jeudi 29 août 2013

La faiblesse du mal

Ami lecteur, le mal n'est pas le concurrent du bien, son alter ego sombre, son Dark Vador religieux. C'est son inférieur, qui perd toujours, comme le diable. Le domaine du mal est un domaine prévisible et défini, dans lequel sa partition est déjà écrite. Alors que le bien reste à faire, le mal est déjà acté. L'univers du mal est régi par la nécessité, obligation de vendre son âme au diable : l'éternité renvoie plutôt à la liberté. Quand on vend son éternité, c'est qu'on estime que le mal ne peut se faire si l'on est libre. La condition du diable pour gagner en apparence et perdre au final est d'être le roi de ce monde, le prince du sensible. Socrate selon Platon enseignait que nul ne commet le mal volontairement. Chez Platon, le mal est inférieur au bien. Il naît d’une incompréhension des choses, d’un problème qui a plus à voir avec la mauvaise qualité de l’entendement qu'avec l'affrontement de deux puissances rivales et équivalentes. L'infériorité du mal se traduit par son autodestruction, terme du cercle ou de l'autotélisme, quand le bien indique la progression vers l'aménagement ordonné en être de la part malléable du réel. L'infériorité renvoie à la dimension originelle du réel, la contradiction, qui ne peut être résolue que par la progression. Le mal désigne le réel incomplet, tandis que le bien reste à faire en ce que le réel pour résoudre ne parvient pas à une solution définie et stable, mais à un constat travail d'indéfinie progression. Pourquoi le mal est-il circulaire? Pourquoi la circularité est-elle autodestructrice? Pourquoi la circularité n'engendre-t-elle pas une forme de viabilité? Cette forme correspond à ce que Clément Rosset nomme le démon de la tautologie, comme si l'essence des choses se ramenait à leur identité inexplicable (A est A étant le constat inexplicable). Le parti que défend Rosset incline vers l'autodestruction, bien qu'il n'en prenne pas la mesure et qu'il se borne à estimer que l'important réside dans l'expression du désir complet. Le réel possède en son sein le principe de dépassement, selon lequel ce qui n'est pas dépassé s'autodétruit. Pourquoi la circularité n'est-elle pas immuable? Le cercle délimite un domaine; or cette délimitation n'est pas suffisante pour la propriété du réel. L'autodestruction provient de la carence intrinsèque que génère la forme circulaire. L'immuabilité n'est pas possible. Pour ce faire, il conviendrait que le réel soit viable en tant que contradiction. Mais la contradiction signale que le réel ne peut perdurer dans l'immuabilité (la stabilité). La contradiction désigne moins l'antagonisme des éléments à l'intérieur d'un domaine fini (le cercle) que le refus de sortir du domaine. Pourtant ce qui est réel ne peut être compris dans un domaine que dans la mesure où il en sort. Ainsi le réel possède-t-il la faculté de sortie ou d'extensibilité, qui lui interdit de pouvoir considérer que le domaine entendu comme fini peut être envisagé comme viable. La contradiction n'est pas une forme qui a pu exister seule, qui peut être indépendante, qui peut exister de manière rivale, mais de manière inférieure à la forme supérieure de l'extensibilité. Autrement dit, le mal ne peut exister sans le bien, et encore, sa défaite assurée signifie que le mal est inférieur au bien. Faut-il choisir le bien ou le mal? La question serait évidente et irréfragable si le bien était un état tout comme le mal est un état (l'inférieur est un état, quand le supérieur est extensible), mais le bien reste toujours à faire en tant que malléabilité indéfinie et extensibilité. Le mal présente la caractéristique d'être infiltré par l'extensibilité, alors que l'extensibilité est univoque : elle ne fonctionne que si elle est utilisée pour sa faculté positive; tandis que si elle est déniée, son imprégnation tourne en crise d'autodestruction. Mais entre l'autodestruction et l'insaisissable, il n'est pas si évident de choisir, et l'homme a l'impression de lâcher la proie pour l'ombre. La proie : l'état; l'ombre : l'extensible. Voilà pourquoi le diabolique triomphe dans l'immédiat, alors que les principes attribués au bien, au divin sont assurés de gagner. Car le réel qui serait réduit à l'autotélique ou au tautologique correspondrait à la tronque de ce qui est le réel entendu comme l'extensible. Toute extensibilité comprend en son sein un domaine, une forme, un état, auquel on peut s'arrêter si on envisage seulement le réel en termes de définition. Le problème tient sans doute à la coexistence pénible et tortueuse entre la raison assujettie à la définition nominale et la propriété du réel qui implique l'extensibilité. Il faudrait que la philosophie qui se présente comme réflexion rationnelle s'avise que la réflexion ne doit pas tenir la raison pour sa fin. Sinon, comment expliquer que des métaphysiciens comme Aristote se réclament plus encore de la raison que leurs rivaux ontologues, Parce que la raison est assujettie au domaine de finitude, tandis que la raison et la réflexion entretiennent des relations ambiguës. La réflexion ne doit pas viser l'irrationnel, mais tenir la raison pour inférieure à son but, qui fait la spécificité de la réflection : la raison au service de l’inventivité entendue comme effort de la pensée.

