lundi 31 janvier 2011

Mot d'ordre

Petite histoire drôle, par ces temps de catastrophisme lié à l'effondrement systémique et culturel de l'Occident mondialisé : je l'ai entendue sur le plateau de l'émission On n'est pas couché, une production inintéressante animée par Ruquier et rendue célèbre par les interventions polémiques et stériles des compères Naulleau et Zemmour. Le réalisateur Francis Perrin a écrit un livre historique intitulé Le bouffon des rois et qui nous entretient entre autres (je ne l'ai pas lu) du bouffon Triboulet, fou des rois des France Louis XII et François Ier. Après des années de jeux de mots et d'esprit, Triboulet dérape. Il s'en prend à la maîtresse du roi François Ier et pour ce crime de lèse-majesté se retrouve condamné à mort. Le roi cherche néanmoins à se montrer magnanime :
"Je te condamne à mort, mais comme tu m'as diverti durant bon nombre d'années, je te permets de choisir ta mort !
- Mon cousin, j'aimerais mourir de vieillesse."
Le mot valut à Triboulet la grâce royale.
(Codicille à visée politique : c'est une anecdote à resservir par ces temps où l'on légitime de manière hypocrite et ambiguë l'euthanasie sous couvert de diminuer les dernières souffrances).

dimanche 30 janvier 2011

Les soudards du Soudan

Selon un article lumineux d'Attali, la France est condamnée à perdre sa souveraineté d'ici 2013. Elle est condamnée à subir l'implacable loi des (anonymes) marchés financiers apatrides et mondialistes :
- tomber sous la férule du patron du FMI DSK, qui est peut-être Français, mais qui suit la loi d'un gouvernement mondial qu'il appelle de ses voeux de néo-keynésien au service de l'Empire britannique;
- pratiquer une politique nationale secondaire de régime drastique, avec coupes budgétaires dans les dépenses de santé, les retraites, les aides d'Etat en général.
L'arnaque d'Attali consiste à n'envisager qu'une possibilité, la nécessité de la politique monétariste dictée par les sacrosaints et tout-puissants marchés financiers. Alors qu'il existe une autre solution, évidente et bien connue : mettre en faillite les intérêts financiers privés et sauver les Etats - sauver les peuples. La nécessite est un mensonge politique aussi bien qu'ontologique : il suffit de se rendre compte qu'Attali est un porte-parole français des intérêts financiers mondialistes et que tout son jeu est de réclamer l'application de la lucidité tant qu'elle se trouve conjuguée à la nécessité.
La rhétorique mensongère d'Attali s'éclairerait s'il avait l'honnêteté élémentaire (en lieu et place de son intelligence sophistiquée au service d'intérêts oligarchiques) de nous expliquer qu'il tient le discours de tous les spéculateurs centrés autour de la City de Londres, lui qui vient des intérêts Lazard, vous savez ceux qui historiquement jouèrent un jeu si vénéneux avec l'ère de la synarchie française, notamment durant l'entre-deux guerres (proximité avec les intérêts bancaires Worms en particulier).
Attali se garde d'expliciter sa position parce que tout son jeu fonctionne tant qu'on le croit dicté par la nécessité unique. Attali n'a pas le choix. Il sera honnête au sens singulier où il débitera le discours unique et uniciste de l'oligarchie. L'oligarchie si elle veut maintenir son pouvoir en plein effondrement n'a pas le choix : soit on la met en faillite, soit elle est contrainte pour poursuivre sa course folle de mettre en faillite les peuples. Elle n'a donc d'autre choix que de mettre en faillite les peuples.
Comme les peuples se comportent en moutons, ils n'agissent pas de manière adéquate et lucide, en exigeant avec force que ce soient les intérêts financiers privés qui soient mis en faillite en lieu et place des populations - et que cesse cette farce funèbre. A écouter le discours trompeur et destructeur d'Atali, il conviendrait aussi de mettre en faillite tous les relais médiatiques de cette oligarchie financière. L'honnêteté d'Attali consiste certes à se montrer plus claire que les discours usuels qui nous divertissent avec des affaires publiques de quatrième ordre, ou avec des affaires aussi importantes que morcelées, mais cette honnêteté-là est perverse : dire la vérité à condition que cette vérité soit oligarchique.
Même si on suivait les recommandations que formule Attali et qui sont celles de l'oligarchie financière, on n'obtiendrait qu'un court répit. Car Attali ne peut pas expliquer que toutes les réductions budgétaires et les économies du monde ne viendront jamais à bout des dettes abyssales du système monétariste en faillite. Les dettes fictives sont colossales et la méthode monétariste mène droit à l'abîme - en enfer.
Le but véritable d'un oligarque est de contraindre les peuples à des réductions budgétaires pour mieux imposer la suite du programme oligarchique : l'oligarchisation du monde passe par le retour modernisé au modèle féodalisme médiéval. En ce moment a lieu le sommet de Davos, qui est une réunion oligarchique par excellence. Un des organisateurs de cette conférence tient des propos qui sont assez emblématiques de cette mentalité féodaliste :
http://blogs.wsj.com/ideas-market/2011/01/24/davos-congress-of-the-new-middle-ages/
Le parti politique injustement calomnié Solidarité et Progrès (des disciples de Roosevelt insultés d'extrémistes néo-nazis) a traduit ces propos explicites et violents, quoique acceptés, que les médias officiels se sont bien gardés de transcrire (ce serait pourtant plus intéressant que de nous abreuver et abrutir avec la propagande à propos du réchauffement climatique dû à l'homme ou la bonté socialiste d'Obama) :
«Un nouveau "momentum à la San Francisco" 1945 recréant les Nations-Unies ou même un sommet pour un ’nouveau Bretton Woods’ ne sont pas en mesure d’assurer la stabilité géopolitique et la prospérité du monde. Cette forme archaïque de pensée est un vestige égotique d’un monde mené par l’Occident. Plus fondamentalement, il s’agit même des restes d’un monde westphalien Etat-centrique. Eh bien c’en est fini. Nous sommes entrés dans un nouveau Moyen-âge : une ère ressemblant de très près au monde pré-westphalien d’il y a environ mille ans.
C’est cette période de l’histoire où l’Orient étant aussi puissant (voir plus) que l’Occident, les villes avaient plus d’importance que les nations, des dynasties et compagnies commerciales puissantes étaient le moteur de la croissance et de l’innovation, des mercenaires privés combattaient dans toutes les guerres, les croisades religieuses façonnaient les relations interculturelles, et les nouvelles routes terrestres et maritimes donnaient naissance à la (presque) première économie globale.»

