jeudi 28 juillet 2011

Coup de bluff esthétique

Nietzsche pour contrer le nihilisme moutonnier et majoritaire propose comme solution supérieure et alternative crédible ... le nihilisme élitiste, minoritaire de la volonté de puissance, du surhomme/surhumain et de l'éternel retour du même, tous concepts que Nietzsche n'a pas eu le temps de développer, ce qui aurait peu compté pour la portée posthume de sa pensée - puisque ce sont des concepts bancals.
Le coup génial de Nietzsche : proposer le nihilisme contre le nihilisme. Pas mal. Maintenant, le coup de ses commentateurs : la morale majoritaire serait à l'unisson contre Nietzsche et eux (seuls?) représenteraient de courageux représentants d'une position aussi minoritare que dénigrée. De quelle époque parlent-ils? De ce temps où le catholicisme d'avant 68 était dominant - ou de notre époque où par une inversion de toutes les valeurs, ce sont des positions comme celles de Nietzsche qui se trouvent louées et expliquées, souvent par de prestigieux universitaires ou de médiatiques écrivains (parfois les deux à la fois).
Peut-être cette contradiction bénie du moment (faire passer Nietzsche pour le transgressif marginal, alors qu'on l'explique partout, avec l'appui médiatique et académique) s'explique-t-elle par le fait que, au moins inconsciemment, ces prestigieux nietzschéens libéraux, souvent de gauche, estiment qu'ils sont du côté du nihilisme minoritaire et qu'ils dénoncent le nihilisme majoritaire. Le nihilisme minoritaire ne serait plus du nihilisme parce qu'il est minoritaire et qu'il propose le surhumain non nazi (un idéal excitant), alors que le nihilisme majoritaire renverrait tout bonnement à la morale du christianisme en décomposition. Ergo : le seul moyen de contrer ce nihilisme chrétien majoritaire et plébéien serait l'imposition postchrétienne du nihilisme minoritaire qui ne dit pas son nom...
Pourtant, à l'heure actuelle, contre cette impression (complotiste?) de marginalité, voire de rejet majoritaire, ce sont les thèses nietzschéennes qui se trouvent investies de la reconnaissance majoritaire, tandis que le christianisme comme ancienne expression religieuse et majoritaire s'est effondré et est rentré en crise (du moins en Occident). Nietzsche s'est donc trompé, confondant l'histoire et ses histoires. Tout au plus pourrait-on noter que le nihilisme majoritaire triomphe et que le nihilisme élitiste peut encore se réclamer de l'incompréhension marginale par rapport au nihilisme majoritaire (il espère ainsi demeurer toujours incompris et irréfutable).
Autre erreur de Nietzsche, qui se rêvait longtemps incompris et du coup si profond, nous vivons déjà l'époque de l'oligarchisation, le temps bref succédant au nihilisme majoritaire relativement plus long, soit l'avènement du nihilisme élitiste, qui verra la consécration précoce des thèses de Nietzsche, dont le moins qu'on puisse constater est qu'elles ne sont ni novatrices (l'oligarchie est un programme atavique), ni pérennes (le système oligarchique est fondé sur l'entropie et le chaos). Imposture spécifique des commentateurs de Nietzsche : ils rédupliquent et répètent le coup de leur auteur visant à dénoncer le nihilisme pour proposer en échange... le nihilisme.
Les commentateurs apportent une inflexion savoureuse à leur marginalité dérivée et stoïquement endurée : dénoncer la marginalité de leur auteur-idole (d'où leur courage subversif et transgressif), alors que cette marginalisation s'exprime dans les lieux les plus mondains, huppés et reconnus. Le philosophe Schiffter pourrait exprimer l'actualité de ce genre de contradiction, lui qui à la fois se vante d'avoir donné une conférence mondaine (donc reconnue et courue) en parodiant le style moraliste des conférenciers tout en se jouant des spectateurs ébaubis et hypnotisés; et de se trouver rejeté par la plupart des internautes, qui prouveraient par leurs réactions à quel point le parti de Schiffter est incompris et marginal.
Contradiction, quand tu nous tiens. N'est-ce pas ce Schiffter qui jouit (dans tous les sens du terme) d'un blog fort parcoulu, de prix littéraires et de ventes appréciables? Disciple réclamé (donc faux) du courant nihiliste, moraliste à qui il manque le déni du masque pour être nihiliste, notre petit cyrénaïque illustré joue la posture valorisante (rebelle) du rejeté et l'ostracisé, alors qu'il se tient à la fine mode de la République des Lettres et qu'il a accès à la notoriété des médias. Autre coup archétypal du marginal médiatique : le maître roumain Cioran était l'ermite misanthrope le plus mondain et célébré de Paris (du moins après la cinquantaine). La haine que Schiffter voue à Onfray ne découle pas de la jalousie, mais de leur proximité idéologique : Onfray est la victime d'un succès médiatique phénoménal en tant qu'hédoniste moraliste et gauchiste, ce qui symboliserait non pas la qualité de la philosophie actuelle, plutôt à quel point le le nihilisme majoritaire a pris la place du christianisme (suite à l'erreur de vue de Nietzsche l'élitiste, qu'Onfray professe de tant aimer alors qu'il le travestit).
Schiffter s'opposerait en parent à Onfray, en symbolisant le nihilisme, avec une inflexion : il joue l'hédonisme élitiste (sadien) contre l'hédonisme populiste. Schiffter assumerait la montée de l'oligarchie en France - position complémentaire de la posture du nihilisme majoritaire auquel souscrit un Onfray (le nihilisme élitiste ne peut se déployer qu'en complément du nihilisme majoritaire). Les deux postures, Schiffter comme Onfray, sont peu enviables : également destructrices. Le nihilisme minoritaire est moins viable que le nihilisme majoritaire et lui succède nécessairement et précairement, du moins tant que la mentalité dominante est au nihilisme. Les deux hédonistes célébrés jouent la carte de l'incompréhension marginale, décalée chez Onfray, revendiquée chez Schiffter, alors qu'elles sont également de mauvaise foi.
Après les nietzschéens de gauche filiation Deleuze, nous subissons l'interventionpostpostmoderne de Sollers, qui se réclame du christianisme nietzschéen, héritage plus acceptable de nos jours que le nietzschéisme nazi. Sollers le rebelle vénitien (vive la synarchie bordelaise?) décrète à son tour que Nietzsche serait si incompris de nos jours que son avènement interviendrait seulement dans longtemps, bien après notre époque de nihilisme généralisé et croissant, au point que sa proposition de calendrier antichrétien serait adoptée comme réforme du calendrier chrétien. Sollers oublie de manière perverse que ce sont les valeurs de Nietzsche qui se trouvent actuellement majoritaires et que l'avant-gardisme de Nietzsche commence à puer le réchauffé. Nietzsche n'est pas incompris; il est à la mode.
Le châtiment de Sollers le dandy téléhygiénique sera d'être oublié d'ici sa mort. Nietzsche se trouve d'autant plus à la mode que son règne arrive à maturation pourrie. L'acmé de l'oligarchie, le nihilisme minoritaire, indique que le système oligarchique friable s'effondre. Nous vivons cette époque de passage d'un nihilisme majoritaire et bonhomme (déjà dominant) à un nihilisme minoritaire ravageusement destructeur pour cette majorité qui le promeut sans s'en rendre compte. Comment expliquer le raisonnement hallucinatoire et duplicatoire consistant à distinguer le même en deux antagonismes : un terme négatif et rejeté et une alternative faussement différente et positive?
Comment peut-on prendre le même pour l'autre? Le raisonnement par antagonisme recoupe la stratégie politique consistant à chercher un ennemi pour trouver son identité : selon ce raisonnement (destructeur), on ne s'oppose pas à un ennemi à partir de son identité, mais on forge son identité en s'opposant. L'erreur cardinale du nihilisme se trouve à l'oeuvre : croire que le non-être désigne quelque chose de défini, soit que l'on peut proposer quelque chose de nihiliste et de viable - alors que le non-être désigne de l'être inadéquatement défini.
Qu'est-ce que le négatif selon le nihilisme nietzschéen? Le nihilisme du troupeau désigne la progression du non-être, l'idée, après un temps assez court de nihilisme utopique (pépère), selon laquelle le nihilisme ne peut être pour tous (égalitariste). Le nihilisme est inégalitariste au sens où l'être ne peut être majoritaire, mais viscéralement minoritaire. Comme le dit Nietzsche dans Le Gai savoir, en une formulation étrange : "La vie n'est qu'une variété de mort, et une variété très rare". Le négatif existe, il détruit le positif qui tend à s'étendre - vers le majoritaire. Le nihilisme majoritaire est au service de la destruction du majoritaire. Selon le nihilisme, la structure du monde impose que l'être soit l'exception à la règle - du non-être. Bémol à cette conception atavique : Nietzsche tout comme ses prédécesseurs en nihilisme échoue à définir le non-être.
Dans le paragraphe 109 du Gai Savoir, intitulé Gardons-nous, d'où cette citation est extraite, Nietzsche dit encore : "L'ordre astral où nous vivons est une exception ; cet ordre, de même que la durée passable qui en est la condition, a de son côté rendu possible l'exception des exceptions : la formation de ce qui est organique." Le seul moyen de préserver l'exception inexpliquée et inexplicable (l'être ou la vie) serait d'imposer le nihilisme pour contrer la destruction. Bien entendu, jamais Nietzsche n'explique l'avènement de l'organique. Le négatif n'existe pas, il désigne l'être qui n'est pas humain et qui impose un ordre anti-humain à l'ordre humain. Si Nietzsche ne cherche pas à expliquer, c'est qu'il estime que c'est inexplicable - que l'inexplicable fait partie de la connaissance, de même que la disjonction enter ce qui est et ce qui n'est pas existe et laisse grande ouverte la possibilité de l'inexplicable. Le réel négatif exprime le non-humain : l'idée qu'il existe une disjonction entre ce qui est humain et ce qui ne l'est pas, contrairement à ce que le cardinal de Cues exprime quand il observe que l'ordre de l'infiniment petit se trouve connecté à l'ordre de l'infiniment grand.
Du coup, le nihilisme opère une opposition entre deux entités identiques dont il refuse l'identité, l'être défini comme fini et complet, et le non-être qui négativement (donc imparfaitement) renvoie à une réalité opposée; alors que l'erreur porte sur le fait qu'il s'agit d'une incompréhension fondamentale du nihilisme, qui rejette le réel en l'extériorisant. Quelle différence y a-t-il entre ce qui est et ce qui n'est pas? L'idée selon laquelle l'homme est une partie du réel et que toutes les parties non humaines, étrangères à l'homme, ne sont pas puisqu'elles sont fondées sur une absence d'ordre, un chaos, cette idée est fausse. Le réel est multiple signifie que les multiples parties du réel sont séparées, mais qu'il existe une unité fondamentale par-delà cette séparation. Le nihilisme parie sur la multiplicité fondamentale, car il est incapable de relier l'être humain et l'être étranger à l'humain - ce qu'il nomme l'être fini (le monde de l'homme) et le non-être (l'étranger à l'homme).
Du coup, il est normal que le raisonnement nihiliste consiste à différencier abusivement et fallacieusement en deux objets opposés ce qui est un seul objet, vu que la définition fondamentale du réel opère la même erreur : refuser l'unité revient à distinguer abusivement, soit à créer une opposition destructrice. Soit on restaure le mécanisme réel consistant à croître de plateforme en plateforme pour éviter la destruction, soit on en revient à l'état de contradiction, qui est le chaos ou le non-être. Soit on crée un va-et-vient croissant (l'unité), soit on instaure l'entropie ontologique.
Cette manière de dédoubler tout en unissant indique que la structure du réel réfute la possibilité de l'état, soit du donné fixe et complet. L'état crée l'opposition (l'antagonisme) et la destruction. L'état n'est un succédané effectif du réel qu'à partir du moment où l'on ne décrète pas que l'état est réel. Le stable et le complet sont des parties du réel, pas le réel. Le réel a besoin d'hétérogénéité pour perdurer, ce qui fait qu'il ne faut pas confondre unité et unification.
L'unité implique que des parties hétérogènes sont reliées entre elles par le va-et-vient, quand l'unification voudrait que l'unité soit un état, une réalité finie et stable.
Plus on oppose deux réalités, plus ces deux réalités demeurent unies par leur antagonisme. Cas de l'être et du non-être, qui sont une seule et même réalité et dont le nihilisme perd l'unité; cas du nihilisme lui-même qui en tant qu'expression effective (le nihilisme élitiste) ne se conçoit pas comme nihilisme et s'oppose au nihilisme. Il se perçoit dans l'opposition et la projection - l'opposition de la projection. Il ne voit pas que ce qui s'oppose est un (relié) et que le nihilisme propose l'unité comme l'antagonisme, la vérité comme l'erreur, la réalité comme la partie. L'opposition tend à couper en deux la même réalité et à créer la complétude à partir de l'idée que l'on a expulsé l'inexplicable et l'indicible (formulé sous le nom de non-être).
On arrive à un résultat selon lequel on trouve une solution au problème en expulsant et en niant les difficultés du problème. On crée une sorte de poubelle dans laquelle on se débarrasse de tout ce qui n'est pas résolu - le néant/non-être/rien. L'idée de totalité ou de complétude (totalité viscérale) ne résout pas le problème, car :
- la totalité implique une structuration du réel qui n'est pas la structure du réel, mais d'une partie du réel, fixe et finie. La totalité est une partie se prenant pour le tout et créant un antagonisme destructeur et mortifère - la réduction. On pourrait parler de totalitarisme de la totalité au sens où l'on prétend assure une toute-puissance fantasmatique de la partie sur le tout (cas de la folie en psychopathologie). L'antagonisme que crée la création abusive de totalité s'explique du fait que le réel a besoin de créer un dépassement de sa situation initiale de chaos (contradiction). Quand cette situation n'est plus assurée, comme c'est le cas pour la totalité, qui exprime la tentation de retour à la situation de contradiction, le schéma de l'antagonisme destructeur resurgit. La totalité engendre le syndrome du dérivé, c'est-à-dire d'un état qui sans cesse renvoie à un autre état, tant cette totalité est en réalité partielle et ne trouve jamais d'identification.
- la complétude exprime la radicalisation du mythe totalitaire de la totalité, soit la prise en compte du fait que la totalité est certes impossible sous sa forme aristotélicienne, mais qu'il convient de réduire la préoccupation de ce qui est réel (fini) au monde de l'homme, soit à l'expression du désir. Avec cette opération, l'homme obtient ce qu'il recherche : la totalité. La complétude du désir est une supercherie au sens où elle accentue le processus d'antagonisme et de destruction sous prétexte d'identifier provisoirement. L'échec de la complétude est programmatique : le rétablissement avec usure de l'antagonisme crée les conditions de disparition du désir soit-disant complet.
Nietzsche surgit au moment où l'immanentisme s'effondre de manière prévisible et satisfaisante (pour la pérennité de l'espèce humaine). La complétude de l'immanentisme échoue dans sa forme pragmatique et réaliste à conserver les choses telles qu'elles sont. Pour autant, l'idée d'une mutation ontologique du réel engendrant un changement du réel dans lequel se meut le désir n'est pas acceptable pour l'immanentisme conservateur, qui considère que le changement est utopique, correspondant au romantisme (donnez-moi un autre monde ou je succombe).
L'impossibilité du changement provient du fait que le donné est donné - que le changement participe de ce donné. C'est l'idée explicitement développée par Rosset dans sa Logique du pire, à la suite de Schopenhauer et de Nietzsche (plus lointainement de Spinoza). Nietzsche va proposer une mutation ontologique qui change sans changer, ou un changement sans changement : il ne s'agit plus seulement de promouvoir le désir le plus fort (l'accroissement de la puissance), comme chez Spinoza, mais, tenant compte de l'effondrement de l'immanentisme, de perfectionner l'immanentisme en proposant que les désirs effectifs et réels les plus forts (créateurs) opèrent une sélection élitiste, qualitativement croissante, tout en demeurant au sein de ce réel, le seul réel qui existe (Nietzsche insiste sur l'idée de nécessité couplée à l'unicité).
La pensée de Nietzsche s'avère postromantique au sens où elle entend concilier le donné et l'idéal, l'utopie et le sensible (alors que le maître Schopenhauer entend en rester dans le sensible pur et dur). La tentative de Nietzsche est impossible et c'est la raison pour laquelle l'immanentisme tardif et dégénéré qu'annonce Nietzsche est condamné à dégénérer (Nietzsche lui-même sombrera dans la folie). La duplication entre ce qui est et ce qui n'est pas engendre une fausse suite exponentielle de duplications fantasmatiques, bulles explosives et destructrices, comme cette distinction entre le changement progressiste et le changement sans changement - conservateur. On retrouve dans cette distinction entre le changement et le changement sans changement la même duplication hallucinatoire qu'entre le nihilisme majoritaire, dénoncé comme nihilisme, et le nihilisme minoritaire, tenu pour remède au nihilisme et création par le désir de ses valeurs.
Cette suite de duplications et d'illusions va de pair avec le socle du nihilisme, qui pose son refus de la duplication et son amour de l'unicité. Car le nihilisme voit simple alors qu'il est double, au sens où l'être nihiliste est unique, puisque le non-être n'est pas et devient le refuge. La duplicité du nihilisme tient à sa réduction à l'unicité. La distinction entre unicité et unité : l'unité est un terme détestable pour le nihilisme, au sens où le nihilisme était parvenu avec Aristote à l'affirmation la plus cohérente de sa multiplicité ultime et indépassable.