jeudi 22 août 2013

La perfection douteuse

L’obtention de la perfection par le doute n'est pas possible. Par le doute, on tombe sur le domaine le plus fini et le moins malléable, et, loin de le critiquer pour ce qu’il est, on le tient pour assuré et certain. La démarche de Descartes est confusionnelle avant d’être rigoureuse : elle confond le réel avec un certain réel, qu’elle nomme réel certain. Ce faisant, elle n'affronte pas la question de l'unité. Elle tient le certain pour LA question. Mais le plus important est déjà à l’époque de Descartes d’expliquer le néant dans le réel. Comment Dieu s'il est parfait peut-il tolérer du néant avant et dans sa création? La déformation irrationnelle à laquelle parvient Descartes dans son système (l’erreur, le néant et l’irrationnel existent) provient de ce que la perfection, elle, ne peut exister, contrairement à la définition qu’en propose Descartes. L'expérience du doute confère une portée négative à la perfection, qui n’est jamais défini de manière précise, ce qui fait de la perfection un terme évaluatif sans norme. Le lecteur sait que le parfait est Dieu, mais qu’est-ce que la perfection? Elle n’existe que négativement, et Descartes prend soin d’expliquer que l’entendement imparfait de l’homme ne peut comprendre les desseins de Dieu, aussi parfaits soient-ils. La négativité s’éclaire avec son caractère inexplicable. A y bien regarder, les valeurs cartésiennes reposent au final sur le négatif. Telle est la métaphysique - moderne? Loin d’expliquer ses axiomes, Descartes privilégie le certain à l'unité. D’où l’illusion : si au départ, le certain semble indiquer que l’objectif est trouvé, au final, la certitude ne met en lumière que du certain à condition qu’à côté flotte l’incertain et le vague. Si le réel n’est pas unifié, il admet le néant. Descartes minore le rôle du néant dans sa philosophie en lui accordant une part marginale, d’ailleurs négative (le défaut). Mais le néant se retrouve à imbiber toutes les dimensions de la métaphysique, parce que le défaut se tient au coeur de la perfection. Si ce qui a du défaut s’oppose à la perfection, comment expliquer que le parfait puisse être indéfinissable et incompréhensible? Serait-ce que le parfait contient du défaut? Dès lors, le parfait est-il défectueux ou le défaut - parfait? La métaphysique ne repose-t-elle pas sur la contradiction majeure de la perfection - imparfaite? Quel est le rôle du doute dans cette contradiction majeure? Si l’on se focalise sur ce que Descartes annonce comme le certain, on tombe sur le cogito. Le cogito désigne le certain universel, que ceux qui peuvent employer leur entendement à cette intellection difficile sont aptes à saisir. Pourtant, à y bien regarder, le cogito s'avère aussi certain que ce qu’on nommerait l’autre, au sens d’extérieur. Rien n’indique que l’autre soit moins certain que le cogito, à partir du moment où le parfait ne désigne pas seulement le cogito : il faut alors bien que ce qui est créé par Dieu soit d’une viabilité égale. Mais alors si la perfection recouvre autant le domaine du cogito que l’autre, comment expliquer l’erreur? Descartes ne répondra jamais clairement à cette question. Tout juste peut-il rappeler que l’erreur fait certainement partie des desseins de Dieu et que la partie ne peut pas davantage comprendre l’erreur qu’elle ne peut comprendre la perfection. L’erreur fait partie des desseins de Dieu autant que la perfection. Il convient de l’accepter sous le sceau de la toute-puissance divine, qui est la volonté divine directement en rapport avec la volonté humaine (dont Descartes nous explique qu’elle est la faculté la plus fidèle avec le divin, la volonté humaine ne différant qu’en termes de puissance d'avec la volonté divine). Dès lors, comment expliquer que le cogito soit tenu pour plus certain que l'autre, alors que les deux découlent de Dieu? Parce qu'il est porteur de limite. L’autre est potentiellement illimité, tandis que le cogito est cernable. Mais comment tirer la perfection de la limite? Ce qu'on nommera positivement ne sera dénommable que négativement. C’est par le négatif que Descartes parvient à concilier la perfection et l’imperfection. Tout son édifice est investi par le négatif, à commencer par le doute. Ce n’est pas pour rien que Descartes recourt au doute pour fonder son entreprise de véridiction et de vérification. Le doute est l’instrument logique et naturel du négatif, depuis l'intérieur. Le cogito est le positif qui émane du négatif. Mais qu’est-ce que le négatif? Outre qu’il sert à Descartes de délimitateur, Descartes s’empresse de suivre cette voie qui lui permet d’édicter du réel, tout en rejetant comme défaut ou manque ce qui n’est pas défini, et en réussissant l'exploit de minorer grandement l’importance du négatif dans son édifice théorique, puisque le négatif s'avère bien plus important que le marginal défaut qu’il réduit à la portion congrue de ce qui n’est pas dit (et dont on ne sait s’il n’existe pas ou seulement à peine). Descartes réussit encore mieux : s'il n'a pas trouvé le réel, il a trouvé l’identification métaphysique moderne correspondant à la révolution expérimentale. Son négatif lui permet de tirer du positif presque selon un calcul mathématique : - X - = +. Il ne se préoccupe pas de définir le réel, mais du réel, ce qui fait que le métaphysicien suit la tradition nihiliste selon laquelle on ne répond pas à la difficulté de définir le réel, mais on biaise en définissant du réel et en arguant qu’au moins il se montre ainsi certain, assuré, définissable. Le philosophe a agi en physicien, réduisant la certitude à la connaissance finie et tombant pour ce faire sur le moi. Du pur solipsisme... La perfection est à l’image du doute : c’est un sentiment qui est présenté comme le résultat de l’investigation de l’entendement, une donnée rationnelle, alors qu’elle est une conception dont la forme est faussée par la négativité.

