquetés médiocres ne le sont qu'édictés par les plus forts, les dominants et les vainqueurs.
Les critères émanent des dominés et valent du fait de leur caractère illogique et ridicule. Au moins les dominés sont-ils gentils et aiment s'amuser. Ils vivent pour un but sympathique à défaut d'être noble : le plaisir. A la différence des poujadistes, ils ne cherchent nullement à prendre le pouvoir. Les poujadistes avancent qu'il convient de remplacer les élites corrompues par les classes commerçantes moyennement aisées, travailleuses et valeureuses. Les médiocres en voie de ploucisation ne cherchent nullement à changer l'ordre social, ni à améliorer les élites qu'ils critiquent.
Ils escomptent seulement légitimer leur médiocrité en dénonçant comme bouc émissaire de la crise les élites (anonymes et simplifiées à quelques noms, quelques organisations, voire quelques familles). Le simplisme permet de déculpabiliser la médiocrité à peu de frais. La dissociation entre les élites mauvaises et la majorité opprimée, donc bonne est fantasmatique : elle conforte la mentalité oligarchique et explique :
- pourquoi les esclaves sont favorables à leurs maîtres despotiques
- et pourquoi leur rébellion est le plus sûr instrument de la perpétuation du pouvoir oligarchique.
C'est quand l'opprimé se veut rebelle qu'il adoube la mentalité du plus fort à son détriment. C'est qu'il entend ne pas sortir de son plaisir vulgaire, dont la caractéristique est qu'il se révèle condamné à court terme. Cette rébellion se caractérise par le refus de changer, de dénigrer avec ressentiment les élites, tout en ne proposant rien pour assurer le changement de l'ordre injuste. Le médiocre ne dispose pas des armes intellectuelles pour concevoir le changement.
Le propre de l'oppression consiste à valider la conception du réel morcelé, en réduisant le réel au social, du fait de la violence que le dominé subit et qui détruit la possibilité d'unité et d'universel. Le changement ne pourrait s'effectuer que par l'unité : la vision selon laquelle l'on peut changer l'ordre puisque toutes ses parties sont liées. Au contraire, dans le morcèlement, le changement n'est pas possible, puisque les parties sont déconnectées. La mentalité oligarchique se trouvé réhabilitée. Le ressentiment de type nietzschéen s'explique : si l'on ne peut changer l'ordre, il importe de se venger en le déclarant injuste à son profit - d'autant plus néfaste qu'il est nécessaire. La libération des chaînes du ressentiment passe par la prise de conscience que la liberté s'appuie sur l'unité du réel.

mercredi 11 juillet 2012

L'ingérence démocratique

Madame Midani, présidente de l'AFAMI, intervient en anglais lors d'une émission de la BBC, vendredi 6 juillet 2012. Elle contredit BHL en fin de vidéo. J'ai recopié la traduction pour qu'on se rende compte de l'imposture qui sévit en Occident dans nos médias à propos des Printemps arabes - et que le lecteur prenne la mesure de la boucherie qui s'est déroulée en Libye. La prise de Tripoli fin août 2011 ne fut pas la délivrance pour le peuple libyen débarrassé du dictateur Kadhafi. Les Libyens ne voulaient pas du chaos orchestré par l'OTAN. Ils se sont défendus dans l'ouest et le sud avec héroïsme. Quand il a fallu après huit mois de combats acharnés prendre Tripoli et tuer Kadhafi, les avions de l'OTAN ont bombardé la capitale pendant un à deux jours; puis les hélicoptères ont mitraillé les poches de résistance pendant une journée. Enfin, les forces spéciales et les mercenaires ont pu, avec des trahisons, envahir la ville. Il y eut entre 2000 et 3000 morts, dans ce qui constitue une des pires massacres coloniaux. Ceux qui défendent cette atrocité sont complices de crimes impérialistes et n'ont aucune légitimité pour défendre la démocratie, l'humanisme, la justice et la liberté. Aujourd'hui encore, Tripoli continue à résister, par la tactique de la guérilla, sur le modèle de ce qui se passe en Irak (où la résistance inflige des pertes aux Anglo-Saxons). La situation en Syrie, aussi différente soit-elle du chaos libyen, obéit au même principe de l'ingérence démocratique.



"Je suis Madame Midani, je suis présidente d'une association ici en France. Je suis franco-syrienne. Je voudrais demander à M. Lévy... Je pense que la plus grande blague est de voir M. Lévy s'inquiéter des morts en Syrie. En partant du principe qu'il a toujours affirmé qu'il travaille pour Israël et qu'il porte Israël dans son coeur. Et c'est je pense la raison pour laquelle pour lui la Syrie est une menace, car c'est une menace peut-être pour ... 
(interrompue par le présentateur) 
C'est la première chose, laissez-moi s'il vous plaît continuer...
BHL : - Je ne vous autorise pas à dire que je travaille pour Israël...
Midani : - C'est vous qui l'avez dit!
BHL : - Non, non, non! Je ne vous autorise pas à dire que je travaille pour Israël! Tout ce que je peux vous répondre est que depuis quarante ans mon coeur est du côté de tous ceux qui souffrent dans le monde entier!
Midani : - Les gens de Gaza ne sont pas des gens?
BHL : - Partout dans le monde! Et aujourd'hui la capitale mondiale de la souffrance est Homs! est la Syrie!"
(Le présentateur veut lui enlever le micro!)
Midani : - Non, non, non! Combien de personnes ont été tuées en Libye après l'intervention de l'OTAN? 160 000 personnes! Pour en protéger 2000 comme vous disiez, alors même que HRW (Human Rights Watch, NdA), qui est une ONG pour couvrir les interventions impérialistes, ils disent eux-mêmes 200 personnes! L'intervention de l'OTAN en Libye a semé la destruction, des choses horribles, des morts. Et maintenant c'est le chaos en Libye!"
(Nouvelle intervention du présentateur pour interrompre l'intervention).

