vendredi 30 septembre 2011

Les confessions d'un tueur humaniste

http://www.dailymotion.com/video/xlc9qy_rastani-le-trader-qui-priait-pour-la-recession-et-le-krach_news?start=87#from=embediframe

Cette vidéo du trader Rastani intervenant sur la BBC pour rendre publique la mentalité des financiers autour de la City de Londres pourrait suggérer une confession. Le trader va proposer aux téléspectateurs une solution au "cancer financier" dont il est un auteur anonyme parmi tant d'autres - qui accumule les victimes exponentielles parmi les populations du monde. Eh bien, pas du tout.  Fidèle à la fable des abeilles de Mandeville et aux successeurs contemporains comme Comte-Sponville, selon lesquels les vices privés se commuent en vertus publiques, notre sympathique trader invite ceux qui écoutent ses confessions à lui emboîter le pas et à faire comme lui : profiter de la crise inéluctable, gagner de l'argent sur le dos de ceux qui souffrent ou meurent. Autrement dit, il s'agit dans cette mentalité pour le moins surprenante de faire du profit avec la misère environnante et de proposer la solution : j'accrédite la méthode destructrice au nom du profit. Avec un mensonge renouvelé, le "diviser pour régner" prend la forme d'une affirmation sidérante : tout le monde pourrait s'enrichir sur le dos de la crise (une entité biologique?) en jouant à la baisse - et pas seulement la clique des initiés aux combines de la spéculation financière.
Affirmation donnant bonne conscience, en premier lieu à l'intervenant lui-même, qui montre que sa viscérale entreprise de prédation n'est pas réservée à son égoïsme ou à celui de quelques complices; mais que cette mentalité peut tout à fait fonctionner sur un mode opératoire plus vaste et généralisé. Raisonnement faux, car la domination ne peut s'étendre sans quoi ce n'est plus de la domination (la domination est élitiste ou n'est pas). En 2010, des théoriciens de haut niveau de l'Empire britannique, localisé autour de la LSE, appelaient rien moins qu'à rationaliser l'irrationnel en recourant à des techniques ultrasavantes de rénovation transdisciplinaire. Autant dire : justifier de l'impossible, soit restaurer le principe de contradiction en guise de raisonnement. Quand notre trader émérite et cynique nous livre le fond de sa pensée, il explique en gros que tout le monde peut dominer.
Cette affirmation contient deux sens opposés :
1) le principe de domination peut être étendu, ce qui est une assertion manifestement fausse et délirante;
2) n'importe qui peut participer à l'exercice de domination, ce qui revient à dire que l'inégalitarisme n'est pas fermé, mais ouvert (qu'il intègre n'importe qui capable de dominer).
C'est ce deuxième sens que le trader défend : il se montre favorable à une forme d'oligarchie ouverte, qui n'est pas népotique, mais où les élites, loin de se reproduire, selon le titre fameux de Bourdieu et Passeron, changent de personnel agissant, tout en conservant leur principe de la sélection drastique et inégalitariste. C'est aussi une conception plus raisonnable que la forme furieuse et démagogique consistant à lancer que tout le monde peut dominer. Je ne pense pas que ce soit une forme stable : l'histoire enseigne que l'oligarchie se déploie selon un mode de caste fermée, dans lequel elle finit par dégénérer et où elle ne parvient pas à se renouveler. Le principe explicatif repose sur le processus de la sélectivité : on ne peut sélectionner que dans un champ fini, où la sélection est possible. Mais toute finitude est entropique : toute oligarchie est fermée.
La solution proposée par le trader ressortit du prétexte et de la parade. Elle rappelle la doctrine spinoziste de la liberté, qui serait révolutionnaire : la liberté comme accroissement de la puissance. A cette aune, n'importe quel désir peut accroître sa puissance (sa complétude), mais également : peu de désirs au final peuvent accroître leur puissance, car le propre de la domination, c'est qu'elle est forcément élitiste et inégalitariste. La liberté selon Spinoza montre sa véritable nature (et son inconséquence); et que cette conception se retrouve chez le trader, qui loin de citer directement Spinoza (qu'il ne connaît peut-être même pas) reprend une mentalité ultralibérale dont la connaissance théorique n'est pas l'impératif premier. Le libéralisme consiste à faire montre de pragmatisme dans l'usage de la domination, posture parfaitement conséquente puisque la domination n'est pas attractive d'un point de vue théorique.
La théorie mène au constat entropique de la destruction, quand la pratique expurgée soigneusement de la théorie procure la jouissance de la domination à qui domine. L'ultralibéralisme est une théorie minimaliste qui se contente de simplifier au maximum l'immanentisme philosophique, celui d'un Spinoza par exemple, pour se concentrer sur les fondements qui légitiment la pratique du commerce (l'impérialisme commercial). L'ultralibéralisme est une simplification de l'idéologie libérale qui comme l'idéologie marxiste est une simplification abusive de la théorie immanentiste, elle-même simplification de la théorie métaphysique, qui par contre rend cohérente le nihilisme antique, fondement théorique inévitable qu'on s'empresse d'évacuer pour se concentrer sur l'aspect pratique (chez les marxistes, c'est l'idéologie entendue comme politique; chez les libéraux, c'est le commerce entendu comme exercice de la domination la plus cruelle, ainsi que l'atteste l'exemple historique de la Compagnie des Indes).
Derrière cet appel simpliste et déculpabilisant à profiter largement - majoritairement? - de la crise, tout phénomène marquant (comme la crise) se déroule de manière majoritaire : si la crise est majoritaire, faire de l'argent avec la crise ne peut être qu'un phénomène minoritaire; et si le phénomène de profit devenait majoritaire, la crise disparaîtrait -  le phénomène de la crise ressortit du désordre et n'amène aucun ordre viable alternatif. En fait, la "solution" que propose le repenti trader sur la voie de la rédemption monétariste quand on cherche à l'appliquer se révèle intenable : on ne peut profiter de la crise que de manière élitiste, dominatrice - en accroissant encore le processus de destruction déjà à l'oeuvre.
Ce que nous dit le trader est marqué du coin du faux : il essaye de nominaliser et de fixer (au sens fixiste) le système oligarchique, plurielle, morcelé, divisé et fragile de l'oligarchie financière en livrant le nom du dominateur stable, secret et tout-puissant : c'est la banque d'affaires Goldmann Sachs qui joue ce rôle. Pas question de chercher à relativiser la responsabilité de Goldmann Sachs dans certains des problèmes qui surviennent de par le monde (comme en Grèce), mais Goldmann Sachs n'est au mieux qu'une composante dans l'organigramme de l'oligarchie financière - et qu'un instrument au service de l'oligarchie tout court, dont la finalité est plus aristocratique que financière. Si Goldmann Scahs était plus qu'un instrument de la spéculation financière, cette banque d'affaires ne se trouverait pas autant dénoncée de par le monde.
Par exemple, on parle moins à Wall Street même des intérêts Morgan (JP Morgan ou Morgan Stanley), alors qu'historiquement et à l'heure actuelle l'influence de Morgan est d'autant plus palpable qu'on en parle beaucoup moins dans les médias - la même remarque pourrait être établie pour un groupe comme Brown Brothers Harriman & Co. On pourrait tout aussi bien préciser que les activités stratégiques de Goldmann Sachs ne sont pas prises à Wall Street, mais dans les bureaux de la City, ce qui confirme la supériorité financière et monétariste de la City sur les marchés financiers mondiaux et apatrides. Le raisonnement du trader tourne fondamentalement autour de la légitimité incontestable de la doctrine libérale dans ce qu'elle propose de plus réactionnaire et radical en ce moment : l'ultralibéralisme promu par Friedmann (et dont on trouve des origines chez les économistes autrichiens comme Hayek, mais aussi chez Walras, le spécialiste du raisonnement formel déconnecté de toute réalité applicable).
L'indignation qu'a soulevée chez les nombreux auditeurs l'intervention du trader vient de sa légitimation cynique et sinistre de la destruction : "on ne peut pas faire autrement", serait la rengaine explicative (frustre et fausse). Comme la plupart des décideurs et stratèges de ce monde libéral purulent, notre petit trader, qui répercute la mentalité en trompe-l'oeil et à courte-vue des marchés financiers et de la spéculation financière, a enfourché le cheval de bataille consistant à légitimer le libéralisme au nom de sa nécessité plutôt que de sa justice. Certes, les méthodes du libéralisme sont de moins en moins défendables; certes, le facteur d'équilibre du libéralisme, véritable deux ex machina de l'idéologie, la fameuse et providentielle "main invisible", se révèle chaque jour plus fausse à l'usage le plus immédiat; mais peu importe, au fond, puisqu'il n'y pas d'autre alternative.
A ce petit jeu de la nécessité venant cautionner les pires politiques de destruction, on sombre bientôt dans des formes de violence et de dictature au nom de l'irréfragable nécessité. J'ai déjà constaté que la nécessité constituait la forme dégénérée d'explication du réel propre au nihilisme, laissant croire que le réel se déploie d'une manière unique et contrainte, c'est-à-dire confondant unité et unicité. L'unité implique que toutes les parties du réel sont unies, bien que le réel soit morcelé et pluriel (hétérogène); l'unicité implique plutôt que le réel soit un et qu'il faille composer avec tous les désagréments éventuels de son avènement, ainsi que l'y engage le test psychologique que Nietzsche intitule l'Eternel Retour (et qui diffère grandement de l'explication ontologique antique, notamment développée par les stoïciens).
Sous couvert d'en montrer les rouages secrets les plus monstrueux, le trader livre une apologie paradoxale et implacable du libéralisme, dont la clé de voûte sophistique serait la nécessité. La nécessité a remplacé la main invisible. L'irrationnel consensuel et miraculeux est remplacé par l'irrationnel radicalisé et radical. La main invisible peut être défendue tant que les prédations libérales inhérentes à l'impérialisme se manifestent au loin, loin du coeur, loin des regards alternatifs des observateurs du monde libéral vivant au coeur du libéralisme (les autres n'existent à ce moment presque pas); quand ces prédations reviennent tel le boomerang toucher le coeur du système libéral, alors la main invisible ne peut plus être proposée comme explication. Le trader la remplace par le mensonge cardinal de la nécessité, et par l'autre mensonge connexe de la possibilité de rendre la domination aussi majoritaire que nécessaire.
Le trader en ment pas; il se ment à lui-même, c'est-à-dire qu'il applique les fondements d'un système qui est faux : le libéralisme historique est faux; les limbes de l'ultralibéralisme théorisé par Walras sont irréalistes; l'ultralibéralisme de Friedmann repose sur la dérégulation, soit l'accroissement de la recette libérale pourtant déséquilibrée. Vous assistez à l'échec public du libéralisme en fin de course, car ceux qui distinguent entre libéralisme politique et libéralisme économique, entre le libéralisme classique nobles et l'ultralibéralisme dégénéré manifestent la même duplication hallucinatoire que les communistes qui au nom de l'idéal disqualifiant les tentatives pratiques toujours ratées (et ne pouvant jamais être réussies), au lieu de disqualifier la théorie au nom de ses erreurs (LaRouche et Cheminade montrent que la critique marxiste du capitalisme passe par la reprise des postulats libéraux).
Avec cette intervention du trader, le libéralisme en fin de course, agonisant et purulent, ne trouve rien de mieux pour se justifier, soit faire parade d'existence, que de décréter que le monstrueux est nécessaire (peut-être monstrueux; toujours nécessaire). C'est : bas les masques, puisque la justification apportée (la nécessité monstrueuse) n'est pas satisfaisante et trouve vite des contestations au nom de la pérennité et de la viabilité. Le trader ne dit rien d'autre que : mon système consiste à légitimer la rapine et la piraterie au nom de la nécessité inévitable; mais si l'on adoubait ce système, les sociétés humaines disparaîtraient assez vite; cependant, je me contrefiche de cette éventualité, car ce qui m'intéresse, ce n'est pas le terme, c'est le court terme, ce n'est pas le processus, c'est (juste) l'instant suivant.
Cette intervention médiatique sur la BBC (la télévision britannique est l'objet de tentatives de régulation du libéralisme qui ne sauraient remettre en question le libéralisme) a engendré des tentatives maladroites de démenti : le trader serait un imposteur et un farceur. Affirmation rassurante démentie par nombre d'articles. Avant même de prendre conscience du caractère vraisemblable (ou non) de l'identité du trader, il était frappant que son intervention légitime l'action des traders, au nom de la nécessité des choses (expression fourre-tout et vague par excellence) et en évacuant le caractère monstrueux de la légitimation de la destruction. Il n'était pas plausible que cette intervention soit une imposture? En tout cas, le discours du trader ne fait que rendre publique la démarche reconnue des marchés spéculatifs, qui consiste à s'aligner sur les théories les plus agressives du libéralisme, en gros la dérégulation friedmanienne et l'école de Chicago, pour légitimer l'action prédatrice en refusant de suivre la logique du processus jusqu'au-boutiste. Au nom de la nécessité, on refuse d'affronter le terme du processus en disséquant ce processus et en le morcelant en instantanés immédiats. Pourtant, un processus de prédation et de piraterie mène à la destruction.
Le trader invoque le bémol de la possibilité de généraliser son action prédatrice, comme si le coucou avançait que tous les oiseaux du nid peuvent aussi faire le coucou. Coucou cocu? Cocu KO? En tout cas, le seul fait que l'on ait pu insinuer que l'intervention du trader ressortit du coup monté, de la comédie gratuite et illusoire, indique à quel point l'action effective des traders repose sur le toc et la mise en scène. En gros, le trader nous explique qu'il vit pour l'immédiat le plus instantané qui soit et qu'il se moque de ce qui adviendra par la suite ou des conséquences de son geste prédateur. Le téléspectateur assiste à la confession d'un tueur à gages financier avec cette nuance que le tueur deviendrait altruiste, généreux et désintéressé - quelqu'un qui vous montre que sa manière de vivre repose sur l'imposture de l'instantané. Pourquoi cette vidéo a-t-elle fait l'objet de tant de démentis qui étaient eux infondés?
Parce qu'elle dérange. Sans doute. Surtout parce qu'elle met à jour que nous vivons dans un système dont les valeurs sont dérangées. Valeurs économiques : valeurs ultralibérales, de spéculation et de dérégulation. Valeurs culturelles et religieuses qui sous-tendent la dévalorisation du politique au profit de l'économique : l'immanentisme sournois et destructeur. Nous vivons dans un système de comédie où l'on mélange la comédie du trader, l'action effective qu'il accomplit et la manipulation qu'il pourrait délivrer, surtout si elle se révèle défavorable au système libéral. Les propos du trader sont si violents qu'il vaudrait mieux qu'ils se révèlent faux. Perdu, ils sont simplement - fous. C'est l'ensemble du système qui nage dans la folie et se berce d'illusions en oubliant que le trader n'est que l'arbre qui cache la forêt, une pitoyable synecdoque, une pathétique projection. Une dernière précision : il reste à inventer le principal : une alternative future supérieure, parce que ce système immanentiste est aussi mort que le cas de la Grèce (et que l'euro en tant que monnaie de la zone euro). Ce n'était pas mieux avant - le retour réactionnaire aux anciennes valeurs monothéistes est périmé. Par contre, ce ne peut qu'être mieux après. Le discours du trader revient à légitimer le recours à la ciguë comme médicament de guérison.