mardi 20 août 2013

La réconciliation

Ami lecteur, la réconciliation de l'âme et du corps chez Descartes dans la Sixième méditation n'est une surprise que pour celui qui pense que la philosophie progresse et que Spinoza ou d'autres iront plus loin sur ce point. Descartes est un métaphysicien trop profond pour en rester à des abstractions qui balayeraient son projet. Car ce que Descartes recherche n'est pas tant de s'en tenir à un point fixe, que de trouver ce point fixe, qui soit certain et assuré, et à partir de lui, de réconcilier peu à peu le réel dans son intégralité. Le problème de la connaissance est qu'il met aux prises la subjectivité et son extériorité. Descartes commence par conférer à la subjectivité une universalité de partage : c'est le cogito. Puis il entreprend de réconcilier l'âme avec l'extérieur, bien avant la fin de ses Méditations. La Sixième méditation n'est que le couronnement d'un mouvement qui a commencé à partir du moment où Descartes reconnaît que le cogito provient de la cause parfaite qu'est Dieu. Sans entrer dans les détails du déploiement de la faculté d'imaginer et de la faculté de sentir, qui jettent un pont entre la conscience et le monde extérieur, il est normal que Descartes ne soit pas ce rigoureux et mécanique dualiste que tant de philosophes depuis lors ont reconnu. Son projet consiste à réconcilier la subjectivité et le réel, partant l'âme et le corps. Ce que Descartes dit seulement, c'est que l'âme est le point d'ancrage de la connaissance, pas que le réel ne peut être connu. Sur ce point, Kant ira plus loin dans cette entreprise d'incertitude, qui fait que l'on ne sait plus bien ce qu'est le réel chez Kant, qu'on erre entre l'inconnu et le mystérieux. Descartes, lui, est certain que le réel existe, puisqu'il émane de Dieu qui ne peut être trompeur; et surtout, toute sa métaphysique a pour but de relancer l'entreprise scientifique de connaissance. Pour Descartes, la métaphysique n'est que le fondement (l'assise) aux sciences. La connaissance est scientifique. Descartes a cherché à substituer la métaphysique rénovée à celle sclérosée, de telle sorte qu'elle tienne compte de la révolution expérimentale et qu'elle s'ajuste aux sciences, tout en conservant sa démarche essentielle : le réel est fini pour être théorisable. L'expérience scientifique implique que le réel existe. Sans quoi la démarche scientifique ne serait pas possible, et la révolution expérimentale un leurre. Or Descartes, qui a connu une postérité considérable en tant que philosophe, et à juste titre, quand on mesure son influence sur la métaphysique moderne (la philosophie moderne, sachant que la métaphysique en constitue l'expression majoritaire) ambitionne d'être un grand scientifique : comme tel, il s'est lancé dans les expériences. Il sait que le réel existe, mais pour légitimer l'expérience scientifique, il lui importe d'asseoir la révolution expérimentale sur de nouvelles bases métaphysiques (ancrées dans une direction philosophique bien connotée). Descartes rénove le regard direct, qui est le propre de l'approche philosophique de l'Antiquité, en lui substituant la médiation, pour tenir compte des erreurs qui ont été révélées par les expériences. Aristote et ses successeurs ont confondu logique interne avec logique réelle. Descartes estime que l'erreur de cette adéquation directe entre la subjectivité et le réel tient dans l'existence du néant, qui ne devrait pas exister et avoir de rôle dans cette conception. Il importe pour Descartes de fonder une philosophie dans laquelle le néant est tenu pour plus que le négligeable, ce qui n'a pas droit de cité dans la métaphysique. Si l'ontologie platonicienne accordait au néant une place considérable (le changement), plus grave, la métaphysique originelle depuis Aristote rejette le non-être, mais du coup lui reconnaît une place stratégique et fondamentale. Simplement, il convient de se concentrer sur ce qui est. Chez Descartes, le néant sera minoré : non seulement sa place revient à la quantité négligeable du défaut ou du manque, mais encore la principale critique reviendra à énoncer qu'il n'y a rien à en dire - comme si le non-dit suffisait à résoudre la question du non-être, sur le mode : ce qui n'est pas dit n'existe pas (d'autant que cet indicible existait sous une forme marginale et dérisoire, tout comme la matière la plus vile chez Plotin). Or le néant n'existe ni dans Dieu, qui est parfait, ni dans le cogito, qui découle de Dieu, et en fait partie, mais dans le fait que le cogito se tienne entre Dieu et le néant. Du coup, l'erreur est possible chaque fois que le cogito se projette vers l'extériorité, ce que Descartes tente d'atténuer par rapport à ses prédécesseurs, sans aller jusqu'à rénover la métaphysique. Descartes, conservateur en politique, l'est tout autant en philosophie : il reste métaphysicien, il reprend l'armature en accroissant la vérification par l’instance de certitude du cogito. Descartes est le rénovateur-vérificateur, qui instaure la médiation entre le cogito et le réel pour délivrer l'instance de vérification qui permettra de corriger les erreurs passées et doter la philosophie des mêmes outils de vérification que la science. Les erreurs métaphysiques n’avaient fait que s'aligner sur les erreurs scientifiques, devenues apparentes grâce à la méthode expérimentale. Descartes n'est ni un avant-gardiste en matière de sciences, ni de métaphysique. Il ambitionne d'accorder aux sciences un substrat qui leur permette de poursuivre leur évolution sur des bases saines et définitives. Il se montre pragmatique : il ne crée pas une nouvelle métaphysique qui révolutionnera la méthode scientifique. L'inverse est vrai : il crée une nouvelle métaphysique à partir de l'avancée expérimentale, essayant d'appliquer la méthode de la vérification à la métaphysique. Je ne cherche nullement à dévaloriser la valeur philosophique de Descartes, en particulier du meilleur de Descartes, la rigueur et la pénétration, mais force est de constater que Descartes est un homme du compromis et de la prudence. C’est d’ailleurs sa devise ("larvatus prodeo"), qu’il reprend à Aristote. De même aura-t-il suivi cette école métaphysique pour faire de la philosophie moderne un ancrage sous domination de cette mentalité. Résultat des courses : la philosophie en sort amoindrie, avec pour particularité la mort de la métaphysique (dont Heidegger fut le dernier représentant et son maître Husserl un réformateur vain). La philosophie ne survivra à ce champ de ruines institué par conservatisme qu’en trouvant une nouvelle voie qui prolonge l’ontologie : l’accès de la philosophie au religieux, non pas comme une expression élitiste, mais comme le remplacement de la dernière expression du transcendantalisme, le monothéisme.