lundi 25 juillet 2011

De quoi la contradiction est-elle le NOM?

Le jeudi 14 juillet, Eva Joly, candidate du subit et récent parti consensuel de la gauche écologique française Europe Ecologie (création en 2007 pour les élections européennes de 2009), a proposé de supprimer le défilé militaire du 14 juillet aux Champs-Elysées et de le remplacer par une procession de citoyens. Notre ex-juge incorruptible et vertueuse a dressé l'éloge de l'être-ensemble et du vivre-ensemble, des valeurs qui sonnent de plus en plus creux à mesure que des politiciens sans initiative autre que quelques idées saugrenues s'en emparent pour jouer la carte de l'initiative et de la profondeur. Eva Joly a justifié son idée audacieuse en insistant sur le fait que "ce n'est pas des valeurs que nous portons (...). Je pense que le temps est venu de supprimer les défilés militaires du 14 juillet parce que ça correspond à une autre période."
Quelles sont les valeurs écologistes de gauche? Il s'agit de remplacer le progressisme politique et social (le collectivisme socialiste ou communiste) par un progressisme sociétal et événementiel, dépolitisé au plus haut point - où l'écologie de gauche remplace la politique et rejoint la dépolitisation. La contradiction est palpable dans le discours d'Eva Joly, qui n'est pas pour rien la candidate succédant à cette figure du monétarisme européen et de l'intelligentsia bobo-libertaro-ultralibérale Cohn-Bendit, qui lutte contre les Etats-nations au nom d'une Europe financière dont on mesure le résultat désastreux et qui ruine la proposition alternative d'une Europe fédérale de type politique.
Notre candidate Joly montre à quel point elle est dangereuse quand elle se déclare favorable à la guerre en Libye, non seulement avec l'application de la résolution de l'ONU, qui sous des motifs démocratiques et humanitaires hypocrites et pervers autorise la protection des civils libyens par des avions de l'OTAN (jouant sur les maux, nos joujous sont en train de détruire le pays et le peuple libyens et de favoriser l'émergence de régimes révolutionnaires ouverts et démocratiques, entre extrémisme monarchiste et fanatisme islamiste); mais encore avec une proposition novatrice qui ferait passer la proposition de l'abolition du 14 juillet militaire pour de la petite bière : sur le site Rue 89 (tendance gauche bobo-libertaire) début juin, Eva Joly propose rien moins que d'envoyer en Libye l'armée au sol.
"Il est difficile de mener une guerre sans troupes au sol. On a mis des hélicoptères pour essayer d’augmenter la performance de ces interventions. Nous savions depuis le début que ça serait difficile, dans la mesure où le mandat est limité à l’espace aérien. Si cela se modifie, ça doit être sur décision de l’ONU". Cette idée efficace, qui témoigne de la merveilleuse formation d'Eva Joly à la stratégie militaire, reviendrait à établir un nouveau Vietnam dans le bassin méditerranéen - et une belle boucherie en Libye. La contradiction est patente si l'on examine frontalement les deux déclarations : d'un côté, Joly exige l'antimilitarisme bêlant; de l'autre, elle opte pour la surenchère militariste. Cette contradiction n'en est pas une si l'on jauge de la formidable hypocrisie du droit d'ingérence, qui consiste en gros à légitimer des guerres impérialistes sous des motifs moraux (résultats toujours désastreux en pratique).
Joly est cohérente si l'on considère qu'elle se montre opposée au militarisme dans un Etat-nation - qu'elle aimerait démanteler au profit de la fédération monétariste européenne; et favorable à l'intervention militaire à condition qu'elle s'attaque à un pays étranger à l'Europe et qu'elle soit menée par une structure fédéraliste et opaque comme l'OTAN. A ce stade des déclarations, on voit que l'écologie est le cheval de Troie permettant de légitimer au nom du pacifisme bêlant l'impérialisme ultralibéral et le droit du plus fort. L'arnaque de l'écologie était certes rappelée par l'ancienne figure de proue Cohn-Bendit d'Europe écologie, un libertaire favorable à l'ultralibéralisme apatride et la destruction des Etats-nations protecteurs.
Joly semble de plus en plus se rapprocher du profil de Cohn-Bendit et de ce fait, l'écologie dominante à l'heure actuelle oscille entre le néo-malthusianisme peu dénoncé (et remarqué); et l'impérialisme légitimé par des nouveaux modes de vie aussi utopiques que mensongers. Si le but est de déculpabiliser le bobo qui en faisant son tri d'ordures contribue à la lutte contre la pollution, le fond de l'opération écologique consiste à aligner ce parti déculpabilisateur et dépolitique sur les stratégies de fond de l'ultralibéralisme.
L'opinion publique bien-pensante ne veut pas voir que les opérations écolos sont financées souvent par des intérêts industriels et spéculatifs qui ont peu à voir avec l'écologie, mais qui l'instrumentalisent cyniquement. Je ne citerai comme exemple que le financement du film Home de Yann Arthus-Bertrand (principalement par le groupe PPR de Pinault). L'on pourrait aussi se pencher sur le financement des manifestations contre le nucléaire en Allemagne (Arthus-Bertrand évite le sujet délicat du nucléaire dans son film, alors qu'il se montre plutôt en faveur d'une position pragmatique et positive sur le sujet) : bien souvent les principales associations militantes écologistes antinucléaires sont financées par l'European Climate Fundation, une fondation financée par de nombreux intérêts oligarchiques de la City de Londres (dont le hedge fund TCI).
Les candidats de la gauche écologique française ne sont pas seulement des néo-malthusiens mus par l'esprit du Club de Rome et la décroissance entropique. Les propositions en apparence contradictoires de Joly appelant à supprimer le défilé militaire du 14 juillet en France et à envoyer des troupes au sol en Libye reprennent et redéploient les idées de l'impérialisme postmoderne libéral théorisé par Cooper. Il s'agit bien de détruire les Etats-nations, avec une inflexion : dans le même temps, il convient de rétablir les fédérations non démocratiques (fascistes) à la solde des factions impérialistes. Cooper se lance dans l'apologie débridée de l'impérialisme européen (britannique) : l'homme aurait "besoin d’une nouvelle sorte d’impérialisme, un impérialisme acceptable pour le monde des droits de l’homme et des valeurs cosmopolites" (“The new liberal imperialism”, The Observer, 7 avril 2002.)
Là où Cooper nous explique quelle vision inspire les positions en apparence contradictoires de Joly, c'est concernant la distinction entre les Etats archaïques et la fédération postmoderne européenne : il « faut s’habituer à l’idée du double standard. Entre nous, nous fonctionnons sur la base de lois et de sécurité coopérative. Mais quand nous traitons avec des Etats plus archaïques à l’extérieur du continent postmoderne de l’Europe, nous devons revenir aux méthodes plus dures de l’ère de jadis : la force, l’attaque préventive, la ruse, bref, tout ce qui est requis pour s’occuper de ceux qui vivent encore dans la guerre de ‘tous contre tous’ du XIXe siècle."
Le "double standard" fait d'autant plus référence à la loi du plus fort que la caution théorique déployée renvoie à l'un des idéologues de l'Empire britannique, cet Hobbes partisan affiché du Léviathan, soit de la dictature oligarchique la plus dure pour sortir de la guerre de tous contre tous. La méthode prônée contre les Etats prémodernes et archaïques s'applique à la Libye tribaliste et à son Guide baroque Kadhafi (notamment dans les déclarations virulentes et méprisantes de Joly à son encontre). Cooper prend comme exemple le cas de Saddam, qui ne put résister en 2003 à l'invasion américano-britannique en Irak : "On ne peut pas traiter Saddam Hussein comme on traite son voisin. Si on a un problème avec la France ou l’Allemagne, on négocie. Mais il y a des dirigeants avec lesquels on ne peut pas négocier."
Faut-il pendre Kadhafi? Notre juge Joly semble avoir tranché le noeud cyrénaïque... La contradiction qui semble animer les discours politiciens de Joly se trouve levée quand on lui applique cette remarque de l'idéologue postmoderne Cooper : "Entre nous, nous respectons la loi. Mais quand nous agissons dans la jungle, nous devons utiliser la loi de la jungle". "Entre nous" : Joly abolit le défilé militaire français, symbole de la puissance de l'Etat-nation français. Elle souhaite le remplacer par une fédération européenne postmoderne et impériale, de facture libérale. "Dans la jungle" : par contre, les attaques impérialistes contre les Etats prémodernes et archaïques sont légitimes et obéissent à des lois impitoyables - d'où la revendication de l'action militaire terrestre.
Dernière remarque du gourou Cooper qui décrypte les propos surprenants de Joly : "Dans le passé, les impérialistes avaient l’habitude d’exploiter les gens ; maintenant on les paye. Comme résultat, les tentations d’impérialisme sont assez limitées". Les guerres impérialistes sont d'autant plus limitées à quelques impératifs (comme actuellement en Orient au sens large pour endiguer les révoltes populaires du Printemps arabe) que le pouvoir militaire impérialiste se trouve subordonné au pouvoir finnacier. Les discours écologistes néo-malthusiens d'une Joly cautionnent l'effondrement du pouvoir militaire impérialiste au profit d'un accroissement de la domination oligarchique monétariste.
Comme l'impérialisme postmoderne n'a plus les moyens de mener des guerres impérialistes réussies (exemple intermédiaire en Irak), il se contente de remplacer la domination militaire coûteuse et risquée par une domination économique aboutissant au chaos et à la division dans les zones archaïques et prémodernes où les structures étatiques n'ont pas accédé à l'Etat-nation révolu moderne, désormais rempavé par la structure de la fédération postmoderne et libérale (libéral-impérialisme). Les électeurs de ces partis écolos cautionnent l'impérialisme sous le droit d'ingérence et l'ultralibéralisme sous l'impératif entropique de la décroissance (ou du développement durable).
En France, les propositions écoloillogiques de Joly permettent de mettre en place l'impérialisme européen postmoderne et libéral. Quand on les mesure à cette aune, on comprend la logique qui anime Joly et sert un raisonnement fort peu de gauche, fort peu progressiste, par contre tout à fait destructeur et dominateur. Il suffit pour s'en convaincre de vérifier l'identité des deux références dont un Cooper entoure sa théorie : "Le monde a aussi bien besoin de la loi que de la puissance, de Hobbes que de Grotius." Hobbes est théoricien de l'Empire britannique, Grotius de l'Empire hollandais. L'association harmonieuse des deux permet aux yeux de Cooper le successeur de Grotius de pérenniser l'impérialisme britannique unifié et de l'étendre à l'ensemble de la bannière occidental, des Etats-Unis (la puissance militaire) à l'Union européenne (la puissance bancaire). Une Joly est une représentante française de cette volonté d'impérialisme et d'oligarchie et rappelle à quoi sert l'écologie de gauche néo-malthusienne et libérale : à imposer le "double standard" de la loi du plus fort - servile avec les puissants, méchant avec les faibles.