mercredi 28 septembre 2011

Le vengeur marqué


Pourquoi le nihilisme ne peut qu'être masqué? Pourquoi le nihiliste déclaré n'est pas un nihiliste, mais un poseur? Le nihilisme ne peut pas (ne doit pas) expliciter les fondements bancals et partiels de sa théorie. En échange, il obtient l'illusion d'avoir isolé le réel en totalité : le donné, fixe et fini; à cette regrettable exception qu'il ajoute à la totalité (du coup incomplète) le non-être (du coup indéfini et irrationnel). L'erreur de ce schéma où l'on obtient l'être intégral par l'ajout en trop (superflu et erroné) du non-être provient de la confusion nihiliste entre unité et unicité. Le nihiliste croit qu'en se montrant uniciste, il se montre unitaire. L'unicisme lié à la nécessité affirme qu'il n'est qu'un seul réel - une variété, une sorte, un canal; tandis que l'unité implique l'hétérogénéité du réel - l'état à lui seul n'est pas suffisant pour définir le réel.
"Le réel est un" signifie (dans cette optique antinihiliste) qu'il existe plusieurs variétés de réel interconnectées, soit que le non-être désigne de manière partielle et fausse (dénaturée) des parties différentes entre elles, quoiqu'interconnectées - tandis que l'être fini et fixe exprime la vision obsessionnelle et monologique d'un réel absolument seul (solitaire) dans sa finitude (en ce sens tragique et singulier, selon la terminologie de l'école nietzschéenne). Qu'est-ce que la dynamique néanthéiste? Au contraire de la structure tronquée de l'état, le moyen trouvé par le réel (le choix du terme de réel revenant à éluder la question décisive de Dieu, soit d'une intervention uniciste et ultime dans le réel) pour subsister (ne pas disparaître) consiste à passer sans cesse (indéfiniment) d'un état à un autre, créant une dynamique de va-et-vient qui engendre l'infini et qui empêche d'en rester à l'état de fini. Qui instaure l'hétérogène empêche l'homogène (soit la réduction). Le nihiliste est celui qui ne peut expliciter son erreur sous peine de discréditer l'intégralité de son discours; alors qu'il promeut justement sa proximité réussie avec l'être comme la preuve de la vérité de sa théorie.
Le nihiliste revendique le réalisme (au sens de concrétude, de pragmatisme et de souci des choses les plus normales, voire anodines) - tandis que le nihiliste affiché (poseur) penche du côté de l'hédonisme - prend du plaisir à édicter que l'on va mourir, que rien existe, que seule vaut la domination. Quant au nihiliste idéologue, espèce en voie de disparition, c'est aussi une espèce éphémère, qui coïncide avec cette époque troublée des idéologies, où l'immanentisme ayant pris le pouvoir lors des Révolutions a échoué, et où l'échec suscite des réactions de sauvegarde contrastées. Les deux grandes réactions sont l'immanentisme conservateur et l'immanentisme progressiste, qui tous deux cherchent à instaurer le changement - l'un en changeant de monde, l'autre de désir.
Le nihilisme proprement dit est une idéologie de taille mineure, qui face à l'effondrement de l'immanentisme tire les conclusions les plus radicales, puisqu'il endosse et revendique la destruction jusqu'à la souhaiter et à l'aimer. Le nihilisme au sens idéologique n'est pas tenable et n'émana que de cercles européens très minoritaires qui prenaient en compte l'effondrement des espérances immanentistes tout en leur conférant une pose pessimiste et torturée. Le nihilisme idéologique n'est qu'une émanation parcellaire du nihilisme philosophique (qui n'est jamais philosophique fondamentalement, plutôt un dérivé moral d'expression hédoniste), en ce que c'est un nihilisme politique qui revendique l'autodestruction dans le plaisir de l'anéantissement (d'où le terrorisme propre au nihilisme idéologique).
On pourrait caractériser ce nihilisme idéologique (spécifique et réducteur) comme pessimiste et affecté; quand le nihilisme philosophique affiché ressortirait davantage d'une morale hédoniste tout aussi affectée, mais flanquée d'un fondement au demeurant peu tenable - l'affectation chez le nihiliste est remarquable, notamment chez le postromantique Nietzsche, qui abuse de la grandiloquence et des traits mégalomanes.
La philosophie de Schopenhauer n'est pas tant appuyée sur le pessimisme que sur l'absurde, ce qui souligne que le nihilisme philosophique présente une application morale hédoniste, avec une tendance plus théorique à l'absurde (soutien au chaos primitif et fondamental). Pour comprendre à quel point le nihilisme ressortit d'une conception propre à la pensée humaine, plus vaste que l'histoire de la philosophie, et si parente de la pensée que le nihilisme revendiqué et récent n'en est qu'une expression étriquée et réductrice : le nihilisme affecte tout comportement qui identifie le réel de manière enfin stable et fixe - le fixismeA l'aune de cette définition, dans laquelle l'usage du nihilisme désigne une forme de pensée humaine, plus seulement une idéologie mineure, récente, quoique finie, le nihilisme n'est plus seulement une "petite" idéologie marginale, une philosophie revendiquée par certains courants mineurs (avec des disparités historiques, Gorgias, Cioran, certains pessimistes chics d'aujourd'hui) ou une philosophie très récente (quasiment contemporaine) qui se pique d'absurde (autour de Schopenhauer en gros).
Loin de la marginalité, le nihilisme, dont la caractérisation cherche à revendiquer le non-être (ou le néant), tout en présentant le défaut de paraître se focaliser sur une forme de pensée très particulière, singulière et caricaturale, désigne un mode de pensée atavique et fort répandu, selon lequel le réel se trouve définissable par la réduction du principe du réel (le reflet comme dernier sens de la dynamique, après la dynamique platonicienne et la dynamique leibnizienne) au seul réel qui se trouve stable et définissable (fixe et fini). Tel est le fixisme - et l'on comprend qu'Aristote ait défini dans sa mentalité le réel comme le fini. La mention d'Aristote est ici précieuse et précise tant il personnifie le caractère connexe le plus remarquable du nihilisme : le déni. Le nihilisme instaure le déni le plus général, le déni de réel, sous prétexte de chercher à définir précisément le réel : le fixisme crée une importante zone de réel non identifiée, baptisée sous plusieurs vocables, chaque fois synonymes de non-être.
La leçon historique à retenir, corroborée par la plupart des inventions théoriques, quant au sens qui ne serait pas déjà donné, mais qui serait innovant (à un moment donné caché, c'est-à-dire non encore distingué, pas volontairement camouflé à l'attention générale par quelques esprits aussi pervers qu'ingénieux) : le théorique se caractérise par le fait de subsumer du réel dont la caractéristique est de se révéler aussi existant qu'inobservé - caché. Le caché n'est pas volontairement caché, enfoui, dissimulé, par une volonté de cacher, volonté qui pourrait être le propre d'individus aussi pervers que tout-puissants, mais qui surtout pourrait renvoyer à l'intervention d'un être doté de volonté et présidant à la création puis à la consolidation de son réel. Il n'en est rien : le caché n'est pas délibérément caché, mais simplement n'est pas réalisé par la conscience humaine partielle et imparfaite (expérimentale en ce sens que sa théorisation est toujours en recherche et en progrès), tout en étant réel. Le propre de la connaissance est d'accroître son savoir tout en admettant que la connaissance est insuffisante et en progression constante.
Le propre de l'intervention nihiliste est de décréter, dans un mouvement de révolte contre la condition démunie et incertaine de l'homme, que la connaissance peut parvenir rapidement (définitivement) au savoir absolu et définitif (sorte d'omniscience disponible tout de suite). Mais si la structure et le processus de la connaissance sont de progresser de manière imparfaite vers l'amélioration toujours imparfaite et provisoire, le caché se rapproche de la révélation religieuse, soit de la connaissance, dans un sens nullement irrationaliste, mais dans un sens de dévoilement rationnel. Le caché est le propre de la connaissance, alors que le visible est; plus que mensonge total, déformation partielle - souvent grossière.
La maïeutique, selon laquelle la connaissance consiste à faire ressurgir à la conscience ce qui y préexiste de manière inconsciente, du fait de son ancrage dans le sensible trompeur car partiel (déformé), explicite le symbole pythagoricien (que l'on retrouvera dans la théologie chrétienne proche du néo-platonisme d'un Cues) du lien entre toutes les parties du réel, en particulier l'infiniment petit l'infiniment grand. Le caché est l'invisible du polythéisme, avec cette précision supplémentaire et spécifique que l'illumination (dans un sens épistémologique) concerne le réel accessible à la connaissance (et non une partie du réel qui concernant les morts est inaccessible aux vivants). La différence entre caché et invisible tiendrait au progrès selon lequel toutes les parties du réel sont accessibles (peu à peu) à la connaissance, y compris la catégorie de l'invisible dévolue jusqu'alors au mystère indéfini et éternel.
Le déni du nihilisme signe la négation de l'unité. Tel est le déni : nier l'unité; telle est la raison pour laquelle le nihilisme fonctionne sur le déni : il nie l'unité dès les limbes, opérant un dualisme antagoniste entre l'être et le non-être qui se révèle théoriquement faux et simpliste. Aristote postule que l'être est fini et multiple. Il explique sans l'expliquer la multiplicité de l'être à partir de la multiplicité du non-être. Il s'agit pratiquement de nier l'unité en la remplaçant par la multiplicité. Le déni nie le lien qui existe entre toutes les parties du réel, malgré leur caractère fragmentée, morcelé, séparé, hétéroclite.
Peut-être est-ce à cause de cette dimension consttutiuve et inhérente à sa démarche (son projet) que le nihilisme se retrouve aussi peu considéré comme existant, ou alors autant dénié justement, osit réduit à une portion congrue : le nihilisme historique sert un mouvement idéologique historique terrroiste et virulent qui serait fini et qui n'aurait jamais spirs des formes importantes (quoique spectaculaires); et d'un point de vue philosophique, le nihilisme serait l'apanage de quelques esprits mineurs et intéressants qui parsèmeraient de temps en temps l'histoire de la philosophie : Démocrate ou Gorgias dans l'Antiquité. Cioran dans l'époque contemporaine. Mais cette vision est réductrice au sens où elle repose sur le déni : car le nihilisme ne désigne uacun de ces mouvements qui n'en sont que des sous-parties sans doute radicales et déformatrices. Le nihilisme désigne en fait, bien au-delà de quelques mouvements épars et mineurs, le déni de non-être. Du fait de son déni, le nihilisme n'est pas reconnu; mais il est obligé de recourir au déni pour continuer son emprise croissante sur la pensée. Seul point positif dans cette histoire d'autant plus niée qu'elle s'appuie sur le déni : le déni signifie la destruction. La contradiction se lève dans une structure qui manque de lien et qui finit tôt ou tard par disparaître.

