jeudi 1 décembre 2011

La transvaluation politique


La théorie fondamentale du libéralisme (la guerre de tous contre tous, Hobbes) recoupe l'idée-force de l'oligarchie selon laquelle les relations entre Etats sont fondées sur la force. Dans les années 70, un Kissinger en peine force de l'âge réaffirme ce concept, soufflé dans les allées, les couloirs et les boudoirs du RIIA britannique, qui le contrôlait depuis le début de sa carrière et qui est le véritable inspirateur de la politique étrangère américaine depuis quarante ans (et de son organe jumeau aux États-Unis, le CFR). Au départ du libéralisme, Hobbes promeut sa théorie politique du tous contre tous illusoire qui ne peut être surmontée dans la constitution de la société que par le Léviathan, sorte de tyran qui résout la violence de tous contre tous par la violence du pouvoir.
La violence politique résout par la question du pouvoir autoritaire (violent) la violence individuelle. A l'autre bout de la chaîne (historique), le libéralisme décrépi et moribond de nos jours continue à promouvoir l'idée que ce sont les rapports de force qui dirigent les relations interhumaines. Comme Platon a réussi à montrer que la loi du plus fort est individuellement une catastrophe de loin inférieure à la morale (tant décriée depuis par le parti issu de Nietzsche), le libéralisme se concentre sur la faiblesse de l'argumentation platonicienne (et ontologique) : les ontologues peinant à définir la morale dans les relations politiques (les conseils de Platon sont chassés par Denys II le Jeune), les libéraux réaffirment la violence oligarchique déjà théorisée par Aristote.
Ils abandonnent le domaine interindividuel pour se focaliser sur le domaine politique. Et là, ils clament  sans ambage que les relations entre États sont gouvernés par la loi du plus fort. La différence entre le libéralisme débutant d'un Hobbes et le libéralisme purulent propagé par la clique de théoriciens médiocres comme Kissinger (qui se prend pour l'avatar de Metternich) ne tient pas seulement à la prolifération quantitative des théoriciens qui accompagnent leur affaiblissement qualitatif singulier (Hobbes single vaut plus que Kissinger And Associates). La différence fondamentale tient à l'impossibilité des théoriciens médiocres de résoudre la dichotomie entre le principe démocratique et la loi du plus fort d'adaptation interétatique.
Le coup de force politique (la loi du plus fort comme relation naturelle et nécessaire entre États) devient coup de force théorique : on n'explique en aucun cas le passage rationnel du microcosme au macrocosme. Ou alors on recourt à des termes à connotation magique comme la transvaluation d'héritage nietzschéen. Il est amusant de constater à quel point par mimétisme une mentalité peut de manière contagieuse se propager et innerver des aspects différents, voire divergents d'une même approche de pensée fondamentale : le libéralisme et Nietzsche sont des branches qui sont étrangères, voire antagonistes sur certains aspects, mais qui se rejoignent fondamentalement.
De même que Nietzsche, Spinoza et les libéraux fondateurs, dont Smith, font du plaisir et de la douleur les fondements de la pensée, de même Nietzsche propose une transvaluation de toutes les valeurs qui d'obédience irrationaliste s'attache (en vain) à résoudre la crise immanentiste portant sur la question du réel. Si le libéralisme se pique lui surtout de questions commerciales, économiques et politiques (au sens réducteur de l'idéologiqe), il recourt lui aussi, implicitement, à la méthode de la transvaluation - à inflexion idéologique. L'approche libérale est plus réductrice qu'une approche philosophique de tendance religieuse immanentiste.
L'égoïsme en libéralisme et la transvaluation des vices privées en vertus publiques recoupe l'idée selon laquelle la loi du plus fort est pérenne et la transvaluation mystico-magique. Mais ce qui importe aux libéraux historiques revient à rendre cohérent le commerce, d'une manière très particulière, en liant le commerce et la loi du plus fort. Ce n'est pas autrement qu'il faut comprendre la transvaluation des vices privés en vertus publiques : ou l'intervention magique et providentielle de la main invisible dans l'équilibre des transactions commerciales. Toutes ces fadaises contribuent, avec l'apologie des vices privés et l'éloge de la loi du plus fort entre États, à rendre plausible et légitime le commerce envisagé comme domination économique par un Empire de ses colonies exploitées. Et c'est ce qui rend encore plus savoureuses les théories libérales démenties de nos jours par leur effondrement, surtout quand ces théories émanent de cercles progressistes (ah, les multiples écoles keynésiennes) et rendent la théorie du plus fort compatible avec l'idée d'une amélioration d'autant plus générale que cette généralisation confuse se révèle à l'examen restrictive et particulière.

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