L'oligarchie ne propose pas seulement quelques coupes budgétaires cruelles destinées à rétablir l'équilibre économique et à relancer la machine de production. Non, l'oligarchie recèle un programme de destruction des Etats-nations et leur remplacement par un modèle féodal postmoderne du monde. Cette oligarchie n'est pas un programme nouveau, mais l'adaptation postmoderne du féodalisme inégalitariste. Platon et Aristote nommaient ce programme
oligarchique, à cette différence près qu'Aristote entérine la forme politique la plus extrême de l'oligarchie, la tyrannie, quand Platon cherche un modèle républicain.
La référence au Moyen-Age cible non pas les périodes de progrès et de développement politique dans une vaste et méconnue période souvent tenue (à tort) pour obscurantiste et sombre; mais l'ère d'effondrement démographique et bancaire du XIVème siècle, suite à l'effondrement des banques dominantes en Europe, les banques lombardes florentines et vénitiennes mues par le système impérialiste, monétariste et commercial vénitien (dont est issu directement l'Empire britannique actuel).
Le modèle post-westpahlien fait référence au programme postmoderne de l'impérialisme selon Cooper et au féodalisme d'un conseiller de l'actuel Premier ministre britannique Cameron, un certain Blond. Si l'on veut une référence explicite à ce modèle, c'est le financier spéculateur Soros, qui est présenté par l'auteur indien Khanna comme un "investisseur-homme d'Etat", alors que les oligarques deviennent des références d'autorité niant la souveraineté des Etats-nations pour lui substituer l'horreur du fascisme orwellien (rien de moins) : "c’est une relation de pairs entre tous ceux qui sont quelqu’un."
On aura noté qu'être quelqu'un, c'est être un oligarque. Le modèle de l'oligarque Soros, qui est explicitement comparé à un prince florentin de la période précédant le terrible XIVème siècle, est le même impitoyable spéculateur qui a renversé plusieurs monnaies, dont la livre sterling, et qui se livre à l'apologie de la légalisation de la drogue et à l'apologie philanthropique du droit d'ingérence démocratique (où l'on voit au passage que ce droit n'est pas promu par les néoconservateurs américains, amis par leurs maîtres britanniques). Un Soros personnifie les pires traits de l'amoralisme oligarchique tels qu'ils sont théorisés à l'époque contemporaine par un Nietzsche (dont le programme de mutation ontologique dans le sensible, en alternative au nihilisme, n'a aucune chance d'advenir, ce qui revient à promouvoir le nihilisme entrevu et soi-disant décrié).
Quand Soros théorise le droit d'ingérence démocratique, il reprend de manière séduisante les théories de Cooper concernant les relations entre les fédérations impérialistes postwestphaliennes (comme l'Union européenne ou les Etats-Unis) - et les États considérés comme arriérés et archaïques : c'est la domination et le colonialisme qui sont la règle de l'ingérence démocratique. On en voit le résultat sinistre en Irak où l'on a détruit un État pour le morceler en plusieurs régions tribalistes et religieuses et pour mieux en piller les nombreuses richesses. Même programme en Afghanistan, qui est devenu depuis 2001 le premier État producteur de drogue dans le monde selon l'ONU (les théories de Soros se trouvant une fois de plus exaucées puisque l'ingérence démocratique se combine de manière paradisiaque avec la production de drogue sous contrôle des forces militaires occidentales).
D'une manière générale, le féodalisme implique la destruction des Etats-nations et leur remplacement par la régionalisation du monde, où les innombrables régions sont regroupées en fédérations administratives et antisouveraines (antidémocratiques et oligarchiques). Le modèle théorique de la régionalisation fédérée fut fourni par un Kohr pour l'Europe. On en voit, toujours en Europe, une application avec le démembrement de la Yougoslavie et son remplacement, sous couvert de démocratie, par des États toujours plus morcelés. Au final, le Kosovo est devenu un État se livrant à tous les trafics, parce que l'affaiblissement des États permet leur contrôle par des forces financières prédatrices.
Mais cette stratégie du chaos qui est la fin inavouable de la politique oligarchique ne peut surtout pas être promue et vantée par un Attali, ni même un Blond, sous peine de se retrouver discrédités et décriés (un Attali est d'ores et déjà démasqué en France pour son rôle au service des oligarchies, même si la dénonciation est encore trop timide). Il s'agit d'en rester prudemment (dans un bel élan d'euphémisme qui appelle l'amplification de la litote) à l'annonce de réductions budgétaires strictes et drastiques, ou, un degré en avant, au féodalisme futuriste maquillé en postmodernité (un terme qui ne veut rien dire). Pourtant, la politique du chaos est la fin de la destruction des Etats-nations et des manipulations autour de l'ordre postwestphallien avec un modèle historique vague (le Moyen-Age).
Si l'on se tourne vers les pays d'Afrique qui symbolisent l'état des nations arriérées et coloniales (colonisées), on découvre que la plupart de ces pays sont en train de s'embraser sous la forme de révoltes populaires travesties en révolutions colorées (comme en Tunisie) et en affrontements tribalistes donnant lieu à la partition géographique des pays. Cas du Soudan où le prétexte donné est la fin des conflits et la paix. Qui pourrait être contre un terme aussi fourre-tout que - la paix? La paix impériale ou la paix républicaine? L'instrumentalisation de la paix sert la stratégie du chaos, qui consiste à détruire toute souveraineté populaire pour mieux piller les richesses des pays.
Le Soudan offre un exemple éclatant de cette politique du chaos qui commence à être appliquée pour des raison vertueuses et perverses : on commence par exiger des réductions budgétaires, puis on lance le démembrement des Etats-nations sous couvert d'ordre pompeux postwestphallien, enfin on sème la guerre et la zizanie indéfinies, comme au Soudan. Et les théories d'un Cooper qui scinde l'ordre postimpérial en deux catégories (deux castes), les dominateurs et les dominés, les postimpériaux colonisateurs et les archaïques colonisés, est faux en ce que cette politique du chaos commence par être appliquée hors des territoires de l'Empire, mais finira toujours par revenir en Europe.
Le Soudan est un exemple de ce qui attend le citoyen occidental décérébré et obscurantiste qui croit que le plus sage est de s'amuser en attendant le naufrage (faire la fête sous la crise, comme variante du récent "Paris sous les bombes"). Entre les promesses d'un Attali et la réalité soudanaise, en passant par le maillon du féodalisme postmoderne et new age, la différence quantitative devient en terme dynamique de processus l'avant-garde de ce qui attend l'Occident. Si vous voulez prévoir stratégiquement le destin du coeur de l'Empire, regardez ce que subissent les périphéries de l'Irak, de l'Afghanistan, du Soudan, de la Tunisie, de l'Egypte... L'incendie ravageur se rapproche. Combien de temps allez-vous fermer les yeux? Tant que vous, citoyens occidentaux privilégiés et condamnés, refuserez de vous informer et d'utiliser votre cerveau à des fins intellectuelles et non plus pour des moyens hédonistes (le consumérisme, la fête et la contre-culture vidéo)?
A l'heure actuelle, la désinformation ne fonctionne plus en termes officiels. La prose d'un Attali et la rhétorique officielle en général sont discrédités à force de mensonge. Le parcours professionnel et politique d'un Attali, passé de la banque d'affaires au rôle d'intellectuel sophistiqué via le poste de conseiller privilégié du Président socialiste français Mitterrand, illustre la position du mensonge érigé en vertu - ou comment l'empoisonneur devient le médecin antipoison. La propagande implique que l'on utilise les circuits de la subversion. C'est ainsi que le linguiste américain Chomsky devient l'intellectuel mondial numéro un et le contempteur absolu de l'impérialisme américain.
Un Meyssan, exilé au Liban pour avoir dénoncé l'imposture de la VO du 911, ajoute à cet impérialisme d'obédience américaine l'inflexion de l'idéologie internationale sioniste centrée autour de l'Etat d'Israël. Il n'est pas question de suivre les hyènes du journalisme occidentaliste dans leurs calomnies contre Meyssan, car vu la vitesse à laquelle l'impérialisme britannique s'effondre, la propagande médiatique qui le soutient n'en a plus pour très longtemps - Meyssan passera bientôt pour un résistant au désordre mondial érigé en nouvel ordre. Par contre, si un Meyssan n'est pas un néo-nazi étrange et postmoderne (quand on s'intéresse à son parcours de radical de gauche), il n'est pas un informateur fiable au sens où il se contente de dénoncer l'impérialisme américano-sioniste. De même, Chomsky propose un modèle théorique d'unesimplicité abjecte quand on songe au statut dont il se prévaut au moins indirectement en laissant les éloges les plus flatteuses pleuvoir sur sa réputation déformée et entretenue.
L'imposture Chomsky illustre la dégradation de la condition intellectuelle de l'intellectuel depuis Voltaire. Voltaire était déjà une crapule ultralibérale illustrant l'avènement de la bourgeoisie d'affaires aux rênes du monde européen, un oligarque bourgeois passant pour progressiste parce qu'il s'est opposé à l'Ancien Régime aristocratique de tendance lui aussi oligarchique, un piètre penseur incapable de comprendre Leibniz ou Malebranche. L'intellectuel travaille pour le pouvoir qu'il dénonce. Cas de Voltaire (illustrant la simple passation de pouvoir entre l'aristocratie oligarchique et la bourgeoisie oligarchique); cas encore empiré de Chomsky (le gauchisme libertaire au service du libéralisme libertarien?). Pendant qu'un Meyssan dénonce la main américaine derrière la révolution colorée de jasmin en Tunisie :
http://www.voltairenet.org/article168223.html
un article de la larouchiste Freeman lève le voile sur la collusion entre les intérêts américains dominants du moment et l'Empire britannique. L'ambassadrice noire-américaine aux Nations-Unies Susan Rice, une proche d'Obama et de sa mentalité soft au service de l'Empire financier, représente typiquement cette génération de pions américains au service de l'oligarchie britannique que l'on idéalise par antiracisme. Rice au service onusien d'Obama le fantoche britannique applique au Soudan une politique d'impérialisme qui serait considérée selon les critères d'un Meyssan et de toute cette gauche antiimpérialiste américaine comme émanant de cercles américains. Depuis la guerre de Sécession, il existe aux Etats-Unis un combat historique entre les patriotes qui défendent les intérêts de l'Etat-nation américain (et de sa Constitution inspirée de Solon, comme Lincoln ou T.D. Roosevelt) et les intérêts impérialistes affiliés aux Britanniques (en particulier les Sudistes, dont la lignée politicienne des Bush pourrait représenter un avatar contemporain sinistre et dégénéré).
L'antiaméricanisme amalgame les rapports de force dominants dans la situation géopolitique actuelle : le combat véritable (et vérifiable pour qui veut s'informer) a lieu entre les intérêts impérialistes et les intérêts des Etats-nations à l'intérieur de l'Etat-nation américain - et pas contre les Etats-Unis impérialistes. La Rice d'Obama (proche en ce sens de la Rice de W.) est issue de fondations britanniques magnifiant l'action impérialiste de Cecil Rhodes (ce dirigeant de haut vol de l'Empire britannique de la deuxième partie du dix-neuvième siècle, qui donna son nom à la Rhodésie).
Ce n'est qu'en identifiant le véritable ennemi que l'on luttera contre ses méthodes pourtant assez transparentes. Sinon, on sombre dans les rets de la propagande qui consiste à retourner l'opposant à l'impérialisme en serviteur involontaire de l'impérialisme mal identifié (l'impérialisme américain incarne cette déformation contre-productive). Afin de confondre les anti-impérialistes américains professionnels comme Chomsky ou Meyssan, il suffira de citer cette chère Susan Rice, qui rappelle qu'on peut être noire, progressiste (hypocrite) et impérialiste. En 1999, recevant un énième titre honorifique à Oxford, l'université britannique où elle a commencé sa brillante carrière d'intellectuelle lancée en politique, en tant que spécialiste de l'histoire africaine de l'Empire britannique (à propos des initiatives du Commonwealth au Zimbabwe), Rice déclara : "Etre dans la maison de Rhodes ce soir avec tant d'amis et de protecteurs est un grand privilège. Pour moi, c'est comme rentrer chez moi car tout ce que je sais de l'Afrique, je l'ai découvert ici, je l'ai acquis grâce au soutien généreux du Rhodes Trust". Qui pense encore que l'Empire britannique n'existe plus? Le journaliste Quattremer, l'essayiste Meyssan, l'intellectuel Attali - ou vous?