lundi 26 septembre 2011

A mort




http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/09/22/97001-20110922FILWWW00566-un-saoudien-execute-par-decapitation.php

On entend beaucoup parler de l'exécution scandaleuse, et sans doute injuste, de l'Américain noir Davis, peine capitale dont la sévérité se révèle d'autant plus irrémissible que peu de temps auparavant, on a eu droit dans le sens inverse à une mansuétude charlatanesque et oligarchique du procureur Vance concernant DSK (vous savez celui qui n'a pas eu de rapport sexuel consenti, tout en n'ayant pas violé de manière certaine sa victime putative, un génie de la science économique et juridique qui a inventé une catégorie d'existence jusqu'alors inconnue dans les annales judiciaires, et plus généralement historiques). Qu'a fait Obama à ce sujet? Une nouvelle fois, rien. Obama n'a rien trouvé à redire concernant l'affaire politique DSK (malgré l'existence d'un dossier médical irréfutable, quoique déformé par DSK). Obama n'a pas davantage souhaité s'exprimer sur l'exécution de Davis. Obama le vertueux a aussi jugé légitime la vengeance revendiquée des Etats-Unis contre Oussama, alors qu'aucune infraction judiciaire ne lui est reprochée pour le principal mobile du 911. Obama, poursuivant son parcours du combattant exemplaire, menteur et de pleutre, s'est par contre prononcé contre l'existence de l'Etat palestinien rabougri et a repris les arguties venimeuses d'Israël militant pour la création du Grand Israël, projet porté au pinacle par les sionistes extrémistes actuellement au pouvoir en Israël.
Dans toutes ces affaires, le point commun est qu'Obama manifeste son penchant désormais reconnu pour le plus fort, alors qu'on le présente comme le candidat progressiste noir-américain qui devait reprendre l'héritage et le flambeau de Martin Luther King et la cause des classes moyennes laminées par la terrible crise financière. Pauvre Obama, les riches de Chicago ou de Wall Street l'ont (notamment) élu pour sauver l'Amérique de la tiers-mondisation oligarchique, génératrice de chaos, alors qu'il suit la feuille de route de maîtres financiers qui encouragent sa mentalité encline à imposer la politique d'inégalitarisme et d'oligarchisation (sous couvert de progressisme, d'antiracisme, voire de négritude). Mais laissons notre symbole bientôt décati d'oligarchie progressiste américaine et rendons-nous vers l'un des terrains d'expression privilégié de l'oligarchie : l'Arabie saoudite, qui est la propriété privée de la famille royale Seoud et qui du fait de sa manne pétrolière se trouve au centre des intérêts opaques de l'Empire britannique (le pire contrat de corruption connu implique l'Arabie saoudite et la Grande-Bretagne, via BEA, et se nomme Al-Yamamah).
Obama le pieux s'est incliné (en musulman néo-wahhabite?) depuis son accession à la présidence américaine devant l'oligarchie saoudienne : il a offert l'immunité à la famille royale saoudienne et à ses alliés compatriotes dans l'affaire des poursuites que les familles des défunts du 911 entendent intenter (avec justesse). Dans cette affaire, Obama protège notamment l'ancien ambassadeur le prince Bandar Bush. Obama lors du Printemps arabe a appuyé la politique du "double standard", empêchant les révoltes populaires dans certains États frontaliers de l'Arabie saoudite, quand il aida à fomenter des troubles en Libye et en Syrie sous couvert d'ingérence démocratique, jusqu'à tuer des dizaines de milliers de civils (en Libye, la résistance s'organise et finira par vaincre l'OTAN et son faux nez du CNT). Après DSK le violeur présumé, les menées terroristes de Bandar illustrent l'impunité dont jouit l'oligarque, alors que l'opprimé ne peut obtenir justice. Bandar illustre l'oligarque impuni, l'oligarque au-dessus des lois, l'oligarque qui recrute des milliers de mercenaires d'al Quaeda et les envoie se faire tuer illico presto au front libyen, quand le pauvre mercenaire d'al Quaeda personnifie en tant que bourreau manipulé l'opprimé qui s'est engagé dans le mercenariat sous faux nez atlantiste pour des raisons de précarité financière et qui est engagé dans un combat dont il ne comprend rien et dont il a peu de chances de sortir vivant malgré ses pillages et ses prévarications au sol.
On pourrait multiplier la liste des injustices que Bandar cautionne avec une arrogance dont il a fait preuve par le passé quand il eut à défendre le dossier d'Al-Yamamah. La surmédiatisation du crime commis par la justice américaine à l'encontre du Noir Davis passe sous silence une nouvelle tout aussi monstrueuse : en Arabie saoudite, des dizaines de condamnés à mort sont décapités tous les ans. C'est normal dans ce royaume antidémocratique et oligarchique où sévit la conception la plus littéraliste et rétrograde de l'Islam, le wahhabisme, qui se trouve d'autant plus manipulé et instrumentalisé par les Seoud pour asservir leurs compatriotes zélés et obséquieux que pendant ce temps les princes multipliant les intrigues et les complots se gardent bien d'observer cette charia de la terreur et de la honte.
Au moment où Davis subissait une injection létale en Géorgie, un Saoudien était décapité pour meurtre en Arabie saoudite. Presque personne n'en parle. Si peu relayent les 40 décapitations survenues en Arabie saoudite depuis janvier 2011; les centaines des années précédentes. Que vaut le cas d'un Hamad al-Chahrani au nom imprononçable et au pedigree douteux d'assassin sauvage à côté de la noble figure du Noir Davis injustement condamné et exécuté dans une démocratie? Un mort est pourtant un mort. Un mot un mot. La peine de mort est de toute façon une terrible injsutice. 
Au royaume de l'oligarchie triomphante, l'Arabie plus maudite que saoudite, la condamnation à mort est une excellente chose. Aux Etats-Unis, emblème de la démocratie libérale, c'est une chose détestable. Il faudrait savoir et accorder les violons selon un standard international homogène et commun. Personnellement, je ne peux qu'être opposé à la peine de mort, non seulement parce que Victor Hugo (voire Sade) est mon ancêtre, mais surtout à cause de l'injustice que toute condamnation à mort contient. Le cas Davis parle de lui-même : non seulement il est contestable de s'arroger le droit de condamner à mort un autre homme; mais cette limite de pouvoir (la mort) se manifeste avec la possibilité de commettre l'irréparable injustice - l'erreur terrorisante et terroriste de se tromper dans la punition à mort.
Le fait que l'on surmédiatise de manière ambiguë le cas américain (le pauvre et noir Davis) tout en gardant le silence médiatique sur le cas saoudien (le sale assassin arabe) indique que la mentalité oligarchique est en train de gagner les esprits (les coeurs?) : les démocraties laissent s'instaurer la contradiction cardinale dans leurs lois : une loi démocratique ne peut être oligarchique; surtout au niveau de l'alliance trouble entre des démocraties et des oligarchies (exemple des États-Unis et de l'Arabie saoudite). Cette collusion inavouable engendre des effets dramatiques dans l'affaire du 911, où le pouvoir américain protège l'implication saoudienne du fait des investissements colossaux de la famille royale; on instaure du coup à l'intérieur des démocraties la loi du double standard cher au stratège britannique Cooper : à l'intérieur des démocraties, la loi démocratique libérale prévaut. A l'extérieur, par contre, c'est la loi du plus fort qui prend le relais (comme dans le cas libyen, où l'OTAN s'arroge le droit de larguer plus de trente mille bombes en six mois sur la population pour la libérer du tyran Kadhafi et l'aider dans sa quête démocratique).
La condamnation à mort devient inacceptable en terre démocratique (les symboliques quoique moribonds États-Unis), tout à fait  banale et anonyme en terre étrangère. Après tout, le monde non démocratique obéit à des lois prémodernes, archaïques, sauvages. La mort d'un sauvage n'est pas la même que la mort d'un citoyen de démocratie. On pourrait déceler dans ces considérations glauques et saugrenues un racialisme certain, typique de l'histoire arrogante de l'Empire britannique (dont Thatcher ou Bandar sont deux figures contemporaines archétypales). Le pire n'est pas là. Le pire, c'est qu'en instaurant un double standard, on fragilise le standard le plus élevé en encourageant la destruction par l'effet d'attraction minimal ou inférieur. L'idéal démocratique de type républicain, s'il est supérieur à l'idéal oligarchique, se trouve contaminé par le bas par l'idéal oligarchique - selon la loi du double standard : au final, la duplicité des États-Unis en matière de peine de mort et sa collusion patente avec l'oligarchie saoudienne, elle favorable sans atermoiement à la peine de mort, indique, non pas seulement l'hypocrisie américaine sur ce sujet sensible et révélateur, mais le fait que la république des États-Unis est en train de s'oligarchiser.
C'est ce qu'il faut retenir au moment où le système économique s'effondre et où le modèle culturel occidental est vicié de manière irrémédiable  l'oligarchie s'empare des mentalités et permet les alliances les plus nauséabondes te de mauvaise foi, entre l'oligarchie et la démocratie, entre le fantasme obscurantisme et l'esprit critique et porgressite. L'alliance de l'oligarchie et de la république contamine l'esprit républicain en le tirant vers le bas. Bientôt, il sera d'autant plus normal de massacrer les Libyens et de décapiter les criminels saoudiens que ces normes se seront aussi imposées dans les démocraties d'Occident : la vie d'un homme n'aura pas le même poids, suivant qu'il est riche ou pauvre, considéré ou marginalisé socialement. Le créateur du courant métaphysique Aristote fasciné par l'impérialisme perse défendait la conception de la multiplicité de l'être rattachée (à défaut d'être expliquée) à à la multiplicité du non-être.

vendredi 23 septembre 2011

Que vous arrive-t-il, monsieur Fabius?