mercredi 14 août 2013

La raison finie

Ami lecteur, Descartes feint le manque, du moment que cette expérience rétablit ce qu'il attend : la raison. Descartes ne voit que la fin, la raison, sans s'arrêter à la signification de la méthode, le manque. Puis, Descartes montre à son insu (c’est-à-dire par erreur, ce qui engendre l’insavoir) que s'il recourt au manque pour rétablir la raison, c'est parce qu'elle est finie, que le manque l’encadre et lui accorde son caractère de finitude. Le manque est le néant. C’est aussi le doute, même si Descartes se trompe en estimant que le doute est le critère de vérité et que le néant serait une dénomination tellement basse qu’elle ne correspondrait pas au réel (le néant n’est pas le réel, c’est juste un mot, ce en quoi Bergson n’a rien inventé). La raison est le complément du néant. Si l’on se rend compte que Descartes se trompe, justement en conférant à l’erreur un statut invraisemblable d’inexistence (mais alors, quelle réalité pourrait avoir ce qui n’existe pas, ni n’est réel?), c’est qu’il ne voit pas que la raison n’est pas l’instrument de l’homme pour obtenir la vérité, mais seulement le produit d’une certaine conception du réel, selon laquelle l’être côtoie le non-être. Dans cette conception, l’être est connaissable par le rationnel, quand la raison ne peut accéder à une certaine partie de réalité, qui renvoie au non-être (sans qu’on sache bien ce qu’est ce non-être). La raison ne peut accéder qu’à un type de réel qui suive le programme étymologique de la raison : la mesure, la comparaison, le calcul. La raison est le réel de type partiel, qui est comblé en complément par ce qui ne peut figurer en tant que réel, et qui de ce fait relève d’une catégorie bizarre et biscornue, dont on pourrait dire qu’elle relève de la contradiction en ce qu’elle vient compléter tout en prétendant ne pas compléter. Le réel aurait besoin de l’adjonction d’une entité qui ne serait pas du réel, qui n’aurait pas d’existence et ne bénéficierait d’uaucne reconnaissance. Véritable hapax de la pensée, le manque est pensé comme pure négativité. Mais quand l’on pense la négativité, il faut bien penser à quelque chose, aussi différent cette chose soit de toute forme d’être. On ne se sort pas du problème selon lequel quand on refuse de penser le manque sous prétexte qu’il ne serait pas quelque chose, on ne parvient pas à expliquer pourquoi quelque chose de pensable ne serait pas quelque chose, ce qui renierait le principe selon lequel tout ce qui est pensable relève du réel (de l’existence en ce sens). Que le réel ne soit pas de l’être, que l’existence renvoie à des manifestations qui ne sont pas de l’être pourrait indiquer à la rigueur que ce que l’on nomme négativité (néant, manque, défaut, sous la plume de Descartes) renvoie à une forme d’existence ou de réalité que le langage pourrait ne pas réussir à décrire. Mais immédiatement, ce genre de pensée sur les limites de la pensée ou du langage montre à son tour ses limites : peut-on penser quelque chose qui ne relève pas du réel (d’une manière ou d’une autre?). Descartes en écartant le néant indique seulement un défaut ou un manque dans sa pensée, une contradiction, une incohérence, la difficulté qui en résulte de relier le cogito au physique, l’intérieur à l’extérieur, et de produire de ce fait une définition de Dieu qui soit irrationaliste (miraculeuse). L’erreur de Descartes découle de sa propre conception de l’erreur, de même qu’on remarque que la tradition du platonisme puis du néo-platonisme reprend pour l’affronter l’idée d’erreur et essaye d’en faire la condition de l’accession au réel. C’est que l’erreur effective consiste à refuser que du réel soit du réel, à instaurer à côté du réel autre chose qui soit indéfini. L’erreur se produit à l’insu de celui qui la lance, parce que l’erreur tend à restreindre les conditions de compréhension du fait que la compréhension se trouve liée à la définition du réel qu’on propose. De ce fait, la compréhension préexiste à la représentation, et c’est parce que l’observateur comprend moins qu’il en vient à développer de l’insavoir en parallèle du néant. La catégorie du néant correspond à celle de l’insu, avec cette négativité qui indique quel terme employé n’est pas défini et se trouve dans une conception vague et confuse, signale l’incompréhension de la réalité dont il témoigne, au point de décider que ceci n’est pas du réel - mais quoi alors, au juste? L’erreur correspond à l’incapacité de savoir, non pas l’ignorance, car l'ignorance peut apprendre, se transformer en savoir, mais à ce qui se produit sans capacité de savoir et qui correspond à un schéma de fonctionnement qui est réducteur. C’est quand on recourt au schéma réducteur que la compréhension