vendredi 28 janvier 2011

Multiplicité

L'explication pour laquelle Aristote choisit politiquement le système tyrannique et oligarchique est ontologique. Aristote ne veut pas être un élève de Platon au sens où il serait un brillant mais énième platonicien. Il veut être original. Il arrive au moment où Platon a terrassé le monstre sophiste et il est un sophiste. En conséquence, il supplantera les sophistes. Un sophiste est un adorateur du fini qui en vient à postuler que l'infini est le néant. Aristote est de cette engeance. Pour verser dans la théorie sophistique, il convient de commencer par se trouver du côté des plus forts et des dominateurs.
Aristote vient de ce milieu oligarchique et sa mentalité nihiliste lui vient de son éducation d'oligarque. Quand on est nihiliste, on commence par être oligarque, alors que quand on est républicain on commence par être transcendantaliste. Dialectique inversée de la théorie et de la pratique. Les sophistes correspondraient aujourd'hui à peu près à l'ensemble du spectre de ces philosophes médiatiques qui ont pour particularité de sonner creux en présentant beau. Peut-être la médiatisation engendre-t-elle l'affaiblissement qualitatif des sophistes d'aujourd'hui; toujours est-il qu'Aristote dut être frappé de constater que le message des sophistes ne passerait pas la postérité et qu'il serait frappé d'interdit.
Aristote choisit de forger son chemin propre et opta pour le compromis : entre le platonisme, qu'il juge trop idéaliste; et la sophistique, qu'il estime caduque. Aristote forgera une méthode qui sera dénommée selon un néologisme : la métaphysique. La métaphysique exprime le courant nihiliste censée être enfin sensé - viable. Si ce n'est pas lui qui a choisi ce nom, il est fascinant de constater que les recherches ontologiques qu'Aristote propose ne sont pas appelées ontologiques parce que celui qui donne ce néologisme de métaphysique sait très bien qu'il s'agit d'une scission entre la démarche aristotélicienne et la méthode platonicienne.
Celui qui retrouve et édite les écrits d'Aristote se nomme Andronicos de Rhodes et prétend avoir suivi la découverte du bibliophile Apellicon. C'est le dernier recteur du Lycée fondé par Aristote en opposition à l'Académie platonicienne. Andronicos est soupçonné de manipulation, mais quoi qu'il en soit, La Métaphysique est un texte qui était connu par certains philosophes matérialistes, cyrénaïques ou héritiers des sophistes avant l'édition officielle et posthume. Aristote codifie une tradition lui donnant une cohérence interne inconnue avant lui. Telle est la richesse de la Métaphysique en tant qu'enseignement ésotérique, c'est-à-dire destiné à ceux qui voulaient s'adonner à la philosophie antiplatonicienne en antiontologique sans rééditer les erreurs des sophistes, de Démocrite d'Abdère et de leurs confrères.
La méthode platonicienne repose sur la dynamique. Le réel est infini et se nomme l'Etre. Aristote y oppose le savoir figé (le fixisme épistémologique) et la définition cardinale selon laquelle le réel est fini. Du coup, Aristote propose un nihilisme qui a pour particularité d'accorder à l'être des qualités métaphysiques. Par rapport à Démocrite d'Abdère, qu'Aristote lut de près, l'attention qu'Aristote accorde à la physique et à la recherche scientifique reprend la démarche des matérialistes, mais Aristote dote la physique d'une métaphysique, c'est-à-dire qu'il considère que la théorie unique prime à l'intérieur de la finitude (Démocrite considère que même l'être n'est pas unifiable). C'est l'innovation majeure d'Aristote par rapport à ses prédécesseurs les sophistes (au sens large).
Pour mener à bien sa révolution sémantique, Aristote propose comme nouveau concept (par opposition à l'idée) la multiplicité, non pas de l'être (Démocrite avait déjà accompli cette considération, et d'autres sages perses avant lui), mais du non-être. L'être est multiple parce que le néant est multiple. Si après cette considération Aristote n'est pas un innovateur nihiliste, qu'est-il? Historiquement, Aristote s'oppose à Parménide et au monisme de cette tradition ontologique que Platon corrigera tout en s'en inspirant (tout en la prolongeant) : pour Aristote, la rupture de sa métaphysique avec l'ontologie platonicienne signifie que l'on passe de l'Un platonicien au multiple de son cru. S'il y a plusieurs êtres correspondant à plusieurs non-êtres, la conception politique de l'oligarchie s'explique; mais aussi l'importance du savoir, en particulier scientifique : car l'objet scientifique consiste à connaître à l'intérieur d'un champ particulier et défini, d'où - à restaurer cette vision multiple et éclatée du réel.
L'importance accordée au scientifique implique que le projet métaphysique soit limité à la question de l'être. Aristote considère que l'évolution entre l'ontologie laissée par Platon et la métaphysique qu'il façonne, c'est le concept selon lequel l'unité de l'être est fondée sur la domination à l'intérieur de l'être, découlant de la multiplicité du non-être et de la fécondité de la puissance. Aristote pense vraiment (en toute candeur et démesure) que la science des sciences qu'il inaugure et codifie (cette métaphysique parachevant le dessein de l'ontologie) peut certes comporter quelques prolongements à l'avenir, mais sans grand changement par rapport à ses définitifs travaux. Aristote entend achever la métaphysique et tous les philosophes qui proclament ce dessein suspect d'achever la philosophie (à l'instar d'un Hegel bien plus tard) démontrent par là qu'ils proposent une conception finie et nihiliste du réel.
Dans une conception infinie et ouverte du réel, on ne peut pas achever un projet philosophique quel qu'il soit. Par contre, dans un projet fini, l'achèvement du projet est programmatique. Raison pour laquelle Aristote entend affirmer une nouvelle ontologie qui ne soit plus l'ontologie au sens platonicien et parménidien (et plus lointainement de l'initié aux mystères de la science ésotérique égyptienne Pythagore). Aristote pose les bases d'une ontologie compatible avec le projet oligarchique. Démocrite l'appelait mésontologie. De ce point de vue, Aristote fait oeuvre de pionnier, puisque tous les philosophes nihilistes avant lui ont échoué dans leur projet d'imposer sur la durée le nihilisme.
Pourquoi ont-il échoué? Parce qu'ils posent le problème en termes d'unité antagoniste. L'oxymore d'unité antagoniste aboutit à la dualité originelle entre être et non-être. Les nihilistes échouent face à l'ontologie parce que leur projet théorique est intenable : l'être contre le non-être aboutit à une théorie inepte (contradictoire). L'attrait du nihilisme tient à son affirmation selon laquelle le réel est compréhensible. Le défaut de la cuirasse platonicienne (étant entendu que Platon reprend en la poursuivant de manière originale une tradition égyptienne) est de proposer une théorie qui est plus cohérente mais qui est peu accessible (plus difficile).
Le nihilisme est plus faux, mais plus abordable (simple) que l'ontologie. Le projet métaphysique d'Aristote est révolutionnaire en ce qu'il prétend pour la première fois proposer une philosophie nihiliste qui soit viable et compatible avec l'idéal oligarchique. En tous points, Aristote légitime cet idéal. Il estime que le changement n'est pas dynamique et indéfini, mais fini, une bonne fois pour toutes (l'expression préférée de cet érudit contemporain et postmoderne de Derrida). La métaphysique désigne le projet qui se situe après le physique, mais avec la même conception pour l'après physique que pour ce qui est physique. La métaphysique est al science de l'après, quand pour Platon l'ontologie est la science de l'infini. Partant de l'expérience selon laquelle le physique est fini, fixe, figé, Aristote entend instaurer l'après physique comme figé et fini.
Considérer que ce qui se tient au-dessus du physique n'est pas transcendant au physique, mais sur le même plan, se situant après, implique que le terme d'après soit connoté d'un point de vue nihiliste. Après rapporte au même plan. Au plan d'immanence, dirait un Deleuze (encore un postmoderne). Le vocabulaire du nihilisme contient l'après, pas le trans-. L'ambition d'Aristote est de proposer enfin une version nihiliste qui tienne la route. Cette version est articulée autour de la multiplicité. Si l'on prend la mouture théorique d'un Démocrite (un obscur érudit associé à son maître Leucippe), le néant est défini comme le vide. Mais le nihilisme est rapporté au pur physique, sans aucune théorisation qui soit philosophique.
Si l'on prend Gorgias, l'emblématique sophiste propose pour la première fois (connue) une version qui soit cohérente du nihilisme. Alors que Démocrite se garde bien de trancher quant l'antériorité et la supériorité du non-êytre sur l'être, Gorgias explique tout par le néant, au prix d'une dissolution générale du sens dans le non-sens. En affirmant que l'être est non-être, Gorgias explique aussi que le sens est non-sens. Tel est le sophisme : accréditer le principe suprême de contradiction dans la logique. La cohérence n'est assurée qu'à l'intérieur de l'incohérence fondamentale, ce qui revient à instaurer un vice plus important encore et à faire de la rhétorique nihiliste un pur jeu.
L'on ne peut être cohérent qu'en promouvant l'incohérence : telle est la conclusion du discours de Gorgias. Aristote s'en souviendra. On peut estimer qu'il corrige l'erreur d'approximation de Démocrite tout en la modelant avec l'erreur d'incohérence du rhéteur Gorgias. Du coup, Démocrite qui n'explique pas pourquoi sa théorie physique est incohérente (le vide physique côtoie les atomes tout aussi fondamentalement inexplicables) passerait presque pour un philosophe plus sérieux que son alter égo, qui propose une théorie du nihilisme enfin cohérente - seulement cohérente d'un point de vue rhétorique. Peut-être Gorgias a-t-il pondu son Traité du non-être à des fins seulement rhétoriques, étant entendu que le sophiste se fait fort de tout démontrer d'un point de vue simplement rhétorique.
Aristote comprend qu'il ne pourra jamais proposer une version cohérente de son parti oligarchique reposant sur le nihilisme, mais qu'il peut dépasser l'incohérence viscérale et inacceptable de Démocrite et des nihilistes antiques en proposant une version nihiliste qui soit cohérente à l'intérieur de l'être. La ruse est de reculer l'incohérence en la faisant passer au non-être, soit en confondant être et intérieur de l'être (si l'être est fini, il possède un extérieur qui est le néant). Le passage de l'être au non-être signale l'incohérence du nihilisme, mais Aristote estime que le plus important est accompli, puisque la cohérence de l'être est assurée et que le principal mérite du nihilisme revient à réduire l'être au réel seul. Peu importe alors que le néant soit incohérent, puisque l'incohérence se retrouve annihilée.
Raison indirecte pour laquelle Aristote craint tant la définition platonicienne du non-être comme l'autre : si le non-être est l'autre, alors le non-être est - l'incohérence du non-être contamine la cohérence de l'être. Alors que si le non-être devient le faux, selon la position mensongère sciemment d'Aristote (l'élève de Platon ne peut ignorer une des principales innovations du système platonicien par rapport à Parménide et à ses prédécesseurs), le non-être n'est pas - et l'incohérence est possible.
Telle est la révolution d'Aristote : définir l'être comme la réduplication au niveau métaphysique (soit pour le discours ontologique réservé à l'être seul) de la multiplicité du non-être. Pour la postérité, Aristote passera pour un esprit théoriquement cohérent, qui propose enfin une vision logique de l'être. Aristote est la maître de la logique. Ce serait vrai si l'on précisait qu'il s'agit de logique finie. La réputation d'Aristote est d'être un théoricien pragmatique qui se montre proche du réel sensible et expérimental et qui promeut la science (à notre époque, cette position se trouve d'autant plus appréciée qu'elle a inspiré les principales revendications immanentistes).
Les faiblesses reconnues à Aristote par rapport à l'héritage platonicien reposent sur un point de vue théorique plus générale, mais en même temps moins accessible. L'avantage de Platon serait d'être plus profond, mais moins clair. Aristote serait plus proche, mais moins profond. C'est ce qui ressort de l'examen des propos rapportés qu'Aristote tient sur le lien entre non-être et être : d'un côté, il explique la multiplicité de l'être par le non-être; de l'autre, il n'explique pas fondamentalement la multiplicité du non-être, puisqu'il affirme de manière péremptoire qu'il y a de la multiplicité dans le non-être.
Cette manière d'affirmer sans démontrer indique la mauvaise foi d'Aristote - et le fait que son nihilisme repose au fond sur le contradictoire. Le génie d'Aristote consiste à avoir repoussé d'un cran la contradiction et l'incohérence - à les avoir repoussées dans le non-être, lieu de l'indécidable. Coup double : Aristote passe pour le maître de la cohérence de l'être et pour le promoteur du réel proche, pragmatique et simple. Même si par ailleurs, on peut reprocher à Aristote de dissoudre la profondeur de sa théorie dans une approche superficielle de l'ontologie, ses mérites sont importants (il constitue une source d'inspiration pour la théologie chrétienne au pont de la figer en scolastique).
Seconde mauvaise foi : Aristote qui fut un élève assidu de Platon déforme sciemment la théorie ontologique du maître. Il explique posément, de manière consciente, que pour les platoniciens, le non-être est intégré dans l'Etre en tant qu'il signifie le faux. Or cette affirmation est réductrice : le non-être chez Platon exprime le changement - c'est à ce titre seulement que le changement contient en son sein le faux. Raison pour laquelle Aristote déforme Platon : si le non-être est le changement, alors le nihilisme n'est plus de mise (pour la raison invoquée au-dessus).
Si le non-être est le faux, le faux en tant que puissance négative et sens négatif renvoie in fineau néant. Plus lointainement, l'Etre étant indéfini, il ne détruit pas totalement la tentation nihiliste. Au contraire, il la rétablit insidieusement, dans une sorte de match nul : car si l'Etre est indéfini et semble incarner une position faible, il permet une construction théorique qui délivre une construction pratique. Bizarrement, la théorie très absconse de l'Etre se trouve validée indirectement - pratiquement. Le nihilisme ne peut rien objecter d'autre sinon que lui non plus se trouve incapable de définir le néant (non-être) comme l'être.
La théorie de l'Etre est valide même faiblement en ce qu'elle autorise le dépassement de la contradiction, alors que le nihilisme semble présenter quelque avantage parce qu'il encourage la contradiction. Le contradictoire ramène à l'état initial du faire (du néant), d'où l'impression de proximité; et révèle la structure non linéaire et non homogène du réel, même de manière fausse et déformée (le réel est structuré en enversion, pas en antagonisme). La multiplicité permet de légitimer la contradiction, en la faisant reculer de l'être (défini comme non contradictoire et cohérent) au non-être (défini comme multiple et contradictoire).