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/09/21/97001-20110921FILWWW00384-palestineonu-fabius-veut-savoir.php

Au départ, Laurent Fabius a été victime d'un lynchage médiatique doublé d'une hyperresponsabilisation irresponsable dans l'histoire du sang contaminé. Ce n'est pas parce qu'on est Premier ministre de la France au moment des faits en accusation que l'on est responsable de toutes les décisions politiques et médicales qui y sont prises (je ne parle pas du Rainbow Warrior, hein). Puis Fabius a eu aussi la bonne idée de s'opposer à la ratification par référendum du Traité de Rome de 2004 en 2005 (pour la France). Je n'ai pas que des compliments à adresser au socialiste Fabius, notamment concernant la propension de ses collègues socialistes depuis le vénitien (pardon florentin) Mitterrand à ruiner l'héritage jauréssien, blumien et mendésien pour le remplacer par un compromis confus et intenable entre socialisme et libéralisme, où c'est le carriérisme qui l'emporte. Mais là n'est pas l'essentiel. On serait en droit d'attendre d'un responsable français de première envergure, de par les responsabilités politiques qu'il a exercées, qu'il fasse preuve, sinon de compréhension, du moins de nuance. Surtout quand ce dit responsable a été lui-même victime de campagne de lynchage et s'est retrouvé dans la position nauséabonde du bouc émissaire.
Je sais bien que l'une des manies caractéristiques de la victime est de se transformer en bourreau. Je ne prendrai pour exemple que le cas palestinien dont Fabius nous entretient en priorité dans ce lien électoraliste : comment les sionistes extrémistes qui se trouvent actuellement à la tête de l'Etat israélien osent se comporter de cette manière avec les autochtones palestiniens, niant les exactions coloniales pour à présent traiter les autochtones historiques comme des sous-hommes et les réduire à l'état d'esclaves moribonds et exsangues? L'intervention de Fabius, qui porte en priorité sur le cas palestinien, et le refus possible par les Etats-Unis de reconnaître le pseudo Etat rabougri, racorni, réduit, entend critiquer la politique politicienne du gouvernement Sarkozy, dont il faut rappeler les positions néo-conservatrices typiques et dévastatrices.
Ce faisant, Fabius, que le courage n'étrangle guère, se déconsidère en osant toute honte bue aborder le cas libyen (un massacre typiquement colonial) avec une désinvolture des plus inquiétantes face aux morts, aux blessés, aux traumatismes : Fabius ne considère-t-il pas qu'en Libye, "très bien, pas de problème" (sic)? Des dizaines de milliers de morts - pas de problème? Comme Fabius veut critiquer l'action française récente, il rappelle que "cela n'efface pas tout à fait la collusion passée avec Kadhafi". Certes, c'est une première critique que de rappeler la duplicité déshonorante d'un Sarkozy dans le dossier libyen avec celui qu'il veut désormais assassiner comme Saddam (voire Oussama dans la légitimation symbolique). A ce compte, on pourrait réclamer une enquête parlementaire sur les accusations portées par le fils Kadhafi concernant le financement illégal de la campagne 2007 de Sarko, surtout en cette période de révélations sur les agissements passés de la Françafrique (sans jamais s'attaquer aux réseaux financiers de la City de Londres, qui sont du même acabit que la Françafrique, simplement en plus importants). Mais là n'est pas du tout l'essentiel.
Dans la campagne militaire libyenne, la France, qui est très impliquée dans les opérations sous mandat de l'ONU et sous action aérienne et terrestre de l'OTAN, n'a pas seulement par les bombardements contribué à la mort de dizaine de milliers de civils innocents. Elle a aussi envoyé des forces spéciales au sol, par centaines, sinon milliers, au côté notamment des forces spéciales britanniques, plus nombreuses et plus malmenées (on parle au bas mot de centaines de morts dans les rangs SAS pour la seule prise sanglante et seulement provisoire de Tripoli). Le retour de la relation privilégiée (l'entente formidable) entre la France et la Grande-Bretagne en dit long sur la nature du régime de Sarkozy et sur les accusations historiques qui pèseront plus tard quant au comportement stratégique français. Rien ne permet de légitimer ce que la France, la Grande-Bretagne et l'OTAN ont commis en Libye. Il s'agit d'un crime colonial classique, d'un comportement impérialiste auquel le néo-conservatisme du PNAC nous prépare, mais qu'un soi-disant représentant socialiste ne devrait en aucun cas cautionner.
Pourquoi Fabius ne dénonce-t-il pas les terribles et impardonnables crimes que l'OTAN a commis en Libye et dont la France s'est souillée? Fabius se monterait aussi compromis et aveuglé que les autres représentants politique français, tous bords confondus, qui usant de divers sophismes concernant le régime de Kadhafi ou la possibilité de l'ingérence démocratique, oublient qu'il existe une différence majeure et magistrale entre la personne de Kadhafi, le régime complexe, socialiste et dictatorial de la Jamahiriya instaurée par Kadhafi - et le peuple libyen, qui ne mérite en aucun cas le traitement que lui inflige l'OTAN, punition hypocrite et perverse qui ne se justifie que par la terrible loi du plus fort. Je te bombarde, ça barde.
Un socialiste est un progressiste politique qui croit dans la possibilité d'améliorer le niveau de vie et le niveau culturel de l'ensemble des peuples du monde. A l'aune de cette définition rapide, Fabius ne s'exprime pas en socialiste, mais en oligarque classé à gauche parce qu'il a servi comme Premier ministre de Mitterrand et qu'il s'est toujours exprimé depuis l'étiquette politicienne de socialiste. Je crains qu'à force de duper les citoyens français depuis trente bonnes années, les socialistes actuels, des socio-libéraux corrompus et hypocrites, finissent par enterrer le socialisme historique. Fabius aura sa part de responsabilité dans ce naufrage, même s'il s'est plutôt rangé de la vie politique nationale depuis quelques années - semble-t--il.
Après Rocard crevant l'abcès purulent de DSK le socialiste ultralibéral violant les peuples et accusé de violer certaines jeunes femmes qui lui résistent, Fabius se permet de reprendre les déclarations atlantistes et chaotiques de ses collègues socialistes sur le cas libyen pour commettre un viol cette fois politique et historique. Non, monsieur Fabius, en Libye, il y a un problème, un gros problème, un immense problème. Prenons la ville de Syrte, qui connaît en ce moment le destin de Fallouja en Irak. Ville rasée, ville martyr. Heureusement que de nombreuses sources divergentes nous informent sur Internet autrement que la propagande déversée dans les médias...
Comment peut-on passer sous silence les reconstitutions bollywoodiennes de Tripoli montées au Qatar et exhibées comme si de rien n'était par les médias occidentaux ou affalés? Comment peut-on cautionner le mensonge des journalistes libres puis donner des leçons de démocratie et de morale au monde? Le cas libyen n'est pas seulement circonscrit au peuple libyen martyrisé ou à la cause panafricaine freinée (quoique inarrêtable sur le terme). Le cas libyen exprime ce qui attend l'Occident qui actionne en ce moment la politique du chaos : destruction, retour à l'âge de pierre, fragmentation des États, tribalisation de la société (sur une modèle balkanique) et risque de somalisation, soit d'interminable guerre civile dont les vendeurs d'armes (atlantistes) fourniraient les munitions aux deux parties antagonistes...
Le jour où Fabius prendra la parole pour oser que le roi est nu en Libye comme partout dans le monde, il fera bien plus que l'accès vite réprimé de franchise d'un Rocard dans l'abjecte affaire DSK. Bien plus aussi que le vieux Dumas dont on a du mal à croire dans la sincérité soudaine quand on connaît le parcours pour le moins retors et sinueux par le passé, notamment sous Mitterrand (encore), son modèle en coups tordus... Ne rêvons pas : Fabius incarne la transition du socialisme historique des Jaurès, Blum, Mendès-France et consorts, vers la tromperie socialiste d'un Mitterrand, qui a trahi l'idéal socialiste pour le remplacer par son arrivisme politicien et le mâtiner de libéralisme. Qu'on se souvienne de l'alliance objective de Mitterrand, Thatcher et Bush Sr. pour façonner la trame d'une Europe monétariste aux antipodes de l'Europe politique voulue par les pères fondateurs (de Gaulle, Adenauer et consorts).
L'écart est en train de se creuser et de s'élargir de manière irrémédiable entre les élites politiciennes travaillant pour les milieux financiers opaques et fascistes et les peuples, qui subissent de plein fouet la stratégie oligarchique consistant à détruire les Etats-nations pour les remplacer par des fédérations oligarchiques à la solde des puissants. Non seulement Fabius symbolise cet état de fait inacceptable par son parcours, notamment sous Mitterrand, mais sa prise de parole dans l'affaire libyenne trahit son atlantisme viscéral et le fait que plus personne de notable en Occident dans les milieux corrompus de la classe politicienne n'est en mesure d'affronter la réalité.
La fuite en avant d'un Fabius est à cet égard patente et éclairante. Défendre un État palestinien fantoche et légitimer le massacre colonialiste libyen, au nom d'une logique dont la rationalité nous dépasse, à moins de se souvenir que c'est la loi du pus fort qui meut ce genre de raisonnement, condamne celui qui tient ces positions à se vautrer dans la fange morale, et pis encore à devenir le perroquet des pires instincts et des pires folies. Si bien qu'on se réveille cent ans plus tard et l'on se rend compte que les historiens parlent du massacre de Tripoli, du martyr de Syrte, condamne le colonialisme sioniste, de plus en plus rapproché de la politique de l'apartheid, et se rendent compte que l'OTAN en Libye utilisait des méthodes voisines du sympathique nazisme, et en rupture avec les méthodes de la paix de Westphalie (vive le double standard édicté par Cooper pour l'impérialisme européen postmoderne).
Les historiens disserteront aussi sur la subversion du socialisme par le libéralisme, dont un Fabius est malheureusement un exemple tragique et sordide, en ce qu'il défend des positions indéfendables et inacceptables, cautionnant l'impérialisme sous couvert du mirage de la démocratie libérale, qui expriment le point de vue destructeur et suicidaire des oligarques, des dominants, des dominateurs. Pour un socialiste, c'est pire que peu glorieux - c'est une trahison. Fabius a trahi, le peuple libyen bien sûr, le peuple palestinien, tout autant, mais surtout les principes et l'idéal que le socialisme proposait - le peuple français, donc. Désormais, l'idéal du socialisme, l'idéal républicain progressiste, voire communiste, ne passe plus par l'appellation félonne de "parti socialiste" - parti-pris vite dit.
L'écroulement du socialisme va de pair avec l'écroulement du libéralisme. Le libéralisme s'est écroulé symboliquement en 2009, vingt ans après le tout aussi symbolique mur de Berlin (qui, je tiens à le signaler, a bel et bien des saints). Il est normal que le socialisme ait été passablement atteint par la crise du communisme et qu'il ait survécu provisoirement avec son empoisonnement massif au libéralisme. Mais si un Fabius exprime ce "libéralisme socialiste" étrange et totalement opposé à l'appellation hétérodoxe que lui réservait un Allais (seul prix Nobel d'économie français), son pendant DSK au PS est lui carrément un cran au-dessus dans la désertion idéologique et politique ultralibéral - et "socialiste". La preuve dans cette déclaration désaxée que nous livre Fabius, sous couvert de se livrer à des attaques politiciennes et électoralistes contre le néo-conservateur Sarko (au demeurant histrion indéfendable et déjà discrédité par les historiens, dont le NOM sera fort mineur et passablement oublié au vu de son impéritie et de sa trahison) : il n'est pas possible de traiter avec pareille désinvolture le sujet libyen, les dizaines de milliers de civils assassinés par l'OTAN sous prétexte d'apporter la démocratie te de les protéger du tyran sanguinaire Kadhafi.
L'on peut vérifier dans ce lien par exemple ce qu'est d'ores et déjà l'application la plus brutale du chaos : l'oligarchie dévoilée dans sa toute-puissance, l'arbitraire de sa toute-faiblesse :
http://mai68.org/spip/spip.php?article3209
"La vérité est que le monde est entré dans une nouvelle ère où il devra affronter ses pires démons. Point de place pour le faible, point de place pour les justes, seuls les rapaces s’invitent au banquet où ils veulent mettre eux-mêmes la table. Vivront des miettes qui tombent ceux qui feront preuve de servilité. Ce que les Libyens ont compris en poussant à la folie sanguinaire l’Alliance atlantique".
Et dans ce monde, la position socialiste-libérale contemporaine de Fabius tient toute sa place, tout son rang, toutes ses promesses. Le socialisme libéral d'un Fabius désigne la subversion et la trahison du socialisme historique par le libéralisme, soit le fait d'inculquer l'esprit d'oligarchie, d'élitisme et d'inégalitarisme dans le socialisme; tandis que ce qu'un Allais entendait par socialisme libéral consiste au contraire à combattre les crises inhérentes au libéralisme - de manière à mon avis fort réductrice, car le seul moyen de combattre le libéralisme consiste à proposer une alternative qui sorte du libéralisme. Dans ce contexte, Fabius se contente de condamner les positions politiciennes de l'oligarchie la plus conservatrice et explicite, alors que lui demeure dans les limites de l'oligarchie, mais en prônant à l'intérieur une dissidence oligarchique.
Le progressisme oligarchique n'est jamais que de l'hypocrisie oligarchique. Hypocrisie qui se démasque de manière intolérable avec l'imposture libyenne et l'imposture de la position française en Libye. Ce qu'un socialiste devrait hurler face un massacre libyen, c'est que l'impérialisme sanguinaire n'est pas tolérable; que le cas palestinien exprime de manière synecdoquique la loi du plus fort; et qu'il convient de parler en premier lieu de la cause de tous ces maux nauséabonds. Bien entendu, Fabius n'en parle pas dans cette déclaration (ou ailleurs de manière superficielle et à l'intérieur du prisme libéral). Il aborde de manière déformée et oligarchique les sujets connexes et secondaires; il tait carrément le sujet central - la cause des cas secondaires. Car le plus choquant dans les prises de positions politiciennes de Fabius, ce n'est pas qu'il se trompe lourdement sur les sujets périphériques qu'il aborde pour tancer Sarko (l'apologue de la paille et de la poutre), ou, pis encore, qu'il prenne le secondaire pour le fondamental (au sens où l'on prend des vessies pour des lanternes); c'est qu'il pratique la politique du déni quant au sujet fondamental : non pas la Libye, non pas la Palestine, cruels alibis, mais l'effondrement financier, dont le coeur se tapit à la City de Londres et dont un socialiste ferait bien de nous entretenir en proposant, par exemple, comme remède courageux un véritable Glass-Steagall : la mise en faillite des intérêts financiers en faillite; une politique de crédit public et un plan de croissance culturelle et politique menant vers l'espace.