dimanche 24 juillet 2011

Reconnaissance

Le voleur en volant les autres se vole en soi. Cette constatation évoque la fameuse remarque deSpinoza qui explique que l'effet moral est contenu dans l'action elle-même : la punition tiendrait dans l'action autant que la gratification. Mais - il y a un mais, la remarque de Spinozas'intègre dans l'immanentisme et vise à contredire le système de rétribution des bienfaits et des fautes du transcendantalisme dans la vie éternelle. Contre le transcendantalisme, l'immanentisme institue que la rétribution ne fait qu'un avec l'action pour éviter de reconnaître qu'une autre réalité existe en dehors de la réalité immanente.
C'est ici que l'on voit la différence entre le nihilisme (dont l'immanentisme est la forme moderne exacerbée) et le transcendantalisme : l'expression propre au transcendantalismerevient à jeter un pont théorique entre l'être sensible, à la portée de l'homme et de ses facultés de connaissance immédiate, et ce qui est étranger à l'homme, mais néanmoins réel et connaissable; tandis que l'immanentisme postule (de manière indémontrable) que seul existe ce qui est immanent. Si seul ce qui est immanent existe, la théorie immanentiste est juste.
Mais la structure du réel fait que le réel perdure en passant d'un niveau donné à un niveau supérieur. L'erreur de l'immanence provient de ce qu'elle réduit le réel au donné qu'elle appelle l'immanent. La différence entre la conception de la morale immanentiste (l'éthique) et la morale transcendantaliste ne tient pas dans une différence de nature, mais de réduction : letranscendantalisme reconnaît la réalité de la position strictement immanentiste, mais lui adjoint un massif prolongement; tandis que l'immanentisme refuse le prolongement - du coup réduit le réel au sensible.
Quand le nihilisme scinde en deux opposés (sur le mode être/non-être) le même réel, son raisonnement suit cette manière de procéder consistant à réduire ce qui est à une partie : l'être sensible. Le danger de cette réduction tient au fait qu'elle soumet sa reconnaissance du réel à destruction, car en ne reconnaissant qu'une partie, elle accélère le processus de contradiction qui est présent dans tout système fixiste. La non-reconnaissance d'une partie du réel entraîne son opposition et la contradiction destructrice : ce qui n'est pas reconnu dans le réel agit contre les intérêts humains. Le danger est qu'à l'encontre du mouvement historique tendant à faire croître le monde de l'homme, la non-reconnaissance du réel non immanent engendre une décroissance mortifère du monde de l'homme.
Le danger est que l'homme est contraint d'accroître son monde pour en pas se trouver détruit, voire anéanti. Mais la condition humaine, si l'on peut dire, joue un rôle dans la structure du réel consistant à dépasser la contradiction par le seul moyen dont dispose la non-contradiction: l'anti-entropie ou la croissance continue (infinie). La reconnaissance, c'est le moyen pour l'homme de rendre le réel non humain compatible avec son propre monde. Tel est le but de l'homme, qui le distingue des autres créatures notamment animales : la reconnaissance.
Rien n'indique que l'homme soit la seule créature à jouer ce rôle, ni à son niveau, ni à des niveaux supérieurs (inaccessibles pour l'homme). Mais l'homme joue ce rôle et agit d'une manière différente aux autres formes de vivant et de présence réelle qu'il côtoie et connaît. Son but est de permettre la poursuite de la pérennité du réel, qui passe par la croissance/anti-entropie. Du coup, l'éthique immanentiste est une morale tronquée, qui porte bien son nom d'éthique : quand on la distingue de la morale, c'est pour spécifier son caractère de relativité.
Le voleur qui se vole soi est ainsi un homme qui n'accomplit pas son rôle de reconnaissance (dans un sens plus ontologique que militaire). Il stagne et demeure sur place. C'est la vision de l'immanentisme et c'est en quoi l'éthique est tronquée : elle empêche d'aller de l'avant, de progresser, d'augmenter, de croître. Elle et une morale du marécage. Elle est tronquée. Le voleur se vole certes lui-même en volant - sa punition est dan sons action, mais ce n'est pas seulement son action qui se trouve sanctionnée, c'est l'intégralité du réel qui s'en trouve touchée à un degré ou un autre. La morale est unie, l'éthique relative.

vendredi 22 juillet 2011

Casse moyenne


Une petite histoire drôle, tirée d'une dépêche de canard conservateur français (de révérence) :

http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/07/22/97002-20110722FILWWW00469-detteusa-plus-de-recettes-fiscales.php

Obama veut augmenter les recettes fiscales pour combattre le déficit, qui a explosé à 14 000 milliards de dollars. Tout va très bien, Madame la Marquise. Zen. La politique d'Obama consiste à taxer davantage le peuple américain après avoir renfloué Wall Street par main street. Obama est tout sauf un progressiste. C'est un oligarque qui travaille pour les plus riches tandis qu'il déplume les plus pauvres. Il avait promis lors de sa campagne présidentielle de 2008 de venir en aide à la classe moyenne, ce qui est le programme de tout candidat républicain (au sens de Solon) et progressiste. Obama a fait l'inverse. Il a poursuivi la politique assumée de W. en hypocrisie de cafard. Preuve qu'il verse dans l'humour et qu'il n'a plus toute sa tête, notre progressiste falsifié n'hésite pas à déclarer qu'il serait injuste pour les classes moyennes (déjà exsangues) de combattre le déficit sans augmenter les recettes fiscales.
Et de préciser qu'il compte faire porter l'effort de taxation fiscale sur les classes les plus aisées. Les spéculateurs et les financiers seront taxés? Passeront-ils au travers des gouttes près avoir subi le renflouement le plus scandaleux de l'histoire américaine? Nous ne le saurons pas. Obama a dépouillé les classes moyennes en renflouant avec l'argent du contribuable les institutions financières - et maintenant il promet d'aider une nouvelle fois les classes moyennes... Autant dire qu'il ment délibérément, mais aussi qu'il ne craint plus la contradiction patente. Autrement dit : la folie furieuse, toujours comique quand on s'y penche à deux fois.
Pour tous ceux qui n'ont pas encore compris qu'Obama n'était pas enfin le nouveau Martin Luther King, mais un oligarque camouflé en progressiste, non seulement vous avez les faits depuis 2008, mais aussi et désormais les blagues : la contradiction entre les faits et les promesses. Obama possède à merveille le comique de situation et s'appuie sur une technique éprouvée : la contradiction. Encore une raison pour le dégager vite fait de la Maison Blanche et lui assurer un avenir entre hôpital psychiatrique et scène comique. Les disciples de Martin Luther King ne s'y sont pas trompés, qui ne ratent plus une occasion de fustiger celui qu'ils avaient soutenu.
Voici ce qu'écrivait le 5 décembre 2010 Clarence B. Jones, conseiller juridique et ami proche de Martin Luther King :
« Obama n’a fait que dilapider l’extraordinaire soutien qu’il avait reçu. (…) Ce n’est pas facile d’entrer en opposition avec le premier président noir-américain mais hélas, je crois que l’heure est venue. Il n’est pas difficile de voir à quel point Obama a abandonné la base qui l’a porté au pouvoir. Il l’a fait parce qu’il n’a plus aucun respect, ni crainte ou espoir en ces gens qui l’ont élu ; il pense qu’il n’ont pas d’autre choix que d’accepter ce qu’il fait, qu’ils soient d’accord ou non. Le temps est venu pour ces personnes qui ont constitué le "Mouvement" qui a permis au sénateur Obama d’être élu, de "rompre le silence", pour montrer qu’ils ne resteront plus assis à attendre, en marmonnant impuissamment et ne pouvant faire qu’espérer que les choses aillent mieux. »
Merci, Monsieur le Président, de nous faire rire en période de crise.