jeudi 27 janvier 2011

Le réalisme du nihilisme

Souvent, la réputation qui est faite aux nihilistes est d'accorder une considération de premier ordre au réel. Pourtant, le nihilisme finit toujours par détruire le réel. Comment expliquer ce paradoxe où ce qui détruit le réel exprimerait - le réel? Le nihilisme incarne le mouvementoriginel de la pensée consistant à réduire le réel à sa partie la plus immédiate, puis à décréter que cette partie est l'ensemble du réel, avec une particularité : le réel est total. La connaissance intégrale est possible puisque le réel total est découvert.
La réduction théorique précède la totalisation, si l'on préfère. La totalisation soi-disant valide et valable exprime le totalitarisme ontologique. Ce n'est que par suite de la question de la totalité que surgit dans la mentalité nihiliste la question du néant : le néant vient combler le réel total et indiquer la faillite du raisonnement nihiliste. Mais le vice est présent dès le début du positionnement nihiliste : c'est suite à la reconnaissance du néant pur que l'on peut postuler que le réel = immédiat/apparence. Le nihilisme n'est pas conscientisé dès le départ du raisonnement, mais surgit après l'intuition du réel total.
L'erreur consiste non pas à accréditer la thèse du néant, mais à accréditer la thèse du sens premier. D'une certaine manière, le nihilisme est littéralisme. Ce n'est que suite à l'erreur littéraliste que l'on en vient à édicter, toujours implicitement, le rôle nécessaire du néant. C'est la croyance selon laquelle ce qui est premier est le réel - qui engendre le nihilisme. La plupart des nihilistes n'agissent pas par conscience et appétence du nihilisme, mais par dégoût de l'incompréhension qu'engendre leur idée, au départ séduisante et novatrice, de l'immédiateté.
Comprendre le réel implique que le réel soit compréhensible (donné une bonne fois pour toutes). Or le réel est incompréhensible et incomplet, à tel point que le sens part du littéral pour aller vers le figuré - dans ce schéma où le sens affronte l'incomplétude, le nihilisme ne conserve que le littéral du réel, quelque chose comme le littoral des côtes. Les nihilistes n'accordent d'importance au réel que dans la mesure où ils le défigurent. Aristote dans un fameux tableau pointe le doigt vers le sol comme si sa démarche philosophique se préoccupait de problèmes concrets et de questions pragmatiques (alors que son maître et ennemi Platon se trouve dans ce tableau emblématique de la réputation ontologique attiré par le ciel de l'idéal). Aristote est bien entendu le plus prudent et le plus profond des nihilistes antiques, que l'on pourrait subsumer sous le vocable de sophistes (quoique les nihilistes de cette époque ne se retrouvent pas tous sous ce terme, tant s'en faut).
La réputation d'Aristote, en tant que philosophe préoccupé par le réel plus que par l'idéal, ne tient pas la route si l'on s'avise que la réputation d'idéaliste de Platon s'accompagne du titre deprince des philosophes. Comment expliquer qu'un philosophe qui serait versé dans les études chimériques et éthérées soit tenu pour le prince des philosophes - un penseur d'une telle importance qu'un logicien britannique peu suspect d'admiration à son endroit a expliqué que la philosophie occidentale postplatonicienne se résumait à une suite de notes en bas de page d'un de ses écrits?
Le réalisme prêté au nihilisme consiste à réduire le réel à la catégorie la plus immédiate du sens : le littéral, le premier. Réalisme très particulier, réalisme défiguré et fort peu figuré. Réalisme contradictoire et mensonger, si l'on veut. On partirait de l'idée selon laquelle le réel vérifiable est le réel immédiat et l'on arriverait à l'idée selon laquelle seul ce réel existe. Raison du culte que les nihilistes vouent à la simplicité et du fait que cette simplicité mensongère débouche sur l'adoration paradoxale du savoir le plus érudit et de l'affectation la moins simple. La réputation trop élogieuse de simplicité et de réalisme débouche le plus souvent sur ce qu'il y a de moins réel et de plus destructeur. C'est ce que reprochait déjà Platon aux sophistes - des monstres froids de savoir qui hors de leur champ de savoirs considérables confondent le savoir et la connaissance.
Or le prolongement conséquent du savoir n'est pas la connaissance, mais - le néant. Que le néant repose sur le déni implique que le réel n'est pas formé par prolongement et englobement, dans une figure qui serait incomplète, mais aisément complétable - il suffirait de poursuivre ce qui est donné pour obtenir ce qui est réel. Il faut que la structure du réel repose sur le mystère, soit sur ce qui ne peut se poursuivre. La structure du réel n'est pas explicitement devinable. Scandale pour un nihiliste.