mardi 20 septembre 2011

Mercenaires sous fausse bannière

http://www.alterinfo.net/notes/Le-chef-militaire-de-Tripoli-veut-des-excuses-de-Londres-et-des-USA_b3243299.html

Cette nouvelle cocasse parmi tant d'autres pourrait servir d'introduction à une des révélations qui ont émaillé le conflit libyen (qui ne fait que commencer, puisque la destruction coloniale de la Libye lance une politique du chaos dans la région, avec guerres intertribales interminables et privatisation de la guerre à la solde de hordes faméliques et massacrées, à l'instar des loufiats d'al Quaeda). Que se passe-t-il en Syrie? On le sait mal, mais des tentatives de déstabilisation diverses (notamment via Internet) sont appuyées sur le terrain par des mercenaires islamistes et par des snipers, eux bien mieux entraînés.
En Libye, les hordes en hardes d'al Quaeda servent soit de chairs à canon, soit de prétexte médiatique pour légitimer la rébellion de la population libyenne contre son horrible dictateur. Encore une fois, il ne s'agit nullement de défendre Kadhafi de ses exactions, mais de constater que son régime de la Jamahiryia est victime d'un coup monté de nature impérialiste et que dans ce dessein les puissances impérialistes se sont servies d'al Quaeda comme de vulgaires mercenaires juste bons à crever au combat, en première ligne - présence d'al Quaeda que d'ailleurs le Colonel affirmait au début du conflit, bien qu'il ait été moqué par tous les médias-propoagandistes occidentaux.
En Libye, nous avons assisté à l'improbable retournement de situation stratégique de nature mondialiste. En 2001, le 911 exactement, al Quadea et son improbable chef Oussama sont devenus les ennemis publics numéro 1 Mondiaux. Ils avaient osé défier la première puissance politique, économique et militaire du monde. Ils avaient réussi l'incomparable exploit de détruire les Twin towers et le Pentagone avec quelques pirates-kamikazes et des avions peu remplis de passagers. Si cette VO est vraie (heureusement elle est fausse), pour le coup Allah ne pourrait que se trouver du côté de pareils planificateurs géniaux et démunis, des charlots géniaux. Les troubles attentats du 911 nous ont appris que la responsabilité d'al Quaeda était d'autant plus invraisemblable que c'était dès le départ une organisation paramilitaire sous la coupe des services secrets saoudiens et de leurs alliés occidentaux (atlantistes), contrôlée régionalement par l'ISI.
Mais le sujet n'a pas vraiment été creusé, du moins par les médias dominants, qui il est vrai servent plus de courroie de transmission à la pensée officielle occidentale que de véritables contre-pouvoirs menant des enquêtes subversives et courageuses. Un journaliste allemand, l'excellent Elsässer, avait pourtant prévenu de la nature des mercenaires d'al Quaedea : en gros, ils combattaient en Bosnie aux côtés de l'OTAN (déjà) et l'on pouvait trouver un lien sulfureux et inavouable entre les pirates de l'air du 911 et les opérations d'al Quaeda en Bosnie.
http://www.voltairenet.org/Jurgen-Elsasser-La-CIA-a-recrute
On parle beaucoup de la CIA, du Mossad ou des services secrets soaudiens derrière al Quaeda, ce qui est vrai; on aborde moins le sujet des liens entre les services secrets britanniques et al Quaeda. Pourtant, services secrets américains et britanniques sont jumelés par des accords depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, Oussama possédait un studio à Londres d'après une tenace rumeur - et les services secrets français ont protesté contre la pépinière terroriste du Londonistan, complaisamment entretenue au nom du droit d'expression inaliénable du libéralisme. 
En Bosnie ou en Tchétchénie plus tard, les mercenaires d'al Quaeda se retrouvent du côté de l'OTAN, plus ou moins indirectement. Dans le cas de la guerre de Yougoslavie, c'est directement que nos mercenaires islamistes font le jeu de ceux qu'ils sont censés combattre et repousser - où l'on vérifie que les discours anti-occidentaux d'Oussama sont au mieux des effets de façade. Et puis survient l'opaque  911, qui montre le vrai visage des dirigeants de l'Occident impérialiste en phase terminale : pas les politiciens démagogues et véreux à la solde de, mais les financiers (autour du Groupe Inter-Alpha, créé autour des accords de 1971 marquant la fin du Bretton Woods et la dématérialisation du dollar).
Les attentats du 911 inversent de manière manichéenne la tendance des mercenaires de la légion islamiste alliés de fait à l'OTAN. Désormais, ils deviennent les ennemis ultimes qu'il convient d'abattre et une menace terrible pour la civilisation (rien de moins). On donne à tout ce fatras idéologique une cohérence à peu de frais (historique notamment) en ressortant les discours plus ou moins poussiéreux et retouchés d'Oussama contre l'Occident - en particulier les Etats-Unis. On oublie généreusement de rappeler comment l'hydre al Quaeda fut créée, à quel point Oussama est un piètre théologien musulman, par contre un flamboyant mercenaire au service de la CIA ou des services secrets saoudiens commandés de main de maître par le prince Turki. L'alliance d'al Quaeda et de l'OTAN en Bosnie devient inaudible, tout comme la présence d'Oussama dans un hôpital militaire américain sous assistance de la CIA en juillet 2001, deux mois avant les attentats qu'on lui prête contre ses ex futurs alliés/parrains. On a juste oublié de préciser qu'Oussama est un mercenaire qui dirige une base de données mondialiste, non circonscrite à l'Afghanistan initial, de mercenaires islamistes, faciles à manipuler et idéaux pour réaliser les plans machiavéliques de l'OTAN ou d'autres organisations atlantistes.
Pendant dix ans, première décade du nouveau siècle chrétien, la guerre contre le terrorisme s'est braquée contre l'ennemi introuvable d'al Quaeda. Pour cause : al Quaeda et son chef Oussama sont des marionnettes des dirigeants de la guerre contre le terrorisme. Un moyen sûr pour manipuler, c'est de s'assurer que l'ennemi vous renvoie une animosité viscérale emplie de négativité et dépourvue de toute positivité. C'est le cas avec le "message" creux et haineux d'al Quaeda qui ne comporte aucune originalité ni aucune nouveauté, simplement de la haine et de la violence rances. Si quasiment aucun musulman ne souscrit au message d'al Quaeda, c'est bon signe : l'Islam irait encore plus mal si le refuge pour sa foi se résumait à des messages aussi simplistes, voire simplets. Au passage, le wahhabisme est déjà une interprétation littéraliste particulièrement ridicule de l'Islam et que la "doctrine" d'al Quaeda se trouve soutenue par des cercles proches de ceux qui régentent la foi wahabbite dans le royaume saoudien (contenu tellement simpliste qu'il opère une simplification du wahhabisme qui soit prioritairement accessible aux conceptions occidentales populaires). Sans doute existe-t-il une correspondance entre le wahhabisme déjà primaire et le quaedaisme carrément décérébré.
Et voilà que patatras, 2011 odyssée de la théodicée, on annonce la mort de l'introuvable Oussama au Pakistan, en pleine garnison militaire pakistanaise (merci l'ISI?), dans une banlieue cossue, avec d'autres personnes également assassinées (no problemo, on ne fricote pas avec le diable). Mort plus que suspecte puisque l'on n'obtiendra aucune preuve de cet assassinat présenté comme une vengeance légale (selon la norme du plus fort, certes). La mort d'Oussama annonce que la guerre contre le terrorisme est enterrée au profit de son successeur stratégique, la politique du chaos. Comme l'impérialisme s'est encore effondré d'un cran notable pendant ces dix ans de guerre contre un ennemi invisible (et pour cause), on passe au chaos, à la zizanie, au plus simple appareil du vieil adage impérialiste "diviser pour régner".
C'est ici qu'interviennent les contre-révolutions arabes, qui agissent pour contrer les révolutions populaires du "Printemps arabe" et qui sont fomentées depuis l'Arabie saoudite (dont le rôle était déjà stratégique dans le 911, via le prince Bandar - toujours déjà). On retrouve le prince Bandar et la clique royale pour le compte de laquelle il agit. En 2010, on apprend que les réseaux terroristes que dirige le prince ont recruté d'importants contingents de mercenaires en Asie mineure (pas seulement en Afghanistan). On avait auparavant appris grâce au scandale al Yamamah que les réseaux Bandar recelaient des milliards de dollars de trésor de pirates pour financer les mouvements terroristes qui l'arrangent, comme en Afrique, en particulier les mercenaires d'al Quaeda.
Lors de la guerre colonialiste et impérialiste de Libye, surprise magistrale : l'ennemi s'est commué en allié de l'OTAN. Depuis la mort d'Oussama, il faut croire que de l'eau a coulé sous les ponts. Pour preuve, outre les nombreux califes islamistes institués arbitrairement dans les régions de l'est libyen, la nomination comme commandeur à Tripoli d'un certain Belhadj, ancien commandant d'al Quaeda et d'un groupuscule islamiste libyen, torturé notamment à Guantanamo et en Libye par le MI 6. Attendez, comme sifflent les imbéciles offusqués : si le MI 6 s'est occupé sous le régime Kadhafi de traiter Belhadj, cela prouve le double jeu de l'OTAN (des Britanniques en particulier) dans ce dossier, où ils ont renversé leur ancien allié Kadhafi et où ils ont installé en lieu et place celui qu'il torturait il y a encore peu de temps.
La supercherie de l'ingérence démocratique n'éclate pas seulement (où l'on voit que cette contradiction dans les termes, véritable oxymore, permet d'accoucher des pires duplicités). Al Quaeda est passée du statut d'ennemi public mondialiste à celui d'allié dans l'affaire libyenne. Du coup, on se rend compte que les combattants regroupés sous la bannière d'al Quaeda ne forment aucune force militaire ou religieuse (plutôt idéologique que religieuse d'ailleurs) cohérente et indépendante, mais désigne des mercenaires qui sont déployés par l'OTAN et qui peuvent être retournés sans protestation par les services secrets occidentaux ou alliés. Pour cause : ceux qui composent leurs rangs hétéroclites sont des mercenaires pauvres et perdus, prêts à tout pour gagner une liasse d'argent. Souvent, ils disparaissent assez vite dans les combats, utilisés comme de la chair à canons. Ils revendiquent un Islam littéraliste qui les aide à accepter leur sort peu enviable, mais qui rappelle ce que furent dans l'histoire les mercenaires : des esclaves payés par des maîtres riches, puissants et sans scrupule. Les dirigeants de l'OTAN ne sont rien d'autre que des oligarques de latifundia.
Les mercenaires d'al Queda présentent l'avantage d'obéir à une doctrine stupide qui leur donne le loisir de croire qu'ils sont opposés à l'Occident tout en travaillant explicitement pour les intérêts occidentaux (comme en Libye où sous couvert de prôner l'islamisme radical, nos mercenaires font le jeu impérialiste de l'Occident tant vilipendé). Cherchez l'aigreur. Al Queda est une opération stratégique sous fausse bannière : de la même manière qu'il existe un terrorisme d'Etat sous fausse bannière, que l'on a notamment vu se dévoiler lors du 911 et qui était promu par l'OTAN dans sa lutte contre le communisme lors des années de plomb en Europe de l'ouest (notamment en Italie, mais pas seulement); de même existe-t-il un mercenariat sous fausse bannière, qui est utilisé par l'OTAN, que ce soit dans son intérêt ou contre lui. Dans les deux cas, les gogos d'al Quaeda sont les alliés objectifs et les idiots utiles des forces impérialistes occidentales.
Le cas libyen sert au moins, au-delà de sa monstruosité infâme, à montre le vrai visage d'al Quaeda, dont les multiples et contradictoires traits étaient si confus, si embrouillés ces dernières années que l'observateur informé occidental en était venu à ne plus bien savoir qui était al Quaeda, entre désinformation, contre-information et information. Eh bien, al Quaeda, ce sont des mercenaires qui défilent dans une mouvance versatile et contrôlée, dont la seule continuité est de continuer à percevoir les financements des Saoudiens et de ceux pour qui ils travaillent : l'Empire britannique. Comme si l'impérialisme voyait aussi s'effondrer, en même temps qu'il s'effondre lui-même, son principal outil de propagande, les médias soi-disant libres, plutôt libéraux (ce qui n'est pas la même chose), ces caisses de résonance propagandistes qui permettent d'embrouiller la vérité, de rendre crédible l'improbable. Comme en Libye, où l'OTAN a détruit un pays, a massacré un peuple et prétend agir au nom de l'ingérence démocratique et avec l'aide notable des islamistes les plus radicaux et guerriers, en particulier ceux proches d'al Quaeda.

