mardi 31 août 2010

Bonne nouvelle : la crise


Le retour de vacances de l'été 2010 n'est pas placé sous les meilleures augures : on nage dans l'insouciance, l'indifférence, le déni. Répétition ronronnante, quand tu nous tiens. A force de répétition, on tourne en rond dans un ronron mortifère. La plupart des Français - reflet de la plupart des Occidentaux - font comme si. Comme si la crise n'existait pas. Qu'est-ce que la crise? La crise est devenue un terme banal. On parle de la crise comme de ses chaussettes. Il ne s'agit pas d'une grippette ou d'une fièvre passagère. La crise qui est souvent comprise à l'intérieur de données économiques indéchiffrables, au cas où il prendrait envie au citoyen de comprendre ce qui se passe, n'est pas une simple crise économique.
Pour en mesurer l'ampleur, il convient de connecter la partie économique à l'ensemble de la réalité de la crise - faute de quoi l'on passe à côté du problème dans son ensemble et on le déforme en le réduisant à certains de ses sous-volets internes. Sitôt que l'on a connecté l'aspect économique à l'ensemble de la crise, on comprend qu'il s'agit d'une crise générale, soit d'une crise de type religieux. Crise du sens, crise culturelle, crise ontologique : c'est une crise qui affecte l'ensemble de la civilisation occidentale, soit une crise de culture au sens où la culture est étroitement connectée au culte - au religieux.
La crise n'est finalement pas signe de mauvaise nouvelle, du moins dans son sens ultime : tant il est vrai qu'elle indique au-delà de problèmes de mutation assez graves le passage à une renaissance et à une phase de croissance (au sens avant tout ontologique). Gageons que notre grande crise est d'autant plus une crise qu'elle indique une phase de mutation fort importante. Car ce n'est pas un simple problème financier transcendantaliste qui est en cause, au sens où il suffirait de rétablir quelques mesures (d'importance) au niveau financier - par exemple le contrôle drastique et effectif de la spéculation financière.
En réalité, la crise qui est dans son apparition la plus immédiate de nature financière touche au fond à la question de Dieu. Mais cette question révèle encore son ancrage monothéiste. Bien plus que la question pourtant considérable du divin de nature monothéiste, la crise englobe l'ensemble du transcendantalisme, soit également le polythéisme : les dieux - ou Dieu; le divin est en question.
Un des métaphysiciens les plus importants du vingtième siècle, le (passager) nazi Heidegger illustre par sa vie mouvementée la terrible crise qui se prépare. Outre que Heidegger cherche manifestement un sens qu'il n'a pas trouvé, son égarement politique (discerner dans le nazisme l'alternative au nihilisme libéral!) corrobore et recoupe son impéritie centrale, fondamentale - ontologique. Heidegger est le chantre de l'Etre et du retour à l'Etre hellène (préplatonicien) à condition que cet Etre soit indéfinissable et quasi incompréhensible.
Par cet aveu d'impuissance (corrélé à son refus de reconnaître son erreur politique de jeunesse), Heidegger illustre (de manière illustre) l'impasse d'une époque qui ne peut résoudre une crise religieuse par des considérations internes et inférieures (de type économique par exemple). Dans le cas de Heidegger, on ne résout pas une crise religieuse par des solutions ontologiques. L'échec se trouve au bout du chemin. La preuve avec ce choix réactionnaire consistant d'une part à privilégier un avatar de la catégorie de l'impossible (en l'occurrence l'indéfinissable); d'autre part en se tournant vers le passé pour subsumer une pseudo-alternative réactionnaire.
Par son choix de l'Etre préexistant et caduc, Heidegger montre qu'il s'est trompé. En choisissant le passé réactionnaire, Heidegger commet une erreur que l'on connaît bien en politique : estimer non pas que le passé présente des solutions pour l'avenir, mais que la seule solution d'avenir réside dans l'imitation scrupuleuse du passé. Si Heidegger définissait l'Etre, il pourrait à la rigueur fustiger l'oubli de l'Etre - et utiliser l'Etre comme une solution d'avenir qui ne serait certes plus seulement l'Etre, du moins l'Etre des Grecs antiques.
Mais Heidegger se contente de se lamenter après l'oubli de l'Etre - et cet aveu indique qu'il prétend seulement réutiliser une idée du passé sous une forme réactionnaire. Par cette erreur terrible, Heidegger ne fonce pas seulement tête baissée dans le nazisme abominable; il démontre à son cerveau défendant que la crise qu'il ne parvient pas à affronter (d'où ses accès de colère) n'est pas bien définie et délimitée par ses soins.
Heidegger se trompe d'identité dans la crise. La crise est religieuse bien plus que seulement économique ou même ontologique. Ceux qui escomptaient enterrer le religieux en sont déjà pour leurs frais. C'est soit de nouvelles formes religieuses; soit la disparition de l'homme. Pas d'homme sans culture : aussi bien pas d'homme sans culte. Apprécions bien la teneur exacte de la crise : c'est une crise qui concerne l'ensemble des productions humaines, d'autant plus que l'homme s'est globalisé. Soit, encore une fois : une crise religieuse.
Mais cette crise grave, la plus grave de toutes les crises envisagées depuis les débuts de l'histoire humaine, est tout aussi bien une bonne nouvelle. Si l'on comprend que la crise signale un renouveau en forme d'ascension, et si l'on se souvient que cette crise est religieuse, alors la gravité de la crise signifie que le changement va être considérable et que nous vivons en même temps qu'une ère de crise une formidable ère de positivité. Alors retenons cette dernière donne.
Bien entendu que le spectre de toute crise est de funeste augure, mais le résultat de toute crise (la destruction) ne va jamais sans son corollaire plus important encore : la renaissance et la croissance. Alors, si cette crise est religieuse, si cette crise est d'une importance fondamentale, voire la plus grave de toutes les crises, c'est que la pire nouvelle est aussi la meilleure des nouvelles. Pour parodier les chrétiens (dans son ensemble le monothéisme, dont les déniés musulmans) : la mort, la pire des nouvelles du point de vue de la vie, est aussi la renaissance vers la vie éternelle, soit vers une forme de vie parfaite (et supérieure à la vie terrestre).
On peut rappeler ce mot impressionnant de Hölderlin : "Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve". Hölderlin devait s'y connaître en matière de connexion et de proximité (parenté) entre le danger et le salut car il a aussi déclaré : "C'est quand le danger est le plus grand que le salut est le plus proche." On a tendance à estimer que le salut est l'antonyme du danger vital, alors que c'est le contraire qui est vrai : le danger (la crise) implique le salut, soit la réaction face à la destruction.
La crise est finalement une bonne nouvelle une fois entérinées les inévitables et funestes destructions qu'elle occasionne et qui sont attristantes. Car si nous vivons la pire de toutes les crises, c'est que nous vivons aussi le salut le plus grand (ou la meilleure des bonnes nouvelles). Nous allons certes beaucoup souffrir, mais la crise que nous endurons n'incline ni au pessimisme, ni au tragique : elle signe tout au contraire l'annonce de la plus grande des croissances humaines, du plus grand de ses changements, de sa renaissance la plus considérable - l'aventure spatiale. L'aventure spatiale correspond dans l'ordre physique à l'apparition de nouvelles formes religieuses dans l'ordre spirituel. Après avoir crisé, on crie : vive le spatialisme!

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