jeudi 21 juillet 2011

La pente

Au moins l'affaire DSK aura-t-elle eu quelques mérites de clarification. En premier lieu, il existe bel et bien un racisme qui perdure dans les représentions archétypales imaginaires néo-colonisatrices depuis un demi siècle d'officielle décolonisation : Nafissatou Diallo a pu se faire lyncher par la presse de caniveaux et par les avocats de DSK, des sionistes impénitents, sans que la presse de soi-disant qualité ne trouve rien d'autre à redire que de reprendre benoîtement des informations dont on sait mal si elles ressortissent de la fuite crédible et savamment orchestrée, ou du pur bobard.
Outre ce racisme consternant, qui ne porte plus directement sur les injures liées à la couleur de peau, mais sur les préjugés comportementaux (la sauvage naturelle, ou au contraire la pute souillée par l'Occident au travers strict de compatriotes véreux), un deuxième préjugé tenace s'est effondré : le mythe de la toute-puissance du sionisme. Le sionisme engloberait l'existence d'Israël. A l'aune (notamment) de l'affaire DSK, de ses tourments justifiés et de son humiliation publique, il est faux d'insinuer que les sionistes bénéficieraient quoi qu'il arrive d'une immunité intouchable, d'une intelligence supérieure et perverse, d'un diabolisme surnaturel et invincible. Le procès de DSK le financier sioniste devient le procès du sionisme, non pas d'un point de vue idéologico-politique, mais au travers de la question de son influence réelle ou supposée (fantasmée).
L'épreuve qui frappe DSK de manière légitime et seulement retardée (par rapport à un justiciable lambda) indique que le sionisme dispose de réseaux et de groupes de pression puissants, mais pas tout-puissants. Nous détenons avec l'instrumentalisation du dossier de DSK la preuve que l'on peut être sioniste de premier plan et se retrouver bardé de sérieux ennuis judiciaires. L'arrogance oligarchique indique davantage que DSK se comporte en oligarque qu'en sioniste.
Si le sionisme apparaît comme une idéologie bien implantée dans le monde, bénéficiant de solides appuis dans les différents domaines prédominants de l'action politique, avec notamment le soutien logistique de l'Etat d'Israël, l'affaire DSK rappelle que le sionisme se trouve au service du monde financier, et non l'inverse. N'en déplaise à certains analystes de l'anti-impérialisme simpliste, voire haineux, l'affaire DSK contribue à détruire radicalement le mythe de l'impérialisme américano-sioniste. On aurait pu se rendre compte de cette hiérarchie inquiétante pour le rôle politique (inféodé aux marchés), avec l'analyse de la prédominance des marchés financiers qui ne sont pas mus par le sionisme, mais par l'appât du gain à très court terme et qui instrumentalisent le sionisme depuis sa création (largement subventionnée par leurs bons soins).
Nous détenions par de nombreux signaux récents que l'attitude des Etats-Unis à l'égard d'Israël semblait se distendre. Certains rapports américains ou atlantistes - par exemple. Les politologues Walt et Mearsheimer allaient dans ce sens, rappelant que le soutien des Etats-Unis à Israël (et à l'idéologie sioniste de par le monde) contrevenait aux intérêts américains. L'explication ne peut provenir que d'une influence supérieure à l'idéologique et au politique, soit au-delà du sionisme. Avec l'affaire DSK, nous détenons un signe fort que les milieux financiers, que l'on dénomme avec une complaisance anonymes "les marchés", ne se trouvent pas dirigés par le sionisme, mais utilisent le sionisme comme un masque idéologico-politique pour porter le chaos, dans le Proche-Orient comme dans le monde. Mais le sionisme n'est ni le masque exclusif des marchés, ni leur masque suprême.
Sinon, DSK aurait pu compter sur des soutiens autrement plus importants que ceux qui lui permettent de conserver une médiocre crédibilité médiatique, mais qui lui garantissent le déshonneur et le discrédit à terme. L'influence du sionisme se manifeste dans le soutien scandaleux que reçoit DSK dans le monde médiatique (où l'on a vite fait de tenter de réhabiliter un oligarque que tout accuse), mais en même temps les limites sont palpables dans le traitement négatif qui lui interdit de se targuer d'une immunité fondée sur des sophismes juridiques et des arguties politiques.
Le sionisme n'est pas tout-puissant, ni tout-dominant. Dans le monde de la domination politique, idéologique et impérialiste, il occupe une place de choix, mais il subit la condamnation quand il entre en contradiction avec des intérêts supérieurs. Cas avec DSK, qui a été couvert pendant plusieurs décennies pour ses incartades d'érotomane violent (plus qu'un vulgaire obsédé sexuel, un maniaque sexuel patent) au point d'oublier qu'il n'était pas intouchable ou au-dessus des lois. Quand des factions financières supérieures au sionisme ont décidé de s'en prendre à DSK en tant que symbole du FMI pour rendre caduque la politique de renflouement des institutions financières au détriment des États, DSK est tombé, de la plus violente et éclatante des manières.
Non seulement les intérêts financiers priment de loin sur les intérêts sionistes, mais le sionisme n'est intégré en tant que pantin idéologique que de manière secondaire dans le monde financier - sans quoi les soutiens à DSK auraient été autrement plus importants que ce qu'ils furent, se réduisant en l'occurrence à de sporadiques mesures de modération vénielle. Les ennuis de DSK surviennent au moment où l'on parle de dégrader la note de la dette américaine et où l'Etat fédéral américain se trouve dans un déficit tel que sa faillite imminente est sur la table (pour la faillite des États américains, elle est déjà survenue dans certains cas et elle est généralisée pour les autres).
Les intérêts financiers qui dirigent les structures politiques aux Etats-Unis ne sont pas favorables in fine au sionisme. Le soutien patent des Etats-Unis à Israël repose sur d'autres calculs que la domination du sionisme dans la hiérarchie impérialiste. Si les Etats-Unis soutiennent Israël et si les lobbys sionistes aux Etats-Unis ont tant d'influence, ce n'est pas parce que le sionisme domine les autres intérêts, mais parce qu'il se trouve utilisé par les intérêts financiers dominants pour des fins politiciennes. L'intérêt de la cause israélienne, c'est qu'elle se trouve liée inextricablement à la culpabilité occidentale (principalement, concernant les persécutions de juifs par les chrétiens; et depuis l'abominable épisode de la Shoah, les persécutions des juifs par l'idéologie nazie ont légitimé l'idéologie sioniste opposée, pourtant si contestable, par souci de compensation).
Quand on comprend le rang et le rôle du sionisme dans l'échiquier des rapports de force internationaux, on comprend ce qui est arrivé à DSK et l'on relativise la puissance du sionisme. D'autant qu'il faudrait ajouter ce que certains stratèges sionistes savent déjà, comme Attali en France : le sionisme est une puissance en déclin, tant sur le plan idéologique, où ses contradictions ne sont plus viables et défendables; que sur le plan plus général de l'influence mondialiste. Les mésaventures de DSK ne sont qu'un cas parmi tant d'autres de la perte d'influence du sionisme, qui se manifeste tout particulièrement par la fragilisation de la position d'Israël, par sa contestation grandissante, souvent légitime, et par sa politique de réaction jusqu'au-boutiste, une attitude violente et extrémiste qui caractérise les desperados.
Le sionisme est historiquement dominé par l'Empire britannique et ses financiers. Le sionisme n'est puissant que dans la mesure où cette puissance est précaire, fort peu enviable. Il est inquiétant de dominer en étant dominé, de se trouver dans un état de dépendance telle que sa puissance relative apparaît comme un sort moins enviable que la condition d'un faible qui jouirait d'une certaine indépendance et d'une certaine liberté. Le sionisme s'effrite au moment où l'Empire britannique s'effondre. Le seul moyen pour le sionisme de s'en sortir par le haut est d'accéder à une mutation politique (plus idéologique) vers la revendication d'un État unique intégrant les structures d'Israël et de la Palestine (sur le modèle sud-africain).
Le sionisme pour réellement se préoccuper de la population israélienne et des populations juives dans le monde est contraint par ses limites : le spectre de persécutions antijuives et de massacres antiisraélien. Le sionisme protégerait les Israéliens en créant cet État unique faisant disparaître Israël - comme il aiderait les juifs du monde (souvent non sionistes) en cessant ses menées injustes, violentes et désastreuses (en terme médiatique). Si le sionisme perdure, il en est arrivé au point où ses revendications constructives sont obsolètes et où ne reste que les points positifs, destructeurs, voire mortifères. Le sionisme doit se refondre dans un projet plus vaste, un projet authentiquement sémite, qui aurait le mérite d'inclure le problème autochtone et anticolonial des Palestiniens dans le sionisme, ce qui permettrait l'horizon d'un Etat unique, laïc et multiconfessionnel - et constituerait le vrai retour aux valeurs universalistes des juifs de la Bible (le sémitisme des juifs ashkénazes repose sur un mensonge grossier et facilement vérifiable).
Le sionisme trouverait une issue par le haut : la refonte de son projet de plus en plus destructeur en un projet par le haut, authentiquement universaliste et républicain. Si rien n'est fait, le sionisme passera du fantasme de toute-puissance (jamais bon signe) à la toute-faiblesse connexe et voisine. Ne nous y trompons pas, la chute de DSK coïncide avec la chute (prévisible) du sionisme. La chute du sionisme est corrélée de manière plus vaste à la chute des intérêts financiers agglomérés autour de l'Empire britannique. Le DS cas est un bon test pour dérouiller la propagande et les sornettes autour de la réelle influence du sionisme dans le monde, en particulier quand on sombre dans des mythes et des fantasmes visant à faire du sionisme le maître des idées, voire à réactiver dans certains cas des réflexes de boucs émissaires qui ont tout à voir avec le fascisme, et rien avec la vérité.

mardi 19 juillet 2011

La transmutation

Nietzsche, la transmutation de toutes les valeurs (la mutation) et le monde tel qu'il est - conservé.