s’étiole. Schéma réducteur : le mimétisme. Compréhension rabougrie : la répétition. Il est étrange que Descartes, qui cherche tant la raison, l’intelligence et la conscience, finisse par promouvoir un système dans lequel on oscille entre la répétition et l’obscurantisme. Le système de Descartes retourne furieusement vers l’obscurantisme, alors qu’il est censée rendre l’entreprise de connaissance assurée, certaine. Il se révèle gangrenée par ce qu'il tient pour quantité négligeable : le néant. Comment se fait-il que ce qui n’est même pas réel, ou si peu qu’il est à négliger, se révèle investir la place-forte du réel dominé par Dieu, la raison et à terme rendre le tout inexplicable, mal relié, incohérent, intenable? Le système de Descartes pousse d’autant plus à la réflexion qu’il aboutit à sa plus grande contradiction, en instaurant la raison finie. Il crée un système dans lequel la raison s’épanouirait d’autant plus qu’elle se trouverait insérée dans une structure de répétition, comme si la raison ne pouvait tenir qu’environnée de répétition. Le cartésianisme, qui passe pour la quintessence du rationalisme moderne, la transition qui élabore les conditions de la viabilité rationaliste, y compris pour des suites philosophiques qui la contrediront plus ou moins (le kantisme, la phénoménologie), serait-il en fait un système fondamentalement irrationaliste, dont la contradiction théorique (le lien si tortueux et plus ou moins malaisé entre le cogito et le réel extérieur défini comme le physique) s’explique par son acceptation du néant de manière bien plus large que ce qu'il veut admettre? Comment ne pas voir que le néant n’est pas que le néant explicite, mais qu’il occupe toutes les places du système cartésien, au point que même le raisonnement illogique (le néant ne se dit pas) se trouve explosé par son omniprésence déniée et pourtant évidente au travers de certains termes : manque, défaut, doute. La reconnaissance du doute comme de la technique de reconnaissance du réel certain indique que le néant est introduit au sein même du cogito et qu’il est le levier qui fournit en contrepoint la raison, soit : le réel certain tel qu’il est conçu par son complément inavouable le néant. Ce qu’il convient d’envisager, ce n’est point de répudier la raison, la méthode rationnelle, mais de chercher son contrepoint et son complément. Dans la mentalité métaphysique, c’est le néant, ce qui constitue un commode moyen de ne pas affronter le problème et de lui donner une solution positive; mais si l’on remplace le néant par le malléable, l’idée selon laquelle le réel n’est pas constituée de manière ferme et infinie, ou finie et infinie, mais que l’ordre est complété non par l’Ordre (sur le modèle ontologique de l’Etre) ou le néant, mais par une structure qui n’est pas conçue sur le même plan, sur la même structure, qui est malléable, donc qui n’existe pas au titre où l’être existe. La raison qui est le moyen le plus élevé pour l’homme de comprendre l’être dans sa configuration complexe ne peut que se tenir sur le plan univoque et homogène de l’être. Du coup, ce qui est rationnel, au sens d’accessible à la réflexion rationnelle, ne peut qu’engendrer du néant, ce que Descartes confirme en reconnaissant qu’il est du néant (formulation étrange de mélanger l’être et le non-être) et que le parfait côtoie l’imparfait (manque et défaut). La raison étant la faculté qui privilégie exclusivement une partie de réel, la raison ne peut rendre compte du réel sans sous-entendre sans le reconnaître le néant. Car le déni est obligatoire pour que ce qui est partiel puisse prétendre prendre en charge la totalité. La raison ne peut admettre être partielle sans reconnaître son erreur : introduire le néant, ce qui reviendrait à avouer que son fonctionnement repose sur l’erreur. Le partiel de la raison tend vers la partialité : orienter seulement la pensée vers le champ du rationnel. De ce fait, le nihilisme dès le départ, en sélectionnant une partie de réel et en se désintéressant de l’autre, qu’il nomme non sans désinvolture le non-être ou l’inconnaissable, propose cette méthodologie. Cela montre que le nihilisme a bien mesuré que la raison ne pouvait s’occuper que d’une partie du réel, même s’il considère que le non-être se tient sur le même pan que l’être; alors que le transcendantalisme concurrent considère que la raison peut parvenir à expliquer l’ensemble du réel. Et si ce faisant il restaure l’unité du réel, qui signe sa fonctionnabilité, il arrive au résultat dérangeant selon lequel son terme l’Etre ne peut être défini. Mais c’est parce que le moyen qu’il emploie, la raison, n’est pas adapté à débrouiller tous les fils du réel et se met à patiner comme un ordinateur sous-dimensionné.

