mercredi 19 janvier 2011

Sociologie du drogueur

"En toute honnêteté, lequel d'entre nous, directeur de thèse n'a pas laissé passer de tels "dérapages"? (…) Il ne faudrait pas que cette thèse serve de prétexte à un nouveau règlement de compte contre une des diverses manières d’envisager la sociologie. (…) Est-ce que cette thèse n'est pas un simple prétexte pour marginaliser un courant sociologique, et disons-le crûment, pour faire une chasse à l'homme, en la matière contre moi-même?"
Michel Maffesoli, à l'occasion de son soutien en tant que directeur à la thèse plus que controversée de l'astrologue-sociologue Elisabeth Teissier, ancienne conseillère de Mitterrand.

Je regarde l'émission Ce soir ou jamais du lundi 17 janvier qui répercute la montée du fascisme (appelons-le alterfascisme ou néo-fascisme pour le distinguer du fascisme historique en tant que l'histoire n'est pas répétition linéaire) en France. Le nationalisme monte quand la crise libérale survient, et comme nous affrontons une crise terminale irréfutable du libéralisme, nous allons affronter des formes de fascisme extrêmes, qui espérons-le en resteront au stade des promesses non tenues.
Nous avons subi des mesures xénophobes limitées en France; des mesures d'austérité inconnues en Grande-Bretagne; des mesures eugénistes aux Etats-Unis avec en prime le gouvernement Obama encadré par la meute des libertariens. Preuve de la montée de l'extrémisme nationaliste en Occident, nous assistons sur des plateaux de télévision française représentatifs de la mentalité oligarchique montante à la présence deux représentants plus ou moins attitrés et atypiques de l'extrême-droite française :
- Alain Soral, ancien communiste stalinien, désormais alternationaliste déclaré, ex futur ancien du FN, qui s'occupe d'un think tank alternationaliste ayant pour charge partielle d'encourager l'accession au pouvoir des idées nationalistes (ce rôle n'est pas uniquement dévolu à un seul organisme, mais l'association politique participe de ce but, qui dépasse de loin les simples prétentions politiques du FN ou de sa récente dirigeante Marine Le Pen, expression oligarchique et dynastique de la fille de son célèbre père poujadiste).
- Alain de Benoist, intellectuel prolifique et protéiforme, autodidacte pontifiant, qui vient des courants païens et nationalistes du GRECE (issu de la mouvance Jeune Occident d'un Venner) et qui se rapproche tout doucement de la gauche la moins collectiviste et la plus ultralibérale, via notamment des thèses assez opportunes, sinon opportunistes, autour de la décroissance.
Soral sur le plateau comme ailleurs se comporte en élève attentionné du vieux mentor idéologique, comme si la proximité de leur parcours (rassemblement de la gauche et de la droite libérales autour du nationalisme tout aussi libéral, malgré ses dénégations récentes et superficielles) encourageait la proximité de leurs engagements idéologiques aussi courageux que violent. Dans ce duo, Soral occupe le terrain du bretteur-provocateur, quand Benoist joue au modéré relatif, certes plus fin et plus madré que son élève qui s'égare à force de vitupérer hors de propos.
Sans verser dans la démagogie renversée,
sur le plateau
leurs interventions ne furent pas les plus étranges ou repoussantes malgré leur pédigrée inquiétant d'extrémistes surgissant au milieu de la crise. Qui serait le plus répugnant politiquement et moralement dans cette réunion de vampires où un sarkozyste pavoise avec une cocotte coco-bobo manifestement dépassée par les événements en cours, tandis qu'une agrégée formatée en journaliste-intello est venue briller en société?
Un certain Bernard Stiegler apparaît de visu comme le plus intelligent de ce bal des vampires. Tous ces donneurs de leçons méprisent de manière cassante Soral, comme s'ils pouvaient mépriser le populisme sauce nationaliste, sans se rendre compte qu'ils l'adoubent de par le lieu d'où ils se placent pour dominer - qui ne peut être que la posture oligarchique.
Le pire n'est pas l'intervention théâtrale de Jacques Rancière, qui descend tel un expert oligarchique de son olympe intellectuelle pour entretenir le téléspectateur de philosophie politique, mais du sociologue Maffesoli, qui a démontré par le passé qu'il était un sophiste en proposant des prolongements postmodernes à la phénoménologie; et surtout en validant la thèse de l'astrologue Teissier, qu'il appuya quasiment politiquement en démontrant qu'on peut raconter les pires sornettes pourvu qu'on les enrobe d'un contenu pédant et savant (jargon postmoderne mâtiné de phénoménologie par exemple).
Sur le plateau, Maffesoli remporte sans problème la palme du sophiste au sens où il propage les supports théoriques indispensables à la contagion rhétorique et persuasive de la loi du plus fort, sous couvert de savoirs sociologiques ou étymologiques étayés. Que déclare notre sociologue ès académie et médias, qui illustre à quel point le savoir le plus académique peut flirter dangereusement avec l'irrationalisme obscurantiste? C'est ce que fait remarquer une pétition de 2005 qui s'oppose de l'intérieur à la nomination de Maffesoli au conseil d'administration du CNRS :"Il est pour le moins étonnant de voir nommer comme représentant des disciplines «Homme et Société» Michel Maffesoli, un universitaire bien connu pour ses prises de position anti-rationalistes et anti-scientifiques. Pourquoi nommer quelqu’un qui a suscité, il y a peu, la réprobation de l’ensemble de la communauté scientifique en commettant une grave faute : l’attribution du titre de docteur en sociologie à une astrologue, Elizabeth Teissier, dont la thèse faisait l’apologie de l’astrologie ?"