Alors qu'on aurait tendance de nos jours à voir dans Nietzsche un sage foudroyé, tendance allumé à la fin de sa vie, plus encore illuminé, voyons quelle est la clairvoyance de notre philologue ayant embrassé la tragédie pour louer le dionysiaque et saper de manière emportée et postromantique le platonisme et le christianisme. La particularité de Nietzsche consiste à se réclamer du réel (position réaliste) tout en appelant à une mutation étrange et peu définie (position d'idéalisme immanentiste), qu'il baptise de l'expression ésotérique et alchimique (chamanique) de "transmutation de toutes les valeurs" (selon le vocabulaire propre aux histoires de magie adolescentes).
L'autre paradoxe est typiquement contradictoire : selon les dires ébaubis de ses commentateurs, Nietzsche passe pour le contempteur translucide du nihilisme contemporain, le visionnaire (fou-droyé) qui a vu le nihilisme qui advenait sans coup férir - si l'on ne prenait pas les mesures qu'il préconise pour contrer la gangrène dévastatrice et généralisée diagnostiquée depuis les hautes montagnes : "Le désert croît". Mais cette condamnation élitiste contre la masse, les moutons et le troupeau crédule devient nettement contradictoire quand on s'avise que la solution que Nietzsche propose pour contrer le nihilisme revient au... nihilisme.
Le nihilisme que moque et condamne Nietzsche est le nihilisme populacier et majoritaire, quand le nihilisme qu'il propose en alternative est un élitisme hautain, oligarchique. Nietzsche, après avoir été victime de grossières déformations idéologiques (qu'on nous rabâche pour nous rappeler avec culpabilisation que toute critique négative de Nietzsche penche vers la tentation déformatrice et de vilaine nature), se trouve aujourd'hui expurgé dans l'autre sens - dédouané, blanchi, certifié conforme par la pensée dominante (libérale), inattaquable : alors qu'on accusait notre philologue-philosophe de liens directs avec le nazisme et l'antisémitisme (terme impropre), voilà déformais que suite à l'action des postmodernes gauchistes, puis des commentateurs libéraux, Nietzsche a réussi le prodige de passer pour un philosophe sans lien direct avec l'action, surtout l'action politique, un penseur de pure philosophie, incompris parce qu'il représente le parti minoritaire de la contre-philosophie, de la philosophie opposée à Platon et au christianisme.
Chaque fois qu'on critique Nietzsche, la parade commentatrice est trouvée : cette sous-critique revient à de l'incompréhension et de la déformation. J'en veux pour preuve la manière de considérer que le surhomme de Nietzsche serait un concept trop tardif et trop peu utilisé pour signifier quoi que ce soit qui ne soit subordonné de toute façon à l'allégresse et au dionysiaque. Nous y voilà : l'apologie du surhomme rejoint la définition de la joie dionysiaque. Si l'on cherche l'identité de Dionysos, on tombe sur un dieu étranger à la cosmogonie grecque, en lien avec la violence et la folie des instincts déchaînés livrés à eux-mêmes.
N'en déplaise à Rosset qui, depuis sa Philosophie tragique, estime qu'il personnifie le type de philosophe postchrétien et nietzschéen, le surhomme désigne bien plus que le seul philosophe postnietzschéen ayant eu l'insigne mérite d'échapper aux griffes du christianisme par supériorité : le philosophe remplaçant le philosophe platonicien maître de la République n'est pas un nouveau modèle de philosophe, voire un modèle supérieur, mais le modèle atavique d'opposition au philosophe républicain et platonicien - le philosophe qui dirige les oligarques et qui regroupe sous sa tutelle les artistes créateurs de leurs propres valeurs. La cohérence des thèmes nihilistes prônés par Nietzsche (qui en digne nihiliste n'a rien inventé de positif) frappe quand ses commentateurs-thuriféraires ressassent qu'il serait le grand philosophe antinihiliste de notre temps, au nom de son affirmation inconditionnelle de la joie comme quintessence de la vie. Quelle est cette vie qui finit dans la folie (surtout que Nietzsche proposait de voir dans la philosophie une confession généalogique du corps)?
Quelle est cette joie qui est définie comme dionysiaque? Qu'est-ce que cet "artiste créateur de ses propres valeurs" si le lien avec le surhomme relève de l'extrapolation? Le moyen rhétorique que trouvent les nietzschéens de nos jours, en général des libéraux bien érudits et polis, après les gauchistes antimarxistes, et les fascistes intellectuels, c'est d'opposer à toute critique de Nietzsche le contre-fait/contre-feu que Nietzsche aurait énoncé un contenudifférent, donc incompris. Toujours et absolument - différent. Donc incompris. On ne peut oser cette démarche typiquement nihiliste que si l'on arrive à réellement définir la différence (contenu effectif), non si l'on détruit le message positif derrière du verbiage (contenu inexistant et relevant du néant).
Combien de fois se trouverait-on encore confronté à une critique impertinente qui oserait insinuer que Nietzsche est un horrible antisémite ou un néo-nazi? On tombe désormais plus fréquemment sur des critiques de Nietzsche qui sont impertinentes parce qu'elles refusent la critique négative au nom (censeur) des erreurs passées. Triste tabou contemporain : Nietzsche inattaquable - l'immanentisme inattaquable. Rien n'indique que le destin de toute critique contre Nietzsche soit de renouveler ces erreurs. Curieux moyen de réfuter la critique et de censurer l'opposition aux valeurs de Nietzsche. Les nietzschéens supporteraient-ils mal la critique - ou Nietzsche aurait-il caché un fondement dérangeant dans le contradictoire? Ce serait le signe que sa philosophie n'est guère solide - qu'il existe un vice caché et un poison rance dans cette opposition galvanisante et extatique.
Nietzsche, loin d'être philosophe aussi incompris qu'infaillible, mérite la critique parce qu'il défend le parti oligarchique en terre politique - nihiliste dans son fondement philosophique. L'opposition religieuse de Nietzsche au christianisme se comprend mieux quand on mesure que pour lui l'expression philosophique est religieuse et qu'il utilise la philosophie pour vendre sa religion nihiliste adaptée au format de son temps (l'immanentisme tardif et dégénéré).
Si l'on réfute cette manière qu'a la critique nietzschéenne de réfuter la critique contre Nietzsche, l'on en arrive à la question de la - transmutation des valeurs. Nietzsche propose comme dessein élevé et valorisant assigné à la philosophie à partir de lui d'opérer une mutation dionysiaque (dionysienne?) aux fins d'échapper au nihilisme moutonnier et populacier. Mais cette mutation n'est pas l'opération progressiste des idéologues à la sauce Marx, consistant à changer ce monde-ci suivant le désir de l'homme; pas davantage de détruire le monde pour échapper au nihilisme (comme c'est le dessein des fascismes, au premier rang desquels le nazisme désaxé) - voire, en plus, et pas toujours, pour récréer un autre monde, supérieur, qui serait le monde des surhommes, des artistes créateurs capables de dire oui à la vie et de rejeter le ressentiment.
Nietzsche propose de changer de réel tout en se réclamant du réel; et comme il ne propose pas d'opération surnaturelle pour changer les coordonnées du sensible (pour lui le seul réel, ici et maintenant), on peut se demander si le projet nietzschéen ne repose pas sur la supercherie. Nieztcshe n'aurait rien proposé - et ses admirateurs invoqueront la folie venue faucher le génie de Dionysos au moment où il allait nous expliquer son projet de surhomme (en même temps que la volonté de puissance). C'est oublier que Nieztsche marche, par la mentalité diffuse, avec une certaine conscience tout de même, dans les pas de Spinoza. Il entend réformer l'immanentisme selon une conviction (lucide quant à l'immanentisme) : ce n'est pas le réel qu'il convient de changer, seulement le désir, en décidant que le changement du désir changera le réel dans l'optique de l'homme.
Toute philosophie immanentiste prône la complétude du désir comme gradation, voire acmé du nihilisme antique. Nietzsche adapte l'immanentisme en voie d'effondrement à son époque en proposant une "solution" : la mutation consiste à faire muter le désir et non le réel. La transmutation du désir est la transmutation des valeurs au sens où les valeurs proviennent de la généalogie du désir, et non du réel extérieur. On comprend l'accent donné au philosophe-guide-surhomme ou à l'artiste qui crée ses valeurs. Il s'agit de partir du constat selon lequel le désir complet comporte une imperfection : il est fondé sur la raison.
L'élitisme derrière la liberté (l'accroissement de la puissance du désir individuel implique la domination d'une élite de désirs complets) implique l'usage du critère de raison pour départager qui est complet de qui ne l'est pas (le petit nombre du troupeau). La faille de l'immanentisme fondé par Spinoza et en voie d'effondrement dès Nietzsche : le rôle de la raison suppose que le changement peut se faire dans l'homme, alors que Nietzsche avance et grade d'un pas dans l'irrationalisme en décrétant qu'il s'agit de ne rien changer du tout si l'on veut changer réellement, en opérant la grande mutation ontologique à laquelle il aspire (la transmutation de toutes les valeurs) et en parvenant enfin à faire du projet immanentiste un projet fiable (la fin de la philosophie selon Nietzsche).
Nietzsche pourrait apparaître comme le correcteur du spinozisme fondateur, mais sa formation de philologue et sa mégalomanie maniaque (qui s'accroît à la fin de sa vie consciente) le pousse à plus d'ampleur historico-philosophique : il remonte jusqu'à l'Antiquité, il loue les sophistes et élude Aristote. Nietzsche reproche à Aristote le rôle trop prééminent et proéminent qu'il accorde à la raison dans le réel défini comme fini, alors que les sophistes méritent réhabilitation en ce qu'ils sont ses précurseurs dans l'irrationalisme - l'exigence d'irrationalisme va plus loin que tout rationalisme, fût-il fini.
Nietzsche entend changer le désir, pas le réel - réduit le réel au désir, dans un geste imprécis et débonnaire, selon lequel seul ce qui ressort du domaine du désir importe à l'homme, le restant du réel étant étranger à l'intérêt humain, une forme d'être inaccessible à l'homme et assez proche de la catégorie de réel majoritaire - le non-être. La réforme du désir que Nietzsche entend instaurer au nom de l'irrationalisme (le désir complet irrationaliste), c'est la suppression du rôle de la raison, qu'il juge encore trop anthropomorphique - l'homme disposerait de la libre possibilité de contacter sa raison et en fonction de son évolution donnée, il pourrait la développer jusqu'à atteindre la complétude du désir (le changement élitiste spinoziste).
Nietzsche critique cette possibilité et aimerait que les choses soient données (fixées) une bonne fois pour toutes. Selon ce schéma, l'élitisme est expliqué par le donné irréfragable et inéchangeable. La raison existe certes, mais elle est donnée dans l'individu et ne peut rien changer de manière indépendante. Elle peut seulement révéler ce qui est et n'est pas perçu. On ne peut changer le réel. Par contre, on peut promouvoir ceux qui dans une proportion restreinte et valorisante disposent de facultés intellectuelles leur permettant d'atteindre enfin à la mutation ontologique du désir, soit la transmutation des valeurs. Cette mutation est très étrange, au sens où elle part du principe que l'on ne peut rien changer et que le meilleur moyen de changer et de ne rien changer. Le changement serait simple révélation de ce qui est déjà.
On peut juste trier l'or - de la boue. L'action de Nietzsche va dans ce sens : il existe un tout petit nombre d'artistes créateurs de leurs valeurs, et c'est à eux de fonder le nouveau monde des surhommes qui permettra non seulement de pérenniser l'immanentisme, mais aussi d'échapper au nihilisme populacier et moutonnier. L'irrationalisme consiste à nier le rôle de la raison et à le remplacer par la domination. La raison est au service du désir au sens où tous deux visent la domination et que c'est le désir qui est la faculté ultime de la domination.
Mais la mutation ontologique que vise Nietzsche n'est pas un changement dans l'ordre du réel, infini ou fini (comme chez les idéologues progressistes); c'est la transmutation des valeurs consistant à penser que le seul changement qu'on puisse occasionner consiste à mettre en évidence le donné préexistant. Changer, c'est révéler la hiérarchisation forcenée du donné, tel qu'il est et tel qu'il ne peut changer, sans en appeler à l'usage d'une faculté qui permettrait de changer le réel. Changer, c'est demeurer dans le donné, ne pas changer : c'est recueillir le meilleur du donné en acceptant que le donné ne puisse être changé.
Cette conception de Nietzsche se heurtera toujours au fait qu'il n'ait pu la développer puisque les thèmes qui la sous-tendent ont été à peine ébauchées avant l'effondrement final, la maniaqui résulte peut-être d'une tension psychique trop forte liée à un isolement extatique et kamikaze. On retrouverait un prolongement de cette ébauche nietzschéenne dans la conception que Rosset propose du donné et de l'existence (notamment dans Le monde et ses remèdes et dans Logique du pire) : la seule liberté dont on disposerait dans l'existence serait de se suicider. Nietzsche ne pose pas le problème de manière aussi frontale, mais il estime avoir trouvé une nouvelle manière de muter : non pas changer au sens où le changement dépend d'une disposition libre qui décide de changer indépendamment d'éléments extérieurs et étrangers; mais changer au sens où tout est déjà donné, y compris les possibilités de mutation.
Le changement viendrait de la libération d'une donnée fondamentale et non décelée (cachée) du réel - à condition que le réel soit donné une bonne fois pour toutes et que Nietzsche par cette découverte vienne clôturer la connaissance du donné. Les surhommes ont toujours existé, la volonté de puissance a toujours existé, l'éternel retour du même a toujours existé, mais tous ces éléments étaient inaperçus. Le pouvoir de la raison est d'amener à la conscience. Ce qui rend actif le caché, c'est sa conscientisation. Quant à l'élitisme, qui expliquerait que ce phénomène majeur de l'homme et de l'expression de son désir soit demeuré si longtemps inaperçu ou déformé, il se trouve corroboré par le même motif qui animait un Spinoza : dans un monde fini, on ne peut que dominer ou être dominé.
Ce qui a de la valeur domine, mais la domination n'est pas forcément explicite et peut demeurer cachée, du fait de son caractère hasardeux. Une bonne part de l'oeuvre de Nietzsche est consacrée à expliquer que ce qui est bon (l'aristocratique) est dénigré et dénié par les valeurs populacières du troupeau (démocratiques). Nietzsche déteste le christianisme et adore le dionysiaque, alors que la majorité en Occident adore le christianisme et a oublié le dionysiaque.