mercredi 26 janvier 2011

Le monde du sophiste


Le sophisme consiste à réfuter les différences au nom de l'antagonisme initial entre être et néant. Soit c'est différent, et au fond c'est rien; soit c'est de l'être, et au fond, c'est toujours la même chose. Un bel exemple de sophisme nous est donné à notre époque fin de partie par les propagandistes officiels du système, qui prennent le nom de journalistes pour nous déverser sans honte la gloire inconditionnelle et désaxée du système moribond. Ainsi s'ingénient-ils contre l'évidence à nous seriner que la VO du 911 serait vraie au nom de l'absence de vérité et que toute contestation relèverait d'une déviance mentale estampillée, le complotisme (ou conspirationnisme).
Un journaliste intervenant sur le plateau de l'animateur mondain français Durand nous explique sans rire qu'il serait naïf parce qu'il soutiendrait sans sourciller la VO du 911. L'emploi du terme naïf est bien choisi : il exprime le caractère non pensé de la position choisie. En l'occurrence, si le dénommé Bonnaud n'a pas pensé son soutien à la VO du 911, on peut comprendre son erreur manifeste et fracassante. Mais alors, même avec cette excuse, il se moque des téléspectateurs : car s'il n'a pas pensé le 911, que nous abreuve-t-il de son avis à l'emporte-pièce?
Bonnaud fait face à l'animateur cynique et sinistre Ardisson et l'on se demande qui des deux larrons présente la mine la plus atterrée. Ardisson a l'air d'un zombie; Bonnaud d'un clown. Entre les deux, le bal de l'hypocrisie a déjà commencé. Au lieu de nous donner à entendre des avis plus autorisés, comme celui du journaliste d'investigation Eric Laurent, le choix d'un Durand est emblématique de la dissimulation qui règne dans les médias français : toujours choisir des jugements incompétents et triviaux parmi des peoples.
Le cas d'Ardisson est un exemple grotesque, car si Ardisson personnalise la liberté d'expression jusqu'aux interdits brisés, autant arrêter de suite les frais. Ardisson est pour la liberté d'expression à condition qu'elle fasse scandale et qu'elle s'accommode de la loi du plus fort. Mais Bonnaud qui est moins influent qu'Ardisson et qui pratique une sorte de surenchère irresponsable n'hésite pas à verser dans le sophisme le plus grossier. Pour répondre aux doutes d'Ardisson, il se livre à une démonstration totalement théorique, dans le pire fil de la tradition cartésienne la plus contestable : sous prétexte de faire usage d'esprit critique, n'aborder les hypothèses que de manière abstraite et éthérée, de telle sorte que le juge est certain de se tromper, au mieux d'en rester à des banalités informelles.
Bonnaud qui soutient sans conidtion la VO archi fausse du 911 selon une approche a prioriste se condamne à se tromper de la plus certaine des manières :
"Mais rien ne m'étonne dans cette histoire puisque comme c'est un événement, par essence il est étonnant! C'est ça, l'histoire du conspirationnisme. C'est que comme tout événement, ça n'aurait pas dû avoir lieu, comme tout vrai événement, et justement ça a eu lieu... A partir de là, on peut délirer, mais..."
Coupons ici la prose insipide de Bonnaud, le terroriste de la pensée qui terrorise les journalistes. Bonnaud illustre vraiment la mauvais esprit cartésien qui en France pousse le soi-disant intello de télé à prouver une expérience de manière tout à fait abstraite. Du coup, outre qu'il n'y aura jamais aucune vérification pour un propos aussi charlatanesque, surtout, c'est le meilleur moyen de glisser l'erreur dans l'absence de vérification.
Quelle est l'énorme erreur que contient le propos de Bonnaud? Elle se situe quand il énonce pompeusement qu'un événement est étonnant. L'événement est ce qui advient. N'en déplaise à Bonnaud, un événement est donc la normalité dans le cours du réel. Ce qui peut être tenu pour étonnant n'est pas qu'il y ait des événements, mais que des événements soient. Propos d'un Platon, mais Bonnaud illustre le glissement du sens vers la mentalité immanentiste, qui consiste à s'étonner, non plus que les choses soient, mais qu'il y ait des choses. Engoncé dans l'immanence, on devrait s'étonner du caractère étonnant de l'événement immanent.
La démarche immanentiste de Bonnaud le condamnait de toute manière à l'erreur. L'étonnement dont il se réclame constitue une contradiction manifeste, puisqu'on ne peut s'étonner d'un événement à l'intérieur du déroulement événementiel. On ne peut s'étonner de l'événement qu'en tant que l'événement contient de l'être, soit qu'il existe une extériorité à l'événement.
Dans ces conditions, Bonnaud pratique le sophisme au sens platonicien puisqu'il abolit la différence entre l'extraordinaire et l'ordinaire A l'en croire, tout devient surprenant à l'intérieur de l'événement. Ce mensonge grotesque pourrait être interprété comme une manifestation d'imbécilité de Bonnaud, à notre époque de délitement social et culturel, où les diplômes scolaires et académiques délivrent une forme de mimétisme qui enseigne à bien répéter, mais qui conduit directement du mimétisme servile au mimétisme imbécile.
Rien d'étonnant par la suite à ce que Bonnaud, après avoir légitimé l'extraordinaire et coupé les barrières entre le normal et l'étonnant, explique benoîtement (naïvement, corrigerait-il) que l'étonnant est ce qui a lieu. L'étonnant est le nécessaire. On pourrait ironiquement lui suggérer que l'étonnant, c'est le détonnant, mais ce serait un vilain jeu de mots à propos du 911 (le naïf Bonnaud risquerait de ne pas comprendre). Le conspirationniste distinguerait des conspirations en réfutant le caractère étonnant et extraordinaire de l'événement. Le complotisme serait délirant au sens où il réfuterait la normalité de l'extraordinaire.
Bonnaud en est venu à un point de distorsion du réel où il raconte n'importe quoi. Il suffit de prendre la peine de décrypter son discours empli de non-sens, de contradiction et d'impossibilité pour se rendre compte qu'il procède par projection (comme la plupart des gens) : reprochant aux conspirationnistes de délirer alors que c'est son discours qui délire en amalgamant l'ordinaire et l'extraordinaire. Bonnaud se situe dans une tradition d'immanentisme conservateur à tendance extrémiste où l'on en vient à refuser le réel au nom de l'extraordinaire, alors que les conspirationnistes jouent le rôle d'immanentistes contestataires se rendant compte que cette stratégie jusqu'au-boutiste est suicidaire et qu'il faudrait en revenir à un immanentisme modéré reconnaissant que l'étonnant est l'anormal.
Bonnaud se présente comme un naïf, ce qui pourrait être interprété comme la reconnaissance tacite de son erreur, mais qui au contraire s'explique par sa conception immanentiste : il est naïf parce qu'il en reste à la surface des choses jusqu'à l'obstination obtuse. Un événement se caractérise par ce que l'on dit de lui, par ce qu'il nous montre immédiatement. Après, fermez le rideau. Le complotisme est déjà une hérésie, qui consiste à rappeler qu'il existe des possibilités que l'événement diffère dans sa production de la manière dont il apparaît en surface. Pourtant, le complotisme se situe dans la sphère de mentalité de l'immanentisme, mais d'un immanentisme plus progressiste que l'immanentisme infect et prétentieux qu'affiche un Bonnaud.
Le complotiste entend tout expliquer par des complots, soit en rester à l'explication par le désir, mais avec la reconnaissance que le désir peut être caché et anormal. Le complotisme reconnaît que le désir peut comporter des dysfonctionnements, quand le conservateur (même progressiste déclaré) comme Bonnaud réfute la possibilité d'un dysfonctionnement. Pour Bonnaud, l'idée de complot est intolérable parce qu'elle détruit l'agencement de son beau joujou. Portant, nous nous situons à une époque d'effondrement systémique qui devrait l'inciter à plus de prudence dans ses propos. Mais pareil aux plus zélés thuriféraires d'un système, il ne lui est plus possible de reculer.
Notre falot naïf a été trop loin dans la défense inconditionnelle du système en faillite pour être en mesure de faire marche arrière. C'est dommage pour lui, car les populations d'Occident, qui se sont compromises dans l'apologie taiseuse et hypocrite du système occidental (le libéralisme sous toutes ses formes), reconnaissent à une large majorité que le 911 est l'événement catalyseur qui marque le passage d'un système qui fonctionne encore à peu près à un système qui s'effondre et qui pour faire face ment effrontément. Les Américains savent maintenant dans leur tréfonds que la VO du 911 est un mensonge. Et un sondage en Allemagne traduit cette tendance de fond qui s'appliquerait peut-être à la France pourtant conservatrice et refusant de voir l'évidence :
http://www.reopen911.info/News/2011/01/25/90-des-allemands-ne-croient-pas-a-la-version-officielle-sur-le-119/
Presque 9 Allemands sur 10 réfuteraient cette version. Dès lors, on pourrait s'en prendre sévèrement à ces moutons veules incapables d'agir, qui, se rendant compte qu'on leur ment gravement, restent pourtant pétrifiés dans leur coin, à attendre piteusement le naufrage du navire dans lequel ils sont embarqués. Sans doute les populations occidentales, qui sont confrontées de plus en plus aux mensonges de leurs dirigeants élus et à la couverture médiatique propagandiste, ne disposent pas des moyens et des ressources pour empêcher l'effondrement systémique. Pour agir, il ne faut pas être un mouton. Ce n'est pas en bêlant qu'on fera s'éloigner les loups, à moins d'un miracle. Bonnaud croit aux miracles?

lundi 24 janvier 2011

Identité régressive

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/01/the-european-foreign-office.html