mercredi 7 août 2013

Fin de partie : la survie de Bandar

L’année dernière, ami lecteur, j’avais relayé l’annonce de la mort par attentat du prince Bandar ben Sultan.
http://www.voltairenet.org/article179680.html
Suite à l'attentat qui avait frappé des chefs militaires syriens, les observateurs présentaient cette nouvelle comme la vengeance des services secrets syriens contre l’espion saoudien. J’avais remarqué qu’il était improbable qu’un pays défendu sur la scène internationale par la Russie et la Chine ait concocté ce genre d’attentat seul, sans tenir compte de son impact stratégique, qui dépassait de loin les cas bilatéraux de la Syrie et de l’Arabie saoudite. Il se trouve que cette nouvelle était juste seulement à 70 %. Le prince a selon toute évidence survécu au grave attentat qu’il a subi et qui l’aurait affaibli pendant plusieurs mois. Loin d’être une affabulation gratuite, la nouvelle était lourde de sens : Bandar reste le principal promoteur du terrorisme islamiste dans le monde, en particulier dans les Printemps arabes, dont tous s’accordent désormais à reconnaître le caractère manipulé, notamment en Libye et en Syrie. Sa mort indiquait que l’allié attitré dans la région des factions anglo-saxonnes qui promeuvent la politique mondiale avait été éliminé par ses ennemis (qui renvoient in fine et indirectement à la Russie et la Chine, peut-être aussi à des complicités au sein de l’appareil américain?). Bandar n’était pas n’importe qui : c’était l'individu qui avait occupé un rôle central dans les attentats du 911, via les caisses noires de l’affaire al Yamamah, ce qui montrait l’implication de l’Empire britannique (correctement identifié comme factions financières centrées autour de la City de Londres), tout comme le rôle-pivot des Saoudiens dans le terrorisme islamiste, notamment l’affaire tragi-comiques des pantins d’al Quaeda, notamment son plus fameux représentant, Oussama, dont l’histoire retiendra la sinueuse et rocambolesque trajectoire de play boy alcoolique devenu chef du terrorisme islamiste mondial. Le retour de Bandar aux affaires, reçu par Poutine, n'est pas vraiment une mauvaise nouvelle. Il illustre la persistance de l’influence anglo-saxonne dans la région et dans le monde, à ceci près que désormais ces factions sont en voie de décomposition, tout comme Bandar est affaibli. Sa visite et ses négociations avec Poutine montrent que le représentant du régime saoudien et du terrorisme islamiste, donc l’homme de paille des intérêts anglo-saxons, a été tenu de composer avec l’ennemi qui soutient la Syrie contre vents et marées pour des considérations stratégiques. Loin de défendre les régimes russe ou chinois, je rappelerai que les menées de plus en plus influentes de ces autocraties ne sont pas rassurantes pour la démocratie et ses principes, mais sanctionnent la dérive des démocraties libérales (occidentales) et le fait que la crise cautionne le retour de la loi du plus fort et du parti dictatorial. Ceux qui estiment que les Russes et les Chinois incarnent un gage de sécurité et un vent d’espoir pour les valeurs démocratiques ne se rendent pas compte que nous nous préparons des heures sombres si les dirigeants de notre monde sont Poutine et, pis encore, Bandar. Le cas Bandar est de toute façon dépassé : non seulement