mercredi 12 janvier 2011

La stratégie du KO

Pour ceux qui ne comprennent pas à quoi aboutit la stratégie de la destruction créatrice théorisée par Schumpeter - ou de l'ordre par le chaos revendiqué par un théoricien proche de la mentalité Habsbourg comme Robert Strausz-Hupé, que l'on se tourne vers l'Afrique. L'Afrique de l'ouest se trouve depuis peu particulièrement sous la coupe des intérêts prévaricateurs de l'Empire britannique, illustrant l'inféodation des intérêts françafricains sous le giron britannique, dans le cadre d'une stratégie impérialiste et néocolonialiste. Un exemple parmi tant d'autres :
http://www.cadtm.org/Ils-saignent-le-Sud-avant-de-s
Il s'agit d'instaurer le schéma de la guerre de tous contre tous théorisé par le philosophe de l'Empire britannique débutant Hobbes. Le chaos détruit les peuples et les institutions, mais il favorise l'impérialisme et le colonialisme. Les intérêts colonialistes ont intérêt à promouvoir cette stratégie alors qu'ils se trouvent eux-mêmes en décomposition - affaiblis. L'Afrique étant colonisée et détruite depuis plusieurs siècles, elle constitue le laboratoire privilégié de la stratégie de la domination par le chaos - de ce qui attend l'Occident d'ici quelques temps (car les événements s'accélèrent, au point que les semaines changent elles-mêmes).
Nous apprenons que deux Français ont été enlevés et exécutés entre Niger et Mali par des terroristes troubles de la cellule AQMI, branche armée d'al Quaeda pour le Maghreb (avec à sa tête un nouvel émir aussi influent qu'éphémère, un certain Mokhtar Belmokhtar). Al Quaeda est une nébuleuse ou une hydre ténébreuse et insaisissable dont se servent les intérêts financiers mondialistes pour agiter partout la menace du terrorisme et de la terreur. Al Quaeda est mondialiste comme les intérêts financiers. Capable d'intervenir aux quatre coins du monde, avec des capacités logistiques supérieures à la logistique des armées les plus développées, al Quaeda ne peut être un phénomène spontané et indépendant, sauf pour les gogos et les benêts qui dénués d'esprit critique gobent la propagande occidentaliste et atlantiste.
Si le drame des otages français exécutés est inqualifiable, le plus probable n'est pas, dans cette région sous-peuplée et sous-développée du Sahel subsaharien, que ce soient des barbouzes et des mercenaires occidentaux (ou à leur solde) qui aient agi en remplacement des fantoches accusés (comme ce fut le cas pour l'assassinat de JFK ou pour le 911, où les fanatiques d'al Quaeda ne sont pas montés dans les avions incriminés), mais que l'on ait reproduit presque à l'identique la stratégie du major Kitson au Kenya, à l'époque de la décolonisation par l'Empire britannique : pour discréditer les luttes armées révolutionnaires anticolonniales, on crée un groupe parallèle qui perpètre des atrocités sous le nom des véritables combattants anticolonialistes.
Du coup, on discrédite l'action anticoloniale des indigènes et l'on en vient à préférer le colonialisme au chaos terroriste. C'est ce qui se produit dans le cadre de l'assassinat des otages français par les ravisseurs de l'AQMI, où l'on donne l'occasion macabre aux forces françaises néoconservatrices d'affermir leur soumission à l'Empire britannique en expliquant qu'ils ont fait de leur mieux dans cette tragédie et qu'ils devaient lancer l'armée aux basques des terroristes sanguinaires et barbares pour ne pas céder au chantage. Les populations d'Occident et d'Afrique préféreront toujours l'ordre néo-colonialiste aliénant au terrorisme de l'AQMI, sans s'aviser que les terroristes de l'AQMI sont instrumentalisés par les forces néo-colonialistes, surtout dans cette région connue pour encourager les mêmes réseaux de trafics de drogue, d'arme, de femmes (et autres), notamment par le biais des zones portuaires.