Un journaliste de la maison, spécialiste du problème de l'Europe, se lâche dans un blog officiel du quotidien Libération. A en croire ce papier dévastateur, la diplomatie britannique déciderait de la diplomatie de l'Union européenne, qui se trouve dirigée par la très intelligente et compétente baronne anglaise Ashton... Si personne ne discerne dans cette omniprésence diplomatique l'influence directe de l'Empire britannique, la mauvaise foi n'est pas loin. D'un côté l'Empire britannique domine les structures politiques par la City de Londres (domination financière); de l'autre, il travaille comme un cheval de Troie, en incrustant les Etats-nations et, mieux encore, les fédérations, qu'il escompte de nature administrative et non représentative : l'Union européenne, les Etats-Unis, quelques satrapies comme l'Arabie saoudite, Israël ou le Brésil.
Le but principal de l'impérialisme est de prendre le contrôle des Etats et des peuples, si tant est qu'on se souvienne que l'impérialisme est l'apanage exclusif de factions oligarchiques. Cette priorité s'est encore accrue depuis la constitution moderne des Etats-nations, précisément pour contrer le phénomène destructeur des guerres de religion, principalement mues par l'impérialisme européen (en particulier les exactions des Habsbourg). La domination actuelle des Etats-Unis par un principe impérialiste interne piloté depuis l'extérieur est historique : depuis la guerre de Sécession gagnée par les patriotes américains (ceux du Nord, contre les esclavagistes du Sud), cette lutte n'a jamais cessé. Elle est à l'oeuvre à l'heure actuelle de manière déterminante et espérons-le positive (pour les principes républicains assurant ledéveloppement de l'homme).
La fondation des Etats-Unis par des migrations européennes, si elle a détruit les peuples autochtones, était dictée par le rêve de fonder sur un territoire nouveau (sinon vierge) le projet républicain et antioligarchique : à l'époque, l'Europe se mourait sous la coupe des intérêts impérialistes et oligarchiques. Accéder au Nouveau Monde, c'était échapper à cet enfer et relancer le rêve d'une vie meilleure. Constater que de nos jours la diplomatie européenne se trouve sous la coupe de la diplomatie britannique, soit de l'Empire financier qui la dirige, c'est noter que les questions géopolitiques n'ont guère évolué depuis quelques siècles et que l'Empire britannique entend s'emparer du Nouveau Monde comme il contrôle l'Ancien.
Depuis la création des Etats-nations (1647), une lutte féroce a lieu entre le principe progressiste des Etats-nations et le principe fixiste et réactionnaire impérialiste. La création des Etats-nations a détruit l'ennemi direct, avec la dynastie Habsbourg, tout en développant le ferment impérialiste du côté de l'Empire britannique. L'Europe s'est constituée en une Union fédérale, sur une base politique dévoyée, sur la base économique, aux antipodes de l'Europe politique voulue par ses géniteurs (avec l'Europe des patries comme première mouture de l'Europe politique et non économique). Aujourd'hui, on peut se montrer opposé à l'Europe économique tout en se montrant favorable au projet de l'Europe politique. Ceux qui entendent faire croire qu'être contre l'Europe économique, c'est être contre le projet politique européen, sont des menteurs.
Le spectacle de cette fédération européenne antidémocratique et antipolitique tombée sous la coupe des intérêts impérialistes britanniques (via le Foreign Office) montre que nous nous trouvons confrontés à la menace d'une Europe impérialiste sous prétexte d'un projet de paix européenne. Ce qui se produit n'est pas l'américanisation du monde, mais l'oligarchisation de l'Amérique (et du monde). C'est en détruisant le premier Etat-nation que l'Empire britannique parviendra à asseoir son hégémonie sur le monde globalisé, soumis à son diktat de libre-échange de nature ultralibérale.
Ceux qui dénoncent sans cesse l'impérialisme américain et l'influence néfaste des Etats-Unis ne se rendent pas compte que leur schéma est simpliste : le schéma n'exprime pas un axe partant des Etats-Unis pour arriver en Europe (comme on l'entend dire souvent); mais un triangle entre l'Empire britannique, les Etats-Unis et seulement par la suite son retour en Europe. Le lecteur de cet article de Quatremer découvrira que l'hégémonie de la diplomatie britannique dans les affaires européennes ne peut être causée que par une influence supérieure (actuellement, de nature financière); mais encore, suivant la structure du coupable interne, que le vrai danger qui menace les intérêts vitaux de l'homme ne se situe pas de l'autre côté de l'Atlantique (pour s'exprimer en Français) -mais en Europe elle-même.
Le péril intérieur se trouve illustré par les écrits postimpérialistes du Britannique Cooper, un collaborateur de la baronne Ashton dans l'organigramme européen et un serviteur intellectuel de premier plan de l'oligarchie britannique. Quittons les rivages égarés et égarants de l'antiaméricanisme : le vrai danger réside dans les projets d'impérialisme européen, qui cachent la férule de l'Empire britannique. A ce titre, quand on dénonce (à juste titre) les projets néoconservateurs et atlantistes fomentés par des élites oligarchiques américaines comme le Projet pour un Nouveau Siècle Américain, on commet une redoutable inversion, puisque ces projets n'ont éclos aux Etats-Unis qu'à la suite de desseins de l'Empire britannique.
C'est la même erreur historique qu'à propos du CFR, organe de réflexion diplomatique américain de haute influence qui n'a pas engendré le RIIA britannique, mais qui découle des projets des élites (fabiennes notamment) de l'Empire britannique. Pourquoi les plus chevronnés observateurs ne se rendent-ils pas compte de cette existence destructrice et dramatique? Pourquoi personne ne révèle-t-il l'existence d'une entité impérialiste, qui du coup paraît assez fantomatique, voire fantasmatique? Pourquoi inrmine-t-on toujours, en guise d'identité, soit un Etat-nation dominateur comme les Etats-Unis, soit la réunion de cette Etat-nation avec une idéologie internationale comme le sionisme? On pourrait en guise de réponse poser une question : pourquoi n'a-t-on pas parlé de la Françafrique à l'époque où cette entité d'impérialisme financer existait - ou si peu? Pourquoi n'en a-t-on relaté l'existence que vers la fin de son action de prévarication?
Réponse : parce que l'identité des factions impérialistes n'existe pas - en termes d'identité moderne. L'existence implique la reconnaissance? D'une certaine manière - oui; mais : l'existence précède la reconnaissance. En l'occurrence, il convient de se diriger vers le piège que tend l'idéologie de la décroissance quand elle propose pour sortir de l'ornière économique actuelle de sortir de la croissance. C'est comme si on proposait le poison de la régression en guise de meilleure progression. L'existence ne signifierait plus : sortir de, mais : rentrer dans. Si l'on ne voit pas le nihilisme à l'oeuvre dans ce renversement de toutes les valeurs (pour parodier un immanentiste passablement dérangé, donc emblématique de son temps et plus encore du nôtre), c'est qu'on refuse l'existence qui se montre dérangeante.
Idem avec l'impérialisme par rapport aux Etats-nations : face au progrès politique représenté par la création de la forme Etat-nation (qui indique la fumisterie du concept physique d'entropie quand il est utilisé à des fins philosophiques), l'impérialisme impose une régression pour le coup entropique (au sens philosophique) où il cherche à figer le mode dans l'état où il est, voire à le ramener vers un état jugé plus viable (d'où les récriminations écologiques et criminelles d'organes d'influence de l'Empire britannique comme le WWF, qui réclament pour des motifs vertueux la réduction drastique de la population sous les 2 milliards d'individus).
L'identification est impossible car l'unité de mesure de la faction ramène à l'identité du féodalisme (promu par hasard par des théoriciens actuels de l'Empire comme Blond). Or le féodalisme est une construction qui est antérieure historiquement et régressive qualitativement par rapport à l'Etat-nation. Appeler à dépasser l'Etat-nation par des formes régressives est une aberration logique qui se retrouve dans le raisonnement décroissant, où l'on promeut en guise de progrès un progrès de formes régressives et inférieures (incapables de dépasser le modèle présent dénoncé pourtant comme condamné et caduc).
La mauvaise identification de la plupart des observateurs chevronnés s'explique parce que le modèle à incriminer est invisible. L'Empire est invisible, les factions sont invisibles. Pour rendre visible l'Empire invisible, il faut le démasquer en terme de processus historique et ontologique. La plupart des gens réfléchissant de manière tronçonnée et éparse, l'identification n'a aucune chance d'advenir. Même Quatremer semble sombrer dans l'éparpillement géopolitique, puisqu'il commence par constater l'hégémonie diplomatique britannique sur la diplomatie européenne et qu'il se contente, en guise d'explication d'un fait invraisemblable (comment l'Europe peut-elle accepter la loi du plus fort venant de plus faibles?), d'une explication causale inepte et insuffisante : le masochisme.
Explication pour le moins faible, des plus réductrices. Autant reviendrait expliquer un phénomène par une cause non pas étrangère, mais trop réduite pour être explicative. L'on n'explique pas un fait politique complexe (impliquant de nombreux ressorts institutionnels) par une cause psychologique ramenant le sens collectif vers l'archaïsme du désir (le masochisme et l'explication psychologique).
L'explication par la cause psychologique n'exprime pas seulement la déficience causale produisant une mauvaise explication et une mauvaise identification à cause d'une méthodologie trop frustre et trop factuelle (héritée du positivisme). La mauvaise explication ou mésinterprétation met en évidence la raison pour laquelle l'impérialisme peut continuer dans ce cadre complaisant à triompher : l'époque n'accorde d'identité qu'à la production de désir. L'explication psychologique n'expliquera jamais un problème politique (elle est trop courte et limitée), mais elle satisfait du moins le désir.
Par cette piètre explication (en l'occurrence le masochisme), si l'identification est défectueuse, du moins le désir se trouve-t-il contenté. L'échec de Quatremer l'observateur chevronné de l'Union européenne à expliquer l'hégémonie diplomatique britannique par l'appui supérieur de l'Empire britannique financier découle du soutien accordé par la mentalité immanentiste aux productions du désir. Ce n'est qu'à ce prix qu'on peut soutenir et refuser l'évidence : que l'impérialisme existe et qu'il passe par la promotion des valeurs féodales. L'identité suit les caprices des modes. La mode immanentiste empêche d'apercevoir l'éléphant dans le magasin de porcelaine - l'Empire britannique dans l'Europe postimpériale.

samedi 22 janvier 2011

La jasmain

J'entends à la radio que l'on qualifie la révolte tunisienne de révolution de jasmin. Cette expression se révèle aussi creuse qu'inappropriée (le jasmin évoque la preuve d'amour). Si l'on veut en rester au stade du symbolisme, le jasmin, qui est l'emblème tunisien, désignerait aussi (surtout?) la tentation (féminine de surcroît). Je ne sais au juste si c'est cette signification qu'entendaient inspirer les concepteurs de cette révolution colorée, mais elle indique que non seulement le renversement politique tunisien n'est pas une révolution (il se trouve dénué de tout projet politique alternatif), mais qu'en plus cette révolution est manipulée par les mêmes concepteurs que ceux qui ont promulgué dans un passé récent les révolutions colorées.
Le financier Soros patronne des fondations caritatives (comme le Open Society Fund ou Human Rights Watch) qui militent pour le droit d'ingérence démocratique, soit le droit hypocrite d'apporter la démocratie à un régime considéré comme dictatorial. Au nom de cette stratégie qui remonte à l'avocat hollandais Grotius pour le compte de la Compagnie des Indes hollandaise (depuis lors associée étroitement à la Compagnie des Indes britannique ayant promu le libéralisme de Smith et consorts), les financiers opérant depuis la City de Londres (et son prolongement américain de Wall Street) financent des manoeuvres de déstabilisation politique au nom de fins vertueuses. Au risque de décevoir les enthousiastes qui pensent que le peuple tunisien a gagné en liberté depuis que le tyran Ben Ali a fui son pays, il suffit de considérer le parcours en exil dudit potentat pour comprendre que sa chute entre dans l'application de la stratégie du chaos de type mondial - avec pour particularité la subordination des intérêts néocoloniaux français sous la coupe (réglée) des intérêts britanniques.
Ben Ali a fui semble-t-il vers Chypre, puis a gagné sous protection saoudienne Dubaï avant de rejoindre le royaume saoudite. Autant dire qu'il se trouve sous la protection explicite de l'Empire britannique et que ceux qui réduisent l'Empire britannique aux Etats-Unis accomplissent une simplification abusive qui sera jugée sévèrement d'un point de vue historique. L'influence politique et diplomatique incontestable des Etats-Unis dans cette affaire ne peut être perçue adéquatement qu'à la lumière de la subordination du gouvernement américain aux intérêts financiers de Wall Street - et des intérêts financiers de Wall Street à ceux de la City de Londres.
Le fait que les propagandistes des médias occidentaux appellent cette révolution d'un nom évoquant la tentation se révèle d'un cynisme infâme : il est encore pire de créer des conflits et des divisions insolubles que de soutenir un pouvoir dictatorial. Pas question de soutenir un despote sanguinaire de la trempe de Ben Ali - ou l'impérialisme français contre l'impérialisme britannique; toute cette génération grotesque de tyrans arabes née de la décolonisation saute à chaque fois qu'elle s'oppose à la stratégie de l'Empire britannique : Hussein a été pendu après avoir servi les intérêts britanniques et américains dans la guerre contre l'Iran (déjà un cas patent de division sanglante sans fin).
Le fond de l'affaire réside dans la compréhension des mécanismes de la stratégie du chaos : on instaure le chaos en lieu et place de la continuité de la paix de Wetsphalie. La stratégie impérialiste française s'inscrivait dans cette ligne wetsphalienne, certes de manière hypocrite et oligarchique; alors que la stratégie de l'Empire britannique en plein effondrement consiste à instaurer le chaos partout hors de l'Occident (Etats-Unis et Union européenne). Cette stratégie fut consignée par le théoricien Cooper, actuellement proche de la baronne Ashton.
Cette conception stratégique estime qu'il existe des Etats-nations évolués qui ont le niveau d'intégrer l'ordre postwestphalien de fédérations impérialiste - et les Etats qui seront dominés et pour lesquels les règles de droit d'ordre démocratique et libéral ne s'appliquent pas. C'est cette conception qui se trouve appliquée à l'heure actuelle, en Tunisie comme ailleurs. Le plus pernicieux revient à penser la soi-disnat révolution de jasmin tunisienne de manière isolée, déconnectée de l'ensemble des soulèvements chaotiques qui se produisent un peu partout dans le monde.
On oublie que l'une des causes de la révolte tunisienne fut la hausse spectaculaire des produits alimentaires. Cette cause se ressent plus fortement sur les marchés des pays pauvres ou émergents, mais elle affecte l'ensemble du monde. Les multiples soulèvements troubles ou partitions de pays qui se manifestent actuellement dans différentes régions d'Afrique rejoignent le même processus que l'épisode tunisien. Dans tous les cas, le but visé consiste non à imposer un nouvel ordre en lieu et place de l'ancien ordre (que l'ordre nouveau soit supérieur ou inférieur), mais à semer le chaos et la zizanie.
C'est la politique stricte appliquée avec un cynisme et une perversité en Afghanistan ou en Irak. C'est cette même politique qui fut appliquée au Congo-Kinshasa et dans tous les pays qui se trouvent sous administration britannique (quand on parle de l'impérialisme américain, on désigne de manière réductrice cet impérialisme britannique véritable et vérifiable). La politique du chaos profite aux factions impérialistes qui ont les mains libres pour perpétrer leur appétit de prédation. Détruire les institutions et les Etats au nom du changement et les remplacer par des conflits sans fin, sur le modèle du conflit israélo-palestinien (initié par les désaccords de Sykes-Picot).
Si l'on peut souhaiter que la Tunisie (et son peuple) connaisse un progrès politique marqué par la démocratie et surtout la république, il est fort à craindre que le départ du tyran Ben Ali signifie moins la fin de la dictature que le début de la politique du chaos. On jouerait sur l'enthousiasme populaire galvanisé d'avoir enfin renversé le régime dictatorial et corrompu de Ben Ali pour imposer un nouveau régime, peut-être moins dictatorial en apparence, mais tout aussi corrompu dans le fond. Le régime Ben Ali laisse entendre que c'est l'impérialisme qui s'effondre, dans cette région du Maghreb comme partout en Afrique, alors que c'est seulement la passation de pouvoir entre les intérêts francophones et les intérêts britanniques.
Las! La vérité se révèle plus sinistre : les intérêts françafricains sont engloutis sous la coupe encore plus impérialiste de l'impérialisme britannique en pleine déconfiture. D'où les heurts et les massacres qui expriment l'ajustement de l'impérialisme à sa situation désespérée. Diviser pour régner est le slogan de l'impérialisme (on mesure l'application littéraliste avec le programme de démembrement géographique et et ethnique des pays). Plus l'impérialisme s'effondre, plus il accroît cette tendance. Un article récent du journaliste français Quatremer
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/01/the-european-foreign-office.html
dénonce (avec raison) la mainmise du Foreign Office britannique sur la diplomatie européenne. Quatremer omet juste de poser la question fondamentale qu'induit l'ensemble de son raisonnement : comment expliquer que cette hégémonie fonctionne?
Le masochisme français (ou allemand) n'explique pas tout. L'explication psychologique par la fascination est insuffisante. Les autres diplomaties européennes ne se soumettent que parce que la diplomatie britannique se trouve investie d'un pouvoir supérieur. Dans le monde actuel, le pouvoir supérieur est détenu par les financiers, dont le centre se situe à la City de Londres.
Quatremer nous apprend que dans l'organigramme de la diplomatie européenne, la région du Maghreb échappe désormais à la diplomatie française et passe sous le giron hégémonique de la diplomatie britannique. Quel meilleur symbole pour expliquer ce qui se produit à l'heure actuelle dans certaines régions francophones : passage de l'impérialisme français soumis à l'impérialisme britannique aussi dominateur que moribond; application des théories de Cooper à propos du postimpéralisme piloté depuis la fédération européenne (via son relais américain et non l'inverse) et soumettant à sa loi implacable les Etats tenus pour coloniaux et arriérés - cas de la Tunisie entre autres?