La raison de cette propension de l'homme à adorer le mauvais et à dénigrer le bon résulte du fait que la structure du réel n'est pas fondée sur des valeurs positives et conscientes, mais sur des valeurs hasardeuses et nécessaires, du coup caché au sens d'ignorer, à découvrir. Le réel hasardeux laisse ses parties dans l'ignorance. Ignorance non voulue, mais ignorance fondamentale, qui ne laisse la possibilité qu'à un seul type de changement : la prise de conscience que ce qui est donné n'est pas connu. Et que ce qui est fini est connaissable une bonne fois pour toutes. Néanmoins, Nietzsche éprouve des difficultés à expliquer que le faible triomphe du fort par le hasard parce que sa vision de l'histoire généalogique ne suffit pas à justifier que le fort soit vaincu - et néanmoins fort. Le lecteur se demande au final si Nietzsche ne se trompe pas dans sa définition du fort - et si tout son système n'est pas branlant.
Le rôle de l'artiste pour Nietzsche n'est plus d'exprimer le beau classique, mais de faire advenir à la conscience l'impensé. Cette vision est extrêmement sombre (pas pessimiste), car le pessimisme suppose que le négatif soit voulu (au sens d'un Schopenhauer), alors que le sombre renvoie au tragique (hasard et nécessité), l'élément premier et le fil conducteur de la pensée nietzschéenne. Nietzsche en arrive au point où il estime que chacun est à sa place et que le philosophe (qu'il est) incarne l'excellence théorique consacrée à sa place - d'excellence. Lui Nietzsche se trouve chargé (en toute mégalomanie) de révéler la volonté de puissance et d'expliquer cette révélation soudaine et tardive par le tragique et le ressentiment. C'est que Nietzsche est excellent et incompris, d'où son isolement d'ermite en haut des montagnes, tout un symbole. Mais l'excellence incomprise est donnée, tout comme la médiocrité majoritaire : chacun à sa place. Le rôle de Nietzsche le philosophe (et du philosophe selon Nietzsche) se borne à révéler le donné caché, à faire advenir le caché à la conscience, ce que réclame Rosset dans sa Logique du pire (un ouvrage philosophique supérieur à la surévaluée et creuse Logique du sens de Deleuze à la même période).
L'importance du caché révélé chez Nietzsche aboutit dans une position immanentiste à une pensée sombre et immuable. La folie de Nietzsche vient sans doute du fait que chez lui tout est figé, fixé, au point d'être englué et glauque. Chez son maître philosophique Schopenhauer, c'est toujours la même mouche qui vient bourdonner par-delà le défilé des individus mouches successifs. On retrouve chez Schopenhauer ce thème de l'immuable donné, mais avec l'inflexion de la volonté qui concède encore à la conscience une part trop importante (indépendante) tendant à réhabiliter le changement dans le donné.
Nietzsche se trouve en désaccord avec Schopenhauer sur ce point précis que le donné n'est pas soumis au changement. La lecture de Rosset s'avère la plus lucide parmi la génération des postmodernes (dont Rosset se trouverait en marge au sens où les postmodernes désigneraient un certain groupe). La nouveauté de Nietzsche tiendrait dans cette idée que tout est donné au point d'être immuable et que tout est déjà là. La seule concession qui peut être faite au changement, c'est que si tout est là, tout n'est pas donné explicitement, mais caché, non de manière volontaire, mais au contraire hasardeuse et nécessaire.
Cette thématique de Nietzsche le rapporte dans le processus immanentiste à un moment de gradation de l'immanentisme, qui prend conscience que son projet s'effondre et que le seul moyen de se sauver consiste à accroître les présupposés et les inflexions de sa base théorique : la nécessité et le donné fini se trouvent portés au point de tension où ils deviennent complètement bloqués, figés, impossibles à changer. Jamais le rôle accordé au changement n'a été aussi fiable. Jamais l'irrationalisme n'a été porté aussi haut, puisque la différence entre Nietzsche et les sophistes, c'est que Nietzsche s'amuse plus en consignant par écrit ses remarques théoriques (à l'inverse de la désinvolture de Protagoras ou Gorgias).
Raison pour laquelle Nietzsche estimera être parvenu au point de tension maximale de la philosophie, allant jusqu'à s'attribuer un rôle historique supérieur au Christ lui-même (ce qui indique que dans sa raison troublée par la mania, Nietzsche admirait le Christ et sans doute les chrétiens eux-mêmes). Du coup, il propose à la fin de réformer le calendrier chrétien en le remplaçant par son propre calendrier. C'est qu'il a découvert (selon lui) que le réel était donné à jamais (figé et fixé) et qu'il détenait enfin le fondement caché du réel, celui que l'on ne découvrit que suite à de longs tâtonnement, durant l'Antiquité jusqu'à la modernité.
Nietzsche s'estime donné en tant que penseur historique pour offrir la vérité à l'immanentisme, à ceci près qu'il échoua dans son projet grandiloquent devant la folie curieuse (et ironique). Dans le processus immanentiste, un Rosset corrige encore les dernières approximations de Nietzsche en proposant quelques arrangements en gradation : on en arrive à une pensée de sophiste, où Rosset se montre moins emporté que Nietzsche, mais où il fige l'existence d'une manière qui ne peut la rendre supportable. Nietzsche essaye encore de s'inscrire dans la philosophie, en prenant pour exemple des philosophes peu orthodoxes comme les moralistes français.
Rosset est déjà dans une forme de philosophie qui n'est pas la nouvelle philosophie en tant que telle, mais, dans le sens que Nietzsche lui conférait, le retour de formes anciennes de nihilisme, comme la sophistique, à ceci près que les sophistes n'étaient pas allés au terme de leur programme, essentiellement à cause de la réaction du monothéisme; quand Rosset espère y parvenir en triomphant du nihilisme moutonnier et majoritaire pour offrir son projet de surhomme antithétique; Rosset serait le révélateur du surhomme de Nietzsche.
Une objection historique : sommes-nous vraiment sortis du nihilisme quand on voit l'effondrement systémique actuel? On pourrait penser que le nihilisme ne fait qu'advenir et que ce n'est qu'après cette période de chaos généralisé que l'on connaîtra la venue du surhomme, qui remplace le Messie monothéiste. Mais on peut aussi estimer que l'on sort du nihilisme si l'on s'avise que le nihilisme a pris la forme du libéralisme démocratique et que le projet de Nietzsche correspond trait pour trait à l'idéal oligarchique. Après le libéralisme, l'oligarchie : en ce sens, Rosset intervient en tant que philosophe qui clôt la période de nihilisme et qui appelle l'avènement des surhommes.
Rosset à la différence de Deleuze ou d'autres postmodernes n'a pas commenté Nietzsche dans le but de poursuivre l'histoire de la philosophie et de proposer sa propre philosophie comme un moment philosophique en appelant d'autres; Rosset a cherché à corriger Nietzsche en l'améliorant. Si Nietzsche était arrivé au bout du processus immanentiste, on ne pourrait le corriger. Rosset estime que Nietzsche est encore trop polémique et qu'il n'a pas vraiment précisé quelle était sa philosophie positive. Il s'en est tenu à une philosophie négative comme la critique de la morale et du ressentiment.
Ce que Rosset retient de Nietzsche, c'est son apologie de la musique comme masque de philosophie positive, en lieu et place de la métaphysique. Le véritable irrationaliste ne propose rien de positif, puisque le rationalisme est circonscrit à l'être. L'irrationaliste est négativiste au sens où il place la limite de l'être dans le non-être. Le négatif limite le positif. Rien ne sert de chercher un positif dicible, puisque le propre du négatif est l'indicible et que le propre du réel est de finir de manière suprême dans l'indicible.
C'est en assumant le négatif et en biffant le positif que Rosset cherche à corriger et améliorer Nietzsche, avec cette idée selon laquelle Nietzsche est encore trop postromantique et trop axé sur l'idée de changement, fût-ce le changement sans changements, soit l'amélioration de ce réel-ci par la mutation du donné. La mutation ontologique à laquelle aspire Nietzsche se nommerait peut-être révélation. Faisant référence à la transmutation de type alchimique, elle consiste bien à transformer le plomb en or, soit le désir condamné par le christianisme en désir complet et surhumain.
Le surhomme est dans l'homme, à condition de préciser qu'il réside dans une petite caste d'hommes supérieurs, qui ont fini par oublier leur supériorité suite au travail de sape des esclaves et du troupeau. Nietzsche vient rétablir la vérité sur le changement, mais en oubliant que ces thèmes sont inutiles et qu'il est inutile de trop chercher à instaurer du nouveau. Selon Rosset, le nouveau (positif) est remplacé par le donné négatif, au sens où l'être est bordé par le non-être.
Le changement devient un gros mot au sens où Nietzsche croyait encore que le réel surhumain succéderait au réel humain, quand bien même ce qui devient se tient dans ce qui est. Rosset abolit le changement. Il considère que le changement est l'illusion de la quête de positivité et que le mieux est de s'en tenir au négatif. La musique est le masque idéal du remplacement, puisqu'elle demeure indicible et qu'elle renvoie à l'expérience humaine du non-être.
Le surhomme est une catégorie qui n'exprime pas le besoin d'une transmutation, mais qui au contraire se tapit à l'intérieur d'un société extérieure, comme le coucou parasite le nid. Rosset estime que la limite de Nietzsche, son postromantisme si l'on veut, consiste à avoir encore trop cherché à se positionner par rapport au changement, à donner une définition du changement, aussi subversive soit cette définition tendant à nier le changement au sens classique et usuel. L'erreur de Nietzsche se trouve encore exacerbée par Rosset : il nie le changement, alors que le changement existe.
L'erreur du changement dénié correspond au changement. Raison pour laquelle la solution que propose Nietzsche pour sortir du nihilisme ne peut être que nihiliste : pour échapper au nihilisme, encore faudrait-il que Nietzsche propose quelque chose de défini et de nouveau. Comme il tape sur le platonisme et le christianisme, il se retrouve avec la critique de la métaphysique sur les bras et il cherche à proposer quelque chose de supérieur et de nouveau par rapport à la métaphysique. Il n'y arrivera jamais et l'aurait-il proposé que ce serait une alternative assez bancale.
Nietzsche va plus loin que la métaphysique, mais son romantisme de type postromantique consiste encore à essayer de rendre le changement conciliable avec l'immanentisme tardif et dégénéré. Rosset reprend ici Nietzsche et décèle l'erreur de Nietzsche. Et si Rosset n'avait fait que poursuivre dans l'erreur de l'immanentisme, qui grandit et grossit à mesure que le processus immanentiste croît en intensité et décroît en influence? L'erreur de la conception du processus selon l'immanentisme est de considérer que le processus est fini. Dès Aristote, on considère que la philosophie peut toucher son terme : car le processus fini comporte bien entendu un terme.
Nietzsche ne fera que rédupliquer et accentuer l'erreur d'un Aristote. L'immanentisme croit dès sa formulation originelle, avec Spinoza, que le terme de la philosophie est atteint - avec la correction du désir complet. Mais la survenue de Nietzsche, puis de sa suite, devrait suffire à indiquer que le processus ne peut être fini, au sens où le processus stable d'un certain niveau, d'une certaine plate-forme, conduit vers un nouveau niveau, et non au terme du processus fini. L'erreur de l'immanentisme, qui ne fait que croître avec la chute progressive mais inéluctable de l'immanentisme, repose sur l'erreur consistant à définir le nihilisme comme l'alternative au nihilisme.
Certes, le nihilisme élitiste diffère du nihilisme du troupeau. Il présente au moins le mérite d'afficher la couleur et de se montrer lucide - on ne peut pas proposer un nihilisme cohérent qui ne soit élitiste. Mais le masque du nihilisme élitiste s'explicite comme le changement dans le même donné, soit comme la négation du changement présentée ocmme changement, ou encore la contradiction insoluble pour la logique. Au passage, le choix du terme "transmutation" par Nietzsche suppose une révélation déjà présente, à un niveau souvent atomique, donc proche de l'atomisme antique de l'école d'Abdère.
Le fait que la transmutation de toutes les valeurs débouche sur le nihilisme pour échapper au nihilisme montre que Nietzsche identifie mal l'identité, en particulier la différence, et qu'il recouvre d'une positivité fausse (le surhumain) une négativité juste (le nihilisme). L'irrationalisme exprime l'appel à ce que la rationalité soit dépassée par l'irrationalité. Le nihilisme n'est pas forcément irrationaliste au sens où il peut considérer que la pensée s'applique juste au rationnel (l'être fini) et que l'irrationnel est impensable, quoiqu'il existe. Le nihilisme irrationaliste exprime donc l'effondrement du modèle le plus modéré de nihilisme, le nihilisme rationaliste, et l'obligation de passer à l'irrationalisme nihiliste.
Face à l'effondrement du modèle rationaliste, il s'agit comme solution d'ouvrir l'être en déconfiture au non-être, soit le positif au négatif. Autant dire que cette "solution" revient à détruire ce qui est si l'on identifie le non-être comme le nom négatif et imprécis de la destruction (contradiction). Dans cette perspective, il est prévisible que Nietzsche confonde le nihilisme avec le nihilisme. C'est l'erreur qui survient quand on propose le négatif comme alternative au positif (l'irrationalisme) - soit quand on ne propose rien d'autre que ce qui est confus (mal identifié) à la place de ce qui est. L'erreur du nihilisme est de séparer ce qui n'est pas de ce qui n'est pas en donnant au non-être un visage de positivité.
A partir de ce moment, le nihilisme est promis à la confusion brillante et c'est ce qui arrive à Nietzsche. Ses commentateurs transis sont trop obnubilés par le brio de ses analyses diverses pour s'apercevoir de l'erreur de leur penseur fétiche. C'est pourtant par ce genre d'analyse qu'ils parviendraient à comprendre ce qui se passe dans notre époque, où un Rosset entérine l'entrée de la destruction dans l'être, un peu comme le cheval de Troie à l'intérieur de Troie indique la destruction et le saccage de la cité. Le chaos plus que le KO.
Les commentateurs se trouvent tellement imprégnés de positivisme et de néo-positivisme qu'ils n'interrogent jamais le postulat initial de l'histoire de la philosophie selon lequel l'auteur commenté présente la base de données indiscutable et donnée à l'analyse académique. Les commentateurs reprennent le coup du donné, qui est une arnaque d'obédience nihiliste, selon lequel on ne peut pas penser sans donné : l'être est le donné. Le donné est tout l'être. Cette manière de penser, outre qu'elle fige la dynamique de la pensée dans un certain domaine, aussi riche soit-il, interdit le renouvellement que seule la créativité autorise et accélère le processus de destruction, que légitime la théorisation analogique de l'entropie.

