vendredi 11 novembre 2011

La caricature de l'humour

Dans l'affaire de Charlie-Hebdo, un média récidiviste en matière de caricatures libres dirigées contre l'Islam et le prophète ultime de l'Islam (non le seul, Jésus/Issa occupant une place primordiale) Mohamed (que tous en Occident nomment de manière déformée et révélatrice Mahomet, ce qui a un sens péjoratif et orienté), on entend parler à tort et à travers du droit à l'humour en tant que droit élémentaire affilié à la liberté d'expression. Qu'un journal se prévale de la liberté d'expression en démocratie laïque, rien à redire, mais ces caricatures sont à l'encan des caricatures précédents reprises au journal néo-conservateur danois Jyllands Posten : de bonne foi, elles ne sont pas drôles.
Se réclamer du droit à l'humour en la matière relève de l'imposture et insulte le goût des lecteurs de Charlie Hebdo tout comme de l'ensemble de la population française. L'humour consiste à montrer que toute réalité représentée est éphémère et transitoire, que le donné n'est pas le réel. C'est le choc entre le donné et le réel qui constitue le terreau de l'humour, le donné se trouvant submergé et dépassé par le réel. En l'occurrence, l'humour très orienté de ces caricatures consisterait plutôt à se moquer d'un donné déformé (le turban de Mahomet) au nom d'un autre donné alternatif. Désolé, on ne se situe pas dans l'humour, mais dans un no man's land flottant à la dérive entre la propagande et le prosélytisme (convertir les musulmans à la la laïcité entendue non comme garantie de pluralisme religieux, mais comme religion déniée et supramonothéiste).
Les caricatures n'ont pas à être poursuivies au nom de la liberté d'expression, à condition qu'on reconnaisse qu'elles se trouvent au service d'une certaine propagande et n'ont pas valeur première à l'humour, nié au nom de principes balourds comme la propagande ou le moralisme laïcard à connotation très orientée (en gros le néo-conservatisme). Pourquoi Charlie-Hebdo, un hebdomadaire libertaire au départ, est devenu depuis dix ans un support récurrent et reconnu pour la doctrine néo-conservatrice et ses relents jouant sur l'islamophobie, depuis l'intermède Val en particulier? La subversion du libertarisme par les plus vilaines formes de néo-conservatisme, dont le libertarianisme des actuels républicains à tendance soi-disant Tea party, s'explique par l'absence d'alternative positive du libertarisme au moment où son sujet de contestation cardinal, le libéralisme, s'effondre.
Rien pour le libertaire à opposer à l'effondrement de son ennemi-allié libéral (en termes marxistes capitaliste). Rien d'antilibéral/anticapitaliste chez le libertaire classique. Du coup, les plus extrémistes du camp libéral s'emparent du libertarisme pour le subvertir et lui donner une apparence de contestation au service du libéralisme qui s'effondre et qui s'en prend à l'Islam comme ennemi fantasmatique et déformé. L'hebdomadaire français Charlie-Hebdo était mort depuis longtemps suite à sa récupération idéologique par Val et sa transformation insidieuse en organe de propagande. Depuis le départ de Val, vidé de sa substance, il n'a pas réussi à retrouver une identité, exsangue. Du coup, il accumule les pertes budgétaires historiques, ce qui prouve que malgré ses sujets grossiers et contestables il ne se vend plus et que le public libertaire ne se reconnaît plus dans ce journal satirique qui véhicule des relents jouant sur l'islamophobie au nom de l'humour.
Si l'on reconnaît enfin que Charlie-Hebdo est balourd et n'est plus drôle, plus provocateur, plus subversif, qu'il essaye de manière minable et mesquine d'augmenter ses tirages en jouant sur des sujets qui font parler, la vraie question n'est pas de savoir qui a fait cet attentat stupide et abject, mais plutôt comment expliquer qu'un journal satirique sacrifie son humour à un thème faux et stupide. On pourrait relever qu'il existe peu de chances que ce soient des musulmans qui aient perpétré cet attentat décérébré et inutile, mais là n'est pas la question. Si Charlie-Hebdo se vautre dans la fange la plus obvie de l'antithèse à l'humour, du balourd et du grossier, rien d'étonnant à ce que les lecteurs ne suivent pas, mais - pourquoi cet acharnement éditorial? Pourquoi après les sinistres années Val où l'hebdo subit de la censure, de la médiocrité et le ravalement de son identité libertaire à la subversion proto-néo-conservatrice poursuivre avec cette ligne qui nuit à la qualité éditoriale de Charlie Hebdo et qui contredit sa propension à se moquer des plus forts?
Pourquoi se moquer des plus faibles en reproduisant la caractéristique principale de la moquerie des plus forts, procédé bien connue dans la cour de récréation de la part des plus grands à l'encontre des plus petits : la calomnie et l'usage consternant de la bêtise en lieu et place du discernement et de l'esprit critique? On n'attaque pas le faible, le blessé, le calomnié. Laissez Kadhafi tranquille; laissez les musulmans en paix, d'autant plus que les attaques destinées à augmenter le sentiment d'insécurité et la peur des musulmans se fondent sur une définition décérébrée de l'Islam et des musulmans. Ce n'est pas parce qu'on vient de pays musulmans qu'on est musulman, qu'on connaît l'Islam et qu'on pratique l'Islam.
A titre d'exemple, en France, combien de musulmans répertoriés pratiquent l'Islam et connaissent l'Islam? Combien ne s'en tiennent-ils pas plutôt à des traditions et à des rites qu'ils sont incapables d'expliquer et qu'ils appliquent pour se donner une identité fragile et souffreteuse? Si vous voulez attaquer l'Islam, commencer par connaître l'Islam, la complexité de ses interprétations théologiques, la richesse de son histoire si diverse. Et par pitié, cessez de ranger les Arabes et les immigrés d'Occident venant de pays à majorité musulmane dans la catégorie automatique des musulmans. S'ils sont musulmans, tant mieux. S'ils pratiquent l'Islam, tant mieux. Le vrai problème de l'islamisme radical tient à la méconnaissance des principes de paix et d'amour de l'Islam.
Avant de critiquer l'Islam, accédez à la polysémie des identités : l'identité du musulmans est fort polysémique; l'identité de l'Arabe est polysémique - et pas forcément musulmane; l'identité du Français musulman et arabe est polysémique. Et pour les musulmans non arabes? Et pour les musulmans blancs? Ces questions rappellent que l'Islam est grossièrement déformé par certaines tendances extrémistes occidentales, qui l'instrumentalisent à des fins de stratégie impérialiste, pour prolonger la durée de vie d'un impérialisme de toute manière condamnée. Qu'un journal satirique comme Charlie-Hebdo s'engouffre dans cette brèche et prétende faire de l'humour avec de la douleur est affligeant. Pour moi qui ne suis pas musulman, je n'aurai que cette réaction : vive l'Islam, vive la paix, vive le prophète Mohamed, vive la critique, vive la nuance.

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