dimanche 18 septembre 2011

Le renversement fixiste

Le propre du renversement chez Nietzsche est d'appréhender les choses en les gardant fixes. C'est le propre de l'immanentisme que d'appréhender l'ordre du réel d'une manière fixiste. Marx, qui se tient aux antipodes immanentistes de Nietzsche, lors de cette période d'effervescence intellectuelle qui caractérise la crise de l'immanentisme traditionnel, et qui essaye lui aussi de conférer enfin à cette période de crise une pérennité et une viabilité, propose de partir d'une lecture de Hegel pour opérer un renversement, au moins une réduction : "".
Nietzsche considère que le réel est fixe, qu'il ne change pas, à tel point qu'il peut supprimer les arrières-mondes pour ne conserver que le sensible et proposer l'Eternel Retour comme test psychologique. L'Eternel Retour implique que l'on accepte que revienne l'ensemble de son existence, y compris les épreuves les plus pénibles. Mais ce retour implique la finitude de l'existence. C'est aussi la lecture qu'en propose Marx. Les différences qui existent entre les différents courants immanentistes reposent sur cette erreur d'approche du réel : que le réel est stable, fixe et que l'on peut par conséquent découvrir la vraie morale du réel (la vérité du réel). Erreur qui remonte dans l'Antiquité au courant nihiliste et qu'un Aristote codifiera de la manière la plus rigoureuse avec sa métaphysique.
Dans l'époque moderne, Hegel pourrait constituer le père de l'erreur commune rassemblant les réformateurs de l'immanentisme durant cette époque d'immanentisme tardif et dégénéré qui entend enfin conférer ses lettres de noblesse à l'immanentisme - par le renversement. Nietzsche aussi renverse les valeurs, mais la différence avec Marx, c'est que Marx pour renverser la dialectique hégélienne n'en conserve que la première partie explicite, alors que Nietzsche, qui connaît plus Schopenhauer que Hegel, prône un conservatisme révolutionnaire (toujours chez Nietzsche cette curieuse manie consistant à associer deux contraires insolubles et antagonistes pour essayer de substituer à la dialectique ternaire une forme d'accomplissement impossible).
Chez Marx, l'accomplissement du renversement passe par le progrès rationnel instillé par l'homme du sensible. Chez Nietzsche, l'accomplissement passe par le surhomme, peut-être même, plus que par le surhomme, par le processus de surhumain; ce qui n'est pas une différence résiduelle ou secondaire (superficielle), mais la reconnaissance que c'est au coeur de la faculté suprême de l'homme, le désir, que s'accomplit la mutation ontologique qui chez Nietzsche prend une forme oxymorique intenable - menant droit à la folie. Nietzsche appelle à un renversement de toutes les valeurs ou à une transvaluation de toutes les valeurs. Mais cet effort se déploie dans un univers immobile, fixe, fini, statique et clos. Nietzsche radicalise l'approche philosophique d'Aristote et raille d'ailleurs la métaphysique. On peut même considérer que Nietzsche tente de radicaliser l'effort de Spinoza, qui lui-même radicalisait le nihilisme par l'immanentisme.
Outre que la démarche de Nietzsche n'est pas très claire, du moins dans ses propositions d'alternative positive, en outre elle a pour notable particularité de proposer l'inverse. L'envers dans la cadre fixiste revient à proposer le même, alors que l'envers dans le cadre infini revient à proposer la création. Cette différence notable semble n'avoir pas été relevée par Nietzsche qui croit dur comme fer qu'il propose quelque chose de nouveau en renversant les valeurs morales et philosophiques couramment admises. Outre que Nietzsche ne se rend pas compte qu'il ne fera pas du nouveau en revenant à de l'ancien (mélangeant sans doute faire du nouveau à partir de l'ancien et faire du nouveau en reprenant de l'ancien), Nietzsche le grand naïf postromantique, sorte d'adolescent attardé et vindicatif dans son élitisme de brillant étudiant,  semble ne pas s'apercevoir que son renversement l'amène à proposer la même chose que ce qu'il réfute sous prétexte de réfuter le même. L'abolition chez Nietzsche du principe de non-contradiction le mène tout droit à l'aval du principe de contradiction.
Le mal moral que Nietzsche loue avec aveuglement (car que connaît-il du mal concret?) reviendrait à proposer l'identité sous couvert d'inversion avec le bien combattu et considère comme hypocrite. Il y a là incompréhension de Nietzsche envers la morale : Nietzsche ne comprend pas ce qu'est le bien (l'héritage platonicien en philosophie, le bien religieux exprimé notamment par le christianisme) et il ne comprend pas la structure du réel qu'il cautionne.
- la structure qu'il cautionne : en prenant l'inverse, Nietzsche estime qu'il établit une différence notable te qu'il propose un projet très différent de ce qu'il attaque. Or cette différence n'est pas différence  fondamentale, mais différence relative, c'est-à-dire qu'elle s'oppose en restant sur le même plan. Au mieux, il s'agit d'une différence confusionnelle, au pis, d'une différence hypocrite; dans tous les cas, d'une différence maladivement et pathologiquement fausse.
- le bien : la structure du bien sert la structure du réel selon le projet moral. Le bien ne se déploie jamais dans un milieu hermétique et statique (fermé), mais sert la possibilité de passage d'un domaine fini à un domaine supérieur tout aussi fini, dans un processus qui lui dévoile l'existence de l'infini. L'incompréhension de Nietzsche à l'égard de la qualité infinie du bien l'empêche de comprendre son erreur personnelle.
Cette erreur touche moins à la morale qu'à la structure du réel que sert la morale. En comprenant l'erreur sur la structure du réel, on comprend l'erreur sous-jacente de type moral. La structure du réel demeure dans l'identique et le même si on s'en tient à ses pôles inverses. Toute structure donnée et figée se manifeste par ses contraires, ce qui implique que tout donné soit déjà une forme autodétruite. Le contraire dans le réel n'existe que dans le donné. Le contraire signifie que la structure du réel se trouve coupée et diminuée à un moment donné. Dans le réel, le contraire correspond à la réduction du supérieur, qui permet d'engendrer la croissance. La croissance ne se produit pas de manière prolongée et continuelle, mais au contraire en zigs-zags, de manière discontinue, par la structure de l'enversion produisant par le reflet la plateforme supérieure.
Le contraire renvoie en fait à la structure tronquée du réel ne gardant seulement que le non-être, ou le chaos initial : structure en contraires. C'est seulement dans cette forme que le donné s'épanouit en tant que réel nécessaire, unique et arbitraire. On comprend alors l'étymologie de nihilisme, qui indique que le programme nihiliste mène au néant, à la disparition : le nihilisme s'appuie sur la structure du réel qui ne retient du réel que les contraires destructeurs. C'est une structure tronquée qui est tellement fausse que les contraires qui devraient signifier l'opposition renvoie au contraire à l'identité.
Nietzsche aboutit ainsi au résultat destructeur (inverse) de celui escompté. La transvaluation de toutes les valeurs, ou grand renversement, aboutit paradoxalement à demeurer dans la structure de l'identique sous prétexte d'apporter un changement. Autant dire que Nietzcshe se débat dans les rets d'un piège mortel, comme un poisson enfermé dans la nasse qui en s'ébrouant furieusement pour survivre ne fait que refermer sur lui les portes de son tombeau. Selon Nietzsche, le grand renversement  devait aboutir à dégager les conditions nouvelles du surhumain, soit d'un état qui permette à l'homme immanentiste de s'installer  dans la pérennité. Mais les conditions qui doivent révolutionner la condition humaine se révèlent à l'examen passablement contrefaites :
1) Nietzsche ne fait que reprendre de vieilles recettes antiques qu'en bon philologue il connaissait, ce qui prouve que sa nouveauté n'existe pas et qu'il peine à créer du nouveau avec son but nihiliste soi-disant nouveau;
2) Nietzsche ne peut en aucun cas parvenir à du nouveau en demeurant dans un schéma fixe et sclérosé, qui a pour particularité d'accroître l'identique sous prétexte de créer de la nouveauté et de l'inconnu. Tragédie nietzschéenne et maniaque : Nietzsche ne s'en rend pas compte parce que pour lui le nouveau s'apparente à la destruction.
D'une manière comique, Nietzsche ne se rend pas compte que son renversement dans la staticité revient à faire du nouveau avec de l'identique, soit à détruire au lieu de créer. Le grand renversement de toutes les valeurs n'est pas un programme révolutionnaire et subversif, ainsi que le souhaitait Nietzsche, qui dans sa démesure mégalomane ne souhaitait rien moins que de parvenir à un projet final et ultime; c'est au mieux une lubie puérile et postromantique (pour adolescents attardés te ricaneurs) - au pis, une issue désespérée vers la destruction et la disparition.

