jeudi 19 juillet 2012

L'amour créatif

L'amour serait inexplicable, irrationnel, coup de foudre, l'on ne pourrait rien faire contre sa survenue. Si l'amitié repose plus sur la complémentarité que sur la ressemblance, du fait qu'elle s'exprime par le dialogue, quand l'amour exprime la fécondité, le caractère inexplicable de l'amour vient sanctionner la volonté de ne pas comprendre. L'obscurantisme émane de la personne amoureuse, qui ne veut pas (au sens de la volonté) prendre la mesure de la personne aimée - en particulier quand cette personne diverge des critères du bien, et aussi quand, malgré une certaine chance, on fait reposer l'amour sur l'irrationnel.
L'amitié n'est pas préférable à l'amour, car l'amour est fécond, quand l'amitié repose sur des qualités intellectuelles figées. Quand Platon définit l'amour, passionnel et charnel, comme manque, il y discerne le désir sexuel qui est coupé de la vision du Beau (de l'Etre). Le manque renvoie à l'incompréhension de ce qu'est l'Etre et le non-être. Tant l'un que l'autre dénotent une mauvaise définition de ce qui existe en complément de l'être (le sensible).
L'Etre instaure la viabilité du réel, mais produit une définition en homogénéité. Le non-être perçoit confusément que le réel n'est pas formé de manière homogène, mais il produit une non-définition, qui avoue son insuffisance : le non-être est le préfixe qui ne dit rien, disant ce qui n'est pas. L'insuffisance définitoire recoupe le manque. On confond plusieurs réalités, regroupées (abusivement) derrière l'amour.
De même, on amalgame plusieurs réalités derrière le non-être. La confusion vient du fait qu'on ne les hiérarchise pas. Le clarification consiste à hiérarchiser les causes, en dégageant la principale et en montrant que l'unité du réel s'appuie sur l'unicité causale. Dans le non-être, on confond des synonymes comme : vide, non-être, néant, voire vacuité. Si certains termes présentent une signification vague, le seul un tant soit peu clarifié est : le vide, qui désigne un problème physique, de ce fait pas compatible avec le non-être (Pascal reconnaîtra le vide dans un système platonicien).
Le non-être clarifié dégage l'idée hiérarchisée de faire hétérogène. L'amour clarifié distingue la passion, l'amour courtois et la nouvelle forme que discerne le néanthéisme dans l'amour : la créativité. L'amour  abusif (comme polysémie) implique que soit démasquée la passion, qui est la norme-étalon de ce que l'on nomme (très rapidement) l'amour libre, par opposition aux mariages arrangés. L'amour libre l'est au sens où le libéralisme promeut la liberté. Il aboutit aux catastrophes prévisibles que l'on connaît, avec de nombreux divorces. Les amoureux se rencontrent sur des critères physiques, leur relation adolescente reposant sur le jeu, le divertissement et la frime - ah, paraître...
Il est normal que la passion conduise si fréquemment à des échecs, puisqu'elle repose sur la partie la plus friable du réel. La passion n'est pas l'amour, elle désigne l'amour libéral, dont la particularité est de promouvoir la liberté libérale en opposition à la forme classique, soit la domination d'une élite sur la masse. La démocratie libérale recoupe cette domination, avec un cinquième de la planète qui vit sous ce régime et qui asservit le restant.
On retrouve la définition chez Aristote : « Aimer, c’est se réjouir ». Spinoza s'inspire d'Aristote pour nous proposer sa version de l'amour. La correspondance entre le père de la métaphysique et le fondateur de l'immanentisme est d'autant plus frappante que l'immanentisme agit comme une hérésie gradatoire de la métaphysique, et surgit au moment où le cartésianisme en propose la deuxième mouture, essayant de la conformer avec la révolution de la science expérimentale.
Quant à Descartes, dont Spinoza est le disciple hérétique, il n'hésite pas, dans son denier traité cardinal, Les Passions de l'âme, à promouvoir le sujet conscient, en lui donnant le pouvoir de mieux connaître et de dominer les passions, qui ne seraient pas mauvaises si elles étaient rendu conscientes. Descartes théorise la propension à dominer et relie la conscience aux passions, non en élevant l'homme vers la conscience, mais en rabaissant la conscience au niveau des passions conscientisées. Le lien entre Descartes et Spinoza coule de source, même si Descartes sauvegarde la conscience comme faculté suprême de connaissance - Spinoza inféodant la conscience au désir.