samedi 16 juillet 2011

La régression libérale

Contrairement à ce que serinent les nationalistes européens crypto-fascistes, qui prétendent s'opposer à l'Union européenne tout en accréditant les formes plus profondes d'impérialisme, comme le libéralisme, le protectionnisme de type nationaliste (qui n'est pas le protectionnisme) ou la xénophobie, nous nous trouvons devant deux alternatives face à la mort du monétarisme européen :
- soit le chaos plus ou moins virulent, de toute manière inéluctable;
- soit le retour à une conception politique de l'Europe.
Cette dernière conception est tout à fait envisageable, et elle est à souhaiter, pour que les Etats-nations européens s'unissent en une forme fédérale et accroissent leur puissance politique, économique, sociale et surtout culturelle. Mais cette forme ne peut aboutir à un projet viable et supérieur que si elle est fondée sur l'unité politique de type républicain. L'unité monétaire instaurée par l'euro aboutit à une dictature politique parce que l'unité politique est inexistante, en réalité et surtout absente au profit de la multiplicité, voire de l'antagonisme. L'unité est économique et financière, soit inférieure au projet politique nécessaire.
Au lieu de s'en prendre à des boucs émissaires comme le fait le nationalisme, qui propose le retour contradictoire à l'Etat-nation antérieur et irrattrapable (la France pour Marine Le Pen) et entérine quand même les discussions européennes fondamentales qu'il prétend combattre, il convient d'adapter la forme actuelle de l'Etat-nation à une forme de fédéralisme européen, qui peut déboucher sur un Etat-nation européen à plus longue échéance - à condition : que cette unification ne repose pas sur l'unité économique (plus réducteur encore, financière), mais politique. L'unité économique signale que l'unité politique est incomplète et que la béance se trouvera remplacée par le chaos. C'est ce qui se produit actuellement, époque tragicomique et chaotique, où les dirigeants européens irresponsables (et non élus) ont produit une unité économique non viable, qui aboutit le plus logiquement du monde à l'implosion de la zone euro.
Le nationalisme se présente comme remède à cette situation dans la mesure où il propose l'accroissement du chaos comme remède au chaos, ou encore - plus de violence contre la violence. Outre (souvent) des mesures xénophobes inefficaces et désaxées, qui provoquent la honte et l'embarras, le nationalisme accélérerait le rétrécissement entropique à la faveur duquel il surgit, menant à la disparition de l'Etat-nation qu'il entend protéger du péril mal identifié; alors qu'il faut suivre le cours inéluctable de l'anti-entropie, qui se manifeste en histoire politique par l'agrandissement continu et salutaire des formes d'Etat et par l'ajustement des formes étatiques à la croissance humaine (et géographique).
A court terme, les Etats-Unis d'Europe peuvent exister sur le modèle de développement desEtats-Unis d'Amérique (qui avaient été créés selon la structure de fédération d'Etats-nationsinspirés par Solon et Leibniz). A plus long terme, l'évolution des Etats-nations constitués par le Traité de Westphalie de 1648 est appelé à suivre l'évolution historique du processus d'expansion humaine qui doit le mener vers l'espace. Un jour viendra où les réactionnaires seront les partisans d'un immobilisme terrien contre la conquête spatiale. Ce qui pour l'instant constitue l'avant-garde des préoccupations humaines deviendra d'ici quelque temps une évidence incontournable : soit l'homme conquiert l'espace, soit il se sclérose, se ratiocine, se rabougrit, et périclite, avant que de disparaître.
Dans ce processus, le nationalisme occupe la place du réactionnaire le plus viscéral avant le terme de l'anéantissement, puisqu'il se replie de manière incohérente sur son Etat-nation et qu'il ne propose aucune solution viable à plus long terme. Le nationalisme n'est pas une alternative à la crise actuelle et l'on comprend qu'il soit manipulé par les intérêts libéraux qui s'en servent comme d'une marionnette idéologique pour précipiter le chaos plutôt que leur propre remplacement (salutaire). Mais l'impéritie du libéralisme ne transparaît pas seulement dans le résultat catastrophique de sa faillite actuelle et irrémédiable (quoique largement déniée); dans sa théorie, il se déploie en tant que projet figeant le processus de développement humain au niveau du mondialisme (de la limite terrestre), avec pour particularité de considérer que le projet mondialiste est la fin de l'histoire (en ce que le mondialisme est le parachèvement du libéralisme).
Le libéralisme intègre dans son processus le nationalisme, qui revendique pourtant l'opposition au système libéral en place. Le nationalisme est bien une réaction extrémiste et virulente d'ordre libéral aux désordres du libéralisme, qui entre dans la phase de chaos et de désordre (finale) à partir du moment où son parachèvement mondialiste se révèle caduc et impraticable. Le nationalisme prétend réguler le libéralisme de l'extérieur par la violence et la destruction, mais derrière sa tactique nauséabonde du bouc émissaire, le nationalisme est unnational-monétarisme : autant dire qu'il est le prolongement extrémiste et jusqu'au-boutiste du libéralisme, soit qu'il propose un monétarisme masqué par la revendication nationaliste de domination.
Le nationalisme est le dernier masque du libéralisme avant explosion définitive du libéralisme, comme on l'a vu avant la Seconde guerre mondiale, où les fascismes allaient détruire le libéralisme et ont tous instauré des régimes favorables au libéralisme, comme le fascisme italien ou le franquisme. Pour pallier l'implosion plus qu'explosion du système libéral, lesEtats-nations d'Occident ont retrouvé la main et ont essayé sans succès d'imposer une alternative viable à la dérégulation libérale.
L'exemple du régime de Pinochet aux Etats-Unis serait une illustration éclatante, car il se trouvait soutenu par les idéologues purs et durs de l'école de Chicago, féroces partisans de l'ultralibéralisme monétariste cher à Milton Friedmann. Le nationalisme est forcément monétariste avec cette inflexion qu'il entend conférer au monétarisme une domination circonscrite à un certain nationalisme, comme si la domination demeurait valable à condition qu'elle rétrécisse au format national et qu'elle perdre ses prétentions au marché total.
Le nationalisme vend une solution partielle comme viable globalement, à l'heure actuelle le projet de l'alternationalisme. Comme si le retour à la nation seule de l'Etat-nation pouvait permettre de compléter l'imperfection et l'incomplétude du monétarisme, qui est le fondement du libéralisme se trouvant explicité dans la phase finale de l'ultralibéralisme (avec Hayek en chef de file charismatique, devenu si extrémiste à la fin de son existence qu'il passait pour plus anarchiste encore que libéral). Le nationalisme est l'allié utile de l'ultralibéralisme, tant historiquement (les fascismes de l'entre-deux guerres sont subventionnés par des factions financières et pratiquent une politique monétariste) que théoriquement (l'incomplétude du nationalisme lui interdit de s'opposer à l'ultralibéralisme explicitement monétariste et au contraire le conduit à adouber le monétarisme par défaut). Le monétarisme incomplet et le nationalisme incomplet se complètent d'autant plus que c'est la dégradation de l'ultralibéralisme qui produit par réaction le nationalisme comme forme faussement politique et idéologique, alors qu'il s'agit d'une imposture politique dont le contenu politique se limite à proposer de la violence en remède au chaos.