Les discours sécuritaristes et militaires sont hypocrites puisque les conservateurs qui les tiennent font preuve d'un néocolonialisme débridé (les Français s'ingèrent sans rougir dans des affaires se déroulant au Niger ou au Mali) et surtout ignorent que l'effet atroce du terrorisme résulte da la cause déniée de l'impérialisme financier. Mais l'exécution des otages français au Niger n'est pas un exemple isolé montrant la stratégie du chaos et du terrorisme au service du néocolonialisme destructeur des peuples et des institutions. En Côte d'Ivoire voisine, nous subissons l'opposition entretenue entre deux présidents. Si l'on se renseigne, les deux sont si corrompus qu'il serait aussi manichéen de rejeter l'un que de soutenir l'autre. C'est la stratégie typique du chaos que d'organiser des conflits insolubles et éternels qui permettent de perpétuer le néo-colonialisme (comme entre les Israéliens et les Palestiniens).
Le débat à propos des élections ivoiriennes en France est assourdissant. Pourquoi une telle publicité dans une ancienne colonie et alors que la crise menace directement la France? Parce que la Côte d'Ivoire est l'ancien carrefour du néocolonialisme français en Afrique de l'ouest et parce que le vrai problème est de lancer dans les pays néocolonisés la stratégie franche et terminale du chaos pour mieux autoriser les politiques néocolonialistes?
On sait très bien que l'opposition instrumentalisée de Gbagbo et d'Ouattara attise les luttes tribalistes entre deux grandes factions ivoiriennes : le Nord et le Sud. Deux représentants troubles de l'impérialisme progressiste, les avocats Vergès et Dumas, témoignent dans les médias français pour défendre grossièrement le camp Gbagbo, très heureux de leurs effets de manche, en particulier de susciter la polémique dans les rangs de l'impérialisme conservateur. On a ici la preuve que le néocolonialisme connaît une vive dispute entre les factions internes qui défendent le progressisme et celles qui instaurent le conservatisme le plus autoritaire. Dumas ou Vergès interviennent, non pas parce qu'ils sont anti-impérialistes, mais parce qu'ils sont progressistes dans leur impérialisme.
Ouattara n'est pas le candidat de la démocratie ivoirienne ou de l'anticolonialisme; mais celui des plus fanatiques forces financières britanniques dévouées à la stratégie du chaos. Gbagbo représente l'ancienne politique néocolonisatrice françafricaine, soit l'impérialisme progressiste. Si l'on veut constater vers quelles formes de néocolonialisme évolue l'impérialisme dur et sa stratégie du chaos, que l'on lorgne vers des pays comme l'ancien Zaïre ou le Rwanda. Dévastés et martyrisés, ils sont ouverts pour le pillage et la domination sans partage par les forces impérialistes.
Si l'on poursuit l'analyse de la stratégie du chaos néocolonialiste autour de la question brûlante ivoirienne, on voit que les médias francophones, sous la coupe de la propagande britannique, n'hésitent pas seulement à déverser sous prétexte de démocratie (rhétorique néoconservatrice) leur soutien à Ouattara (le candidat de l'Occident impérialiste dur) ou à donner la parole exclusivement à des opposants impérialistes français comme Dumas et Vergès : allant encore plus loin dans la perversion du jugement journalistique, ils invitent sur leur plateau des experts toujours occidentaux et étrangers (pas ivoiriens) qui, gradant encore dans l'impérialisme, témoignent de jugements nationalistes.
Je pense au cas de ce professeur spécialiste de l'Afrique (notamment de l'Afrique du Sud) Lugan, invité par le journaliste Ménard sur une grande chaîne d'information continue française :