vendredi 16 septembre 2011

La subversion du processus dynamique par Aristote

De la méontologie (suite).

On relate l'affrontement philosophique entre Aristote et Platon, mais en taisant l'inimitié personnelle du disciple et du maître; surtout en faisant comme si les deux s'opposaient à l'intérieur de la même ligne philosophique : la philosophie dite métaphysique pour Aristote serait assez proche de l'ontologie pour Platon. Il n'en est rien - et c'est en quoi les commentateurs (des néo-scoliastes) d'Aristote méritent d'être sévèrement critiqués : pour avoir osé adouber depuis plusieurs siècles (notamment sous la scolastique médiévale toute-puissante et totalitaire) la métaphysique comme une démarche philosophique proche de l'ontologie platonicienne, malgré les oppositions. Il n'en est rien. Il n'y a pas une démarche philosophique au fond unie et assez proche. Il y a en histoire de la philosophie deux grandes tendances : le nihilisme et l'ontologie. Le nihilisme repose sur le principe selon lequel il n'y a que du quelque chose; le nihilisme propose de manière antagoniste le principe irrationaliste selon lequel l'être côtoie le non-être (au point qu'un Gorgias expliquera de manière provocante et indéfinie que l'être est du non-être). Cet affrontement indique que la démarche ontologique se trouve proche du religieux transcendantaliste, avec quelques nuances (le rationalisme, l'humain); alors que le nihilisme entend remplacer l'approche religieuse traditionnelle (transcendantaliste) par sa démarche, ce qui montre que le nihilisme philosophique se veut une alternative religieuse au religieux classique.
Dans cette opposition viscérale, le nihilisme reste un mouvement sourd et peu défendable, au sens où il repose sur l'irrationnel, l'indéfini et l'inconséquent. En conséquence, son importance dans la pensée humaine se jauge non pas à la force de son explicitation, mais à son déni. Ce n'est pas : moins on en parle, plus il est important; mais : bien qu'on en trouve des traces évidentes, notamment chez les Grecs antiques, ces signes ne peuvent jamais être développées et proposer une alternative cohérente, puisque le propre du nihilisme est de reposer sur l'incohérence. D'où l'oubli du nihilisme. L'intervention d'Aristote est décisive en ce qu'elle succède à plusieurs notables échecs des penseurs grecs nihilistes précédents - pour faire du nihilisme une école de pensée pérenne et respectable, alors qu'elle provoque le rejet et l'effroi de la majorité. Les nihilistes affichés ne peuvent y parvenir puisque le programme nihiliste repose sur l'impossibilité de l'explication. L'intervention d'Aristote n'est pas anodine, puisqu'Aristote part de l'idée selon laquelle la philosophie parvient à son terme en incluant le nihilisme dans l'ontologie; puis seulement ensuite Aristote se demande comment rendre pérenne la pensée nihiliste : en fondant la métaphysique, réunion du nihilisme et de l'ontologie. De ce fait, Aristote n'est pas un nihiliste affiché et se considérant comme tel (comme un Démocrite ou un Gorgias) au sens où lui serait plutôt un métaphysicien. 
Aristote fonde la métaphysique sur une idée originale précise : pour rendre pérenne le nihilisme, il convient d'instaurer un compromis entre nihilisme et ontologie, de mélanger le nihilisme avec l'ontologie. Aristote doit se vivre plus comme un philosophe métaphysicien que comme un nihiliste. S'il est opposé à l'ontologie, pour lui, il a achevé sa tâche insigne : il a réussi à ancrer l'héritage nihiliste dans la philosophie en le mélangeant à l'ontologie. A la différence d'un Gorgias (et du mouvement des sophistes), le compromis philosophique aristotélicien explique l'être par le non-être et décrète que l'être repose sur le fondement philosophique - étymologiquement méta-physique : l'être fini qui coexiste avec le non-être implique que l'on a besoin d'un substrat théorique pour penser le réel; et que le recours à la réflexion métaphysique n'est pas une chimère, comme le professaient certains courants virulents du nihilisme (on retrouve de nos jours ces mêmes aspirations chez nombre de logiciens, qui professent d'abolir la métaphysique; c'était aussi le grand projet de Nietzsche de rendre son immanentisme tellement virulent qu'il en venait à considérer que la métaphysique reposait sur des illusions d'arrières-mondes et d'idéaux).
En réalité, la philosophie d'obédience ontologique se vit comme une démarche rationaliste proche de la démarche religieuse révélée et transcendantaliste; alors que le nihilisme consiste à proposer une démarche anti-ontologique et anti-transcendantaliste opposant au transcendantalisme (et à l'ontologie) le nihilisme s'épanouissant exclusivement en philosophie. L'ontologie reconnaît l'infini; quand le nihilisme substitue à l'infini  indéfini le non-être indéfinissable. Aristote va biaiser en proposant la métaphysique comme le moyen d'installer le nihilisme dans la durée. Autrement, le nihilisme n'est pas viable. Aristote s'empare de ce problème encore non résolu pour achever la philosophie (en particulier l'héritage platonicien qu'il cherche à tuer et à dépasser) : comment rendre le nihilisme viable. Et la réponse d'Aristote : en le mélangeant avec l'ontologie. La métaphysique devient ainsi presque synonyme de la philosophie et l'histoire de la philosophie ultérieure à Aristote se décline comme la présence très forte de la métaphysique tenue pour la pensée emblématique du rationalisme de l'être, plus pragmatique que l'ontologie, au point que l'on en vient (trop souvent) à confondre métaphysique et philosophie. Le néologisme "métaphysique" n'est pas forgé par Aristote, qui essaye à la place de réemployer le terme classique et connoté de philosophie en lui conférant une nouvelle signification (sa philosophie plus tard baptisée spécifiquement de métaphysique) et en faisant comme si l'ontologie était de la philosophie et comme si son projet visait à poursuivre l'ontologie, à la dépasser dans un sens méta tout en demeurant soigneusement dans le giron de la philosophie.
Aristote aurait apprécié qu'après sa contribution, l'on estime que la philosophie consiste à dépasser le nihilisme et l'ontologie par sa démarche. La dénomination posthume de métaphysique par des disciples proches et fervents signale qu'Aristote n'a pas réussi à remplacer la philosophie par son seul projet, puisqu'on dénomme sa démarche métaphysique, non philosophie, et qu'on reconnaît à cette démarche une spécificité qui n'est pas ontologique. Mais cette manière pour des aristotéliciens directs de présenter leur maître comme métaphysicien indique aussi qu'ils ne le tiennent pas pour un nihiliste, ni que lui-même ne se tenait pour un nihiliste pur. Sans doute Aristote a-t-il voulu exploiter le nihilisme en l'incorporant dans la philosophie traditionnellement dominée par la problématique ontologique.
Aristote a voulu dire : il n'y a pas que l'Etre - il y a aussi le non-être; et du coup, si le non-être côtoie l'être, l'être devient compréhensible en tant qu'il est fini - ce qui demeure incompréhensible, mais désormais dénié, est que l'être découle du non-être. La problématique consiste à expliquer l'être par le non-être - le non-être demeurant quant à lui inexpliqué. Aristote essaye de réserver la théorisation ontologique en la rendant compatible avec un être fini et avec l'existence irrationaliste du non-être. Aristote se rend rationaliste en prétendant que le non-être est le lieu par excellence du non-dit. Il n'y aurait rien à dire du non-être. La tradition selon laquelle il n'y a rien à dire du non-être sera prolifique et prospère dans l'histoire de la philosophie (par exemple Bergson au vingtième siècle), si bien que l'on voit l'empreinte d'Aristote et de la métaphysique (même posthume) dans cette manière de se débarrasser d'un problème plutôt que de le résoudre.
Aristote passe ainsi pour le maître de la science et du rationalisme alors qu'il n'a fait que rendre compatible la théorie philosophique avec l'être fini : il appelle métaphysique cet effort, lui qui se flatte de restaurer la théorie philosophique contre ceux qui veulent la mort de la philosophie (Nietzsche raille les arrières-mondes idéaux, y compris de la métaphysique; certains logiciens parlent d'illusions). Aristote est en réalité irrationaliste et que cet irrationalisme philosophique rejaillit sur la démarche scientifique au point que la sclérose du savoir métaphysique bloquera le progrès scientifique et montrera de la sorte à quel point Aristote se trompait d'un point de vue scientifique (le totalitarisme d'un Aristote est patent puisque la sclérose scolastique découle de sa conception de la philosophie et de la science, qui selon lui se trouvent quasiment figées et réussies après lui).
Aristote en opérant son compromis entre nihilisme et ontologie pour créer la métaphysique figée et bientôt sclérosée (aujourd'hui disparue et périmée après les derniers travaux d'un Heidegger autour du Dasein) perpètre une entreprise de subversion de l'ontologie en particulier de l'ontologie telle que la laisse Platon. Aristote fut le disciple de Platon et fonde sa philosophie plus tard nommée métaphysique contre l'ontologie de Platon. Platon se targuait d'avoir réussi à intégrer le non-être dans son système ontologique, ce qui en faisait la théorie ontologique la plus cohérente de son temps et la consécration de l'ontologie existante.
Aristote n'essaye pas de corriger l'ontologie, car ce qui le rebute immédiatement, c'est l'option politique républicaine de Platon. Aristote savait que l'ontologique et le politique sont liés, soit que l'action et la théorie sont liés. Il rejette l'action platonicienne de manière épidermique et sans doute éducative (Aristote évolue dans un environnement impérialiste perse de satrapie). Aristote est un farouche et radical oligarque. Pour Aristote, la philosophie est d'expression religieuse, ce qui le rapproche du nihilisme le précédant. Le religieux sous sa forme classique et populaire n'existe pour Aristote que comme une expression dégradée de type populaire, voire populiste. Tout oligarque ne peut fonder son système de pensée que sur l'adhésion au nihilisme irrationaliste - du moins avant Aristote. L'oligarchie est l'application pratique (politique) du nihilisme théorique : il s'agit de justifier l'élitisme par la multiplicité.