Trois remarques pour commenter ce discours de vérité : 
- Cette présidente d'une association franco-syrienne rappelle la vérité des événements face au propagandiste BHL (dont les discours sont criminels, au sens où ils cautionnent les morts au nom des plus forts) : les guerres humanitaires pour la démocratie sont des couvertures pour l'impérialisme. Ceux qui les défendent montrent leur visage de colonialistes et soutiennent les massacres des populations autochtones.
- L'imposture de la protection des populations à Benghazi (issue de la R2P) apparaît comme le prétexte pour l'intervention impérialiste : pour protéger quelques milliers (évaluation contestable) de manifestants, dont des islamistes armés par les affidés régionaux de l'OTAN, on en aura tué plus de 100 000. Je reste médusé par l'argutie, qui confond violence et démocratie : au nom de la violence minimale de la dictature, on pourrait perpétrer la violence maximale de la démocratie. Toute cette affaire a été orchestrée par les stratèges atlantistes, en jouant sur les tensions entre Cyrénaïque et Tripolitaine, en soutenant l'islamisme régional et en prenant soin d'acheter quelques chefs tribaux, plus les collaborateurs ultralibéraux de l'entourage corrompu de Kadhafi. Au final, on aura renversé un régime népotique et terroriste pour le remplacer par le chaos. Le peuple libyen a perdu les bienfaits en empirant les méfaits de l'ère Kadhafi. Il ne se libérera de son oppression qu'au prix d'une longue résistance et avec le spectre de la partition d'un pays tribaliste.
- Combien de temps allons-nous continuer à suivre la rhétorique grossière de propagandistes notoires comme BHL, qui travaille plus pour des intérêts atlantistes que pour Israël, malgré son engagement sioniste? Dans le discours manichéiste, on oppose l'atlantisme au point de vue autochtone, la démocratie contre la dictature, selon la rhétorique néo-conservatrice. Soit l'on est pour la démocratie de l'OTAN; soit pour la dictature légitimement renversée. La nuance est la définition de l'intelligence? Peut-on être contre des régimes violents tout en s'opposant à l'intervention impérialiste se masquant derrière l'humanitarisme et la démocratie? Il est conseillé de sortir des stéréotypes, de bouger les lignes avec finesse et de réfuter le manichéisme au profit de points de vue argumentés, en rappelant que le régime de Kadhafi comportait aussi des aspects positifs et que son anéantissement n'a pu qu'engendrer le chaos. L'on ne peut implanter la démocratie depuis l'étranger. L'humanitarisme belliqueux ne fonctionne que parce que les opinions en Occident se trouvent du côté des plus forts, pas avec les opprimés et les victimes.
- L'assertion de BHL selon laquelle il défend ceux qui "souffrent partout dans le monde" suivant les critères de la justice et non selon la loi du plus fort serait risible si elle ne fonctionnait depuis ... trente ans! En Afghanistan, en ex-Yougoslavie, en Géorgie, en Libye, en Syrie, notamment, BHL s'est placé du côté des plus forts, selon le point de vue atlantiste défendu militairement par l'OTAN. Il est facile de saper les prétentions mégalomanes de BHL en diffusant par exemple cet extrait :
http://www.dailymotion.com/video/xoh8z_f-helbert-vs-bhl-sur-jenine_news
Pourquoi les populations françaises acceptent-elles ces rodomontades non seulement biaisées, mais creuses et médiocres?
a) Le crédit dont jouit BHL dans les médias est épuisé. On l'a mesuré avec les bides qu'ont fait ses productions sur la Libye : son livre et son film retraçant son engagement en Libye, alors que l'opération était décidée depuis le siège de l'OTAN AFRICOM à Stuttgart, et les plans préparés depuis plusieurs années, se sont révélés de cuisants échecs commerciaux.
b) Les populations d'Occident n'ont pas intérêt à soutenir le parti du plus fort. Elles sont les victimes indirectes du colonialisme et de l'impérialisme. Si elles le font, c'est parce qu'elles se désengagent et prônent la dépolitisation. La dépolitisation souligne l'écoeurement des peuples en démocraties libérale, le fait que la démocratie libérale ne réussit plus à représenter les aspirations du peuple. Le désengagement, dont le terme exprime la mélancolie du desengano, ne voit pas d'autre horizon que le plus fort qui le dominerait outrageusement et qui se révélerait d'autant plus tout-puissant qu'il serait diabolique. Le dépolitisé avoue de go qu'il est incapable de participer à la gestion de sa société et qu'il ne lui reste que la nécessité d'attendre sur le bas-côté de la route, en attendant que les plus forts se débarrassent de lui. Ce simplisme pessimiste va de pair avec la vulgarité. La dépolitisation déculpabilise le dépolitisé de sa responsabilité de citoyen et rappelle que le principal coupable de la dépolitisation est le dépolitisé lui-même, qui adoube les chaînes de son oppression et fait mine d'opérer la distinction hallucinatoire entre le plus fort et sa victime. A condition de faire montre d'intelligence, l'esclave dispose de tous les moyens pour renverser le maître, comme Hegel l'a rappelé (tout en cherchant à conforter le parti du plus fort).