son état de santé lui interdit peut-être un emploi du temps trop chargé, mais en plus, il n’est qu’un homme-lige de certains intérêts. A ce titre, son pouvoir réside dans la malfaisance et ne repose sur aucune légitimité populaire ou intellectuelle. Il se révèle dans le fait d’ourdir des complots, en particulier le terrorisme, dont il constitue le parangon inquiétant. Le fait qu’un comploteur soit reçu par un autocrate à une époque de crise mondiale (premier visage de la mondialisation?) ne peut s’effectuer que sur le dos de la démocratie. Bandar n’est pas seulement un sous-traitant saoudien, c’est le symbole de la corruption des élites anglo-saxonnes, prêtes à tous les compromis et à toutes les alliances pourvu que leur petit pouvoir se perpétue. Au final, le seul pouvoir qui leur restera sera de nuisance. Bandar est le modèle inavouable de ces élites, qui pense manipuler un incube, tandis qu’elles ignorent tragiquement que ce faisant elles suivent la mêmee pente, le même modèle, et qu’elles ressemblent de plus en plus, et piteusement, à ceux qu’elles pensent utiliser tout en se différenciant d’eux. Sortes de Lorenzaccio inversé, elles pensent s’en sortir en fricotant avec des crapules qu’elles dominent. Mais la vérité, c’est que les uns déteignent sur les autres. Si Bandar est toujours vivant, le constat de son action est accablant : non seulement dans le terrorisme, qu’il finance et dont il a bien failli périr, mais aussi dans sa collusion avec les puissances de ce monde. Si Bandar a rencontré Poutine, l’allié de la Syrie, on peut se demander si ce n’est pas pour trouver une issue honorable pour toutes les parties à l’échec de la main terroriste et mercenaire en Syrie. Quelle médiation proposer pour toutes les parties? Les Saoudiens veulent conserver un rôle dans la région, les Russes et les Chinois veulent avoir une reconnaissance internationale qui ne se limite pas à leur rôle eurasiatique ou régional, les Anglo-Saxons et leurs alliés occidentaux veulent continuer à garder jalousement leur pouvoir de domination sur le monde. Nous nous trouvons dans une partie de poker menteur où chacun bluffe et où tous négocient. On s’assassine, puis, faute de mieux, on discute. Non seulement Poutine n’est pas le démocrate éclairé discutant avec l’oligarque inspirateur du terrorisme, mais leur recherche mutuelle du compromis indique que nous nous situons dans des équilibres à teneur oligarchique, dans lesquels si les parties ne sont pas d’accord entre elles, elles se comportent de la même manière : en partisans de la loi du plus fort. Mais je ne suis pas pessimiste sur le terme : le retour de Bandar est promis à la caducité, au nom de la loi historique selon laquelle les comploteurs manquent leurs desseins (éviter leur chute et leur disgrâce); plus important, si les décennies à venir risquent d’être dificiles (guerres et autres crises), je ne doute pas que l’instabilité actuelle laissera place à l’ordre et que cette crise de développement, véritable mue, sera transitoire. Elle s'annonce même bénéfique pour l’avènement d’un ordre mondial qui ne peut être positif que s’il mène vers l’espace. S’il demeurait mondialisé, cantonné au Nouvel Ordre Mondial, il générerait des Bandar, des Poutine et des factions oligarchiques cruelles et désaxées.