Et c'est cet individu qui vient nous délivrer son savoir à propos de la crise - et qui prétend s'opposer au nom d'une certaine sociologie à l'alternationalisme de Soral? Autant dire qu'on refuse l'effet pour mieux accréditer la cause. Que dit Maffesoli en tant qu'emblème de l'avènement de la pensée sophistique au service de la domination oligarchique (serait-ce à ce titre qu'il a subi une promotion en 2007 au Conseil National des Universités)? Autour de la 45ème minute, notre ronflant Maffesoli déclare : "Quelle est cette formidable évolution qui fait qu'on est dans un nouveau paradigme qui est en train de se mettre en place actuellement, où ce n'est plus la simple raison rationnelle, le contrat auquel nous étions habitués qui va prévaloir, mais au contraire les émotions, les hystéries, les pactes..."
Maffesoli reviendra plusieurs fois sur cette opposition en situant l'époque rationnelle à partir du siècle des Lumières jusqu'à maintenant et le changement de paradigme postmoderne avec l'avènement de l'irrationalité sous forme d'émotion. D'une part, cette lecture typiquement postmoderne (au sens de postnieztschéenne et héritière de Spinoza) fausse la vision rationnelle en la liant aux Lumières, soit au kantisme - qui propose déjà, en guise de refondation du projet métaphysique (terme aristotélicien), une raison bien affaiblie par les arguments irrationalistes de Hume; d'autre part, Maffesoli emploie la jolie redondance de "simple raison rationnelle", voulant sans doute expliquer qu'il situe quant à lui son discours alambiqué dans une logique de raison irrationnelle; enfin, le positionnement de Maffesoli confirmé par ses déclarations explicites dans l'émission indique qu'il s'agit d'un sophiste moderne dressant l'apologie perverse, car enrobée sous le discours savant, de l'irrationalité et de l'émotion.
Le plus pervers n'est pas tant d'amalgamer Marine Le Pen dans cette nouvelle ère d'émotion et d'irrationalité, comme si du coup en opposant l'irrationalisme nationaliste à son irrationalisme modéré il légitimait à sa manière, en s'y opposant, l'adversaire nationaliste pour les prochaines échéances électorales (où l'on voit que le sociologue émérite adoubé par le pouvoir en place fait le jeu intellectuel et médiatique dudit pouvoir); non, le plus pervers est de présenter une conception atavique comme nouvelle - l'ancien comme le nouveau.
La conception dite postmoderne de Maffesoli ajoute peut-être quelques éléments nouveaux à une technique et une rhétorique éprouvées; mais : c'est un discours typiquement oligarchique et nihiliste que nous pond Maffesoli, qui reprend à son compte la technique de Nietzsche consistant à faire passer son recours au vieux nihilisme pour de l'innovation. Nietzsche présentait le dionysiaque contre le christianisme comme de l'innovation, alors qu'il ne faisait que reprendre la rhétorique des sophistes adaptée à l'immanentisme de son temps sous le masque (vénitien) de la distorsion historique consistant à amalgamer insidieusement le polythéisme atavique avec les propositions nihilistes de Nietzsche (comme si les diverses expression polythéistes coïncidaient avec le nihilisme!).
Mais le discours oligarchique n'est certainement pas nouveau : on fait du nouveau avec de l'ancien?
Annoncer que le nouveau paradigme remplace le rationnel par l'émotion, c'est ne rien inventer du tout; c'est remettre au goût du jour les vieilles recettes oligarchiques. Dans ce schéma, l'intellectuel oligarque (l'expert) produit des idées irrationnelles qui seront compatibles avec le rationalisme du petit nombre pouvant les exploiter; et avec l'irrationalisme débridé du grand nombre.
On comprend le dédain de Maffesoli pour un Soral (Benoist se plaçant entre les deux positions) : car notre Soral agité et populacier incarne les émotions plébéiennes avec lesquelles on ne se mouille pas. Le nationalisme ressortit de cette énergie brute et violente, vulgaire et méprisable que Maffesoli définit comme l'un des volets du nouveau paradigme postmoderne. Il ne laisse aucun doute à ce sujet quand il inclut le nationalisme dans le cénacle de l'émotion postmoderne, tout en prenant soin de s'y opposer. Maffesoli rabaisse le nationalisme u'il intègre en le soumettant à son point de vue dominant : en tant qu'expert oligarque, pas question de respecter des émotions vulgaires irrationnelles.
La différence entre un Maffesoli et un Soral coule de source : Maffesoli incarne la domination rationnelle de l'irrationnel; quand Soral exprime la vulgarité irrationnelle au sein de l'irrationnel. Chez les penseurs, l
'élite contre la plèbe. L'irrationalité rationnelle signifie que l'on domine l'irrationalité par la rhétorique (le discours). L'irrationalité renvoie à l'idée que le néant explique l'être, soit que le désordre préexiste l'ordre. Tout retourne au néant - au bordel. C'est ce qu'affirme un Rosset - dans la lignée du postmodernisme.
Quant à l'irrationalité irrationnelle, elle renvoie à la contre-culture, soit à la mauvaise maîtrise du nihilisme par le discours sophiste. Contrairement à ce qu'estime un Soral, c'est ce qu'il personnifie, lui qui se targue d'incarner la virtuosité nationale-marxiste du Logos, mais qui se trouve méprisé par l'intelligentsia postmoderne parisienne. On maîtrise mal la rhétorique parce qu'on ignore les fondements mésontologiques du nihilisme postmoderne reprenant les recherches de Gorgias consignées dans son petit et explicite Traité du non-être.

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