jeudi 14 juillet 2011

Au bas mât

Nous vivons une époque sympathique : nous somme sur le point de connaître la désintégration généralisée du système financier et culturel qui fonde notre civilisation mondialisée. Notre civilisation n'est pas comme par le passé une civilisation parmi tant d'autres, mais la civilisation, puisqu'il n'y en a plus qu'une seule, et que l'on parle à ce sujet de civilisationmondialisée, globalisée, interconnectée (peut-être de manière trop grandiloquente et entérinée).
Et l'endroit crucial où l'épicentre de la crise se déroule, c'est : les Etats-Unis. On aime ou on déteste les States (parfois les deux en même temps, comme ceux qui reprennent les pires modes sous-culturelles US en déblatérant contre ce pays barbare, avec histoires et sans histoire). Les Etats-Unis, c'est (c'était?) le premier Etat-nation dans le monde. La première puissance économique et militaire, au point que certains parlent d'impérialisme américain, alors qu'ils n'ont pas compris que l'impérialisme consistait à prendre en otage l'Etat-nation le plus puissant et ne pouvait émaner que de factions, pas d'Etat-nation.
On parlera peut-être bientôt des Etats-Unis au passé. Sacré coup de vieux, sacrée coupe de vice. Que s'est-il passé pour que le pays le plus prospère du vingtième siècle connaisse un tel déclin en si peu de temps? En fait, ça faisait un bail que les problèmes s'accumulaient et s'amoncelaient, mais on ne voulait pas voir. Déni d'inquiétude. JFK s'est fait assassiner. Le bon peuple américain, trop individualiste et consumériste pour sortir de son rêve fantasmatique et affronter le cauchemar, a fermé les yeux, et la Commission parlementaire Warren a refusé de considérer la vérité : que le représentant officiel du peuple américain avait été assassiné par des commanditaires financiers fort puissants, pas par le petit gigolo qui juste après l'assassinat s'est à son tour fait liquider dans un sordide règlement de comptes. L'ultralibéralisme est arrivé, les coups tordus ont foisonné. Zéro souci.
Les représentants publics ont commencé à être de moins en moins indépendants et de plus en plus incapables. Reagan n'était pas brillant, très peu logique et très idéologique; Bush Sr. se distinguait par son cynisme encore pire, Clinton était un érotomane intelligent qui se fit coincer sur sa faiblesse et ne put mener à bien ses projets progressistes. Après, c'est notre Crise qui se prépare, avec l'élection plus ou moins arrangée de W., puis sa réélection plus grotesque. W. était le pantin anglophile du Texas et des réseaux Baker/Bush/Bandar qui avait le mérite d'avancer à visage démasqué, comme le clown qui se trimballe avec un nez rouge afin d'éviter qu'on le prenne pour l'équilibriste.
Enfin, Obama arriva. Roulements de tambour. On hurla au prodige, au miracle, à la renaissance des Etats-Unis. Raison invoquée : Obama est Noir, donc bon. Euh, rectificatif, il était métisse. Ce qui en dit long sur les préjugés qui circulent en Occident, où l'on lave sa mauvaise conscience dans les eaux sales de l'esclavagisme d'autant plus dénié qu'il se poursuit sous des formes insidieuses. Obama parlait bien, on ne voulut pas jauger de son pedigree : un bon toutou, narcissique à souhait, bien entouré par une garde rapprochée de conseillers aux ordres, contrôlé par les puissances de l'argent, Chicago d'où il vient, Wall Street, où il allait. EtLondres, où il se prosterna deux fois. La première, il était encore chéri du monde; la seconde, déconsidéré, hors de la réalité, il ne s'était pas rendu compte qu'il s'agissait d'un d'adieu de demi-dieu au pouvoir qu'il chérit tant et aux honneurs pour lesquels il tua son peuple.
Obama n'est pas la réincarnation de Martin Luther King, ni d'aucun des Noirs américains qui finirent assassinés et qui se distinguèrent par leur combat pour la justice, la liberté et la dignité. Obama est tout le contraire d'un héros. Bientôt, il sera haï comme un zéro. Un zozo en faillite, qui passa pour un progressiste imprégné des principes de Solon, qui mentit sur sa politique progressiste d'aide aux classes moyennes et qui se vautra dans la fange de Wall Streetcontre main street. Obama est un esclave, pas un King. C'est un burger, pas un berger.
On le croque, on l'avale, on le digère, on finira par le conchier. Maintenant, si l'on veut comprendre l'identité des factions financières qui contrôlent Obama, il est plus instructif de s'arrêter sur le cas de Soros que de parcourir la liste des autres généreux parrains, parfois plus généreux (Buffett n'est pas prophète). Soros est un paravent typique de l'Empire britannique, avec son Quantum Fund domicilié dans les Antilles néerlandaises, son apologie de ladépénalisation de la drogue et ses multiples oeuvres caritatives au service de l'ingérence démocratique (l'impérialisme libéral).
Le contrôle d'Obama par les factions financières britanniques ne se fait pas par des citoyens britanniques, mais souvent par des citoyens américains, étrangers - pas forcément britanniques. Et c'est le grand secret de l'impérialisme, qui explique que trop souvent certains analystes contestataires et progressistes, comme le gauchiste emblématique Chomsky, prennent l'Empire britannique pour l'Empire américain - des vessies pour des lanternes. Ceux qui de bonne foi avancent ce genre d'arguments n'ont pas discerné que l'impérialisme contrôle les Etats-nations et que les Etats-nations ne peuvent pas se montrer impérialistes dans leurs prérogatives pérennes.
Cette grille de lecture faussée (l'impérialisme américain, parfois mâtiné de sionisme) propose une identification faussée de l'impérialisme en faisant comme si ce sont les Etats-nations qui constituent les fondements politiques et sociaux, comme si la structure de l'Etat-nation était l'ultime fondement du monde politique (et donc de l'économique). C'est s'opposer à l'ordre politique en validant la structure politique officielle (ce qui pourrait sembler une contradiction dans les termes, puisqu'on s'oppose avec suspicion à l'officiel après en avoir validé les principes). Le secret de l'impérialisme, c'est qu'il manipule les Etats-nations, qu'il contrôle lesEtats-nations, comme Obama se trouve contrôlé, en somme. Obama serait le symbole métonymique du contrôle opéré par les factions sur les Etats-nations.
Du coup, non seulement la grille de lecture de l'impérialisme américain ou de tout type d'impérialisme étatique paraît bien puérile, mais le contrôle des Etats-nations par le seul impérialisme envisageable, celui de factions, indique que les Etats-nations d'Occident sont contrôlés, tout comme l'Etat d'Israël - qui n'est pas vraiment un Etat-nation, mais oscille entre la tentation de l'Etat-nation démocratique et libéral (à l'occidental), la théocratie bancale etl'Etat colonialiste (inavouable). La lecture de la stratégie internationale devient bien différente à l'aune de ce critère. La révélation de l'existence de factions financières apatrides contrôlant les Etats-nations cerne l'identité déniée de l'Empire britannique et l'impérialisme comme opposé viscéralement à la forme de l'Etat-nation (constat historique).
Les factions financières préfèrent aux Etats-nations des Etats fantoches à leurs ordres, commel'Etat d'Israël, dont la légitimité est impossible et qui, pour acquérir une identité collective viable, devra subir une profonde réforme de ses institutions incluant la reconnaissance des Palestiniens dans son projet. Précisons que le contrôle des Etats-nations par les factions n'obéit pas à une situation stable de toute-puissance, comme si les factions avaient toujours contrôlé les Etats-nations depuis leur création moderne et que ce contrôle caché et pervers obéissait de surcroît à une immuabilité simpliste et accommodante, dans laquelle ce serait les mêmes familles qui contrôleraient les Etats-nations (on entend beaucoup dénoncer les famillesRockefeller et Rothschild dans ce jeu caché et oligarchique).
Le fonctionnement des factions implique, au contraire de l'immuabilité et de la stabilité, un surcroît d'instabilité par rapport au changement ontologique classique. Plus le pouvoir est caché, plus il est éclaté, fragile et instable. Une lecture authentiquement complotiste (pas la récupération sémantique du complotisme afin d'empêcher la dénonciation des complotsd'Etats) fausse la structure oligarchique, en laissant entendre que la volonté cachée de quelques pervers tout-puissants et fort intelligents peut réussir à contrôler le réel sans que ce contrôle oligarchique ne nuise à la santé du monde humain.
C'est l'inverse qui est vrai : le contrôle caché oligarchique, outre qu'il introduit une instabilité fondamentale virant bientôt au chaos généralisé, détruit le monde de l'homme et aboutit, non à l'immuabilité perverse de l'emprise oligarchique, mais à l'accélération du processus de destruction que signe tout fixisme de nature anti-entropique. Le système oligarchique est dégénératif et condamné dès son avènement. Obama est le symptôme du contrôle du premierEtat-nation, les Etats-Unis, par les factions par l'Empire britannique financier et que la chute de l'Empire britannique, inéluctable, ne signifie pas que les Etats-nations vont se relever, débarrassés de leur parasite-sangsue.
La crise actuelle (oligarchisation du monde globalisé) pourrait dégénérer en chaos : c'est la tactique que défend et promeut l'Empire britannique, consistant à engendrer le chaos pour mieux remplacer les structures d'Etat-nation par des structures fédéralistes et non démocratiques (bureaucratiques) à la solde de factions oligarchiques. Le chaos est l'allié de l'oligarchie. L'oligarchie ne peut prendre le pouvoir que dans et par le chaos. Tout processus oligarchique relevant de la destruction, il ne peut longtemps subsister en parasite suçant le sang des Etats-nations; après leur effondrement, il doit remplacer ces coquilles vidées par des fédérations oligarchiques.
C'est à ce genre d'alternatives qu'appellent les médecins-empoisonneurs comme Soros (ou Attali en France). Remplacer la démocratie par l'oligarchie bureaucratique et inégalitariste. Légitimer le chaos par la nécessité de l'inégalitarisme et de la pauvreté. Obama travaille en osmose avec la City de Londres, sans se rendre compte que la question de la postérité importe plus que celle de la domination présente. Si nous voulons en finir avec l'oligarchie de l'Empire britannique, nous devons résoudre la question : quelle est la faille dans les Etats-nations qui a permis aux factions oligarchiques de Venise, des Pays-Bas (voire la Belgique), puis de la City deLondres, miroir de l'Empire britannique, de prendre le contrôle des Etats-nations, à commencer par leur premier représentant, les Etats-Unis (pourtant créés dans l'intention de sortir du système oligarchique enserrant l'Europe dans sa gangue putride et maléfique)?