samedi 3 août 2013

Doute et certitude

Ami lecteur, une mauvaise manipulation informatique m'a fait perdre les quelques notes que j'avais jetées en vrac dans ce billet. Peut-être est-ce mieux ainsi, car cela m'obligera à resserrer mon propos et à me concentrer sur un aspect pour le moins douteux de la philosophie de Descartes : je veux parler de l'identité du doute, de ce que le doute se présente comme le critère de sélection qui permet de trouver le réel sûr et certain, alors que l'identité du doute émane du même endroit que celui de la critique. Ce que Descartes nomme le cogito recoupe l'endroit d'où émane le doute. Le doute est un sentiment dont l'existence est aussi certaine que le sentiment de la conscience. Le doute est lié au cogito. Il en est le versant négatif. Si le cogito recourt au doute, il ne peut pas trouver quelque chose, seulement retrouver cette chose. Le doute institue l'identité similaire au sens où l'identité ici visée est identique à l'identité critique. Le doute est l'expérience autotélique par excellence. Le doute ne peut jamais trouver que ce qui existe déjà. Le doute n'est ainsi pas le sentiment qui donne le vrai à partir du faux, ou le positif à partir du négatif, mais l'opération qui réhabilite ce qu'il juge certain à partir du donné. Le certain est ainsi ce qui émane du cogito, l'intériorité, aussi bien que le doute émane de ce cogito. Le doute ne fait que réhabiliter la place d'où il vient. Quand Descartes recourt au doute pour trouver du réel certain, il ne fait qu'utiliser une méthode qui lui garantit de trouver du déjà connu précisément là où il escompte retrouver ce qu'il cherche. Loin de permettre la découverte, le doute renforce au contraire le déjà vu. Il est l'instrument qui restreint le déjà vu. Loin d'instaurer le nouveau, le doute restaure l'ancien, avec une spécificité (qui fonde la métaphysique 2) : restreindre le domaine du fini au cogito, vers l'intériorité. Le doute est le sentiment intérieur qui permet de réduire le fini vers l'intérieur, en trouvant le terrain du certain : le certain est le cogito, soit l'intérieur. L'intériorité est le nouveau domaine de certitude de la métaphysique, depuis qu'elle a dû admettre que le réel fini était trop incertain et que sa méthode comportait trop d'erreurs. Mais le doute ne fait que ramener vers l'endroit dont il vient. C'est un leurre, un critère de sélection qui s'avère réducteur, qui ne donne que ce qu'il peut donner. Comme le doute provient du cogito, il revient au cogito. Il indique comme domaine de certitude l'intériorité dont il provient et comme domaine d'incertitude l'extériorité dont il peut douter à loisir. Le doute est le sentiment qui émane de l'intériorité rationnelle. Descartes a recours a doute pour refonder la métaphysique. Quel est le réel que l'on obtient avec le doute? C'est du surperfini, le fini réduit à l'intériorité. Descartes est celui qui découvre que pour redonner à la métaphysique un lustre, il convient de reprendre la même méthode (chercher le certain dans le donné), tout en la réduisant encore du fini (ce qui donne une extériorité certaine à l'intérieur) à l'intériorité, que l'on baptise cogito. Le doute est la technique qui permet de parvenir à ce résultat et la rigueur de pensée dont fait preuve Descartes pour asseoir sa méthode se heurte à deux détails connexes : l'un, qu'il se trompe par rapport à ses contemporains sur ses engagements scientifiques; l'autre, qu'il ne parvient pas à rendre sa théorie crédible au-delà du cogito. Non seulement Dieu n'est prouvé que négativement, et de surcroît avec une image irrationnelle, mais en plus, Descartes ne parviendra jamais à relier le cogito sûr avec le physique incertain. C'est d'autant plus gênant que cette contradiction intenable ne fait pas que ruiner son entreprise théorique de métaphysique. Elle conduit aussi à rendre impossible la recherche scientifique, à partir du moment où celle-ci s'applique au physique. Le doute est le critère utilisé d’une méthode qui en fonctionne pas, tant d’un point de vue pratique (vérification scientifique) que théorique (théorisation bancale du rée, qui aboutit à une relation difficile, voire scindée, entre l’intérieur du cogito et l’extérieur du réel). Le véritable moyen de vérifier cette carence du cartésianisme dans le raisonnement philosophique consiste moins à rappeler l’échec de l’entreprise scientifique qu’à s’aviser de la représentation divine qui en découle. Dieu est la caution du système philosophique de Descartes (ce qui fait qu’il s’affranchit de manière encore ambiguë de l’influence théologique). Mais Dieu est irrationaliste et inexplicable chez Descartes. Il existe d’autant plus qu’il est inexplicable et que son action sur le fini diffère de l’action scientifique en ce que cette dernière se trouve assujettie au physique quand Dieu est l’irrationaliste qui peut modifier par miracle le cours du physique.