C'est bien ce que fait Aristote à plusieurs reprises dans sa Métaphysique : il enfourche le cheval de bataille de la multiplicité de l'être (d'où l'oligarchie) qu'il explique par la multiplicité du non-être. Mais ce non-être multiple, qui est l'apport original d'Aristote lui permettant de fonder sa cohérence partielle et déniée de l'être fini, ne se trouve pas défini, ce qui n'est guère rationnelle ni scientifique et qui du coup invalide l'affirmation de la définition de l'être. L'être se trouvant défini par le non-être, si le non-être ne se trouve pas défini, dès lors l'être ne l'est pas davantage. Aristote ne peut pas justifier son penchant oligarchique sans conserver son adhésion au nihilisme. Aristote est un nihiliste qui a eu le génie philosophique d'assurer la présence continue du nihilisme dans la philosophie en faisant sortir le nihilisme de son contenu pur et en lui assurant une pérennité philosophique (le nihilisme avant Aristote se trouvait marginalisé; après l'intervention magistrale de Platon, il est est en passe d'agonir). En même temps, Aristote sait que le nihilisme crânement avancé (postulé) jusqu'à lui se révèle une faillite théorique à peu près complète. Qu'est-il arrivé à Démocrite ou à Gorgias? Pourquoi cet oubli si ce n'est parce que le nihilisme ne peut être pérenne - mène au néant? Les sophistes n'ont-ils pas été balayés et ridiculisés par Platon? Le seul moyen de sauver le nihilisme consiste à l'intégrer à l'ontologie qui alors mène la philosophie balbutiante et que le seul moyen de proposer un nihilisme philosophique revient à sauvegarder certains pans typiquement ontologiques.
Du coup, Aristote propose son compromis qui sera baptisé métaphysique et qui pour lui prend les formes de la fin de la philosophie (le néologisme de métaphysique venant reconnaître que la spécificité métaphysique ne clôture pas la philosophie, mais lui adjoint une forme dominante). Aristote opère la critique du nihilisme d'un point de vue favorable au nihilisme, ce qui est une première. Il dresse une lecture du nihilisme depuis le prisme ontologique. C'est un hommage indirect à Platon et à son enseignement ontologique. Ce qui manque au nihilisme selon Aristote, c'est d'une cohérence (un lien) entre être et non-être. Puis, à la suite, c'est d'une théorisation de l'être. Ce second point trouvera bien des controverses avec les nihilistes plus radicaux qui réfutent la possibilité de théoriser l'être.
Du coup, la métaphysique n'est pas tout à fait un avatar nihiliste, une correction nihiliste ou une amélioration. Aristote a dû vivre son oeuvre philosophique qui deviendra métaphysique comme la première tentative d'introduction réussie du nihilisme dans la philosophie. Comme Aristote était modeste, il jugeait aussi que c'était la tentative ultime. Mais Aristote devait considérer qu'il avait oeuvré en philosophe, soit qu'il n'était pas un nihiliste, mais un philosophe qui avait réussi l'alliance entre ontologie et nihilisme, soit qui avait proposé un modèle supérieur de philosophie grâce à ce compromis entre ontologie et nihilisme.
Aristote estimait rien moins qu'il était parvenu à la fin de la philosophie, juste près l'intervention encore incomplète et perfectionnable de Platon. Il estimait ainsi que l'ontologie était arrivée à maturité avec Platon (un compliment) et que le seul moyen de perfectionner l'ontologie consistait à lui adjoindre les spécificités du nihilisme. Raison pour laquelle Aristote est un métaphysicien : parce qu'il n'est pas un nihiliste pur (radical), mais quelqu'un qui pense être parvenu au modèle ultime de la philosophie en incluant le nihilisme dans la pensée qui se trouve jusqu'alors représentée par l'ontologie. Le raisonnement d'Aristote est remarquable en ce qu'Aristote ne peut pas réfléchir autrement que de manière fixiste et figée (bientôt sclérosée) : il se trompe au point d'estimer qu'il personnifie la fin de la philosophie, soit selon lui la fin de la pensée humaine et du religieux. Rien que ça. 
Non seulement Aristote projette sur Platon son fixisme, comme si l'ontologie se mouvait dans le fini (il estime que l'ontologie platonicienne est la fin figée de l'ontologie), mais encore son obsession est de clore la philosophie de manière aussi glorieuse que figée : la métaphysique conclut les essais ontologiques précédents. On pourrait se demander si Aristote ne produit pas une pensée simplement inférieure à l'ontologie à partir du moment où il tente de produire avec sa métaphysique (même posthume) un compromis entre nihilisme et ontologique. Pourtant, l'infini est supérieur au fini. C'est d'ailleurs la raison pratique pour laquelle le nihilisme s'est effondré jusqu'à Aristote  : il nie l'infini, mais cette négation devient criante et scandaleuse non pas tant d'un point de vue théorique (elle l'est pourtant) que du point de vue de son application : nier l'infini revient à scléroser le domaine fini que l'on a édicté, puis à le faire disparaître (le nihilisme continet dans son appellation son programme suicidaire).
C'est ici qu'intervient Aristote avec sa pérennisation du nihilisme dans la métaphysique (Aristote devait se percevoir comme supérieur au nihilisme bien que tributaire du nihilisme et inspiré par le nihilisme) : il convient de substituer l'effort de pensée qui caractérise l'infini (la dynamique) par l'effort de pensée qui prend la place de la dynamique et qui s'insère dans le projet fini. Les aristotéliciens sont nommés les péripatéticiens, ceux qui sont en mouvement par la marche. La dynamique physique selon Aristote est fausse parce qu'elle finit toujours par en revenir à son postulat selon lequel le mouvement n'est pas le fondement universel du réel, mais repose sur un état de repos naturel (fixité, staticité). Aristote subvertit la dynamique qui s'épanouit dans l'infini en pariant sur un mouvement qui du fait de sa finitude et de sa limitation revient toujours - de manière indéfinie.
La dynamique chez Aristote implique que l'on théorise l'être fini. L'effort de théorisation fini, que les aristotéliciens baptisent métaphysique, signifie que la théorie physique produit une finitude incomplète et qu'elle a besoin d'être chapeautée par une théorie finie supérieure, de type philosophique : l'être fini est théorisable au sens où il n'est pas réductible à l'objet physique, mais où il désigne un objet supraphysique (métaphysique). L'être doit être théorisé au sens où l'objet physique ne suffit pas à rendre compte du réel fini. La finitudisation physique est trop focalisée sur un objet précis est singulier qui n'est pas l'ensemble de l'être, même fini. La métaphysique implique que l'on demeure en mouvement à l'intérieur du fini et que le repos physique soit une réduction du mouvement métaphysique.
Le destin qu'Arsitote accorde à la philosophie et que ses disciples stricts de l'école péripatéticienne accordent à la philosophie est clair : la philosophie se clôture avec Aristote et la suite n'est que commentaire. On ne put considérer la fin de la philosophie que si l'on parie sur un univers fini et clos, dans lequel l'Eternel Retour au sens de Nietzsche fait son entrée (l'Eternel Retour au sens antique, aussi, quoique d'une manière amoindrie). La métaphysique implique que l'on puisse subsumer le réel sous une idée générale, soit que le réel soit théorisable. Mais cette théorisation possible du réel fini implique aussi que la théorie soit à jamais incomplète et partielle, soit qu'il existe toujours des théories multiples - puisque l'être est multiple. Comment concilier la théorie partielle avec la fin de la philosophie? Aristote atteint la fin de la philosophie au sens où il s'apparente au fondement de l'être qui est le multiple. Il parvient à la fin de la philosophie au sens où à partir de ce socle multiple et toujours partiel (incomplet), il fonde la physique qui elle est toujours complète et définitive (selon la théorie de l'être fini).
La multiplicité du réel fini offre la possibilité de la théorie au sens où la théorie est ce qui permet d'unifier au maximum le réel fragmenté tout en admettant que l'effort de théorisation ne sera jamais complet et définitif. C'est dans ce cadre que la définition du mouvement apparaît et subvertit la dynamique platonicienne : il s'agit par le mouvement de demeurer vivant dans la multiplicité. Le mouvement devient l'apanage et la caractéristique spécifique de l'être fini. Le repos caractérise ne fait l'inverse de l'être: le non-être. La dynamique finie devient le mouvement provisoire, qui est obligé de revenir au repos. La dynamique fonctionne sur l'idée de la croissance de l'être fini pour constamment pérenniser l'Etre; tandis que le mouvement selon Aristote qualifie l'être au sens où le repos désignerait le non-être. L'importance de subvertir la dynamique chez Aristote consiste à pouvoir montre que son système fonctionne à l'intérieur de l'être et qu'il peut proposer/opposer une alternative philosophique et théorique viable contre l'ontologie.
Toute la démarche d'Aristote consiste à montrer que la métaphysique est viable et qu'elle est supérieure à l'ontologie. La philosophie de la finitude est supérieure à la philosophie de l'infini. Mais cette démarche fonctionne seulement sur le critère pratique du mouvement comme alternative à la dynamique. La dynamique indique que la théorie est en phase avec la pratique, alors que le nihilisme antiontologique et prémétaphysique était incapable d'expliquer le changement (l'autre en termes platoniciens). Aristote casse cette faille nihiliste en faisant du changement le mouvement physique, soit en empêchant le mouvement de sortir du statut fini et fixe de l'être. Le mouvement est ce qui définit l'être et qui se trouve subordonné à la théorie métaphysique, du fait de son statut physique.
Démocrite n'était pas parvenu à allier la théorie philosophique avec la physique au-delà d'une forme de théorisation nihiliste qui débouche sur le physique, mais qui ne l'accompagne pas ni ne le conditionne impérativement. Aristote croit avoir réussi à concilier le physique et le théorique en faisant de l'être une multiplicité théorisable. De ce fait, la métaphysique selon Aristote a accès à l'être, contrairement à ce qu'estimait Démocrite. Cet accès à l'être rend viable la philosophie du fini, soit l'idée selon laquelle on peut théoriser le fini. La subversion de la dynamique n'aboutit pas au mouvement en tant qu'alternative viable et fiable. Dans le domaine scientifique, l'application aristotélicienne de la métaphysique, loin de clore la recherche scientifique, aboutit à des erreurs grossières qui ne sont toujours pas éliminées et qui ont perduré dans la philosophie moderne, notamment avec les erreurs théoriques de Newton, liées à la conception cartésienne de l'univers. 
Mais dans le domaine philosophique, l'erreur d'Aristote est encore plus grossière : elle aboutit à la destruction de l'être fini, car la liaison fondamentale entre l'être multiple et fini et le non-être indéfini et multiple, loin d'être clarifiée par Aristote, est encore obscurcie. Dans ces conditions, la décision d'Aristote de rejeter vers la sphère indéfine du non-être toutes les difficultés, lin de les résoudre, en fait que les empirer. C'est ce qui arrive avec l'erreur physique, aisément vérifiable par la science expérimentale; mais la métaphysique ne se trouve pas épargnée. Au coeur de l'erreur métaphysique se trouve le mouvement en tant que subversion de la dynamique. Ce que la métaphysique ne sait peut-être pas, en tout cas du point de vue des commentateurs aveuglés et narcissiques qui agissent comme les ultimes péripatéticiens non conscients de leur fonction, c'est qu'elle est morte de son erreur. L'erreur théorique aristotélicienne est en train de se volatiliser à l'heure actuelle avec l'échec de l'immanentisme à résoudre sa crise terminale.