Ménard est suspecté de travailler pour des officines atlantistes proches de la CIA (lire Maxime Vivas, La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux faucons du Pentagone, Aden, 2007). Quant à Lugan, il est accusé plus ou moins implicitement de racisme et de colonialisme, même s'il s'en défend et gagne ses procès. En tout cas, pourquoi fait-on une publicité à un homme qui appuie les pires penchants du néocolonialisme en faisant mine de réduire sa critique de l'anticolonialisme au colonialisme progressiste? C'est la preuve que cet individu soutient indirectement la cause de l'impérialisme le plus virulent en croyant jouer le jeu du nationalisme...
Que propose de particulièrement extrémiste et choquant Lugan? Je l'avais entendu intervenir déjà chez Ménard à l'occasion de la Coupe du monde en Afrique du sud (2010). Au départ, comme toujours chez les nationalistes, son discours sonnait juste puisqu'il dénonçait l'organisation d'un tel événement sportif dans un pays en proie aux pires dérives de violence te d'effondrement socio-économique. Déjà la stratégie du chaos? Puis Lugan proposait en guise de solution la partition du pays en plus petites régions ethniques sous prétexte d'homogéniéité. Même stratégie que ce que proposent en Europe un Rougemont ou un Kohr : la partition régionaliste de l'Europe fédérée en une union économique.
Déjà, toujours, la destruction des Etats-nations et leur remplacement par des fédérations bureaucratiques qui ne peuvent que tomber sous la coupe des intérêts impérialistes et oligarchiques (avec le soutien de certaines élites autochtones clairement collaboratrices et dominatrices de leur propre peuple). Puis le retour au féodalisme impérialiste. Le programme de l'actuel premier ministre conservateur britannique, Cameron, instigateur de la pire politique d'austérité sociale de la Grande-Bretagne, contient en son sein le retour au féodalisme sous couvert de postmodernité, avec les conseils de Blond. Idem en Afrique de l'ouest, où tous les ingrédients du néocolonialisme sont réunis pour favoriser l'imposition du féodalisme postmoderne : néocolonialisme ayant détruit les cultures, encouragement de coutumes typiquement oligarchiques comme les résurgences antidémocratiques et désuètes de rois, princes et autres chefs tribaux qui, sous couvert d'en revenir aux traditions, infestent les institutions républicaines et soi-disnat postcoloniales et incarnent l'émergence de dirigeants oligarques au sein de fédérations féodales postmodernes démembrant les pays africains en myriades de régions ethniques.
Tel est le projet que soutient un Lugan en Afrique dans la continuité d'un Kohr en Europe - et c'est en cela que son extrémisme supputé sert les intérêts des impérialistes les plus féroces d'Occident. Après tout, le même extrémisme moins larvé est à l'oeuvre en Belgique et aux Pays-Bas. Les mêmes idées, les mêmes principes - les mêmes financements par des intérêts financiers? Tiens, la Belgique est menacée d'un démembrement politique sur le modèle des Balkans : destin qui pourrait survenir en Côte d'Ivoire. Il est prévisible que les pays d'Afrique qui ont été dévastés par des siècles d'esclavage, de colonialisme, puis, pire encore, de néocolonialisme, se retrouvent anéantis par la politique du chaos, leurs terrains pillés par les intérêts économiques et financiers occidentaux, dirigés depuis la City par des spéculateurs aussi avides qu'irrationalistes.
L'ancien Empire français, loin de passer du néocolonialisme larvé à une véritable politique de décolonisation, est passé sous la coupe plus radicale des intérêts britanniques; autant dire que les pays d'Afrique en subissant les affres de la politique du chaos descendent encore de quelques degrés dans les effets de l'Enfer. Les Occidentaux assistent en moutons impavides et hébétés en Afrique à l'application de la stratégie du chaos la plus brutale. Que ce soit au Soudan, au Tchad, en Côte d'Ivoire, ou ailleurs, on détruit au dernier degré les peuples pour que les élites oligarchiques transversales puissent les piller. Le charognard dépèce sa victime morte et impuissante.
On relaye dans les médias occidentaux ces guerres sauvages et ethniques comme des problèmes africains auxquels l'Occident serait désormais étranger. Les Africains seraient incapables de profiter de leur liberté démocratique et seulement exploités par des compatriotes aussi sanguinaires que fous (si, si). De nombreux citoyens dans les anciennes métropoles colonialistes passent à côté du problème de la transversalité du colonialisme pour ne retenir que l'existence d'élites autochtones corrompues, se comportant de la plus brutale et dominatrice des manières. C'est ne pas voir l'essentiel : que ces élites autochtones sont les alliées des anciens intérêts coloniaux et qu'elles en sont le jouet obligé (n'en déplaise à leurs discours souvent de pure forme anticoloniale).
Mais l'Afrique qui pourrait estimer qu'après tant de siècles de destruction culturelle, historique, politique et économique, elle continue avec les malédictions économiques, peut se féliciter de l'accroissement de la violence à son encontre. Quand on a recours à des formes aussi extrémistes d'impérialisme, c'est que l'impérialisme qu'on sert est au plus mal. La stratégie du chaos n'est pas seulement particulièrement violent et meurtrière. Elle est l'indicateur que l'impérialisme qui la promeut est KO.
Surtout ne jamais isoler les événements, mais les considérer au regard de processus. Tous ces événements sanguinaires et violents sont les indicateurs d'une gradation de la politique impérialiste qui, pour contrer l'effondrement inéluctable de son processus, en vient à accroître sa domination, sa violence et son pouvoir. On passe en ce moment d'une stratégie de la tension à une stratégie du chaos. Après, la guerre et la folie guettent. Pour ceux qui se ferment les yeux ou cloisonnent les événements : ce qui arrive en ce moment en Afrique reviendra tel un boomerang très vite en Europe, désormais que le cours des événements s'est accéléré et que c'est l'homme dans sa globalisation mondialisée qui court vers le chaos.

P.S. : on pourrait aborder aussi (et pêle-mêle) les émeutes meurtrières dans le Maghreb, la folie hyperinflationnniste des marchés financiers, la tuerie politique en Arizona ou la fausse bonne nouvelle de la baisse du chômage aux Etats-Unis (!), mais tous ces événements éloquents participent de la stratégie du chaos : donner un prétexte pour justifier des déficits d'Etats.

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