L'idéologie postule que l'intelligence peut agir dans la transformation du monde de l'homme : elle constitue la plus pertinente application de la pensée à l'action. Elle serait l'extension du spinozisme, dans le sens où Spinoza prône le libéralisme. Elle se présente comme amélioration du spinozisme quand elle propose une idéologisation progressiste, avec l'idée que la réduction de l'éthique à l'idéologie permet ce progrès. Les revendications progressistes s'opèrent à partir de la métaphysique de mouture hégélienne, à la suite du cartésianisme; alors que le spinozisme constitue la réduction du cartésianisme : la morale devient l'éthique.
Son application (le libéralisme hollandais) n'est pas idéologique, mais penche vers une forme philosophique, dans laquelle le politique est inféodé à l'éthique. Le spinozisme contribuera à donner naissance au libéralisme, comme une expression philosophique participe à une application idéologique. L'amour est l'expression sentimentaliste de la privatisation libérale, selon laquelle l'instabilité prime et la domination l'emporte. La plupart des "amours" expriment la domination minable et débouchent sur l'instabilité, la séparation et la souffrance. Le pire est le spectacle de ces enfants vivant dans des foyers déchirés, qui sont voués à des existences chaotiques et des constructions morcelées.
L'alternative de Platon à la proposition métaphysique, condamnant la plupart des amours à dégénérer en passions éphémères, puis en souffrances durables, c'est l'amour courtois : privilégier dans la relation amoureuse le Beau. La proposition tend à nier la dimension sexuelle, ce qui aboutirait à faire de la reproduction le corollaire au service de la relation intellectuelle. Ce premier danger recoupe un second inconvénient : l'amour courtois est une expérience rarissime, une relation d'élus, qui ne peut se développer dans nos sociétés, et qui ne s'épanouirait qu'à condition de rappeler que l'idéal de Platon n'est pas applicable.
Soit l'on en arrive au modèle pratique de la passion, que défend Aristote et que reprend l'amour libéral, soit l'on opte pour des modèles supérieurs, mais peu appplicables. L'amour oligarchique frappe par son défaut de réel au nom de sa revendication de réalisme. Ce dernier peut s'énoncer comme suit : isoler une portion de réel à court terme, sans prendre en compte la viabilité de la méthode. Le nihilisme fonctionne parce qu'il produit du réel : il se réclame du pragmatisme efficient.
L'amour libéral, reposant sur la passion, et non sur l'innovation contemporaine, ne peut fonctionner. Il sanctionne les comportements de la majorité opprimée, comportements vulgaires, décérébrés, reprenant l'adage : "L'amour est irrationnel", tout comme, pour légitimer son impéritie, l'oligarchie profère le contradictoire : "Nous sommes tous différents". La passion est autodestructrice : la destruction ne fait que détruire son cercle.
Le mariage arrangé est une création pragmatique pour échapper au mariage passionnel (dont on voit le résultat dans le délire aristocratique que se portent Tristan et Iseut). Le mariage arrangé n'a fonctionné aussi longtemps que parce que la passion est une proposition pire encore, la seule par ailleurs qui soit - pas parce qu'il constituerait une technique positive. Et la proposition d'amour courtois repose sur le mythe et sur l'impossibilité, tout comme son Être n'est pas définissable (il ne le définit pas). L'amour courtois implique un idéal qui ne peut advenir si on ne lui confère pas une dimension applicable, qui passe par l'innovation idéale.
Il s'agit de parler d'amour créatif, au sens où l'amour implique que la reproduction sexuelle soit connectée à la dimension créatrice dont l'homme est capable dans ses productions culturelles, ne lien avec la dimension intellectuelle. L'homme créatif est celui qui développe son environnement, tout comme l'enfant qui naît se développe et croît. La croissance économique va de pair avec la croissance religieuse et culturelle. L'amour relié au développement humain par la croissance empêche la passion isolationniste et rend applicable l'idéal courtois. En démasquant la passion hallucinatoire, il convient de relier la reproduction à la création.

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