Savoir connaître

S'il est catastrophique d'accorder de l'importance au savoir pur et finaliste, dans une forme d'académisme exacerbé, il est encore plus pernicieux, vicieux et bête, dans une forme de réaction, de prêcher pour le culte de l'ignorance, de l'obscurantisme, voire d'une espèce de différence qui se montrerait égalitariste dans la mesure où elle rétablirait la fin du savoir pur sous couvert de respecter tous les types de savoir au nom de leur différence. Au passage, cette différence censée résoudre le problème de l'inégalitarisme ne rétablit le savoir pur que dans la mesure où elle est d'inspiration nihiliste (ce dont l'affirmateur de la différence pure ne se rend pas compte).
La première critique qui vient quand on constate la ruine de ce qu'on nomme les savants et qui signifie rien moins que les élites du savoir, c'est la critique classique (platonicienne via son Socrate) à adresser à ceux qui en savent beaucoup, mais qui ne savent pas qu'ils ne connaissent pas. La critique du savoir s'opère à partir de la supériorité de la connaissance sur le savoir - pas de l'ignorance. La différence entre connaissance et savoir? C'est le contact (la rencontre) entre fini et infini. Le nihilisme recoupe cette distinction en ce qu'il tient la connaissance pour illusoire, quand il prise l'érudition la plus académiste.
La connaissance désigne le fait de subordonner le savoir à l'infini, ce qui implique que tout savoir soit d'expression finie. Ce n'est pas le savoir qu'il faut critiquer, mais le savoir pur ou l'académisme : le fait de considérer que la fin du savoir est finie - par conséquent que la connaissance n'existe pas différemment du savoir, soit qu'il n'existe que du savoir. La connaissance pourrait à la limite désigner le savoir le plus haut. On tombe alors dans les dangers du nihilisme, qui prône l'érudition la plus poussée, à condition qu'elle s'intègre dans la négation de la connaissance. Le modèle du savoir pur est celui du nihilisme.
Ce n'est pas contre le savoir qu'il faut en avoir, mais contre le pédantisme consistant à tenir le savoir pour l'expression la plus haute de la connaissance. Tout savoir fini reste fini, aussi important et élevé soit-il. L'académisme ou le pédantisme réduisent et rabaissent la connaissance au rang du savoir, alors que le propre de la connaissance tient dans sa dynamique : connaître, c'est situer le savoir par rapport à l'infini; c'est aussi rappeler que le propre de l'homme, c'est de savoir dans l'infini (connaître), pas de savoir dans le fini (aussi important soit ce savoir).
On mesure pourquoi les nihilistes de toutes époques et de toutes tendances ont valorisé si fortement le savoir : parce qu'il était compatible avec la définition du réel comme fini et même qu'il valorisait cette définition. Gorgias était un des plus remarquables érudits de son temps. Aristote aussi. Spinoza fut un marginal fort savant. Idem pour Nietzsche, qui commence par une carrière de philologue virtuose, avant que la maladie (d'ordre psychiatrique?) ne le mette socialement de côté. Maintenant que l'on a défini le danger du pédantisme et de l'académisme, ce pédantisme est-il ontologiquement plus destructeur que l'ignorance?
Le goût un brin incohérent pour l'ignorance ressortit de l'obscurantisme. Le pédantisme et l'obscurantisme se rejoignent quant à leur fondement initial : le nihilisme. L'obscurantisme tend plus directement vers le néant, quand le pédantisme exerce la domination sociale et intellectuelle sur l'obscurantisme. La haine de l'obscurantisme envers le savoir ne peut que contenir en son sein la défaite, quelles que soient ses protestations : la haine contient la négativité, sans aucune positivité, tandis que le pédantisme contient la positivité de la domination finie.
Si socialement, on aurait tendance à charger trop sévèrement le pédantisme et à dédouaner l'obscurantisme au nom de sa faiblesse, sans mettre à jour le lien consubstantiel et souvent pervers de leur relation spéciale, à l'examen, c'est l'obscurantisme qui est le plus à blâmer. Dans la loi du plus fort qu'induit toute définition ontologique finie, la domination repose toujours sur le plus grand nombre. Il faut beaucoup d'obscurantistes et d'ignares pour former l'aréopage élitiste des élus (les cercles oligarchiques).
Le soutien des pédants repose sur la haine à première vue dirigée contre les choses de l'intelligence des obscurantistes. et si l'on s'étonne de ce paradoxe qui voit la victime soutenir son bourreau alors qu'elle professe le détester et le renverser, le système libéral se trouve aujourd'hui soutenu au premier chef par ses membres les moins favorisés - et pas du tout par ses élites dominatrices, qui seront les premières à quitter le navire et à tenter de se recycler dans les nouvelles formes alternatives, violentes ou changeantes.
Ce soutien de l'obscurantisme au pédantisme enferme ces deux catégories à l'intérieur du champ du savoir pour les opposer à la connaissance. Dynamique contre fixité. L'acquisition de la connaissance n'est pas incompatible avec le savoir; tout au contraire, la connaissance présuppose le savoir tout comme le contenant implique le contenu. Mais l'état de finitude n'est pas viable sans l'infini. De même, la connaissance se montre supérieure au savoir. L'illusion funeste du pédant est d'estimer que le plus savant est celui qui connaît, alors que cette erreur d'optique ramène l'infini au fini.
Quant à l'état de l'obscurantisme, il renvoie nécessairement à la finitude. C'est dans le système oligarchique que l'on a besoin d'une majorité d'obscurantistes dominés par une élite de savants (que les obscurantistes haïssent en tout aveuglement, et avec le profit objectif des maîtres, ce qui explique l'expression d'idiot utile). Les obscurantistes sont incompatibles avec le principe de la connaissance : car si l'obscurantisme est l'allié utile du pédantisme qu'il hait mais qu'il sert, la connaissance implique la destruction de l'obscurantisme et de l'ignorance et la progression du savoir au nom du progrès qualitatif (anti-entropique).

mercredi 19 janvier 2011

Sociologie du drogueur

"En toute honnêteté, lequel d'entre nous, directeur de thèse n'a pas laissé passer de tels "dérapages"? (…) Il ne faudrait pas que cette thèse serve de prétexte à un nouveau règlement de compte contre une des diverses manières d’envisager la sociologie. (…) Est-ce que cette thèse n'est pas un simple prétexte pour marginaliser un courant sociologique, et disons-le crûment, pour faire une chasse à l'homme, en la matière contre moi-même?"
Michel Maffesoli, à l'occasion de son soutien en tant que directeur à la thèse plus que controversée de l'astrologue-sociologue Elisabeth Teissier, ancienne conseillère de Mitterrand.

