dimanche 29 juillet 2012

Le début de la fin

"Seymour Hersh : - Les acteurs clef sont les saoudiens. Ce dont j’ai parlé est la réalisation d’une sorte d’accord privé entre la Maison Blanche, c’est-à-dire Richard (Dick) Cheney et Elliott Abrams, un conseiller clef de la Maison Blanche, avec Bandar. L’idée était d’amener les Saoudiens à soutenir sous couvert certains djihadistes durs, des groupes sunnites, particulièrement au Liban, qui seraient perçus en cas de confrontation avec le Hezbollah (le groupe shiite du sud Liban) comme des alliés. C’est aussi simple que cela."
Interview pour CNN, 22 mai 2007.

J'apprends l'assassinat du prince saoudien Bandar ben Sultan lors d'un attentat le 26 juillet. Le Réseau Voltaire explique qu'il s'agirait d'une vengeance syrienne suite à l'attentat de Damas du 18 juillet. Le prince était surnommé "Bandar Bush" du fait de sa proximité avec G.H. Bush. Il était impliqué dans un vaste contrat de corruption Al Yamamah entre l'Arabie saoudite et la Grande-Bretagne, via la société BAE System. Alors que les observateurs mentionnent les collusions entre les Etats saoudiens, israéliens et américains, ils oublient de préciser que l'alliance fondamentale se situent entre les cercles financiers britanniques et les Etats qu'ils contrôlent, notamment leur allié saoudien.
L'oligarchie s'articule autour de factions financières et de familles, comme c'est le cas de l'Arabie saoudite, propriété de la famille Seoud. Après les attentats du 911, le prince Bandar quitta son poste d'ambassadeur à Washington et fut nommé deux ans à Londres. Les liens qui l'impliquent directement dans les attentats du 911 sont pesants. Il fait partie des notables saoudiens qui auraient dû être visés par une enquête fédérale américaine, ainsi que l'a mentionné le sénateur Graham (comme je l'expliquais dans la note précédente, ironiquement consacrée, indirectement, à l'action néfaste de Bandar).
Après 2005, il avait occupé les fonctions de directeur du Conseil national de sécurité saoudien, sur le modèle américain du NSC. Il venait d'être promu chef des services de renseignement saoudiens. Si son surnom était Bandar Bush, il était connu ces dernières années pour avoir supervisé le recrutement de dizaines de milliers de djihadistes, que l'Occident a recyclés sous la bannière trouble et lâche d'al Quaeda dans les opérations du Printemps arabe, à tel point que certains insinuent que le prince constituait une des éminences grises de cette stratégie, beaucoup plus sûrement que son compatriote déchu Oussama. 
En Libye, notamment lors de la guerre humanitaire abjecte qui aurait fait selon les dernières estimations environ 160 000 morts, la stratégie de Bandar avait fonctionné : après la chute du satrape Kadhafi, le peuple libyen endure le chaos intertribal. En Syrie, la stratégie a échoué, malgré la campagne de désinformation qui sévit dans les médias d'Occident et qui nous présente la guerre impérialiste comme l'aspiration du peuple syrien à la démocratie réprimée dans le sang depuis plusieurs mois par son régime dictatorial.
Sans rentrer dans les détails, l'assassinat de Bandar intervient comme un possible règlement de comptes avec le camp syrien, qui n'a pu s'effectuer sans le soutien de l'Iran, de la Russie, voire de la Chine. Cette vengeance rappelle l'affaiblissement de la famille Seoud, en particulier du camp des Sudeiris. Bandar passait pour une intelligence de coups tordus au service des factions financières bien plus que de l'Etat américain. Tant que ses soutiens anglo-saxons avaient la main pour imposer leur loi, il était protégé. Depuis qu'ils ont commencé à décliner, il a été liquidé.
Il ne paye pas l'attentat de Damas, mais l'ensemble de son action au service du terrorisme international. Peut-être même a-t-il été la victime de certains cercles anglo-saxons, qui lui font payer l'échec patent de cette politique, dont il était le plus fidèle représentant en Arabie saoudite. Sans doute n'était-il plus envisageable qu'un puissant soutien au terrorisme sous fausse bannière, imputé aux islamistes sanguinaires, continue à sévir. Quand on fomente des attentats en Syrie, on se crée des ennemis en Syrie, en Iran ou en Russie. Et quand on collabore à des attentats aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les ennemis qu'on s'y crée se révèlent pour l'heure plus influents. L'Arabie saoudite se fragilise, c'est une bonne nouvelle. Son allié dans la région, Israël, perd en soutiens internationaux.
On déplorera que l'on continue à analyser les relations stratégiques internationales en termes d'Etats-nations, de peuples et de volonté générale, alors que l'action vénéneuse de Bandar se trouvait placée aux services d'intérêts privés, de factions, de familles, comme les Seoud, comme les Bush, comme surtout les cercles financiers dont il était devenu une sorte de représentants dans le terrorisme. Sa liquidation ne rappelle pas seulement que l'on meurt souvent comme l'on a vécu : dans son cas, d'un attentat.
La fin violente de Bandar exprime l'effondrement du système anglo-saxon, qu'il a promu sans vergogne depuis qu'il sévit en tant qu'homme de main clé du contrat Al Yamamah : dans la région, les Israéliens auront à subir le prix de leur politique d'asservissement au système impérialiste atlantiste. Si la politique du chaos perdure pour le pire, nous assisterons à des vengeances au sein des institutions anglo-saxonnes, là où les politiques de guerres humanitaires sont intentées. L'assassinat de Bandar va de pair avec la crise systémique qui a détruit le libéralisme et son système de domination financière centré à la City de Londres.
En perdant un de ses hommes dans une région stratégique en plein remodelage, les factions de la City et de Wall Street témoignent de leur perte de pouvoir face aux protagonistes russes et chinois. La suite sera de plus en plus chaotique pour eux, mais ce n'est pas grave. L'inquiétant est que les peuples d'Occident, qui ignorent leurs manigances et qui les couvrent, sous prétexte de dépolitisation, trop souvent médiocre, en paieront le prix, comme un retour de feu : le chaos qui sévit en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan, dans de nombreux pays d'Afrique (comme le Soudan) a été soutenu et financé par les factions financières britanniques et leurs alliés étatiques, en Occident et dans la région du Moyen-Orient.
La montée en puissance des pays émergents rappelle que cette époque est révolue et que nous allons non pas vers l'harmonisation, mais vers la perpétuation de la loi du plus fort. Avec un notable bouleversement : le pouvoir est en train de changer de mains. Les Occidentaux paieront les pots cassés de la politique désastreuse de chaos, dont ils sont les complices irresponsables, et qui a conduit à des millions de morts depuis dix ans. Plus que jamais il est temps de lui opposer des projets de construction et de paix. Plus que jamais il est impératif de promouvoir des hommes d'Etat contre ces hommes-liges, qui ont dévalorisé la politique au service d'intérêts financiers - et dont l'émergence a coïncidé avec les revendications de dépolitisation, chez ceux-là même qui devraient s'engager au nom de leurs intérêts. Espérons qu'il ne soit pas trop tard pour les peuples. Pour Bandar, la fin ne fait que commencer.

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