Je regarde l'émission Ce soir ou jamais du lundi 17 janvier qui répercute la montée du fascisme (appelons-le alterfascisme ou néo-fascisme pour le distinguer du fascisme historique en tant que l'histoire n'est pas répétition linéaire) en France. Le nationalisme monte quand la crise libérale survient, et comme nous affrontons une crise terminale irréfutable du libéralisme, nous allons affronter des formes de fascisme extrêmes, qui espérons-le en resteront au stade des promesses non tenues.
Nous avons subi des mesures xénophobes limitées en France; des mesures d'austérité inconnues en Grande-Bretagne; des mesures eugénistes aux Etats-Unis avec en prime le gouvernement Obama encadré par la meute des libertariens. Preuve de la montée de l'extrémisme nationaliste en Occident, nous assistons sur des plateaux de télévision française représentatifs de la mentalité oligarchique montante à la présence deux représentants plus ou moins attitrés et atypiques de l'extrême-droite française :
- Alain Soral, ancien communiste stalinien, désormais alternationaliste déclaré, ex futur ancien du FN, qui s'occupe d'un think tank alternationaliste ayant pour charge partielle d'encourager l'accession au pouvoir des idées nationalistes (ce rôle n'est pas uniquement dévolu à un seul organisme, mais l'association politique participe de ce but, qui dépasse de loin les simples prétentions politiques du FN ou de sa récente dirigeante Marine Le Pen, expression oligarchique et dynastique de la fille de son célèbre père poujadiste).
- Alain de Benoist, intellectuel prolifique et protéiforme, autodidacte pontifiant, qui vient des courants païens et nationalistes du GRECE (issu de la mouvance Jeune Occident d'un Venner) et qui se rapproche tout doucement de la gauche la moins collectiviste et la plus ultralibérale, via notamment des thèses assez opportunes, sinon opportunistes, autour de la décroissance.
Soral sur le plateau comme ailleurs se comporte en élève attentionné du vieux mentor idéologique, comme si la proximité de leur parcours (rassemblement de la gauche et de la droite libérales autour du nationalisme tout aussi libéral, malgré ses dénégations récentes et superficielles) encourageait la proximité de leurs engagements idéologiques aussi courageux que violent. Dans ce duo, Soral occupe le terrain du bretteur-provocateur, quand Benoist joue au modéré relatif, certes plus fin et plus madré que son élève qui s'égare à force de vitupérer hors de propos.
Sans verser dans la démagogie renversée,
sur le plateau
leurs interventions ne furent pas les plus étranges ou repoussantes malgré leur pédigrée inquiétant d'extrémistes surgissant au milieu de la crise. Qui serait le plus répugnant politiquement et moralement dans cette réunion de vampires où un sarkozyste pavoise avec une cocotte coco-bobo manifestement dépassée par les événements en cours, tandis qu'une agrégée formatée en journaliste-intello est venue briller en société?
Un certain Bernard Stiegler apparaît de visu comme le plus intelligent de ce bal des vampires. Tous ces donneurs de leçons méprisent de manière cassante Soral, comme s'ils pouvaient mépriser le populisme sauce nationaliste, sans se rendre compte qu'ils l'adoubent de par le lieu d'où ils se placent pour dominer - qui ne peut être que la posture oligarchique.
Le pire n'est pas l'intervention théâtrale de Jacques Rancière, qui descend tel un expert oligarchique de son olympe intellectuelle pour entretenir le téléspectateur de philosophie politique, mais du sociologue Maffesoli, qui a démontré par le passé qu'il était un sophiste en proposant des prolongements postmodernes à la phénoménologie; et surtout en validant la thèse de l'astrologue Teissier, qu'il appuya quasiment politiquement en démontrant qu'on peut raconter les pires sornettes pourvu qu'on les enrobe d'un contenu pédant et savant (jargon postmoderne mâtiné de phénoménologie par exemple).
Sur le plateau, Maffesoli remporte sans problème la palme du sophiste au sens où il propage les supports théoriques indispensables à la contagion rhétorique et persuasive de la loi du plus fort, sous couvert de savoirs sociologiques ou étymologiques étayés. Que déclare notre sociologue ès académie et médias, qui illustre à quel point le savoir le plus académique peut flirter dangereusement avec l'irrationalisme obscurantiste? C'est ce que fait remarquer une pétition de 2005 qui s'oppose de l'intérieur à la nomination de Maffesoli au conseil d'administration du CNRS :"Il est pour le moins étonnant de voir nommer comme représentant des disciplines «Homme et Société» Michel Maffesoli, un universitaire bien connu pour ses prises de position anti-rationalistes et anti-scientifiques. Pourquoi nommer quelqu’un qui a suscité, il y a peu, la réprobation de l’ensemble de la communauté scientifique en commettant une grave faute : l’attribution du titre de docteur en sociologie à une astrologue, Elizabeth Teissier, dont la thèse faisait l’apologie de l’astrologie ?"
Et c'est cet individu qui vient nous délivrer son savoir à propos de la crise - et qui prétend s'opposer au nom d'une certaine sociologie à l'alternationalisme de Soral? Autant dire qu'on refuse l'effet pour mieux accréditer la cause. Que dit Maffesoli en tant qu'emblème de l'avènement de la pensée sophistique au service de la domination oligarchique (serait-ce à ce titre qu'il a subi une promotion en 2007 au Conseil National des Universités)? Autour de la 45ème minute, notre ronflant Maffesoli déclare : "Quelle est cette formidable évolution qui fait qu'on est dans un nouveau paradigme qui est en train de se mettre en place actuellement, où ce n'est plus la simple raison rationnelle, le contrat auquel nous étions habitués qui va prévaloir, mais au contraire les émotions, les hystéries, les pactes..."
Maffesoli reviendra plusieurs fois sur cette opposition en situant l'époque rationnelle à partir du siècle des Lumières jusqu'à maintenant et le changement de paradigme postmoderne avec l'avènement de l'irrationalité sous forme d'émotion. D'une part, cette lecture typiquement postmoderne (au sens de postnieztschéenne et héritière de Spinoza) fausse la vision rationnelle en la liant aux Lumières, soit au kantisme - qui propose déjà, en guise de refondation du projet métaphysique (terme aristotélicien), une raison bien affaiblie par les arguments irrationalistes de Hume; d'autre part, Maffesoli emploie la jolie redondance de "simple raison rationnelle", voulant sans doute expliquer qu'il situe quant à lui son discours alambiqué dans une logique de raison irrationnelle; enfin, le positionnement de Maffesoli confirmé par ses déclarations explicites dans l'émission indique qu'il s'agit d'un sophiste moderne dressant l'apologie perverse, car enrobée sous le discours savant, de l'irrationalité et de l'émotion.
Le plus pervers n'est pas tant d'amalgamer Marine Le Pen dans cette nouvelle ère d'émotion et d'irrationalité, comme si du coup en opposant l'irrationalisme nationaliste à son irrationalisme modéré il légitimait à sa manière, en s'y opposant, l'adversaire nationaliste pour les prochaines échéances électorales (où l'on voit que le sociologue émérite adoubé par le pouvoir en place fait le jeu intellectuel et médiatique dudit pouvoir); non, le plus pervers est de présenter une conception atavique comme nouvelle - l'ancien comme le nouveau.
La conception dite postmoderne de Maffesoli ajoute peut-être quelques éléments nouveaux à une technique et une rhétorique éprouvées; mais : c'est un discours typiquement oligarchique et nihiliste que nous pond Maffesoli, qui reprend à son compte la technique de Nietzsche consistant à faire passer son recours au vieux nihilisme pour de l'innovation. Nietzsche présentait le dionysiaque contre le christianisme comme de l'innovation, alors qu'il ne faisait que reprendre la rhétorique des sophistes adaptée à l'immanentisme de son temps sous le masque (vénitien) de la distorsion historique consistant à amalgamer insidieusement le polythéisme atavique avec les propositions nihilistes de Nietzsche (comme si les diverses expression polythéistes coïncidaient avec le nihilisme!).
Mais le discours oligarchique n'est certainement pas nouveau : on fait du nouveau avec de l'ancien?
Annoncer que le nouveau paradigme remplace le rationnel par l'émotion, c'est ne rien inventer du tout; c'est remettre au goût du jour les vieilles recettes oligarchiques. Dans ce schéma, l'intellectuel oligarque (l'expert) produit des idées irrationnelles qui seront compatibles avec le rationalisme du petit nombre pouvant les exploiter; et avec l'irrationalisme débridé du grand nombre.
On comprend le dédain de Maffesoli pour un Soral (Benoist se plaçant entre les deux positions) : car notre Soral agité et populacier incarne les émotions plébéiennes avec lesquelles on ne se mouille pas. Le nationalisme ressortit de cette énergie brute et violente, vulgaire et méprisable que Maffesoli définit comme l'un des volets du nouveau paradigme postmoderne. Il ne laisse aucun doute à ce sujet quand il inclut le nationalisme dans le cénacle de l'émotion postmoderne, tout en prenant soin de s'y opposer. Maffesoli rabaisse le nationalisme u'il intègre en le soumettant à son point de vue dominant : en tant qu'expert oligarque, pas question de respecter des émotions vulgaires irrationnelles.
La différence entre un Maffesoli et un Soral coule de source : Maffesoli incarne la domination rationnelle de l'irrationnel; quand Soral exprime la vulgarité irrationnelle au sein de l'irrationnel. Chez les penseurs, l
'élite contre la plèbe. L'irrationalité rationnelle signifie que l'on domine l'irrationalité par la rhétorique (le discours). L'irrationalité renvoie à l'idée que le néant explique l'être, soit que le désordre préexiste l'ordre. Tout retourne au néant - au bordel. C'est ce qu'affirme un Rosset - dans la lignée du postmodernisme.
Quant à l'irrationalité irrationnelle, elle renvoie à la contre-culture, soit à la mauvaise maîtrise du nihilisme par le discours sophiste. Contrairement à ce qu'estime un Soral, c'est ce qu'il personnifie, lui qui se targue d'incarner la virtuosité nationale-marxiste du Logos, mais qui se trouve méprisé par l'intelligentsia postmoderne parisienne. On maîtrise mal la rhétorique parce qu'on ignore les fondements mésontologiques du nihilisme postmoderne reprenant les recherches de Gorgias consignées dans son petit et explicite Traité du non-être.